Topic du M-I Jump
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Topic du M-I Jump
Bienvenue sur le topic du MI-JUMP !
C'est sur ce topic que sortira le Jump de Manga-Info contenant des œuvres écrites par les membres eux-même
Voici les règles :
- Il est pour l'instant interdit de soumettre plus d'une oeuvre pour un même auteur dans le même Jump. Après plusieurs participations assidues cependant, un membre peut nous envoyer un MP pour en discuter.
- Il est possible de travailler à plusieurs sur un même Chapitre mais avec un nombre maximal de 3 personnes.
- Il est interdit d'écrire une oeuvre reprenant un manga existant (une Fanfic s'inspirant de One Piece ou Naruto par exemple). L'inspiration d'autres mangas est totalement la bienvenue, mais pas de plagiat ni de tentative de spin-off
- Des One Shot aussi bien que des oeuvres se déroulant sur plusieurs chapitres (un par Jump) sont les bienvenus. Seulement lorsqu'un participant désire écrire une oeuvre tablant sur plusieurs chapitre, il doit auparavant contacter un membre du staff gérant le projet pour en discuter (comme avec un éditeur).
- Les oeuvres doivent posséder entre 500 et 5000 mots (cela peut-être amené à changer)
- Chaque numéro du Jump contiendra au maximum 4 oeuvres. Si des oeuvres ont été envoyé mais ne sont pas dans le Jump de la semaine, c'est qu'elles seront réservées pour celui de la semaine prochaine (Les oeuvres choisies seront dans l'ordre de leur réception)
- Pour chaque numéro, ce serait sympa d'avoir une couverture faite par un dessinateur du forum. Ainsi, chaque personne qui se sent de dessiner une couverture du Jump peut nous envoyer un MP pour le proposer avec grand plaisir
De nouvelles règles pourront être ajoutées au fil du temps donc pensez bien à consulter ce post avant d'écrire une nouvelle oeuvre pour un numéro du Jump.
La partie administrative étant terminée, place à la création et à la future première sortie du M-I Jump
PS : La première édition du M-I Jump sortira le 1er Juin 2015 à 21h, vous pouvez nous envoyez vos oeuvres avant cette date avec plaisir
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- Il est pour l'instant interdit de soumettre plus d'une oeuvre pour un même auteur dans le même Jump. Après plusieurs participations assidues cependant, un membre peut nous envoyer un MP pour en discuter.
- Il est possible de travailler à plusieurs sur un même Chapitre mais avec un nombre maximal de 3 personnes.
- Il est interdit d'écrire une oeuvre reprenant un manga existant (une Fanfic s'inspirant de One Piece ou Naruto par exemple). L'inspiration d'autres mangas est totalement la bienvenue, mais pas de plagiat ni de tentative de spin-off
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De nouvelles règles pourront être ajoutées au fil du temps donc pensez bien à consulter ce post avant d'écrire une nouvelle oeuvre pour un numéro du Jump.
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PS : La première édition du M-I Jump sortira le 1er Juin 2015 à 21h, vous pouvez nous envoyez vos oeuvres avant cette date avec plaisir
Re: Topic du M-I Jump
Bonjour à tous ! En ce 1er Juin et avec quelques minutes de retard, voici en exclusivité le premier Numéro du MI-Jump !
Merci beaucoup à ceux qui ont pris le temps d'écrire un texte pour le démarrage du Jump du forum, et bonne lecture surtout à vous tous
Vous pourrez discuter sans contraintes dans le topic de discussions prévu à cet effet
PS : Merci énormément à Mayoua pour la couverture du MI-Jump et à Ji pour le dessin qui est dessus
- Spoiler:
Aujourdhui, deux grands pirates s’affrontent !
A ma droite Shiro, des Red Daggers
Et à ma droite Edward Chuuuuuuuuuuzaki !
Lets Begin
Shiro, ou plutôt devrais-je dire
Le Mirzuiro, il faudrait penser à te refroidir,
Au moindre regarde je me demande
A propos de toi qui quémande
« Ça va les chevilles ? »
Car t’es qu’une chenille
Mourir de ta main devrait figurer aux Darwin Awards
Et n’oublie jamais, je suis Chuzaki Edward !
Je sévis sur ce Rpg,
Est-ce que c’est pigé ?
Ou vais-je devoir me répéter ?Ne prends donc pas ces grands airs, Viellard,
Tu sévis donc sur sur ce Rpg, Edward
Mais, avec quelle drogue imagines-tu tes histoires ?
Dois-je te rappeler la Marie Helena et ses déboires ?
Obtenir des millions grâce à un rêve,
Y a des gens qui, pour ça, crèvent
Sévis si tu le mérites,
Car là, tu irrites,
Moi, je représente toute une génération,
De ma main Logue Town a vécu l’humiliation,
Tu n’as même pas volé une boite de cookie
Mouais, c’est ça sévir, rookie
Tu peux pas comprendre,
Petit gamin,
Toi tu ne fais que te vendre
A la marine, frêle humain,
Aurais-tu du mal à assumer tes responsabilités,
Au point de te livrer à présent à la facilité
Tu te caches sous les jupes de l’Assassin Royal
A la piraterie tu n’es même pas loyal ;
C’est comme ça que tu décolles ?
Franchement retourne à l’école
Oh pardon,
Tu y es déjà, poltronOh, on parle de se livrer à la marine,
Mais ce n’est pas toi qui as déjoué Erin ?
Qui a aidé Riku ?l
Et on me traite de vendu ?
Moi je cherche le pouvoir,
J’ai des ambitions,
Toi tu n’es qu’un flemmard
Qui passe son temps à tirer au flanc
Dire que tu n’as aucun charisme,
Serait un euphémisme
Tu devrais te cherche un but
Ça pourrait peut être te servir une minute
Tellement ambitieux qu’on en oublie d’être humain
Pas trop énervé d’avoir perdu contre un matou ?
On se réveille un matin,
Et on se prend pour le grand Manitou
Elysa, combien de temps a-t-elle survécu ?
Tu as même pas pu la protéger, faux c*l,
Mon équipage lui est en complet
ET totalement satisfait ;
Il faut aussi rappeler
Tu n’as même pas pu triompher
Avec une armée littéralement à tes piedsTu viens d’ouvrir la boite de Pandore
On trouve cela sympa de se moquer des morts
Tu as survécu de la pitié
Tu y as trouvé un foyer
Sans cela tu serais handicapé
Une frêle bonne à frapper
Et qui en plus de tout ça vient me faire ch**r
Je t’ai défoncé,
Je te l’affirme
Même si je ne suis pas habitué
A taper sur les infirmes.Mayoua a écrit:Il est l'heure d'expliquer toutes les références de l'ERBOFTRPG (THAT ANAGRAMME)
commençons:
Mirzuiro: façon de dire "bleu"" en japonais, en rapport avec le nom de couleur que porte Shiro "Blanc" et aussi une façon d'insulter.
« Ça va les chevilles ? »: Référence au bar du tournoi RPG OP, Shiro avait attrapé une grave maladie qui lui faisait enfler les chevilles à force d'être prétentieux.
Darwin Awards: Une récompense décernée aux morts les plus stupides.
Je sévis sur ce Rpg: Ancienne signature de -ED- disant "je suis Edward Chuzaki et je sévis sur le RPG one piece"
La Marie Helena: Aventure de ED totalement PERCHEE et totalement loufoque que la fin Edward se réveille et se rend compte que c'est un rêve. Un article de la gazette des mouettes a d'ailleurs paru à ce sujet, impliquant l'indignation des autorités face à la prime de Edward pour un rêve.
Je représente une génération: Il y a eu un temps où moi, Ji, Viviyep et Mugi étaient les représentant d'une nouvelle génération de RPGistes.
Logue Town: L'humiliation de la ville de Logue Town lors de l'aventure le Braquage de Logue Town (super aventure d'ailleurs) .
Boite de cookies: Référence à l'aventure La Bataille de cookies de -ED-, où Edward n'a pas voulu voler de la nourriture (Les cookies étant la spécialité locale)
Se rendre à la marine et l'assassin royale: Lors de l'aventure La Guerre des glaces, juste après Logue Town, Shiro rejoindra Le shishibukai surnommé l'assassin Royale, obtenant l’indemnité de la marine
L'école: Référence à Bisca, L'Académie de South Blue, aventure de Mugi, dans la quelle ils rejoignent une école de pirates.
Déjoué Erin: Référence à Chantage, destruction, l'île de Dreymandre, un champ de bataille où Edward s'allie contre on gré à la marine pour déjouer Erin un pirate psychopathe archi classe
Aidé Riku: Il s'est allié à Riku, un marine lors de la bataille de cookies.
