L'anathème
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L'anathème
Prologue : La boutique d’antiquités.
La Rosace, une bien curieuse dénomination pour une cité dont la disposition des bâtiments ne représentait guère qu’un grossier conglomérat. Mais, en ces temps où la religion et ses églises rythmaient la vie de tous les êtres assez malchanceux pour naître sur le continent, rien ne pouvait justifier un refus aux cardinaux régnant sur la ville. Ainsi se définissait La Rosace, une immense cité où résidaient plusieurs millions d’âmes se massant dans des ruelles sombres et insalubres. Seule la cathédrale, excroissance luxueuse se dressant insolemment sur la place centrale, jurait avec le morne paysage s’étendant devant les yeux d’Esher, un jeune homme perché sur un escabeau.
- Tends-moi l’enseigne, veux-tu ? demanda Esher à une femme paraissant à peine plus âgée que lui mais dont le regard trahissait la sécularité.
D’un bras, elle tendit une lourde enseigne gravée d’une unique inscription : Antiquités. Esher saisit le panneau et, d’un geste précis, l’accrocha à la barre de fonte ancrée dans la façade de sa boutique. Lentement, il laissa glisser ses doigts de sa charge et, accompagnant ses légers balancements du regard, s’assura qu’elle ne chût pas. Alors, il bondit de l’escabeau et recula de quelques pas pour admirer son œuvre. Satisfait, il plaça ses mains sur ses hanches tandis que son visage se fendait d’un sourire.
- Parfait ! s’exclama Esher en écartant les bras pour mettre l’emphase sur son œuvre. N’est-ce pas Vahémir ?
La créature éthérée acquiesça d’un subtil mouvement de menton. Pendant un instant, elle guida ses pupilles vers son maître. Brun, les cheveux courts et légèrement en bataille, l’apparence d’Esher jurait totalement avec la sienne bien qu’elle fût sa contractante, elle dont la chevelure blonde tressée sublimait sa fine silhouette. Alors, elle laissa ses yeux glisser le long du corps du jeune homme, d’une constitution bien trop banale pour que des inquisiteurs le confondissent pour un pratiquant des arts occultes.
Soudain, les pupilles d’Esher se détournèrent de l’enseigne et le sourire illuminant son visage s’estompa pour laisser place à un masque de dureté.
- Rentrons, annonça-t-il d’une voix empreinte d’une profonde lassitude. Je dois renforcer les sceaux.
Le visage de Vahémir se referma à son tour : la cérémonie à laquelle allait se soumettre son maître n’avait rien de plaisante. Sans que ses pas n’émissent la moindre sonorité, Esher pénétra dans sa boutique en balayant la porte d’une douce pression du pied, sa contractante sur ses talons. Devant eux se dévoilaient une multitude d’antiquités grossièrement exposées sur des consoles et bureaux eux-mêmes en vente. Sur une table, une lampe à huile à la flamme vacillante malgré sa constante alimentation procurait un éclairage rudimentaire à l’établissement. Derrière eux, une vitrine faisant toute la largeur de la boutique, seulement troublée par l’accès menant à cette-dernière, s’ouvrait sur une rue passante de La Rosace. Déjà, quelques curieux levaient les yeux pour lire l’inscription de l’enseigne ; seule une pancarte accrochée à la porte et frappée de deux syllabes les dissuadant de s’inviter dans le magasin encore en friche.
Esher slaloma entre ses articles pour rejoindre une porte donnant accès à l’arrière-boutique. Or, armée de ses aptitudes surnaturelles, Vahémir le dépassa, saisit une écharpe de soie bleue longue d’un mètre, et se planta devant lui tandis qu’elle se parait de l’étoffe.
- Cela me sied, n’est-ce-pas ? fît Vahémir en jouant avec l’extrémité volante de l’écharpe.
- Succube, souffla Esher d’une voix déformée par ses lèvres étirées en leurs commissures.
Vahémir se refrogna et transperça son maître du regard. Pendant un instant, des mèches de ses cheveux semblèrent roussir et s’élever dans les airs.
- Vampire, articula-t-elle en s’efforçant que ses crocs apparussent à chacune des syllabes qu’elle prononçait.
- Quelle différence, fit Esher qui se plaisait à la tourmenter. Ton comportement de prive de ton statut.
La pactisante écarquilla les yeux et resta immobile tandis qu’Esher la dépassait et atteignait enfin la porte menant à l’arrière-boutique.
- Je suis un démon majeur moi ! s’écria Vahémir. Les succubes ne sont que des démons mineurs, la différence de pouvoir est considérable.
Au milieu de sa tirade, alors qu’Esher pénétrait dans l’arrière-boutique, la démone vit les lèvres de son maître s’agiter et, l’instant d’après, elle sentit un voile s’étendre de l’incantateur jusqu’aux portes du magasin. Alors, tous les sons extérieurs s’estompèrent ; un empire de silence envahit le bâtiment.
- Je le sais, expliqua Esher en se tenant dans l’encadrure de la porte. Ne cèdes pas à mes taquineries si aisément. Et surtout, ne t’exprime pas au sujet de telles choses si ouvertement : l’inquisition est partout.
Honteuse, Vahémir acquiesça d’un hochement de tête. D’un claquement de doigts, Esher brisa l’enchantement et la cacophonie extérieure s’invita à nouveau dans la boutique. Enfin, il pénétra l’arrière boutique, bientôt rejoint par la vampire. Sur un mur siégeaient les deux accessoires de l’office réel du jeune homme : une épée qu’il espérait ne jamais devoir empoigner, et un sceptre forgé à partir d’un alliage aux reflets azurés que son activité mènerait à éprouver. Or, mis à part ces accessoires, seule une table longue de deux mètres occupait la pièce.
Or, ce ne fut pas dans l’arrière-boutique qu’Esher s’arrêta. Il se planta devant le mur opposé à la porte, y apposa ses mains et prit de grandes inspirations. Alors, ses paumes se fendirent d’inscriptions runiques qui, tel un miasme, se répandirent sur le mur jusqu’à y dessiner une ouverture.
- Vas répandre les rumeurs, ordonna Esher à Vahémir alors que les pierres s’affaissaient pour donner accès à une pièce d’où émanaient de sinistres énergies.
Conclusion :
Voici donc le prologue de ma fan-fic. J'espère que le subjonctif imparfait ne choquera pas la plupart d'entre-vous.
Sinon, pour ce qui est de l'univers, je vous laisse le loisir de deviner, mais je précise que je me base seulement sur un univers en faisant un parallèle complet avec sa trame principale. Voilà, donc bonne chance pour deviner le manga d'où je m'inspire et j'espère que la lecture vous a été agréable.
La Rosace, une bien curieuse dénomination pour une cité dont la disposition des bâtiments ne représentait guère qu’un grossier conglomérat. Mais, en ces temps où la religion et ses églises rythmaient la vie de tous les êtres assez malchanceux pour naître sur le continent, rien ne pouvait justifier un refus aux cardinaux régnant sur la ville. Ainsi se définissait La Rosace, une immense cité où résidaient plusieurs millions d’âmes se massant dans des ruelles sombres et insalubres. Seule la cathédrale, excroissance luxueuse se dressant insolemment sur la place centrale, jurait avec le morne paysage s’étendant devant les yeux d’Esher, un jeune homme perché sur un escabeau.
- Tends-moi l’enseigne, veux-tu ? demanda Esher à une femme paraissant à peine plus âgée que lui mais dont le regard trahissait la sécularité.
D’un bras, elle tendit une lourde enseigne gravée d’une unique inscription : Antiquités. Esher saisit le panneau et, d’un geste précis, l’accrocha à la barre de fonte ancrée dans la façade de sa boutique. Lentement, il laissa glisser ses doigts de sa charge et, accompagnant ses légers balancements du regard, s’assura qu’elle ne chût pas. Alors, il bondit de l’escabeau et recula de quelques pas pour admirer son œuvre. Satisfait, il plaça ses mains sur ses hanches tandis que son visage se fendait d’un sourire.
- Parfait ! s’exclama Esher en écartant les bras pour mettre l’emphase sur son œuvre. N’est-ce pas Vahémir ?
La créature éthérée acquiesça d’un subtil mouvement de menton. Pendant un instant, elle guida ses pupilles vers son maître. Brun, les cheveux courts et légèrement en bataille, l’apparence d’Esher jurait totalement avec la sienne bien qu’elle fût sa contractante, elle dont la chevelure blonde tressée sublimait sa fine silhouette. Alors, elle laissa ses yeux glisser le long du corps du jeune homme, d’une constitution bien trop banale pour que des inquisiteurs le confondissent pour un pratiquant des arts occultes.
Soudain, les pupilles d’Esher se détournèrent de l’enseigne et le sourire illuminant son visage s’estompa pour laisser place à un masque de dureté.
- Rentrons, annonça-t-il d’une voix empreinte d’une profonde lassitude. Je dois renforcer les sceaux.