Perdu contre un matou et Elysa: Xenon, ayant le fruitdu linx a battu Shiro et à tué Elysa Crimson lors de la deuxième aventure de cette dernière avec l'équipage de Shiro, cette aventure étant : La bataille de cookie V2 : La Full metal noisette et les Trésors !
Tu n’as même pas pu triompher Avec une armée littéralement à tes pieds Référence à une aventure que je ne citerais pas tellement j'en ai honte Shiro débarque dans une île où les pirates règnent et perd tout de même; malgré que ces derniers lui obéissent
Dernier couplet de Shiro: Référence au fait que Edward soit manchot du bras droit et qu'il aie été sauvé de la mort et logé alors qu'il était orphelin.
- Spoiler:
- Ainsi font font font...
- Invité, viens voir. Oncle Jack est arrivé.
Mon père m’appelait depuis l’entrée, son vieil ami Jack qui était parti depuis dix ans dans différents pays pour travailler venait d'arriver, je ne l’avais vu qu’une fois mais j’étais trop petit pour m’en souvenir. Je descendis donc les escaliers afin d’aller jusqu’à la porte, d’où provenaient les appels. Les lumières du dehors m’éblouirent un instant et je dus mettre une main devant mes yeux avant de pouvoir l’observer, il était grand et portait un costume noir. La première chose qui me frappa chez lui fut ses mains, il avait de longues mains cachées dans d’épais gants sombres. Avant que je ne m’en rende compte, il me soulevait du sol et mettait mon visage au niveau du sien, nos yeux se rencontrèrent et je pus voir derrière ses prunelles, le reflet de ce qui semblait être de l’avidité. Il me reposa à terre puis m’ébouriffa les cheveux avant de s’avancer aux côtés de mon père jusqu’au salon où se trouvait ma mère.
Les adultes discutaient dans le jardin et je jouais près d’eux lorsque mes parents m’expliquèrent ce qu’avait fait Jack durant ses dix années de voyages, il avait vogué de pays en pays et de continent en continent pour faire ses représentations. Il était devenu célèbre grâce à un spectacle mettant en scène des marionnettes, il jouait tellement bien qu’on disait que ses poupées semblaient vivantes. Oncle Jack décida donc de me faire une petite démonstration, il sortit de la poche intérieure de sa veste deux petites marionnettes qu’il enfila. Je les contemplais, muet, c’était la première fois que j’en voyais des pareils. Une ressemblait à une petite fille avec des couettes blondes et d’étranges yeux bleus alors que la seconde était un garçon brun au visage triste. Il commença à agiter ses mains à l’intérieur et les deux jouets semblèrent comme s’animer, je n’avais jamais vu quelque chose de semblable mais je pus entendre le rire de mon père, lui avait vu de nombreuses fois le don de marionnettiste qu’avait Jack mais il aimait toujours autant le regarder jouer, et lorsque la poupée se mit à parler il applaudit en pouffant. La marionnette avait dit quelques mots sans bouger ses lèvres cousues, les paroles prononcées semblaient sans âme, comme si la personne qui les prononçait était morte. En même temps c’était une poupée qui parlait, elle pouvait difficilement le faire avec des émotions humaines. Je trouvais déjà assez étrange qu’un objet puisse parler et que ça n’étonne personne puis une idée me vint.
- C’est de la ventriloquie ?
- Depuis quand connais-tu ce mot ? Je pouvais sentir la pointe de fierté dans la voix de mon père.
- À l’école l’autre jour on nous en a parlé.
Je me tournai vers Jack et de nouveau je pus voir cette lueur dérangeante dans ses yeux, puis il enleva ses trésors et les rangea dans sa poche. À ce moment ma mère qui était rentrée préparer le dîner nous appela pour passer à table.
Le repas se déroula normalement, Jack n’était que de passage et repartirait ensuite. Je ne savais pas pourquoi mais j’avais hâte qu’il s’en aille, sa présence me mettait mal à l’aise et son regard me troublait. Lorsqu’enfin nous en furent au dessert, mon oncle fit une proposition à mon père. J’étais tétanisé, à tel point que je ne pus ne serait-ce que parler ou bouger, j’étais cloué sur ma chaise en fixant mes parents d’un air grave.
- Que diriez-vous que je l’emmène avec moi ?
Ma mère allait protester mais ses paroles furent balayées avant même qu’elle ait pu les prononcer, mon père semblait fou de joie.
- Ce serait un honneur que tu le prennes avec toi et lui fasses découvrir le monde.
- Très bien dans ce cas nous partons tout de suite, je dois être en Australie après-demain et mon avion part ce soir.
Mon père m’obligea à me lever, me conduit jusqu’à mon oncle et sans même que je ne comprenne comment, je tenais au creux de sa main gantée.
Depuis ce jour je voyage avec lui, dans sa poche aux côtés des deux autres marionnettes. Tous les soirs une nouvelle représentation nous attend, peut-être un jour devant vous et vos yeux ébahis. Ébahis de voir des poupées parler, car nous parlons bel et bien. Implorant chaque jour qu'il nous relâche, nous sommes prisonniers à jamais des mains de cet homme.
- Spoiler:
- La Reine Belladone – Partie 1
Il y a de cela des siècles, un magicien tomba amoureux d’une fleur. Personne ne sut jamais d’où lui vint cette folie, mais tout le monde apprit la fin tragique qui s’ensuivit. Complètement obsédé par cet être végétal, il abandonna sa famille, quitta femme et enfants. Emportant la belle plante avec lui, il s’enfuit loin de toute vie humaine. Il s’enfonça au cœur de l’inextricable jungle d’Isera, et, une fois libéré des chaînes de la société, succomba à son désir le plus fou. Il allait donner à cette belladone la forme humaine qu’elle méritait. Il usa de tous les sortilèges qu’il connaissait, invoqua mille fois les arcanes de la nature, en vain. Alors que le désespoir le gagnait, il se mit à recourir à des magies tout à fait abjectes. Il essaya une centaine de rituels, tous plus dégradants et répugnants les uns que les autres… Le sous-sol de sa nouvelle demeure ne tarda pas à regorger des cadavres de jolies jeunes filles. Les années passèrent, et la fleur était toujours la même… Le magicien commença à vieillir, et sa folie ne fit qu’accroître. Mais son amour était toujours aussi fort. Sa dernière tentative fut de donner sa vie pour celle qu’il aimait. Étendu au sol à ses côtés, il se poignarda le cœur.
Alors que les mois et les ans défilaient, l’intemporelle belladone plongea ses racines dans le corps du magicien fou, amoureux. Elle commença à se nourrir de la magie, dont le pauvre homme était gorgé, grandissant de jour en jour. Le temps passait, la fleur changeait. La tige devenait plus large, plus pâle. Bientôt elle se divisa en quatre, tandis que les pétales s’allongeaient, s’affinaient. Enfin le fantasme du sorcier prenait vie, tel qu’il l’avait rêvé. La plante s’inspira du corps de son créateur, pour se créer un cœur, fait de feuilles et de baies… Sans véritable explication, ce dernier se mit à pulser. Alors la belladone ouvrit les yeux.
La première chose que la créature ressentit, fut la caresse du vent sur sa peau nue. Elle fit un pas en avant, mal assuré, et réalisa à quel point l’herbe était agréable au toucher. Les senteurs du sous-bois se mirent à envahir ses narines. La fleur porta ses toutes nouvelles mains à son visage, baignant dans l’incompréhension la plus totale. Pourquoi ? Comment ? L’esprit embrumé, elle commença à marcher, découvrant le monde sous une perspective toute nouvelle. Le simple fait de pouvoir se déplacer était si grisant ! Un sourire d’enfant naquit sur ses lèvres alors qu’un bonheur indicible envahissait sa poitrine. Tout qu’elle avait senti jusque là, désormais elle pouvait le voir, l’entendre, le toucher. Mais surtout elle avait désormais une identité… Belladonna.
Pendant plusieurs lunes, la belle créature explora ce monde si vivant qu’était la jungle d’Isera. Elle devint la meilleure amie de toutes les plantes de la région, conversant des journées entières avec ces étranges êtres. Elle partagea leurs joies, mais aussi leurs peines. Elle pleurait quand ils mourraient, dansait pour célébrer les naissances. Mais la douce belladone souffrait de la solitude. Ces arbres et ces fleurs… Ils ne pouvaient pas la comprendre totalement. Exister ne lui suffisait pas, elle voulait vivre, ressentir le monde ! Son désespoir grandissant, la magie le mua en un parfum d’une douceur incomparable. Bientôt les animaux se mirent à la suivre, tous aussi dociles que de jeunes faons. Mais cela n‘était pas assez : elle n’avait que faire de ces créatures ensorcelées, elle voulait juste rencontrer quelqu’un qui soit son égal. C’est tout naturellement qu’elle s’approcha de l’orée de la jungle, là où un petit village d’humains s’était établi.
Qu’ils étaient étranges... Physiquement, ils lui ressemblaient tellement. Mais ils semblaient tous porter plusieurs peaux, dont certaines couches pouvaient s’enlever. Ils passaient leur temps à ne rien faire, parlant entre eux dans leur langage bizarre, s’échangeant d’étranges petits cailloux jaunes et gris. Et ils vivaient dans d’étranges amas de bois, qui ne semblaient pas vraiment naturels… Lorsqu'elle interrogea la jungle, les végétaux se murèrent dans un étrange mutisme. Un silence pesant au sein duquel sourdait une colère noire. Un frisson remonta le long du dos de Belladonna, alors qu’elle expérimentait pour la première fois le sentiment de peur. Si les arbres réagissaient ainsi, cela ne pouvait dire qu’une chose : les humains étaient dangereux. Elle eut beau insister, pas un ne lui dévoila la vérité. Ce jour-là, la créature florale s’enfuit, pour s’en aller pleurer entre les racines de quelque figuier gigantesque. Pourquoi ressemblait-elle aux humains ? Pourquoi étaient-ils haïs par ses amis sylvestres ? Seule, sous la pluie, elle ne savait plus que penser… A quel monde appartenait-elle ?
Le lendemain, Belladonna avait fait son choix. Elle avait vécu au sein de la nature, il lui faudrait maintenant vivre parmi les hommes. Enfin elle saurait quelle était sa place. Imitant la seconde peau des humains, elle fit pousser des feuilles sur son corps, couvrant sa poitrine, ses jambes et ses hanches. Elle retourna au village, ignorant les suppliques des fleurs et les avertissements des vieux arbres. Ils ne pouvaient pas comprendre de toute façon. Mais alors qu’elle commençait à s’en approcher, elle ressentit une légère douleur. Chaque pas en avant, la faisait croître, jusqu'à ce que la souffrance explose véritablement. Submergée par ce déluge, elle tomba à genoux, la tête entre les mains. Elle voulait reculer, mais elle n’arrivait plus à bouger… Après une lutte qui lui sembla durer des heures, elle s’effondra sur le côté. Gisant et convulsant dans l’herbe, elle parvint à remuer ses paupières, ouvrir un œil. Non loin d’elle, un humain était affairé sur un tronc, qu’il frappait violemment avec un étrange outil. Chaque coup de sa part était ressenti par la jeune fleur comme une épine en plein cœur. Malgré la douleur, la pauvre belladone laissa échapper un petit cri. Tout ce qu’elle voulait c’était attirer l’attention de l’humain mâle. S’il continuait son œuvre meurtrière, elle en mourrait, il fallait absolument qu’il cesse ! Tout en rampant misérablement, elle tenta à nouveau de hurler, en vain. Par miracle, son bourreau l’aperçut du coin de l’œil, s’arrêtant net dans son mouvement. La douleur se mit à refluer, laissant la jeune créature dans un état pitoyable. Immobile et hébétée, elle vit l’être humain se rapprocher d’elle, une expression indéchiffrable sur le visage. Instinctivement, son corps se mit à dégager une odeur douceâtre, destinée à apaiser le tueur d’arbre. Ce fut pire.
Son regard s’anima d’une lueur menaçante. Il passa sa langue sur ses lèvres, et se jeta sur sa victime, la maintenant fermement contre le sol avec ses mains puissantes. Encore sous le choc, la créature florale tenta mollement de se débattre. Mais elle n’en avait pas la force et savait qu’elle ne pouvait rien faire. Les yeux fous, il commença à enlever toutes ses différentes peaux… D'une main il arracha les feuilles qui couvraient la nudité de la fille de la forêt. Une terreur abyssale envahit Belladonna lorsqu'elle réalisa le mal que cet homme s’apprêtait à lui faire. Son corps se mit à trembler violemment… Elle ferma les yeux, et s’abandonna toute entière à sa peur, se réfugiant au plus profond de son esprit. Soudain, son agresseur arrêta de bouger, et commença à se relever. Un liquide chaud coula sur le ventre de la jeune fleur. Lorsqu'elle osa enfin rouvrir les yeux, elle vit que l’être humain était empalé sur trois branches pointues qui avaient surgi du sol, et son sang goutait sur elle. Il était mort. Elle l’avait tué… Un léger sentiment de culpabilité commença à poindre en elle, mais elle le renia aussitôt. Cet humain avait mérité son sort ! Derrière le cadavre, elle entendit des cris s’élever… Les autres approchaient ! Elle se releva en titubant, et s’enfuit une seconde fois, tant bien que mal. Elle souffrait encore plus qu’auparavant.
Les humains étaient monstrueux à ses yeux, et les plantes n'étaient pas assez vivantes. Coincée entre deux mondes, la pauvre belladone se mourait. Cela faisait désormais plusieurs lunes que cet humain avait essayé de la violer... Et qu'elle l'avait tué. Depuis lors, Belladonna errait dans la jungle, sans de véritable but. Elle vivait, sans le vouloir. Le sol et le soleil la nourrissait sans qu'elle n'ait besoin de rien faire. Elle n'était guère plus qu'une coquille vide, un tronc dévoré de l'intérieur par des termites. Ce qui la tuait elle, c’était l’idée de ne pas avoir sa place nulle part. Mais pourtant un beau jour, elle rencontra l'espoir.
Elle végétait entre deux grosses racines quand elle vit un autre humain. Ce dernier n'avait rien à voir avec le précédent. Le moindre de ses gestes était empli de respect pour la nature qui l'entourait. Il ne taillait pas les buissons qui se trouvaient en travers de sa route, il ne cassait pas les branches basses qui le gênaient. De temps à autre il cueillait délicatement quelques plantes, qu'il plaçait dans une petite bourse de tissu. En constatant qu'il portait des vêtements, le nez de Belladonna se retroussa en un masque de dégoût. Finalement, il ne devait pas être bien différent de ceux qui habitaient à l'orée de la forêt. Mais la curiosité de la jeune fleur était piquée au vif, et elle se décida à se suivre cet étrange personnage. Au plus profond d'elle même, elle espérait qu'il saurait lui prouver que les humains n'étaient pas si mauvais que ça. Cet homme représentait sa dernière chance... Aussi silencieuse qu'une ombre, elle le traqua, bien cachée par la végétation. Sa piste finit par la mener jusqu'à une large clairière, aussi enchanteresse que naturelle. En son centre trônait un gigantesque arbre, dont le tronc semblait avoir été sculpté pour abriter la vie humaine à l'intérieur. Il lui suffit d'une seconde pour comprendre que le vieux chêne avait lui même autorisé ce changement et en était pleinement heureux. Émue, Belladonna quitta sa cachette et avança en pleine lumière.
Jamais Seridan n'avait vu de créature aussi belle. Sa peau avait la pâleur de la lune, tandis que son regard incarnait l'éclat du soleil. Ses longs cheveux, d’un violet profond, cascadaient jusqu’au creux de ses reins. De part et d’autre de son visage fin, deux oreilles pointues frémissaient. Les yeux rivés sur le vieil arbre, elle avançait, avec grâce et légèreté. Des feuilles vertes couvraient sa poitrine, et formait comme une jupe végétale autour de sa taille. Mais surtout, son corps entier était nimbé d'une aura magique, qui laissait présager une puissance redoutable. Elle n'était pas humaine... C'était une véritable déesse de la nature. Le jeune druide s'inclina devant elle :
- Je vous souhaite la bienvenue dans mon humble demeure...
Comme s'il l'avait tiré de quelque songe, elle sursauta et se tourna dans sa direction, dardant sur lui un regard interrogateur. Se pouvait qu'il qu'elle ne puisse pas parler ? Seridan fronça les sourcils, soudain pris de doute. Mais alors il se souvint de son rêve, dans lequel il avait vu fleurir une belladone gigantesque. Il ne pouvait y avoir d'erreur, il se trouvait bien en face d'elle. Mais tout simplement elle était encore jeune, inconsciente du potentiel immense qui sommeillait en son sein. La forêt avait besoin d'elle. Une expression de profonde tristesse passa fugitivement sur le visage du druide. Son ennemi ne cessait de gagner en puissance et bientôt lui même ne pourrait pas le contenir... Le sorcier secoua la tête, chassant cette funeste pensée et fit un pas vers la jeune fille. Mais à peine avait-il avancé que cette dernière avait fait un bond en arrière, une lueur méfiante dans le regard. Un petit sourire malicieux naquit sur les lèvres du jeune homme, qui écarta doucement les bras. Dans son dos un gigantesque golem végétal creva le sol. Entièrement fait d’un bois ancien, son corps massif était recouvert de pousse par endroit. Des lianes étaient enroulées autour de ses bras massifs comme des troncs, et son visage évoquait un masque effrayant. Sa tête était surmontée de longues branches feuillues. Le visage de la jeune belladone s’illumina aussitôt et elle accepta la main que lui tendait Seridan.