Le visage de Vahémir se referma à son tour : la cérémonie à laquelle allait se soumettre son maître n’avait rien de plaisante. Sans que ses pas n’émissent la moindre sonorité, Esher pénétra dans sa boutique en balayant la porte d’une douce pression du pied, sa contractante sur ses talons. Devant eux se dévoilaient une multitude d’antiquités grossièrement exposées sur des consoles et bureaux eux-mêmes en vente. Sur une table, une lampe à huile à la flamme vacillante malgré sa constante alimentation procurait un éclairage rudimentaire à l’établissement. Derrière eux, une vitrine faisant toute la largeur de la boutique, seulement troublée par l’accès menant à cette-dernière, s’ouvrait sur une rue passante de La Rosace. Déjà, quelques curieux levaient les yeux pour lire l’inscription de l’enseigne ; seule une pancarte accrochée à la porte et frappée de deux syllabes les dissuadant de s’inviter dans le magasin encore en friche.
Esher slaloma entre ses articles pour rejoindre une porte donnant accès à l’arrière-boutique. Or, armée de ses aptitudes surnaturelles, Vahémir le dépassa, saisit une écharpe de soie bleue longue d’un mètre, et se planta devant lui tandis qu’elle se parait de l’étoffe.
- Cela me sied, n’est-ce-pas ? fît Vahémir en jouant avec l’extrémité volante de l’écharpe.
- Succube, souffla Esher d’une voix déformée par ses lèvres étirées en leurs commissures.
Vahémir se refrogna et transperça son maître du regard. Pendant un instant, des mèches de ses cheveux semblèrent roussir et s’élever dans les airs.
- Vampire, articula-t-elle en s’efforçant que ses crocs apparussent à chacune des syllabes qu’elle prononçait.
- Quelle différence, fit Esher qui se plaisait à la tourmenter. Ton comportement de prive de ton statut.
La pactisante écarquilla les yeux et resta immobile tandis qu’Esher la dépassait et atteignait enfin la porte menant à l’arrière-boutique.
- Je suis un démon majeur moi ! s’écria Vahémir. Les succubes ne sont que des démons mineurs, la différence de pouvoir est considérable.
Au milieu de sa tirade, alors qu’Esher pénétrait dans l’arrière-boutique, la démone vit les lèvres de son maître s’agiter et, l’instant d’après, elle sentit un voile s’étendre de l’incantateur jusqu’aux portes du magasin. Alors, tous les sons extérieurs s’estompèrent ; un empire de silence envahit le bâtiment.
- Je le sais, expliqua Esher en se tenant dans l’encadrure de la porte. Ne cèdes pas à mes taquineries si aisément. Et surtout, ne t’exprime pas au sujet de telles choses si ouvertement : l’inquisition est partout.
Honteuse, Vahémir acquiesça d’un hochement de tête. D’un claquement de doigts, Esher brisa l’enchantement et la cacophonie extérieure s’invita à nouveau dans la boutique. Enfin, il pénétra l’arrière boutique, bientôt rejoint par la vampire. Sur un mur siégeaient les deux accessoires de l’office réel du jeune homme : une épée qu’il espérait ne jamais devoir empoigner, et un sceptre forgé à partir d’un alliage aux reflets azurés que son activité mènerait à éprouver. Or, mis à part ces accessoires, seule une table longue de deux mètres occupait la pièce.
Or, ce ne fut pas dans l’arrière-boutique qu’Esher s’arrêta. Il se planta devant le mur opposé à la porte, y apposa ses mains et prit de grandes inspirations. Alors, ses paumes se fendirent d’inscriptions runiques qui, tel un miasme, se répandirent sur le mur jusqu’à y dessiner une ouverture.
- Vas répandre les rumeurs, ordonna Esher à Vahémir alors que les pierres s’affaissaient pour donner accès à une pièce d’où émanaient de sinistres énergies.
Conclusion :
Voici donc le prologue de ma fan-fic. J'espère que le subjonctif imparfait ne choquera pas la plupart d'entre-vous.
Sinon, pour ce qui est de l'univers, je vous laisse le loisir de deviner, mais je précise que je me base seulement sur un univers en faisant un parallèle complet avec sa trame principale. Voilà, donc bonne chance pour deviner le manga d'où je m'inspire et j'espère que la lecture vous a été agréable.
Ziefniel- Pirate
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Date d'inscription : 19/03/2015
Re: L'anathème
Chapitre 1 : La bénévolente.
La nuit tomba sur La Rosace. Les ténèbres ambiantes de la journée furent bannies pour être remplacées par l’oppressante obscurité de la nuit. La population quitta les rues, seuls tardaient les quelques orphelins peinant à trouver un refuge pour la nuit. Or, tous connaissaient un endroit où ils pourraient converger si d’aventure aucun abri ne daignait les accueillir. Alors, un groupe d’une dizaine d’orphelins se forma à mesure qu’ils déambulaient dans les rues les plus sombres et malodorantes de l’immense cité. Bientôt, ils arrivèrent devant la porte de ce que d’aucun qualifiaient de havre de paix.
Perchée en haut de trois marches se dressaient une fine porte composée de quelques planches d’hêtre ajustées et scellées par de fines lames de fonte. Entre les interstices de l’accès filtrait une lumière d’une étonnante et rassurante chaleur. Enfin, l’enfant le plus téméraire gravit les marches, ancra ses pieds dans la pierre et, d’un coup ferme mais timide, s’annonça. Quelques secondes plus tard, des bruits de pas raisonnèrent jusqu’aux oreilles des misérables. Bientôt, la porte pivota sur ses gonds.
- Entrez, invita une jeune femme auréolée de bonté et vêtue des habits traditionnels des sœurs de l’Eglise. N’attendez pas dans le froid.
L’un après l’autre, les enfants pénétrèrent dans l’étroite bâtisse en saluant leur hôte d’un léger mouvement de tête. Le dernier rentré, elle ferma la porte et les guida jusqu’à son salon, pièce qu’elle avait spécialement aménagé pour accueillir les nécessiteux. Alors, les enfants se déployèrent vers des placards qu’ils avaient déjà ouvert de nombreuses fois pour en sortir des couvertures qu’ils disposèrent au sol.
- Sœur Wyah, l’interpella l’un des enfants. Aurons-nous aussi à manger ce soir ?
Le visage de la sœur s’illumina d’un sourire tandis qu’elle acquiesçait d’un mouvement de tête. Pendant plusieurs minutes, elle aida les enfants à s’installer et, quand ils furent tous emmitouflés dans les couvertures qu’elle leur offrait, les quitta pour rejoindre sa cuisine, seule autre pièce de son humble demeure. Alors, elle retrouva un chaudron qu’elle avait laissé chauffer sur la cuisinière, s’empara d’une paire de moufles et, cambrant le dos étreindre le récipient, l’arracha de son support. Elle parcourut les quelques mètres la séparant de ses convives d’un pas mal assuré puis, ployant le dos tant sa charge devint insoutenable, déposa le chaudron au centre du salon. Des regards avides se posèrent sur elle tandis qu’elle retournait à la cuisine pour en revenir les bras chargés de bols et d’une louche.
Alors, un bol après un autre, elle distribua des portions égales à tous les enfants. Bientôt, tous dégustèrent le sobre met qu’elle leur offrait : un bouillon de poisson aux aromes printaniers. Quand tous eurent fini leur repas, Wyah ramassa les bols pour aller les déposer délicatement dans son évier. Quand elle revint dans son salon, tous ses invités sombraient déjà dans un profond sommeil. Elle posa sur eux un regard chargé de tendresse. Elle-même orpheline, elle avait trouvé en l’Eglise une nouvelle famille jusqu’à devenir l’un de ses agents. Or, la bénévolence de l’Eglise ne cessait de décliner. Le peuple ne se détournait pas de la religion, mais la plupart de leurs offrandes et de leurs impôts allaient maintenant à l’entretien de l’inquisition, si bien que les autres préceptes furent délaissés.
Malgré l’heure avancée, Wyah ne trouva pas le sommeil. Telles les représentations qu’elle se faisait des anges dont elle ne saurait nier l’existence, elle se tint dans l’encadrure de la porte de son salon et veilla sur les orphelins. Bientôt, le silence devint assourdissant et, oppressée par sa lourdeur, la sœur décida d’aller se ressourcer sur les marches menant à sa propriété. D’un pas léger pour ne pas réveiller les enfants, elle sortit de sa maison pour aller s’assoir sur les marches.
Or, son repos fut de courte durée car, alertée par des cris sortant d’une maison adjacente à la sienne, elle quitta ses marches pour s’y diriger. Au son, elle parvint à s’orienter et se planta devant la porte d’où émanaient les plaintes. Elle avala sa salive et, d’une main fébrile, tambourina à la porte. Les hurlements cessèrent un instant.
- Allez-vous bien, demanda Wyah en apposant ses paumes contre la porte.