Pendant plus d’un an, Belladonna apprit à vivre.
Dès l’instant où elle était entrée dans cette clairière, elle avait été comme ensorcelée par la force qui se dégageait du vieux chêne. Il était si ancien qu’il aurait pu être le père de toutes les autres plantes d’Isera ! Seridan était un formidable professeur. Il lui enseigna la langue des humains, mais aussi l’écriture et la lecture. Chaque soirée était consacrée à l’étude de la magie de la nature, la plus noble d’entre toutes. La belladone, épanouie, découvrit comme contrôler ce pouvoir enfoui en elle. A ses cotés, la créature florale découvrit le véritable bonheur… Son cœur battait plus fort quand elle était avec lui, et elle avait l’impression qu’il était sur le point de quitter sa poitrine quand il la félicitait ou lui souriait. Lorsque le jeune druide lui promit qu’ils créeraient ensemble son propre gardien végétal, la jeune fleur avait du se retenir de ne pas se jeter dans ses bras. Alors qu’elle découvrait l’amour, Belladonna reprit contact avec la souffrance… La solitude se remit à la hanter. Elle aimait terriblement Seridan, mais ce dernier n’avait de cesse d’éviter tout contact physique avec elle. Depuis quelques semaines il fuyait son regard, et ne lui parlait que très peu en dehors des leçons. Mais elle refusait de perdre espoir… Pendant son professeur, humain, dormait, elle passa ses nuits à exercer sa magie. Aveuglément amoureuse, elle espérait conquérir son cœur à l’aide d’un présent. Alors pendant des lunes elle œuvra sur sa fleur. Elle devait être parfaite… Elle conçu chaque pétale, pour les agencer selon un schéma complexe, qui ne laissait rien au hasard : sa fleur allait être un enchevêtrement de rune, lui conférant un pouvoir magique incomparable ! Elle passa presque une semaine sur le premier pétale, lui donnant la forme du symbole de la Vie. Lorsqu’elle eut enfin terminé, elle tenait au creux de ses paumes un lotus noir. Il luisait d’un sombre éclat… Mais complètement obsédée par son désir de plaire, elle ne fit pas attention à l’énergie maléfique qui se dégageait de sa plante. Profitant de la fin d’une leçon, elle attrapa le bras de son professeur et lança :
_ Seridan, j’ai un cadeau pour toi…
_ Comment ça ? Demanda-t-il en fronçant les sourcils.
_ Ferme les yeux et ouvre la main !
Le visage fermé, il obéit. Délicatement, la fille de la forêt déposa sa création entre ses doigts, effleurant au passage sa peau. Elle sentit son cœur s’emballer, sous l’effet de la passion et de l’anxiété. Lorsqu’il rouvrit les yeux, son visage changea peu à peu. Si au départ Belladonna y lut de la fierté, celle-ci se mua peu à peu en horreur. Et en peur. Il referma brusquement le poing, réduisant en miette la petite plante et saisit son élève par les épaules.
_ Comment as-tu fait ça ? Non pourquoi as-tu fait une chose pareille ?! Hurla-t-il presque.
_ Je… Je voulais juste te… Je ne comprends pas… Balbutia la pauvre belladone, qui sentait les larmes monter.
_ Je croyais t’enseigner la magie de la vie, et tu as créé un instrument de mort. Asséna Seridan, l’air sombre.
C’en fut trop pour la fleur qui éclata en sanglot, et partit en courant. Aussi vive que le vent, elle quitta la clairière et s’enfonçant dans la jungle le plus profondément possible. Son cœur était à vif, il saignait abondamment. Elle avait tout gâché… Elle avait tout détruit. Dévastée, Belladonna se réfugia entre les racines d’un figuier, pour y pleurer tout son saoul. Tant et si bien qu’elle sombra peu à peu dans une torpeur amère…
Belladonna fut réveillée par une douleur perçante. Cela n'avait rien à voir avec le chagrin... C'était la souffrance de quelqu'un d'autre qu'elle ressentait. La créature florale se redressa d'un bon, soudainement éveillée. Ces lamentations... Elles provenaient bien le père de la forêt. Seridan était en danger ! Ni une ni deux, la jeune femme se mit à courir à travers la jungle, guidée par les échos d'agonie du vieux chêne... Mais bientôt elle n'en eut plus besoin. Un incendie ravageait la forêt. Quand elle débouchait dans la clairière où son professeur vivait, elle tomba à genoux devait l'atrocité réalité. La demeure du druide était dévorée par les flammes, et une fumée noire toxique envahissait l'air. Belladonna se mit à hurler le nom de celui qu'elle aimait, dans l'espoir d'entendre une réponse. Alors qu'elle s'époumonait à en perdre la voix, elle sentit quelque chose lui percuter violemment le dos. Elle s'écroula à terre, inconsciente. La dernière chose qu'elle entendit, fut un rire mauvais. Une voix humaine.
A suivre...
- Spoiler:
Prologue
Ignorant le vent qui faisait claquer les volets au dehors, je clignais des yeux sans réellement y croire.
J’avais l’impression de ne l’avoir jamais vu auparavant. Tandis que le tambour de ma poitrine s’accélérait, il se contentait de se tenir là, dans l’ombre de la porte. Cette ombre qui s’apparentait à merveille avec ce que je venais de découvrir. Cette ombre qu’il me faudrait désormais suivre au gré du temps et des périls que cette vérité représentait.
La tension s’installait. Le silence pesait. Il se décida à le rompre et ferma lentement la porte. Puis il entreprit son approche.
Un ciel gris. Comme d’habitude. Soupirant, Je commençais à bouger les pieds d’avant en arrière. La balançoire qui me soutenait grinçait et semblait se faire affreusement vieille. Était-il encore nécessaire de s’interroger là-dessus ? J’en doute, nous avions surement tout essayé. Les gens avaient commencé à s’y habituer, se résigner. Leur vie avait changé, mais ils s’adaptaient. Un homme de sciences aurait surement qualifié cela de prouesse. Personnellement, le seul mot me venant à l’esprit était « lâche ». « Idiot » peut-être. La soumission de l’humanité était devenue totale en très peu de temps.
Comme chaque fois que je contemplai ce ciel désert et dénué de toute vie, je me remémorai cet événement tragique qui avait fait de nous... Des prisonniers. Des esclaves. Les deux termes se valaient.
Un jeudi comme tous les autres, je rentrais juste de l’école. Papa semblait fatigué, si bien qu’il commençait à s’énerver sur les autres conducteurs sur le chemin de la maison. Moi, j’étais très content de ma journée. J’avais obtenu une excellente note en Mathématiques, et j’étais vraiment pressé de la montrer à mes parents. Une fois à la maison, je sortirai cette feuille de mon cartable, et courrais la montrer à Maman, elle serait fière de moi. Cette pensée suffit à rosir mes joues, car quand Maman était fière de moi, elle me donnait vraiment un grand sourire, et elle se montrait super gentille tout le reste de la soirée ! Au moins, elle arriverait peut-être à redonner le sourire à Papa et lui ferais oublier sa morne journée de travail.
La voiture pris un dernier virage, le dernier chemin avant d’arriver à la maison. L’obscurité commençait à recouvrir le ciel, des nuages arrivaient de nulle part et se positionnaient les uns contre les autres. Je frissonnai en pensant à ce que ça signifiait. Un orage, encore. Je déteste les orages, et c’était déjà le troisième du mois alors que l’on arrivait tout juste à la moitié de Juin. Peut-être que le ciel pleurait, ou était en colère.
Arrivé à la maison, je sortais rapidement de la voiture et courrais retrouver Maman pour lui montrer ma note. J’ouvris la porte à la volée, essuyait et rangeait mes chaussures, enfilait mes chaussons, puis couru dans la cuisine d’où une odeur alléchante me parvenait pour la retrouver. Toujours là, comme d’habitude, avec son tablier blanc et rose, au-dessus de la casserole qui était la source de ce délicieux fumet. En approchant avec ma feuille et mon grand sourire, je pus voir son visage. Vide. Le choc que me procura une telle vision qui me fit m’arrêter quelques secondes, de mémoire jamais je n’avais vu ça. Peut-être qu’elle prenait cette expression quand elle aimait cuisiner. Bref, le choc initial passé, je lui fis un bisou sur la joue en lui disant bonjour, et elle se retourna vivement avec un grand sourire. Elle me rendit mon bisou comme d’habitude, avec un gros câlin, et je fus content de voir disparaître cette étrange expression de son visage.
D’un œil heureux et avide, je lui montrai ma note. La réaction n’était cependant pas celle que j’avais escomptée. Elle m’embrassa encore une fois et me félicita mais c’était… Différent. Je ne le sentais pas comme d’habitude. Peut-être qu’elle avait aussi passé une mauvaise journée, je ne pouvais pas lui en vouloir, il m’arrivait également de rentrer de l’école et d’avoir envie de faire des bêtises pour relâcher mon agacement. Lorsque mon père arriva après avoir rangé la voiture, elle l’accueillit de la même façon. Une embrassade, un bonjour, mais toujours un regard qu’elle n’arrivait pas à réchauffer. En fait, maintenant que je m’en rendais compte, ils avaient le même regard.
- " Hey Gamin ! "
Sursautant, je fus tiré de mes souvenirs. Clignant des yeux plusieurs fois, je regardais l’homme qui m’avait appelé.
- "Hey Gamin, tu devrais savoir qu’il ne fait pas bon rester dehors à cette heure-là. Ça va commencer, allez rentres chez toi !"
Je soupirais. Il avait raison, j’étais en danger si je restais dehors plus longtemps. Je me hâtais de sortir du parc et de revenir à la maison ou Papa devait surement m’attendre. En courant, je me replongeais dans mes pensées. On dit que lorsqu’un événement horrible arrive, on arrive à garder en mémoire chaque petit détail, c’était vrai. Après cette soirée, tout s’était passé de travers. Les orages avaient commencé à devenir quotidiens, le monde s’était assombri. Les gens aussi. Le choc que ça a été. Le soir suivant, en tout point similaire à celui-ci, avait complètement dérapé. Maman n’était pas là quand nous étions rentrés avec Papa. Elle n’était plus là, c’est tout.
Puis, le monde avait appris l’origine de ces orages. Un Dieu était descendu du Ciel. Zeus qu’on l’appelle en Grèce. Par Jupiter, un Dieu quoi ! Le monde en avait été bouleversé, c’est le moins qu’on puisse dire. Essayez d’imaginer un monde évolué, ne jurant que par la science, rencontrer un jour ce que la majorité du monde n’a admis que comme croyances stupides. Combien de croyants ont pu être exécuté au nom de la science ? Je n’en sais rien. Et pourtant il existait. Un Dieu.
Nous avions tous cru à une mauvaise blague au départ. Puis les vidéos amateurs de gens terrorisés avaient afflué sur le net, à la télé. Ils avaient été tué avant d’avoir pu filmer plus de quelques secondes, mais d’après les recoupements et les rumeurs, voilà comment l’humanité dressait le portrait de Zeus : Un homme gigantesque, d’environ une trentaine de mètres, équipé d’une toge blanche gigantesque et d’une barbe qui l’accompagnait. Un casque en bronze bosselé et ternis de gravures. Certains disent également qu’il aurait une bague à l’annulaire gauche. Haha, un Dieu Marié, j’avais éclaté d’un rire nerveux en apprenant ça. Je trouvais également ça… Étrange. Penser à regarder l’annulaire gauche d’un homme gigantesque qui détruit tout sur son passage. Personnellement, j’aurais plutôt pensé à regarder l’arme qu’on disait au moins aussi grande que lui, en forme d’éclair qu’il levait au ciel avant d’abattre sa foudre vengeresse dont les dégâts n’étaient pas encore raisonnablement estimés. Au moins une grande ville, facilement.
Personne n’avait survécu à Zeus. Personne n’avait compris la raison de son arrivée. Un Dieu providentiel pouvant nous expliquer notre raison d’être et notre origine ? Que Nenni, nous avions hérité d’un Dieu vengeur et destructeur qui n’apportait avec lui que mort et désolation. A croire que le monde s’était arrêté de tourner, et qu’il était resté bloqué dans le rêve d’un petit enfant qui venait de voir un film sur la mythologie.
La Mythologie, parlons-en. La première chose que Zeus avait faite en descendant sur Terre était de détruire la Grèce, nid de ses adorateurs. On avait seulement découvert plus tard que ce pays était le seul à posséder des écrits antiques sur Zeus. Eh ben, ce dernier était de plus doué d’une conscience. On aurait dit qu’il cherchait à préserver son identité des humains, détruisant les foyers d’historiens, de scientifiques, de tout ce qui pouvait avoir une trace de lui. Quels actes étranges. Non seulement, les écrits n’étaient pas nécessairement véridiques (C’est vrai quoi, qui est déjà passé voir les Dieux ?) mais en plus je ne voyais pas ce qu’un géant de 30 mètres pouvait craindre de quoi ou de qui que ce soit. En second, il avait exterminé les plus grandes armées mondiales qui auraient pu le menacer (Ben voyons). Maintenant, il avait cessé d’errer. Il avait asservi l’humanité. Il avait ramené dans la Grèce détruite des millions d’humains pour reconstruire les monuments à la gloire des Dieux qu’il avait détruits. J’avais même entendu parler d’une statue de lui qui monterait jusqu’aux Cieux. N’importe quoi, comme quoi même un Dieu millénaire pouvait avoir l’égocentrisme et le narcissisme d’un gamin.
Tiré de mes pensées, j’arrivais à la maison. Papa était seul, évidemment. Depuis que Maman avait disparu, il était… Vide, stoïque. C’était horrible à voir. Il ne bougeait quasiment pas, ne faisait pour ainsi dire rien. Les bras baissés et sans dire un mot, je montais dans ma chambre. Je ne tenais pas à essayer de commencer une conversation perdue d’avance. Non tiens. Plutôt dans le grenier. C’est l’endroit où j’aimais aller pour être seul. Il y avait des centaines de livres et de vêtements, des vieux tableaux, et Maman m’y avait même installé un matelas pour mes petits moments de solitude.
*POUF*. Il était bien confortable quand même ce matelas. Je tournais la tête pour regarder au-dehors. Heureusement que j’avais été tiré de mes rêveries à temps, sinon je me serais retrouvé en plein milieu de la tempête. Tous les jours, en fin d’après-midi, nous rentrions chez nous pour nous mettre à l’abri. Des éclairs s’abattaient partout dans le monde, et ils pouvaient toucher n’importe où et n’importe quoi. Les informations avaient fait mention de quelques malheureux, ce qui découragea vivement la population de jouer avec le feu. « Raigō » qu’ils avaient appelé ça.
Me levant, je commençais à traîner dans le grenier. J’avais déjà lu la majorité des livres, je n’avais plus rien de bien passionnant pour passer le temps. C’est alors que je vis que le 3ème tiroir sur la commode du fond était ouvert. Si ma mémoire est bonne, il était fermé à clé avant. Mes parents m’avait formellement interdit de l’ouvrir, ce devait être un de leur secret. Mais évidemment, la tentation d’un gamin est aussi irréfrénable que peut l’être un certain homme coiffé d’un chapeau de paille de ma connaissance. Ah, j’aimerais bien ne pas avoir prêté mes mangas à un copain...
Le tiroir était vide. Au premier abord tout du moins. En passant la main dans le coin, un livre se fit sentir sous mes doigts. Il semblait gravé sur le dessus. Je le prix et le retirai du tiroir. « Waw » fut ma première réaction. Il s’agissait d’un livre… Ancien. Ou disons plutôt antique. Il avait tellement été lu et maculé de poussières que je doutais pouvoir y trouver quelque chose dedans. La couverture était à la fois vieille et magnifique, à l’image des gravures, des dessins que l’on aurait pu en voir sur une poterie ou un temple. Un sens du détail d’une extrême précision.
Je réfléchis. Après tout, s’ils avaient voulu garder ça secret, je devais peut-être le respecter. Mais Maman était partie, Papa était abattu. Je devais savoir. J’ouvris la première page en m’attendant à tout sauf à ce que j’y voyais. Des symboles anciens, surement très anciens, que… J’arrivais mystérieusement à comprendre. Bouche bée, je ne me souvenais pas avoir appris un tel langage. Bref, peu importe après tout, c’était tant mieux. J’entrepris alors ma lecture du livre qui avait pour titre : « La création de notre monde ».
Bon. J’avais bloqué c’est vrai. Serait-il possible que j’ai sous les yeux la dernière trace de l’histoire des Dieux Grecs au moment où le reste de la terre la recherche avec désespoir ? Non, impossible. Et pourtant, je le tenais avec mes mains, je pouvais sentir la poussière sous la reliure du livre et lire les symboles étranges qui l’ornait. Une frénésie s’empara de moi en même temps que l’espoir renaissait, et la lecture débuta sans plus attendre.