Aucune réponse ne lui parvint. Or, son instinct lui dicta de ne pas abandonner son entreprise et, d’une témérité nouvellement trouvée, elle poussa la porte qui, déverrouillée, pivota lentement sur ses gonds.
- J’entre pour voir si tout va bien, annonça-t-elle en pénétrant dans la bâtisse.
Wyah pénétra dans une habitation sombre à l’architecture semblable à la sienne. D’un pas précautionneux, elle avança vers la pièce qu’elle devina être la cuisine. Or, à mesure qu’elle s’avançait, elle remarqua un fin trait de lumière filtrer sous la porte menant au salon et, imaginant y trouver les propriétaires, s’y dirigea. Soudain, l’accès se dégagea et, dans l’encadrure de la porte, la sœur trouva un homme au visage émacié, un couteau de cuisine à la main. Derrière lui, baignant dans une flaque de sang sur laquelle se reflétaient les flammes d’un âtre, gisait une femme à la chevelure blonde poisseuse de son fluide vital. Les pupilles de Wyah se fixèrent alternativement sur le meurtrier et sa victime, jusqu’à ce qu’elle remarquât l’alliance que chacun d’eux portait.
Elle voulut ouvrir la bouche, demander à cet homme que la raison semblait avoir quitté pourquoi il avait attenté à la vie de son épouse. Mais, quand ses lèvres tremblantes se murent, le meurtrier fit un pas dans sa direction. Des larmes de sang courant le long de sa lame avant de goutter au sol vinrent ponctuer son avancée. Là, malgré toute la bonté de son âme, Wyah sut qu’elle ne pourrait assister l’assassin et, son visage tordu par un rictus tant son effroi fut important, elle tourna les talons et s’enfuit.
Sa course fut brève. Déjà, quand elle atteignit à peine les marches de l’habitation, le couteau se plantait dans son flanc et lui arrachait un hurlement si puissant que, si d’aventure le meurtrier possédait du cristal, il s’en serait brisé. Wyah tituba sur quelques mètres avant de s’écrouler sur le flanc. L’homme approchait, ses doigts crispés sur sa lame au point que ses jointures en pâlirent. Or, le hurlement poussé par la sœur assura sa survie. Déjà, les orphelins, arrachés à leur sommeil par une telle démonstration d’effroi, investissaient la rue.
Le meurtrier prit peur devant un tel déploiement et, avant que les yeux des enfants ne se posassent sur lui, retrouva le couvert de son habitation et en scella l’entrée. Alors, les orphelins posèrent leur regard sur leur bienfaitrice. Lentement, son sang se rependait entre les froids pavés de La Rosace. Certains appelèrent à l’aide, tambourinèrent aux portes pour y trouver assistance, mais tous, en leur for intérieur, savaient que nulle autre personne que Wyah n’aurait daigné répondre à leurs complaintes. Alors, l’un d’eux se rappela de cette rumeur que des murmures avaient portée à sa connaissance. Des rumeurs, il en entendait tous les jours et jamais n’y accordait grand intérêt, mais là, alors que la femme qu’il admirait s’éteignait, il espéra pouvoir la sauver.
Aidé par les autres enfants, il arracha Wyah du sol et, chacun d’eux la soutenant de leurs frêles membres, leur indiqua leur destination. Alors, pendant plusieurs minutes qui lui semblèrent des heures tant la vue du sang de la jeune femme accablait son esprit de terribles interrogations, il les mena à travers les ruelles jusqu’à trouver le lieu où certains disaient qu’un homme parviendrait à la sauver. De sa main libre, il toqua à la porte.
Allongé dans un canapé dont il n’espérait pas trop vite se défausser tant il constituait un confortable mobilier, Esher ouvrit les yeux pour voir, devant sa vitrine, de petits êtres supporter un corps inanimé.
- Vahémir, fit Esher en se redressant, des clients.
- La boutique est fermée à cette heure, bailla la vampire tandis qu’elle roulait sur une table.
- Pas ce genre de client.
Soudain, Vahémir bondit de sa table et s’empressa de rejoindre l’arrière boutique, contrairement à Esher qui se leva lentement de son fauteuil : les morts n’avaient plus que la patience comme qualité. Enfin, il parcourut les quelques mètres le séparant de la porte, la déverrouilla et, d’un geste théâtral, invita ses clients à pénétrer dans son établissement.
- Amenez-là dans l’arrière-boutique, dit Esher en considérant le corps que les enfants lui apportaient. Il y a une table, déposez-y là.
Sans un mot, les orphelins pénétrèrent dans la boutique et trouvèrent leur chemin jusqu’à l’endroit où officierait le nécromancien. Là, ils y trouvèrent Vahémir, adossée à un mur. Dans ses yeux, ils purent lire une lueur trahissant de son avidité. Ignorant l’inconfort qu’ils ressentirent alors, les orphelins déposèrent la sœur sur la table. Malgré leur nombre, ils tinrent à tous rester dans la pièce et, afin de laisser à Esher l’espace nécessaire pour officier, se disposèrent le long des murs.
Alors, Esher s’apprêta à dire ces mots qu’il avait tant répétés, ces mots qui indiquaient à ceux faisant appel à ses services les conséquences de leurs actions. Mais, quand ses yeux se posèrent sur la sœur, il décela des palpitations sous sa peau.
- Elle est en vie, annonça Esher aux enfants. Je n’officie que sur les morts. Si vous voulez recourir à mes services, achevez-la en ces lieux, ou laissez-la s’éteindre puis revenez me voir.
L’enfant qui avait pris la décision de mener Wyah jusqu’ici serra les dents. Pendant un instant, il voulut assaillir le nécromancien et le battre de ses poings, mais, en ces lieux emplis des plus sombres énergies, il comprit que des menaces pesaient déjà sur sa vie : l’assistante du nécromancien semblait saliver à mesure qu’elle posait ses yeux sur ses compagnons et lui.
- Vous pouvez la sauver, j’en ai la certitude, dit finalement l’enfant en portant son regard sur Wyah. Vous pouvez combattre la mort, alors préserver la vie devrait vous être aisé. Faites-le, et je vous offrirai tout ce que vous souhaiterez, même ma vie.
À sa suite, les autres orphelins affirmèrent avec courage qu’ils offriraient leur vie en échange de celle de la sœur. Esher se fendit d’un sourire et, soudain, son visage s’adoucit pour redevenir celui d’un jeune homme de la plus belle des conditions. Alors, il lança un regard à Vahémir.
- Fais-le, lui dit-elle en affichant un triste sourire, ma constitution est bien différente de la tienne, je peux jeûner encore pendant une semaine.
Esher acquiesça d’un hochement de tête. Alors, il vint placer ses mains au-dessus du corps de Wyah. Soudain, ses paumes et ses avant-bras se recouvrirent de runes luminescentes et, soutenant les tourments que lui infligeaient sa magie, il entama une session de soins qui le maintiendrait éveillé jusqu’à l’aube.
La nuit tomba sur La Rosace. Les ténèbres ambiantes de la journée furent bannies pour être remplacées par l’oppressante obscurité de la nuit. La population quitta les rues, seuls tardaient les quelques orphelins peinant à trouver un refuge pour la nuit. Or, tous connaissaient un endroit où ils pourraient converger si d’aventure aucun abri ne daignait les accueillir. Alors, un groupe d’une dizaine d’orphelins se forma à mesure qu’ils déambulaient dans les rues les plus sombres et malodorantes de l’immense cité. Bientôt, ils arrivèrent devant la porte de ce que d’aucun qualifiaient de havre de paix.
Perchée en haut de trois marches se dressaient une fine porte composée de quelques planches d’hêtre ajustées et scellées par de fines lames de fonte. Entre les interstices de l’accès filtrait une lumière d’une étonnante et rassurante chaleur. Enfin, l’enfant le plus téméraire gravit les marches, ancra ses pieds dans la pierre et, d’un coup ferme mais timide, s’annonça. Quelques secondes plus tard, des bruits de pas raisonnèrent jusqu’aux oreilles des misérables. Bientôt, la porte pivota sur ses gonds.
- Entrez, invita une jeune femme auréolée de bonté et vêtue des habits traditionnels des sœurs de l’Eglise. N’attendez pas dans le froid.
L’un après l’autre, les enfants pénétrèrent dans l’étroite bâtisse en saluant leur hôte d’un léger mouvement de tête. Le dernier rentré, elle ferma la porte et les guida jusqu’à son salon, pièce qu’elle avait spécialement aménagé pour accueillir les nécessiteux. Alors, les enfants se déployèrent vers des placards qu’ils avaient déjà ouvert de nombreuses fois pour en sortir des couvertures qu’ils disposèrent au sol.
- Sœur Wyah, l’interpella l’un des enfants. Aurons-nous aussi à manger ce soir ?