" Le Chaos. Il n’y avait rien au départ que Le Chaos. Informe et confuse, cette entité ne créait rien d’autre que le désordre partout où elle passait. Après des millions d’années d’errance, de celle-ci naquirent les premiers ancêtres des Dieux que nous connaissons aujourd’hui. Gaïa devint la terre, Eros le désir, Le Tartare devint les Enfers, Nyx devient la Nuit et Erèbos devient les ténèbres des Enfers. De Nyx et Erèbos naquirent Héméra le Jour, et Ether la lumière. Tandis ... "
Hola. Ils ne sont pas clairs les Dieux. La nuit et les ténèbres qui donnent naissance à la lumière et au jour. On se croirait dans un mauvais film Américain… Bref.
" ... que Gaïa seule engendra Ouranos (Le Ciel) avec qui elle se maria pour engendrer d’autres enfants. Les Titans naquirent de cette union, l’on convient de les appeler la seconde génération de Dieux. Six Titans et six Titanides (Titans femelles) virent le jour. Accompagné de trois Cyclopes, et de trois Hécatonchires, sortent de créatures monstrueuses et cauchemardesques à cinquante têtes et cent bras. "
Je n’avais jamais été fort en histoire. Et pourtant cette lecture m’absorbait, me passionnait. Si l’on oublie toutes les bizarreries, c’était un bon scénario, digne d’Hollywood. Zeus avait bien fait son coup en détruisant la Grèce. J’étais prêt à parier qu’en continuant la lecture je pourrais en apprendre plus sur lui, lui trouver un point faible avec un peu de chance. C’est probablement ce qu’il redoutait le plus, et ce qu’il croyait impossible. Je repris la lecture.
" Ouranos avait cependant peur de ses descendants. Il tenta alors de les enfermer dans un endroit d’où ils ne pourraient sortir. Gaïa devint folle de rage de cet acte, et confia à Cronos, un des Titans, la charge d’émasculer son père et de jeter ses organes à la mer. Du sang de cet acte est naquit Aphrodite, en pleine mer, future déesse de l’Amour au sein de l’Olympe. "
Je retire ce que j’ai dit. Un mauvais feuilleton serait de meilleur ton pour qualifier les Dieux et leurs chamailleries. Je n’étais pas certain d’avoir déjà vu ça, même avec les Kardashian.
" Cronos prit la place de son père au sein du commandement des Dieux, et se maria avec sa sœur Titanide Rhéa, avec qui elle engendra les précurseurs Olympiens : Zeus, Poséidon, Hadès, Démeter, Héra et Hestia. Gaïa avait cependant fait une prédiction à Cronos disant qu’un jour un de ses enfants tenterait de prendre sa place. Ne pouvant admettre que cela arrive, il avala chacun de ces enfants dès la naissance pour éviter des quelconques désagréments. Rhéa, tentant de sauver le dernier fils, Zeus, alla le cacher dans une grotte, et donna à la place à Cronos une grosse pierre qu’il avala tout cru. Le coup de bluff fonctionna à merveille, et Cronos ne se rendit nullement compte de la supercherie. Pendant ce temps, Zeus était élevé par une chèvre du nom de... "
J’éclatais de rire. Un Dieu assez idiot pour confondre un enfant et une pierre, ça m’avait déjà fait sourire, mais Zeus élevé par une chèvre… Aussi fascinants que soient les mythes, il faut vraiment être inébranlable pour les apprécier et les croire.
" ... Amalthée. Une fois devenu Adulte et fort, Zeus retourna voir son père et réussit à lui faire boire une potion qui lui fait recracher les 5 enfants qu’il avait avalés. Entre temps, ces 5 enfants étant devenus adultes dans le ventre de leur père, ils arrivent ensemble à faire plier et vaincre Cronos et le jetèrent dans Le Tartare.
Zeus et les Olympiens, suivis des Cyclopes et des Hécatonchires qui lui avait construit l’Eclair, déclarèrent la guerre aux Titans. Ils finirent par vaincre, et Zeus assit sa domination sur l’Olympe. Cependant, Cronos avait à l’aide de son homonyme Khronos, dieu du temps, créé une formule dont on disait qu’elle pouvait ramener le père des Dieux à son état de nouveau-né. Si il avait eu le temps de l’utiliser, la victoire aurait bien pu changer de côté. "
C’était la fin. On pouvait cependant voir des mots griffonnés à la page suivante, là où en théorie il n’y aurait dû y avoir que du blanc.
" A mon fils je lègue ce secret pour lequel je suis mort, celui qui préservera l’humanité du chaos. Je suis certain que tu comprendras la raison de ce que j’ai fait quand le temps sera venu. Ne trouve la vérité qu’en toi, et ne prête pas attention aux histoires qui seront colportées après mon décès.
J’espère que cette formule n’aura jamais à servir, sinon c’est que l’humanité en est à son baroud d’honneur : Ipsumanis di lorenam, aquani do repan "
Et voilà la solution. La seule faiblesse que le monde ignorait. Une formule magique. Mais, plus que cette révélation qui pouvait permettre la libération du monde du joug du Tout-Puissant Zeus, ce post-scriptum m’interpellait : " A mon fils ... "
Cet alors que je sursautai. En me retournant je vis mon père, debout, près de l’escalier, la porte ouverte. Ma lecture avait dû me distraire bien plus que je ne le pensais pour arriver à ne pas l’entendre monter l’escalier grinçant. Il me regardait de manière sérieuse, résignée, son regard toujours froid. Mais la détermination qu’on pouvait y distinguer n’était pas là précédemment. Il posa ses yeux sur le livre, puis revint vers moi. C’est alors que les derniers mots du livre prirent leur sens.
Ignorant le vent qui faisait claquer les volets au dehors, je clignais des yeux sans réellement y croire.
J’avais l’impression de ne l’avoir jamais vu auparavant. Tandis que le tambour de ma poitrine s’accélérait, il se contentait de se tenir là, dans l’ombre de la porte. Cette ombre qui s’apparentait à merveille avec ce que je venais de découvrir. Cette ombre qu’il me faudrait désormais suivre au gré du temps et des périls que cette vérité représentait.
La tension s’installait. Le silence pesait. Il se décida à le rompre et ferma lentement la porte. Puis il entreprit son approche.
- " Qui es-tu ? " était la première question qui m’était venu à l’esprit.
- " Toujours celui que tu connais, c’est plutôt de ton grand-père que vient le mystère. Jamais je n’aurais pensé que tu aurais à lire ça, je comptais bien le jeter tôt ou tard. Les choses ont changé maintenant. On dirait que ce livre est notre dernier rempart. "
- " Pourquoi n’as-tu pas encore essayé de t’en servir depuis que tu sais tout ça ? Et où est Maman ? "
Il se pinça les lèvres en retrouvant son regard d’homme condamné au bûcher. De toute évidence, c’était la question à laquelle il ne souhaitait pas répondre. Il s’assit sur mon matelas et soupira.
- " Elle est partie. Elle a essayé de faire quelque chose pour stopper ce monstre, avec cette formule. J’ai toujours considéré mon père comme fou. Un jour, quand j’avais ton âge, il était rentré à la maison paniqué avec ce livre entre les mains. Juste le temps le déposer et de me dire au revoir, il était reparti aussi sec. Je n’ai plus jamais eu de nouvelles de lui après ça. Je ne lui ai jamais pardonné. Quand ta mère a appris cette histoire, elle soutenait qu’il avait dû avoir une bonne raison de faire ce qu’il a fait, d’écrire cela et de me laisser en œuvre posthume un carnet antique qui me racontait une histoire dont je me fichais éperdument.
Elle l’a toujours pensé, et avec l’humour que tu lui connais, elle n’a pas pu empêcher de sortir son " je te l’avais bien dis ! " lors de l’arrivée de ce monstre. Elle me disait que c’était à nous de le stopper, que nous avions la clé. Mais j’ai refusé, je ne voulais rien avoir à faire avec quelque chose qui pouvait me rappeler mon père. Elle a décidé de partir seule, certaine que je la suivrais. Je n’ai plus de nouvelles, et je suis là à me morfondre. "
Woah. De mémoire d’enfant, ça devait être les plus longues paroles que l’avais jamais entendu prononcer, lui d’habitude si taciturne. Le temps d’assimiler toute ces informations, j’essayais de faire tourner mon cerveau pour réagir.
- " Elle avait raison. On y va, on va retrouver Maman et sauver le monde. Tu m’as toujours appris à ne pas être lâche, c’est mon tour aujourd’hui Papa, on y va ! "
- " Tu as 10 ans. Tu ne peux pas comprendre ce genre de choses. C’est trop tard. "
- " Tu comprends encore moins de choses que moi, avec ton état d’esprit d’adulte trop étriqué. Maman est partie en croyant en toi, tout comme grand-père lorsqu’il est parti. Moi aussi je crois en toi, tu ne m’as jamais déçu. Alors nous allons partir, maintenant, ramener Maman et sauver le monde, comme ça on aura des lignes à rajouter dans ce carnet ! Et avec l’argent que nous donnera le gouvernement, je m’achèterai plein de mangas et… "
Je vis alors apparaître sur son visage un mince sourire, empreint de fierté, et – était-ce possible ? - d’amusement.
" Tu as raison fils, allons chercher ta mère. Allons sauver le monde. "
Qui a dit que la magie n’existait pas ?
Merci beaucoup à ceux qui ont pris le temps d'écrire un texte pour le démarrage du Jump du forum, et bonne lecture surtout à vous tous
Vous pourrez discuter sans contraintes dans le topic de discussions prévu à cet effet
PS : Merci énormément à Mayoua pour la couverture du MI-Jump et à Ji pour le dessin qui est dessus
Re: Topic du M-I Jump
Nous somme aujourd'hui le 15 Juin, et c'est déjà l'heure du second numéro du Jump
Aujourd'ui nous avons donc une fin de série par Unholyscream, et une oeuvre toute particulière proposée par SRZ
Bonne lecture à tous et n'hésitez pas à discuter des textes et à les commenter sur le topic de discussions prévu à cet effet
Enjoy
Aujourd'ui nous avons donc une fin de série par Unholyscream, et une oeuvre toute particulière proposée par SRZ
- Libre comme l'air:
- Libre comme l’air
Ah ! Une petite brise d’air frais soulève ma frange qui cachait la moitié de mes yeux bruns. Je levai la tête vers le ciel, avec un petit sourire, comme pour remercier le ciel d’avoir envoyé ce léger courant d’air rafraîchissant. Cet après-midi encore, il y avait un soleil de plomb. Il devait faire trente-cinq degrés approximativement je dirais, mais à l’ombre. J’étais assise sur le rocking-chair de mon père en train de lire un livre. Il parlait des condors, ces oiseaux aussi libres que le vent. C’était mon animal préféré. Je ne saurais comment l’expliquer, mais il arrive à être majestueux tout en étant intimidant, protecteur tout en étant offensif. J’en apercevais souvent quand le soleil se couchait, dans le ciel. Ils retournaient vers leurs nids afin d’y retrouver leurs bébés.
Aujourd’hui c’était dimanche. Donc repos. J’apprécie beaucoup ce jour. Du lundi au samedi, mon père, ma mère et moi travaillons sans relâche. Je suis née dans une famille de pêcheurs. Du matin au soir, nous passions notre temps sur les berges du Colorado à attraper toute sorte de poissons pour les vendre ensuite sur les marchés. Nous vivions de cela. Le rêve de mon père était de monter une ferme, mais avec le climat sec et aride de notre belle région qu’est l’Arizona, autant dire que c’est impossible. A part faire pousser des cactus, je ne vois pas trop quelle plantation nous pourrions entreprendre.
Ca n’a pas empêché papa d’acheter une vieille ferme. Il l’avait rénové, retapé pour que nous puissions nous y installer tous les quatre, il y a dix ans de cela maintenant.
- Oh Summer, nous avons reçu une lettre de Madison ! Viens vite la lire avec nous !
La quatrième c’est ma grande sœur : Madison. Elle s’est installée à Phoenix depuis ses dix-neuf ans. Elle n’avait pas voulu suivre la voie de la famille et a commencé à étudier. Elle voudrait travailler dans les sciences quand elle sera grande, alors elle étudie la chimie. Papa et maman sont très fiers d’elle et elle nous donne des nouvelles souvent. Je suis contente de lire ses lettres à chaque fois, elle me donne un petit rayon de soleil. Pourtant ça devrait être moi le rayon de soleil. Ma mère a, à tout prix souhaité que je m’appelle Summer pour le soleil qui est présent au moins neuf mois sur douze dans notre Arizona. Seulement, ma vie n’est pas très passionnante et brillante comparée à ma grande sœur, même si je n’ai que dix-sept ans…
Mes parents m’avaient inscrite à la même école que Madison dès mon plus jeune âge. Seulement je n’étais pas comme elle. Ca ne m’intéressait pas du tout. La seule matière ou j’étais forte, c’était le dessin. Et encore je dessinais souvent la même chose : le Grand Canyon. Le Grand Canyon de nuit, le Grand Canyon de jour, le Grand Canyon sous le soleil avec quelques condors d’Arizona passant simplement… Du coup, j’avais très vite arrêté, mais après avoir appris à lire et compter bien entendu. Depuis, j’aidais mes parents dans leur travail. Mon père nous a appris à pêcher dès notre plus jeune âge, donc on peut dire que nous avons ça dans le sang. Je me sers de ce que je sais pour aider à faire vivre ma famille.
Mais je vous avouerais que ni les études, ni la pêche ne me passionnent vraiment. Tout ce dont j’aspire, c’est à la liberté. A vrai dire, je serais incapable de la définir. Mais tout ce que je sais c’est que je ne le suis pas actuellement. Je me sens libre que lorsque je commence à escalader les grandes parois rocheuses du Canyon. En fait je pense que plus nous sommes proches du ciel, plus nous sommes proches de la liberté. Les oiseaux sont libres, les nuages sont libres. Les humains ne le sont pas. Il faudrait que nous soyons tous dotés d’une paire d’ailes pour l’être, mais je sais bien que c’est impossible.
J’ai une vision différente de la liberté des autres. Papa et maman disent que maintenant nous le sommes. Avant notre région était sous la main du Mexique. Les Etats-Unis nous ont libérés il y a environ soixante-ans de cela. D’ailleurs la semaine prochaine nous rentrons dans les Etats-Unis. Nous serons le quarante-huitième état. Toute la population saute au plafond de cette nouvelle. Pour eux, c’est ça la liberté. Mais moi je pense que c’est plutôt passer d’une tutelle à une autre. Nous ne suivrons plus les ordres et les lois du Mexique, mais ceux des USA désormais. Même s’ils sont plus « laxistes », ce n’est pas être libre.
Le soleil se couchait pour laisser place à sa jumelle nocturne : la Lune. La température avait considérablement baissé, ça faisait vraiment du bien. Ma mère m’avait appelé pour le souper. Après m’être lavé les mains, je m’installai à ma place fétiche, en face de ma mère. D’habitude nous parlions peu ou pas pendant les repas. Mais l’heureux événement mettait ma mère dans un état d’excitation pas possible. Une grande fête était organisée apparemment pour cela. Elle se déroulera à Phoenix. Je pense que nous irons, ça nous fera une occasion de revoir Madison. Ce soir, nous n’entendions même plus le tic-tac de la grande horloge de l’entrée tellement ma mère s’était changée en moulin à parole.
- Dès mercredi prochain, il faudra aider l’association pour la fête. Je pense que nous allons moins pêcher et plus utiliser nos mains pour fabriquer la décoration.
- Il faut fournir en viande aussi pour la semaine prochaine, à mon avis le comité nous achètera toute notre récolte de la semaine. Donc il ne faudra pas lésiner la pêche non plus, chérie.
- J’entends bien, j’entends bien. Mais ce que je veux dire c’est que l’on devra redoubler d’efforts. Summer, mon ange tu ne parles pas ?
Je relevai la tête de mon assiette de soupe de poisson. Je lui répondais par un signe négatif de la tête. Je n’avais rien de spécial à dire concernant cet événement car ça ne m’intéressait pas. Mon père rejeta la faute sur mon jeune âge en disant que les adolescents de nos jours ne s’intéressaient plus à l’histoire.
Une fois avoir aidé à débarrasser la table, mon père s’installa dans son fauteuil près de la lampe à huile et il continua à lire son nouvel ouvrage sur les truites. Ma mère s’affairait dans la cuisine et je décidai de monter dans ma chambre.
J’aime beaucoup ma chambre. Je la considère comme un lieu spirituel neutre ou je peux ne plus penser à rien. Je m’affalai sur mon lit, collé au mur près de la fenêtre et froissai par conséquents mes draps bleus marine. La lumière de la Lune laissait passer un fin filet de ma fenêtre dont la fin atterrissait en plein milieu de ma chambre. Allongée sur le dos, j’observais de fines particules qui flottaient. De la poussière. La poussière était créée par l’effritement et l’érosion des massifs rocheux du Grand Canyon ici. Je fermai les yeux et commença à m’assoupir.
- Toutes les jeunes filles aspirent à un rêve. Mais seul trente-six pourcents d’entre elles le réalisent. Mais toutes ces chimères nourrissent un monde parallèle, un monde ou tous les rêves sont possibles. En trouvant la gemme du songe, tu ouvriras les portes d’Utopia.