Le visage de la sœur s’illumina d’un sourire tandis qu’elle acquiesçait d’un mouvement de tête. Pendant plusieurs minutes, elle aida les enfants à s’installer et, quand ils furent tous emmitouflés dans les couvertures qu’elle leur offrait, les quitta pour rejoindre sa cuisine, seule autre pièce de son humble demeure. Alors, elle retrouva un chaudron qu’elle avait laissé chauffer sur la cuisinière, s’empara d’une paire de moufles et, cambrant le dos étreindre le récipient, l’arracha de son support. Elle parcourut les quelques mètres la séparant de ses convives d’un pas mal assuré puis, ployant le dos tant sa charge devint insoutenable, déposa le chaudron au centre du salon. Des regards avides se posèrent sur elle tandis qu’elle retournait à la cuisine pour en revenir les bras chargés de bols et d’une louche.
Alors, un bol après un autre, elle distribua des portions égales à tous les enfants. Bientôt, tous dégustèrent le sobre met qu’elle leur offrait : un bouillon de poisson aux aromes printaniers. Quand tous eurent fini leur repas, Wyah ramassa les bols pour aller les déposer délicatement dans son évier. Quand elle revint dans son salon, tous ses invités sombraient déjà dans un profond sommeil. Elle posa sur eux un regard chargé de tendresse. Elle-même orpheline, elle avait trouvé en l’Eglise une nouvelle famille jusqu’à devenir l’un de ses agents. Or, la bénévolence de l’Eglise ne cessait de décliner. Le peuple ne se détournait pas de la religion, mais la plupart de leurs offrandes et de leurs impôts allaient maintenant à l’entretien de l’inquisition, si bien que les autres préceptes furent délaissés.
Malgré l’heure avancée, Wyah ne trouva pas le sommeil. Telles les représentations qu’elle se faisait des anges dont elle ne saurait nier l’existence, elle se tint dans l’encadrure de la porte de son salon et veilla sur les orphelins. Bientôt, le silence devint assourdissant et, oppressée par sa lourdeur, la sœur décida d’aller se ressourcer sur les marches menant à sa propriété. D’un pas léger pour ne pas réveiller les enfants, elle sortit de sa maison pour aller s’assoir sur les marches.
Or, son repos fut de courte durée car, alertée par des cris sortant d’une maison adjacente à la sienne, elle quitta ses marches pour s’y diriger. Au son, elle parvint à s’orienter et se planta devant la porte d’où émanaient les plaintes. Elle avala sa salive et, d’une main fébrile, tambourina à la porte. Les hurlements cessèrent un instant.
- Allez-vous bien, demanda Wyah en apposant ses paumes contre la porte.
Aucune réponse ne lui parvint. Or, son instinct lui dicta de ne pas abandonner son entreprise et, d’une témérité nouvellement trouvée, elle poussa la porte qui, déverrouillée, pivota lentement sur ses gonds.
- J’entre pour voir si tout va bien, annonça-t-elle en pénétrant dans la bâtisse.
Wyah pénétra dans une habitation sombre à l’architecture semblable à la sienne. D’un pas précautionneux, elle avança vers la pièce qu’elle devina être la cuisine. Or, à mesure qu’elle s’avançait, elle remarqua un fin trait de lumière filtrer sous la porte menant au salon et, imaginant y trouver les propriétaires, s’y dirigea. Soudain, l’accès se dégagea et, dans l’encadrure de la porte, la sœur trouva un homme au visage émacié, un couteau de cuisine à la main. Derrière lui, baignant dans une flaque de sang sur laquelle se reflétaient les flammes d’un âtre, gisait une femme à la chevelure blonde poisseuse de son fluide vital. Les pupilles de Wyah se fixèrent alternativement sur le meurtrier et sa victime, jusqu’à ce qu’elle remarquât l’alliance que chacun d’eux portait.
Elle voulut ouvrir la bouche, demander à cet homme que la raison semblait avoir quitté pourquoi il avait attenté à la vie de son épouse. Mais, quand ses lèvres tremblantes se murent, le meurtrier fit un pas dans sa direction. Des larmes de sang courant le long de sa lame avant de goutter au sol vinrent ponctuer son avancée. Là, malgré toute la bonté de son âme, Wyah sut qu’elle ne pourrait assister l’assassin et, son visage tordu par un rictus tant son effroi fut important, elle tourna les talons et s’enfuit.
Sa course fut brève. Déjà, quand elle atteignit à peine les marches de l’habitation, le couteau se plantait dans son flanc et lui arrachait un hurlement si puissant que, si d’aventure le meurtrier possédait du cristal, il s’en serait brisé. Wyah tituba sur quelques mètres avant de s’écrouler sur le flanc. L’homme approchait, ses doigts crispés sur sa lame au point que ses jointures en pâlirent. Or, le hurlement poussé par la sœur assura sa survie. Déjà, les orphelins, arrachés à leur sommeil par une telle démonstration d’effroi, investissaient la rue.
Le meurtrier prit peur devant un tel déploiement et, avant que les yeux des enfants ne se posassent sur lui, retrouva le couvert de son habitation et en scella l’entrée. Alors, les orphelins posèrent leur regard sur leur bienfaitrice. Lentement, son sang se rependait entre les froids pavés de La Rosace. Certains appelèrent à l’aide, tambourinèrent aux portes pour y trouver assistance, mais tous, en leur for intérieur, savaient que nulle autre personne que Wyah n’aurait daigné répondre à leurs complaintes. Alors, l’un d’eux se rappela de cette rumeur que des murmures avaient portée à sa connaissance. Des rumeurs, il en entendait tous les jours et jamais n’y accordait grand intérêt, mais là, alors que la femme qu’il admirait s’éteignait, il espéra pouvoir la sauver.
Aidé par les autres enfants, il arracha Wyah du sol et, chacun d’eux la soutenant de leurs frêles membres, leur indiqua leur destination. Alors, pendant plusieurs minutes qui lui semblèrent des heures tant la vue du sang de la jeune femme accablait son esprit de terribles interrogations, il les mena à travers les ruelles jusqu’à trouver le lieu où certains disaient qu’un homme parviendrait à la sauver. De sa main libre, il toqua à la porte.
Allongé dans un canapé dont il n’espérait pas trop vite se défausser tant il constituait un confortable mobilier, Esher ouvrit les yeux pour voir, devant sa vitrine, de petits êtres supporter un corps inanimé.
- Vahémir, fit Esher en se redressant, des clients.
- La boutique est fermée à cette heure, bailla la vampire tandis qu’elle roulait sur une table.
- Pas ce genre de client.
Soudain, Vahémir bondit de sa table et s’empressa de rejoindre l’arrière boutique, contrairement à Esher qui se leva lentement de son fauteuil : les morts n’avaient plus que la patience comme qualité. Enfin, il parcourut les quelques mètres le séparant de la porte, la déverrouilla et, d’un geste théâtral, invita ses clients à pénétrer dans son établissement.
- Amenez-là dans l’arrière-boutique, dit Esher en considérant le corps que les enfants lui apportaient. Il y a une table, déposez-y là.
Sans un mot, les orphelins pénétrèrent dans la boutique et trouvèrent leur chemin jusqu’à l’endroit où officierait le nécromancien. Là, ils y trouvèrent Vahémir, adossée à un mur. Dans ses yeux, ils purent lire une lueur trahissant de son avidité. Ignorant l’inconfort qu’ils ressentirent alors, les orphelins déposèrent la sœur sur la table. Malgré leur nombre, ils tinrent à tous rester dans la pièce et, afin de laisser à Esher l’espace nécessaire pour officier, se disposèrent le long des murs.
Alors, Esher s’apprêta à dire ces mots qu’il avait tant répétés, ces mots qui indiquaient à ceux faisant appel à ses services les conséquences de leurs actions. Mais, quand ses yeux se posèrent sur la sœur, il décela des palpitations sous sa peau.
- Elle est en vie, annonça Esher aux enfants. Je n’officie que sur les morts. Si vous voulez recourir à mes services, achevez-la en ces lieux, ou laissez-la s’éteindre puis revenez me voir.
L’enfant qui avait pris la décision de mener Wyah jusqu’ici serra les dents. Pendant un instant, il voulut assaillir le nécromancien et le battre de ses poings, mais, en ces lieux emplis des plus sombres énergies, il comprit que des menaces pesaient déjà sur sa vie : l’assistante du nécromancien semblait saliver à mesure qu’elle posait ses yeux sur ses compagnons et lui.
- Vous pouvez la sauver, j’en ai la certitude, dit finalement l’enfant en portant son regard sur Wyah. Vous pouvez combattre la mort, alors préserver la vie devrait vous être aisé. Faites-le, et je vous offrirai tout ce que vous souhaiterez, même ma vie.
À sa suite, les autres orphelins affirmèrent avec courage qu’ils offriraient leur vie en échange de celle de la sœur. Esher se fendit d’un sourire et, soudain, son visage s’adoucit pour redevenir celui d’un jeune homme de la plus belle des conditions. Alors, il lança un regard à Vahémir.
- Fais-le, lui dit-elle en affichant un triste sourire, ma constitution est bien différente de la tienne, je peux jeûner encore pendant une semaine.
Esher acquiesça d’un hochement de tête. Alors, il vint placer ses mains au-dessus du corps de Wyah. Soudain, ses paumes et ses avant-bras se recouvrirent de runes luminescentes et, soutenant les tourments que lui infligeaient sa magie, il entama une session de soins qui le maintiendrait éveillé jusqu’à l’aube.
Ziefniel- Pirate
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Re: L'anathème
Chapitre 2 : L’héritier.
Les soins s’achevèrent à l’aube, alors que La Rosace s’éveillait à peine. La plupart des enfants veillèrent mais, malgré la rigidité étreignant dans leurs membres, décidèrent de quitter aussitôt la boutique. Ils souhaitaient ramener Wyah à son domicile avant que ne se réveillât.
- Quand se réveillera-t-elle ? demanda l’un des enfants alors que ses compagnons chargeaient la sœur sur leurs dos.
- Pas avant ce soir, répondit Esher pour les rassurer. Et, elle ne se rappellera de rien, pour ma sécurité comme pour sa sanité.
L’enfant acquiesça d’un hochement de tête et quitta la boutique, entrainant derrière lui ses compagnons. En un instant, le commerce se vida. Enfin, le calme revenait ; mais, déjà, le soleil poignait à l’horizon, les rues s’animaient et les sommeils s’achevaient. Malgré l’agitation que connaissait La Rosace au jour levé, rien n’empêchait Esher de verrouiller son magasin, d’employer sa magie à l’isoler du son et de recouvrer ses forces.
Mais, le destin sembla vouloir maintenir Esher et Vahémir éveiller car, à peine trente secondes après que la boutique fût vidée de ses invités nocturnes, cinq hommes l’investirent. L’un d’eux, frêle et richement vêtu, un haut de forme en équilibre sur son épaisse couche de cheveux bruns, se démarqua. Ses hommes, des colosses vêtus d’un costume semblable au sien, mais semblant de bien plus modeste conception, se déployèrent entre les meubles entreposés pour toiser la vampire et son maître.
- Vous désirez quelque chose ? demanda Vahémir en feignant un sourire.
Le jeune aristocrate ignora la démone et se dirigea vers Esher, croyant déceler en ses cernes marqués un témoin de sa condition. Son visage se fendit d’un sourire tandis qu’il considérait son hôte.
- Vous êtes le nécromancien ? demanda-t-il à voix basse.
Immédiatement, Esher déploya sa barrière acoustique, s’assurant ainsi que des agents du clergé n’épieraient pas la conversation.
- En effet, répondit Esher dans un souffle.
- Parfait ! s’écria l’aristocrate tandis que ses hommes restaient de marbre, leurs pupilles figées sur Vahémir. Vous êtes l’homme que je cherchais, l’homme des rumeurs. J’ai besoin de votre aide.
- Bien, mais j’ai besoin d’un corps, fit le nécromancien en considérant que le cœur de chacun de ses invités battait. Je ne peux travailler sans.
L’aristocrate fit la moue. Lippu, sa lèvre supérieure disparut, happée par l’inférieure, tandis qu’il jetait sa tête en arrière. Son chapeau chuta.
- Je ne peux l’apporter ici, fit le jeune noble, cela serait bien trop complexe.
Vahémir laissa lui échapper un soupir empli de véhémence, se demandant comment un homme pouvait prendre contact avec un nécromancien s’il n’avait même pas le courage de déplacer un corps.
- Je vous paierai, ajouta l’aristocrate, grassement.
Le regard fatigué d’Esher s’illumina à l’évocation d’un paiement, supplément à ce qu’il réclamait habituellement.
- Combien ? demanda Vahémir pour son maître.
- Je vous donnerai pour vingt-mille érins de bons au porteur, répondit le jeune homme. Et, pour votre déplacement, je suis prêt à vous en donner pour cinq-mille de suite.
Vahémir bondit par-dessus une pièce de mobilier et agrippa son maître par l’épaule. D’une pression, elle lui indiqua de se retourner. Esher s’exécuta et, penchés l’un vers l’autre, ils entamèrent un aparté :
- J’ai faim, glissa Vahémir à l’oreille du nécromancien.
- Et j’ai besoin d’argent, compléta Esher.
- Mais, est-ce une bonne idée ? Je ne leur fais pas confiance, il pourrait se défiler lorsque tu lui exposeras le réel coût de ton art ; et, il ne pourra pas le transférer sur l’un de ses hommes, le contrat ne fonctionne pas ainsi.
- Il l’acceptera, fit Esher avec certitude. Il a peur, il ne contrôle rien. Même ses hommes ne semblent pas le respecter. Il souhaite l’évolution de sa situation et il donnera tout pour la réaliser.
- Alors, on est d’accord, on prend le paiement en avance ? Cela ne posera pas de problème de changer le lieu de la cérémonie ?
- On prend le paiement, le lieu importe peu.
Les contractants se redressèrent et, simultanément, se retournèrent vers leur client.
- Où devons-nous nous rendre ? demanda Esher en souriant malgré son exténuation.
L’aristocrate découvrit ses dents tant son visage se fendit d’un large sourire. Tel un mannequin désarticulé, il se baissa pour ramasser son chapeau, l’épousseta et le posa sur son crâne.
- Je peux vous y conduire immédiatement, répondit l’aristocrate pris de spasmes tant la nouvelle le réjouissait.
- Non, répondit Esher en soufflant de fatigue, je ne peux me permettre de quitter mon magasin pendant la journée.
- Alors j’enverrai un carrosse devant votre porte pour le crépuscule, trancha le jeune homme sans perdre son entrain, il vous mènera à mon adresse.
Esher acquiesça d’un hochement de tête. Leur accord trouvé, les contractants et leur client échangèrent une poignée de main ainsi quelques formules de bienséance. Après avoir remis le bon promis, le noble et ses hommes quittèrent le magasin d’antiquité, retournant ainsi aux bruits et agitations des rues de La Rosace. Leurs tympans furent agressés par l’expression de la vie de la cité qui n’avait su pénétrer la boutique. Après quelques secondes à s’adapter à leur retour à la réalité, l’aristocrate et ses hommes sautèrent dans un carrosse presque trop large pour la ruelle et disparurent.
Un instant, le nécromancien songea à briser la barrière acoustique mais, fatigué, il la laissa en place, posta une pancarte frappée du mot « fermé » sur sa porte et s’affala sur son fauteuil : il lui faudrait toute son énergie pour le rituel.
Les soins s’achevèrent à l’aube, alors que La Rosace s’éveillait à peine. La plupart des enfants veillèrent mais, malgré la rigidité étreignant dans leurs membres, décidèrent de quitter aussitôt la boutique. Ils souhaitaient ramener Wyah à son domicile avant que ne se réveillât.
- Quand se réveillera-t-elle ? demanda l’un des enfants alors que ses compagnons chargeaient la sœur sur leurs dos.
- Pas avant ce soir, répondit Esher pour les rassurer. Et, elle ne se rappellera de rien, pour ma sécurité comme pour sa sanité.
L’enfant acquiesça d’un hochement de tête et quitta la boutique, entrainant derrière lui ses compagnons. En un instant, le commerce se vida. Enfin, le calme revenait ; mais, déjà, le soleil poignait à l’horizon, les rues s’animaient et les sommeils s’achevaient. Malgré l’agitation que connaissait La Rosace au jour levé, rien n’empêchait Esher de verrouiller son magasin, d’employer sa magie à l’isoler du son et de recouvrer ses forces.
Mais, le destin sembla vouloir maintenir Esher et Vahémir éveiller car, à peine trente secondes après que la boutique fût vidée de ses invités nocturnes, cinq hommes l’investirent. L’un d’eux, frêle et richement vêtu, un haut de forme en équilibre sur son épaisse couche de cheveux bruns, se démarqua. Ses hommes, des colosses vêtus d’un costume semblable au sien, mais semblant de bien plus modeste conception, se déployèrent entre les meubles entreposés pour toiser la vampire et son maître.
- Vous désirez quelque chose ? demanda Vahémir en feignant un sourire.
Le jeune aristocrate ignora la démone et se dirigea vers Esher, croyant déceler en ses cernes marqués un témoin de sa condition. Son visage se fendit d’un sourire tandis qu’il considérait son hôte.
- Vous êtes le nécromancien ? demanda-t-il à voix basse.
Immédiatement, Esher déploya sa barrière acoustique, s’assurant ainsi que des agents du clergé n’épieraient pas la conversation.
- En effet, répondit Esher dans un souffle.
- Parfait ! s’écria l’aristocrate tandis que ses hommes restaient de marbre, leurs pupilles figées sur Vahémir. Vous êtes l’homme que je cherchais, l’homme des rumeurs. J’ai besoin de votre aide.
- Bien, mais j’ai besoin d’un corps, fit le nécromancien en considérant que le cœur de chacun de ses invités battait. Je ne peux travailler sans.
L’aristocrate fit la moue. Lippu, sa lèvre supérieure disparut, happée par l’inférieure, tandis qu’il jetait sa tête en arrière. Son chapeau chuta.
- Je ne peux l’apporter ici, fit le jeune noble, cela serait bien trop complexe.
Vahémir laissa lui échapper un soupir empli de véhémence, se demandant comment un homme pouvait prendre contact avec un nécromancien s’il n’avait même pas le courage de déplacer un corps.
- Je vous paierai, ajouta l’aristocrate, grassement.
Le regard fatigué d’Esher s’illumina à l’évocation d’un paiement, supplément à ce qu’il réclamait habituellement.
- Combien ? demanda Vahémir pour son maître.
- Je vous donnerai pour vingt-mille érins de bons au porteur, répondit le jeune homme. Et, pour votre déplacement, je suis prêt à vous en donner pour cinq-mille de suite.
Vahémir bondit par-dessus une pièce de mobilier et agrippa son maître par l’épaule. D’une pression, elle lui indiqua de se retourner. Esher s’exécuta et, penchés l’un vers l’autre, ils entamèrent un aparté :
- J’ai faim, glissa Vahémir à l’oreille du nécromancien.
- Et j’ai besoin d’argent, compléta Esher.
- Mais, est-ce une bonne idée ? Je ne leur fais pas confiance, il pourrait se défiler lorsque tu lui exposeras le réel coût de ton art ; et, il ne pourra pas le transférer sur l’un de ses hommes, le contrat ne fonctionne pas ainsi.
- Il l’acceptera, fit Esher avec certitude. Il a peur, il ne contrôle rien. Même ses hommes ne semblent pas le respecter. Il souhaite l’évolution de sa situation et il donnera tout pour la réaliser.
- Alors, on est d’accord, on prend le paiement en avance ? Cela ne posera pas de problème de changer le lieu de la cérémonie ?
- On prend le paiement, le lieu importe peu.
Les contractants se redressèrent et, simultanément, se retournèrent vers leur client.
- Où devons-nous nous rendre ? demanda Esher en souriant malgré son exténuation.
L’aristocrate découvrit ses dents tant son visage se fendit d’un large sourire. Tel un mannequin désarticulé, il se baissa pour ramasser son chapeau, l’épousseta et le posa sur son crâne.
- Je peux vous y conduire immédiatement, répondit l’aristocrate pris de spasmes tant la nouvelle le réjouissait.
- Non, répondit Esher en soufflant de fatigue, je ne peux me permettre de quitter mon magasin pendant la journée.
- Alors j’enverrai un carrosse devant votre porte pour le crépuscule, trancha le jeune homme sans perdre son entrain, il vous mènera à mon adresse.
Esher acquiesça d’un hochement de tête. Leur accord trouvé, les contractants et leur client échangèrent une poignée de main ainsi quelques formules de bienséance. Après avoir remis le bon promis, le noble et ses hommes quittèrent le magasin d’antiquité, retournant ainsi aux bruits et agitations des rues de La Rosace. Leurs tympans furent agressés par l’expression de la vie de la cité qui n’avait su pénétrer la boutique. Après quelques secondes à s’adapter à leur retour à la réalité, l’aristocrate et ses hommes sautèrent dans un carrosse presque trop large pour la ruelle et disparurent.
Un instant, le nécromancien songea à briser la barrière acoustique mais, fatigué, il la laissa en place, posta une pancarte frappée du mot « fermé » sur sa porte et s’affala sur son fauteuil : il lui faudrait toute son énergie pour le rituel.
***
Comme annoncé, un carrosse se stationna devant la boutique au crépuscule. Un svelte cocher descendit de l’hippomobile et frappa contre la vitre du magasin d’une main gantée. Les vibrations achevèrent d’arracher Esher et Vahémir à leur somnolence. Avec une synchronisation symbolisant le lien les unissant, ils bondirent sur leurs pieds. En un instant, ils slalomèrent entre les meubles et autres objets pour atteindre la porte.
- Je regrette déjà d’avoir accepté, fit Vahémir alors qu’Esher posait sa main sur la poignée de la porte.
- Ne te plains pas, toi, au moins, tu auras quelque chose à manger ce soir.
Un léger sourire vint illuminer le visage de la vampire.
- Succube, souffla Esher d’une voix imperceptible quand il remarqua la réaction de sa contractante dans le reflet de la baie vitrée.
Enfin, il ouvrit la porte et ils embarquèrent dans le carrosse après l’avoir refermée derrière eux. Exigüe mais confortable, l’hippomobile s’ébranla dès que le cocher reprit son poste. Pendant de longues minutes, le nécromancien et la vampire virent défiler les rues de la cité par d’étroites ouvertures sur chacune des portes ; et, après près d’une demi-heure de vibrations leur parcourant l’échine, ils arrivèrent dans un quartier résidentiel de La Rosace où ils s’arrêtèrent.
Sans attendre tant la fatigue lui dictait d’expédier sa mission, Esher déverrouilla la porte du carrosse et s’en extirpa, talonné par Vahémir. Ils se trouvaient devant le portail d’un imposant manoir. L’entrée, scellée par d’imposants pans de métal ouvragé aux motifs d’arabesque, s’ouvrait sur une allée ponctuée de lits de fleurs au bout de laquelle se trouvait le manoir : une imposante bâtisse sur trois étages.
Quelques instants après leur arrivée, leur hôte vint les rejoindre à la porte et, d’un geste de la main, ordonna à ses domestiques de déverrouiller le portail. Les lourdes portes pivotèrent sur leur gond sans émettre le moindre gémissement ; les asservis s’écartèrent, formèrent une courte haie et courbèrent cérémonieusement le buste.
- Bienvenue, annonça l’hôte en les invitant à pénétrer sur son domaine d’une ample gesticulation. J’espère que le voyage vous a été agréable.
Esher acquiesça d’un hochement de tête et passa le portail, suivi de près par Vahémir.
- Veuillez m’excuser, fit l’hôte en les accompagnant jusqu’à la porte tandis que ses employés fermaient le cortège, mais j’ai omis de me présenter lors de notre rencontre. Je me prénomme Eric, héritier de la famille Hishspen.
- Esher, répondit laconiquement le nécromancien.
- Et la demoiselle ? fit le noble qui pensait qu’elle resterait à la boutique.
- Cela est sans intérêt, fit Esher. Contentez-vous de nous mener au corps. Je ne souhaite pas m’attarder ici.
Bien que sa contenance fût altérée par la réponse du nécromancien, et que son courage s’estompa, Eric mena ses invités à travers le manoir, son esprit focalisé sur sa future délivrance. Ainsi, accompagnés des serviteurs, il les guida à travers le hall d’entrée, large pièce donnant sur un large escalier. Mais, ce ne fut pas à l’étage qu’il les guida. D’un geste de la main, il congédia ses domestiques. Tels des automates, chacun d’eux fila vers une pièce où il saurait trouver une occupation.
Alors, le jeune aristocrate les mena derrière l’escalier. Là, il déverrouilla une étroite porte à l’aide d’une clef qu’il gardait attachée à une chainette autour de son cou, et disparut dans l’obscurité. Douée du don de nyctalopie, Vahémir dépassa son maître et s’infiltra dans l’étroite ouverture. Esher soupira, espérant qu’il pourrait un jour pratiquer son art dans un autre endroit qu’une cave humide ou un autel emprunt de mysticisme. Enfin, il s’engouffra dans les escaliers.
Guidé par l’écho des pas de la paire le précédant, Esher descendit lentement la trentaine de marches le menant jusqu’au sous-sol. Soudain, une lueur apparut dans son champ de vision et, quand il eut descendu l’ultime marche, il pénétra dans une pièce où se consumaient une cinquantaine de bougies disposées en pentacle. Au centre du symbole païen se trouvait un énorme bloc de granit où reposait le corps d’un homme d’âge mur. Dans chaque angle de la pièce, tapis dans l’ombre, se tenaient les hommes du main du jeune aristocrate.
Indisposé par l’éclairage et la vanité de sa disposition, Esher balaya l’air de sa main gauche et, ainsi, fit vaciller puis s’éteindre toutes les flammes qu’il jugeait inutiles. Eric écarquilla les yeux de surprise.
- Qui est-ce ? demanda Esher en s’approchant du cadavre.
- Mon père, répondit Eric en s’approchant à son tour, Martial Hishspen.
- Comment est-il décédé ?
- Son cœur a lâché, souffla le jeune aristocrate, la gorge serrée par l’émotion. Il a toujours été sanguin, à s’énerver pour un rien. Enfin, c’est comme ça qu’il a bâti la prospérité de cette famille, c’est comme ça qu’il a développé ses affaires. Mais, il y a trois jours, il s’est énervé une nouvelle fois en négociant avec l’un de ses fournisseurs, et son cœur s’est arrêté.
Vahémir vint se planter entre son maître et son interlocuteur. D’un œil vif, elle scruta le visage du jeune aristocrate : de fines larmes roulaient sur ses joues. Résolu, Eric serra les poings, prêt à demander à Esher d’accomplir son œuvre, mais la vampire le coupa :
- Vous êtes l’héritier, fit-elle en posant sur lui un regard prédateur. Pourquoi vouloir la résurrection de votre père alors que toutes ses possessions sont maintenant votre.
- Car je ne suis pas lui ! s’emporta l’aristocrate. Je suis incompétent, je ne sais pas gérer les affaires. Sans lui pour le guider, la fortune de la famille s’évaporerait !
Un sourire se dessina sur le visage de Vahémir : la soirée serait divertissante. Esher fit deux pas en arrière. Soudain, il fit se percuter ses paumes d’où s’échappèrent des gerbes noirâtres semblables à de l’électricité. Alors, son bâton apparut, dressé en lévitation devant lui. Avant qu’il n’atteignît le sol, le nécromancien le saisit et, au contact de sa paume avec l’alliage, une onde d’une sombre énergie parcourut le sous-sol.
- Bien, fit Esher en souriant, dans ce cas nous pouvons parler du prix de la résurrection.
- Le prix ? reprit Eric, décontenancé. Nous avions déjà convenu sur le montant de votre prestation.
- Non, je ne parle pas de ce prix là, mais d’un bien plus personnel. Une résurrection ne peut être effectuée seulement avec de l’argent, il me faut également une âme : la votre.
L’aristocrate blêmit.
- Bien entendu, vous ne pouvez vous défausser de ce coût, compléta Esher. Vous vous départirez d’une partie de votre âme, et ainsi amoindrirez votre espérance de vie. En contrepartie, je procéderai à la résurrection, mais elle ne sera qu’imparfaite : le trait de la personnalité de votre père la plus développée sera encore accentuée.
Esher s’avança vers le cadavre, son bâton pointé vers le sol. L’air autour de lui sembla se densifier et s’obscurcir. Le nécromancien reprit :
- Votre réponse scellera le contrat : acceptez-vous le coût de la résurrection ?
- Je l’accepte, répondit Eric sans attendre.
D’un mouvement sec, Esher vint positionner son sceptre au dessus du cadavre et, soudain, l’aura semblant l’entourer s’étendit à l’entier sous-sol. Oppressés par la puissante magie, les hommes de l’aristocrate glissèrent lentement le long du mur où ils s’adossaient tandis qu’ils sombraient dans l’inconscience. Soudain, Eric vit une part de son âme être extirpée de son corps et, l’instant d’après, pénétrer celui de son père. Alors, la dense et sombre énergie s’insinua dans le cadavre par tous ses orifices. L’air vibra, une brise souffla et les ténèbres entamèrent leur règne.
D’un claquement de doigt, Esher ralluma quelques bougies. Eric écarquilla les yeux : l’abdomen de son père se soulevait au rythme de ses lents mouvements respiratoires. Déjà, Esher quittait la pièce, suivi de près par Vahémir.
- Bon appétit, lui chuchota-t-il alors qu’il disparaissait dans l’encadrure de la porte.
- Je regrette déjà d’avoir accepté, fit Vahémir alors qu’Esher posait sa main sur la poignée de la porte.
- Ne te plains pas, toi, au moins, tu auras quelque chose à manger ce soir.
Un léger sourire vint illuminer le visage de la vampire.
- Succube, souffla Esher d’une voix imperceptible quand il remarqua la réaction de sa contractante dans le reflet de la baie vitrée.
Enfin, il ouvrit la porte et ils embarquèrent dans le carrosse après l’avoir refermée derrière eux. Exigüe mais confortable, l’hippomobile s’ébranla dès que le cocher reprit son poste. Pendant de longues minutes, le nécromancien et la vampire virent défiler les rues de la cité par d’étroites ouvertures sur chacune des portes ; et, après près d’une demi-heure de vibrations leur parcourant l’échine, ils arrivèrent dans un quartier résidentiel de La Rosace où ils s’arrêtèrent.
Sans attendre tant la fatigue lui dictait d’expédier sa mission, Esher déverrouilla la porte du carrosse et s’en extirpa, talonné par Vahémir. Ils se trouvaient devant le portail d’un imposant manoir. L’entrée, scellée par d’imposants pans de métal ouvragé aux motifs d’arabesque, s’ouvrait sur une allée ponctuée de lits de fleurs au bout de laquelle se trouvait le manoir : une imposante bâtisse sur trois étages.
Quelques instants après leur arrivée, leur hôte vint les rejoindre à la porte et, d’un geste de la main, ordonna à ses domestiques de déverrouiller le portail. Les lourdes portes pivotèrent sur leur gond sans émettre le moindre gémissement ; les asservis s’écartèrent, formèrent une courte haie et courbèrent cérémonieusement le buste.
- Bienvenue, annonça l’hôte en les invitant à pénétrer sur son domaine d’une ample gesticulation. J’espère que le voyage vous a été agréable.
Esher acquiesça d’un hochement de tête et passa le portail, suivi de près par Vahémir.
- Veuillez m’excuser, fit l’hôte en les accompagnant jusqu’à la porte tandis que ses employés fermaient le cortège, mais j’ai omis de me présenter lors de notre rencontre. Je me prénomme Eric, héritier de la famille Hishspen.
- Esher, répondit laconiquement le nécromancien.
- Et la demoiselle ? fit le noble qui pensait qu’elle resterait à la boutique.
- Cela est sans intérêt, fit Esher. Contentez-vous de nous mener au corps. Je ne souhaite pas m’attarder ici.
Bien que sa contenance fût altérée par la réponse du nécromancien, et que son courage s’estompa, Eric mena ses invités à travers le manoir, son esprit focalisé sur sa future délivrance. Ainsi, accompagnés des serviteurs, il les guida à travers le hall d’entrée, large pièce donnant sur un large escalier. Mais, ce ne fut pas à l’étage qu’il les guida. D’un geste de la main, il congédia ses domestiques. Tels des automates, chacun d’eux fila vers une pièce où il saurait trouver une occupation.
Alors, le jeune aristocrate les mena derrière l’escalier. Là, il déverrouilla une étroite porte à l’aide d’une clef qu’il gardait attachée à une chainette autour de son cou, et disparut dans l’obscurité. Douée du don de nyctalopie, Vahémir dépassa son maître et s’infiltra dans l’étroite ouverture. Esher soupira, espérant qu’il pourrait un jour pratiquer son art dans un autre endroit qu’une cave humide ou un autel emprunt de mysticisme. Enfin, il s’engouffra dans les escaliers.
Guidé par l’écho des pas de la paire le précédant, Esher descendit lentement la trentaine de marches le menant jusqu’au sous-sol. Soudain, une lueur apparut dans son champ de vision et, quand il eut descendu l’ultime marche, il pénétra dans une pièce où se consumaient une cinquantaine de bougies disposées en pentacle. Au centre du symbole païen se trouvait un énorme bloc de granit où reposait le corps d’un homme d’âge mur. Dans chaque angle de la pièce, tapis dans l’ombre, se tenaient les hommes du main du jeune aristocrate.
Indisposé par l’éclairage et la vanité de sa disposition, Esher balaya l’air de sa main gauche et, ainsi, fit vaciller puis s’éteindre toutes les flammes qu’il jugeait inutiles. Eric écarquilla les yeux de surprise.
- Qui est-ce ? demanda Esher en s’approchant du cadavre.
- Mon père, répondit Eric en s’approchant à son tour, Martial Hishspen.
- Comment est-il décédé ?
- Son cœur a lâché, souffla le jeune aristocrate, la gorge serrée par l’émotion. Il a toujours été sanguin, à s’énerver pour un rien. Enfin, c’est comme ça qu’il a bâti la prospérité de cette famille, c’est comme ça qu’il a développé ses affaires. Mais, il y a trois jours, il s’est énervé une nouvelle fois en négociant avec l’un de ses fournisseurs, et son cœur s’est arrêté.
Vahémir vint se planter entre son maître et son interlocuteur. D’un œil vif, elle scruta le visage du jeune aristocrate : de fines larmes roulaient sur ses joues. Résolu, Eric serra les poings, prêt à demander à Esher d’accomplir son œuvre, mais la vampire le coupa :
- Vous êtes l’héritier, fit-elle en posant sur lui un regard prédateur. Pourquoi vouloir la résurrection de votre père alors que toutes ses possessions sont maintenant votre.
- Car je ne suis pas lui ! s’emporta l’aristocrate. Je suis incompétent, je ne sais pas gérer les affaires. Sans lui pour le guider, la fortune de la famille s’évaporerait !
Un sourire se dessina sur le visage de Vahémir : la soirée serait divertissante. Esher fit deux pas en arrière. Soudain, il fit se percuter ses paumes d’où s’échappèrent des gerbes noirâtres semblables à de l’électricité. Alors, son bâton apparut, dressé en lévitation devant lui. Avant qu’il n’atteignît le sol, le nécromancien le saisit et, au contact de sa paume avec l’alliage, une onde d’une sombre énergie parcourut le sous-sol.
- Bien, fit Esher en souriant, dans ce cas nous pouvons parler du prix de la résurrection.
- Le prix ? reprit Eric, décontenancé. Nous avions déjà convenu sur le montant de votre prestation.
- Non, je ne parle pas de ce prix là, mais d’un bien plus personnel. Une résurrection ne peut être effectuée seulement avec de l’argent, il me faut également une âme : la votre.
L’aristocrate blêmit.
- Bien entendu, vous ne pouvez vous défausser de ce coût, compléta Esher. Vous vous départirez d’une partie de votre âme, et ainsi amoindrirez votre espérance de vie. En contrepartie, je procéderai à la résurrection, mais elle ne sera qu’imparfaite : le trait de la personnalité de votre père la plus développée sera encore accentuée.
Esher s’avança vers le cadavre, son bâton pointé vers le sol. L’air autour de lui sembla se densifier et s’obscurcir. Le nécromancien reprit :
- Votre réponse scellera le contrat : acceptez-vous le coût de la résurrection ?
- Je l’accepte, répondit Eric sans attendre.
D’un mouvement sec, Esher vint positionner son sceptre au dessus du cadavre et, soudain, l’aura semblant l’entourer s’étendit à l’entier sous-sol. Oppressés par la puissante magie, les hommes de l’aristocrate glissèrent lentement le long du mur où ils s’adossaient tandis qu’ils sombraient dans l’inconscience. Soudain, Eric vit une part de son âme être extirpée de son corps et, l’instant d’après, pénétrer celui de son père. Alors, la dense et sombre énergie s’insinua dans le cadavre par tous ses orifices. L’air vibra, une brise souffla et les ténèbres entamèrent leur règne.
D’un claquement de doigt, Esher ralluma quelques bougies. Eric écarquilla les yeux : l’abdomen de son père se soulevait au rythme de ses lents mouvements respiratoires. Déjà, Esher quittait la pièce, suivi de près par Vahémir.
- Bon appétit, lui chuchota-t-il alors qu’il disparaissait dans l’encadrure de la porte.
***
À peine quelques minutes après sa résurrection, Martial Hishspen se réveilla et, sans prêter attention à son fils, retourna à la gestion de ses affaires avec son habituelle fougue. Conscient de son trépas, et insensible quant au sacrifice qu’avait consenti son unique héritier, l’auguste homme d’affaires, confortablement installé derrière son bureau, signait et raturait contrats et commandes. Or, à mesure que la pile de documents obstruant son champ de vision s’amoindrit, son ire germa ; et, quand son fils pénétra dans le sanctuaire de sa condition, elle éclata.
- Trois jours ! s’écria Martial Hishspen. Je suis absent seulement trois jours et tu nous guides vers la ruine ! Si ta mère te voyait, elle aurait honte ! Et, j’ai honte ! Malgré tout ce que je t’ai appris, toutes les réunions auxquelles tu as assisté, tu ne serais pas même capable de gérer une droguerie !
- Mais, père, contesta Eric, vous êtes parti si brusquement… Je n’étais pas prêt ; je ne le suis point. C’est pour cela que je vous ai ramené à la vie au détriment de ma longévité, pour que vous puissiez retourner à vos affaires et sauvegarder la renommée de notre famille.
Martial abattit ses poings contre son bureau ; des feuillets en churent. Or, la violente extériorisation de l’état d’esprit de l’aristocrate ne fit qu’accentuer sa fureur et, de ses avant-bras, il balaya son bureau et projeta toutes ses fournitures au sol. Eric recula d’un pas mais, déjà, son père quittait son confortable fauteuil pour se jeter sur lui.
- Incompétent ! hurla-t-il alors qu’il le saisissait par le col.
D’une constitution robuste malgré son âge avancé, Martial tira son fils en arrière et le projeta contre son bureau. Des larmes remplirent les yeux du jeune homme et ne tardèrent pas à rouler sur ses joues pour venir goutter à son menton.
- Père, je vous en prie, fît Eric avec fébrilité.
Martial agrippa son fils par les cheveux et, avec tant de violence qu’il semblait céder à la folie, il lui écrasa la nuque contre l’angle de son bureau. À cet instant, Eric réalisa avoir fait une erreur en contactant le nécromancien, mais déjà, ses bras tombaient le long de son corps et, si sa conscience se maintenaient, ses membres se paralysèrent.
Il ne sut combien de temps dura son supplice, sinon qu’au bout de quelques instants, il n’en fut plus un. La douleur qu’il avait ressenti à la suite des premiers coups disparut, accompagnant ainsi sa mobilité. Bientôt, il n’entendit plus les invectives que lui lançait son père ; seule subsistait sa vision, condamné à regarder le visage déformer par la haine de celui qu’il considérait comme le plus grand homme de La Rosace.
Or, la haine s’imprimant sur le visage de Martial Hishspen se mua en effroi. Il s’arrêta de frapper son fils et porta ses mains à sa poitrine : à nouveau, son cœur
le lâchait. Il s’écroula aux pieds de sa victime. Pour Eric, seul subsistait le silence. Lentement, il sentait son sang s’écouler hors de son corps ; sans doute mettrait-il des heures avant de trépasser. Mais, au milieu de son champ de vision, il vit apparaître une femme rousse, les cheveux flottant dans les airs tels des tentacules. Lentement elle s’approcha de lui et s’accroupit pour se mettre à sa hauteur. Là, s’il eut pu écarquiller les yeux, sans doute l’aurait-il fait, car il reconnut Vahémir.
- Tu seras délicieux, fît-elle en souriant, découvrant ainsi une paire de crocs.
Elle se pencha vers Eric et se reput de son sang.
- Trois jours ! s’écria Martial Hishspen. Je suis absent seulement trois jours et tu nous guides vers la ruine ! Si ta mère te voyait, elle aurait honte ! Et, j’ai honte ! Malgré tout ce que je t’ai appris, toutes les réunions auxquelles tu as assisté, tu ne serais pas même capable de gérer une droguerie !
- Mais, père, contesta Eric, vous êtes parti si brusquement… Je n’étais pas prêt ; je ne le suis point. C’est pour cela que je vous ai ramené à la vie au détriment de ma longévité, pour que vous puissiez retourner à vos affaires et sauvegarder la renommée de notre famille.
Martial abattit ses poings contre son bureau ; des feuillets en churent. Or, la violente extériorisation de l’état d’esprit de l’aristocrate ne fit qu’accentuer sa fureur et, de ses avant-bras, il balaya son bureau et projeta toutes ses fournitures au sol. Eric recula d’un pas mais, déjà, son père quittait son confortable fauteuil pour se jeter sur lui.
- Incompétent ! hurla-t-il alors qu’il le saisissait par le col.
D’une constitution robuste malgré son âge avancé, Martial tira son fils en arrière et le projeta contre son bureau. Des larmes remplirent les yeux du jeune homme et ne tardèrent pas à rouler sur ses joues pour venir goutter à son menton.
- Père, je vous en prie, fît Eric avec fébrilité.
Martial agrippa son fils par les cheveux et, avec tant de violence qu’il semblait céder à la folie, il lui écrasa la nuque contre l’angle de son bureau. À cet instant, Eric réalisa avoir fait une erreur en contactant le nécromancien, mais déjà, ses bras tombaient le long de son corps et, si sa conscience se maintenaient, ses membres se paralysèrent.
Il ne sut combien de temps dura son supplice, sinon qu’au bout de quelques instants, il n’en fut plus un. La douleur qu’il avait ressenti à la suite des premiers coups disparut, accompagnant ainsi sa mobilité. Bientôt, il n’entendit plus les invectives que lui lançait son père ; seule subsistait sa vision, condamné à regarder le visage déformer par la haine de celui qu’il considérait comme le plus grand homme de La Rosace.
Or, la haine s’imprimant sur le visage de Martial Hishspen se mua en effroi. Il s’arrêta de frapper son fils et porta ses mains à sa poitrine : à nouveau, son cœur
le lâchait. Il s’écroula aux pieds de sa victime. Pour Eric, seul subsistait le silence. Lentement, il sentait son sang s’écouler hors de son corps ; sans doute mettrait-il des heures avant de trépasser. Mais, au milieu de son champ de vision, il vit apparaître une femme rousse, les cheveux flottant dans les airs tels des tentacules. Lentement elle s’approcha de lui et s’accroupit pour se mettre à sa hauteur. Là, s’il eut pu écarquiller les yeux, sans doute l’aurait-il fait, car il reconnut Vahémir.
- Tu seras délicieux, fît-elle en souriant, découvrant ainsi une paire de crocs.
Elle se pencha vers Eric et se reput de son sang.
Ziefniel- Pirate
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