Je me réveillai en sursaut. Un rêve, un cauchemar ? Je me frottai énergiquement les yeux histoire d’y voir plus clair. Depuis quand on me parle dans mon sommeil ? Je sortai de mon lit et bondit vers la salle de bain.
Trente minutes plus tard et après avoir mangé mon petit déjeuner, j’entrepris d’aller me balader dans le Canyon. Aujourd’hui encore il faisait chaud alors j’avais opté pour un léger short et jean et un tee-shirt fluide. J’avais envie de surpasser mon exploit de la semaine dernière. J’ai réussi à grimper le versant Est du Canyon jusqu’à un repère que je me suis fixée. Je ne suis pas très précise mais ça doit faire une trentaine de mètres d’altitude. J’avais repéré un nid de condors d’Arizona mais je n’avais pas réussi à y parvenir. Je m’attachai les cheveux en queue de cheval grossière avant de poser mes mains sur la roche chaude et rougie par le soleil et la poussière. Peu à peu je cherchai des points d’appuis solides à l’aide de mes jambes, et hissai mes bras un peu plus loin vers le ciel.
- Oh Summer tu es retournée faire je ne sais quoi dans les montagnes ! Va te débarbouiller !
Sous les vociférations de ma mère, je m’exécutai. A chaque fois que j’escaladai le Canyon, ma mère le remarquait. Au début je prenais soin de ne pas trop tâcher mes vêtements mais j’ai vite compris que cela était totalement inutile. A l’aide de mes deux paumes jointes, je m’aspergeai le visage de l’eau claire et fraiche coulant du robinet de la salle de bain. Ca faisait du bien si on prenait en compte la chaleur écrasante de dehors. Je filai ensuite dans ma chambre me changer.
Je descendis peu de temps après aider mes parents à nettoyer la maison. Avec la grande fête approchant de plus de plus, ma mère avait déjà oublié ce qu’il s’était passé à mon sujet, ce qui m’arrangeait grandement. En descendant les escaliers, je la vis accroupie au sol, avec des pots de peinture à côté d’elle. Je me penchai au-dessus de son épaule, curieuse de voir ce qu’elle faisait.
- Tu as vu ? Elle est belle hein ?
- Oui maman, tu as du y passer beaucoup de temps.
- Et comment ! Bon maintenant personne n’y touche, le temps que ça sèche !
Elle se leva et s’en alla dans la cuisine, laissant mes yeux voir complètement la gigantesque banderole qu’elle avait concocté. Sur un fond blanc était marqué : « Fête de l’indépendance, nous devenons le 48ème Etat des Etats-Unis ! Soyons fiers de ce 14 février 1912 ». Je reconnaissai tout de suite son écriture. Légèrement manuscrite, un peu italique et avec de belles boucles harmonieuses. Je souriai, elle était tellement fière d’elle.
La cérémonie était demain soir. Nous avions donc décidé de partir en milieu d’après-midi, afin de rejoindre Phoenix en début de soirée. Madison nous avait prévenu qu’elle nous rejoindrait sur place. Ca va faire maintenant plus de deux mois que je ne l’ai pas vu ! J’ai hâte. Nous décidâmes de nous coucher tôt pour ne pas être trop fatigués. Aussitôt allongée, je tombai dans les bras de Morphée.
- Toutes les jeunes filles aspirent à un rêve. Mais seul trente-six pourcents d’entre elles le réalisent. Mais toutes ces chimères nourrissent un monde parallèle, un monde ou tous les rêves sont possibles. En trouvant la gemme du songe, tu ouvriras les portes d’Utopia.
Il était deux heures de l’après-midi. Nous avions fini de charger la camionnette et nous nous étions donnés exactement cinq minutes et quarante-deux secondes pour se préparer. Enfin on, surtout ma mère. Elle et ses soucis de la ponctualité…
Je me tenai debout dans ma chambre devant mon miroir. Je soupirai de désespoir en voyant mes longs cheveux bruns indisciplinés tomber en cascade sur mes épaules. Ils m’arrivaient au niveau des omoplates. J’ai toujours voulu les couper mais ma mère refusait à chaque fois. Elle disait que c’était le critère principal de la féminité. Même du haut de mes dix-sept ans, je n’arrive pas à lui tenir tête. Elle a un caractère tellement tranché aussi…
Je n’étais ni trop grande, ni trop petite. Ni trop claire, ni trop foncée. De mon humble avis, j’ai toujours appartenu à la moyenne. Mes yeux bruns s’attardèrent sur la robe bleue ciel que, une fois encore ma mère a tenu que je porte. Elle était toute simple, cintrée à la taille et évasée en bas, s’arrêtant juste au-dessus de mes genoux. Je savais que les nuits n’étaient pas trop fraiches en cette période alors j’optai de prendre mes sandales. Je pris également mon grand chapeau de paille et l’enfonça sur ma tête avant de sortir de ma chambre.
J’étais la première de la famille à être prête. Je m’adossai contre le coffre du quatre-quatre en les attendant. Les yeux rivés vers le ciel, je repensais à cette phrase que j’ai de nouveau entendue cette nuit. Deux nuits que je fais le même rêve, c’est étrange… En fait ce n’était même pas un rêve. C’était le trou noir dans ma tête et une phrase me parvenait à mes oreilles. Qui me parle ? Je n’en avais aucune idée, je ne reconnaissais pas la voix. Je me repassais chaque mot en tête. De quelle pierre me parle-t-il ? Quel est ce royaume dont je n’ai jamais entendu parler, même dans les contes ? Utopia… Pourquoi moi et pourquoi pas une autre ? Ferais-je partie des trente-six pourcents dont la voix parle ? Je n’y comprends strictement rien. C’est vrai que j’ai un rêve et le même depuis que je suis toute petite mais comme tout le monde non ?
Papa et maman sortirent de la maison. Je me tournai vers eux quand soudain mon œil fût attiré vers quelque chose de brillant dans le ciel. Un miroir ? Un rayon de soleil ? Non. Je recule d’un pas. Une vision me vint. Je voyai un nid de condors d’Arizona. Mais c’est le nid que j’avais découvert il y a peu ! Dedans trois petits oisillons qui ont l’air de cacher un oiseau multicolore et brillant de mille feux…
J’eu à peine le temps de cligner des yeux que je me retrouvai devant mes parents à nouveau, qui me regardaient mortifiés.
- Ma chérie ça va ? Tu es toute pâle…
- On dirait que tu as vu la mort, renchérit mon père.
Sans réfléchir je les bousculai. Je me dirigeai vers le grand Canyon en courant. Mes jambes m’emmenaient là-bas toutes seules. Je savais que je devais vérifier quelque chose. Je ne sais pas comment ni surtout pourquoi, mais au fond de moi je savais que je devais le faire. Ma belle robe repassée pour l’occasion se froissait un peu plus à chacune de mes foulées. J’entendais mes parents crier mon nom ; leurs voix s’éteignaient au fur et à mesure que je progressai vers le Canyon. Quelques gouttes de sueurs perlaient sur mon front, sortant ainsi de sous mon chapeau. Je manquai de trébucher à plusieurs reprises mais cela ne faisait pas pour autant ralentir ma cadence effrénée. Je n’avais plus vraiment la notion du temps, j’étais perdue. J’étais déjà devant le versant que j’avais escaladé plus tôt ? Mais le soleil commençait à se coucher. Combien de temps avais-je couru comme une dératée ? Je baissai les yeux sur ma robe. Elle était tâchée de rouge un peu partout : un mélange de poussière et de moiteur. Machinalement, je jetai mon chapeau de paille au sol et fixa le nid de condors d’Arizona d’un œil déterminé. Soudain, une lueur surgit de ce dernier. Comme dans ma vision !
Mes pieds s’avancèrent tous seuls. Un pas devant l’autre, ma main gauche s’agrippa fermement à la roche. Je me hissai à la force de mes bras menus un peu plus vers le sommet. Le vent commençait à se lever. Mes cheveux partaient dans tous les sens, obstruant ma vue. Mais je continuai, en tenant bon. A chaque mètre grimpé, la brise se transformait de plus en plus en bourrasque. Mes doigts tremblaient, mes jambes flageolaient. Le nid brillait de plus en plus, me faisant plisser les yeux. Brusquement je trébuchai. Je me rattrapai de justesse à une prise de la main droite, mes autres membres chancelant dans le vide. Très vite, je repris des appuis stables et continuai mon ascension. Le vent me fouettait le visage dorénavant. Mais j’y étais presque, encore quelques petits efforts. J’entendis le piaillement des oisillons non loin de moi. De mes deux coudes, je m’appuyai sur la corniche avant de hisser totalement mon corps. Trois bébés condors s’agitaient autour de ce qu’il semblait être un faucon ou un aigle royal… Mais il était à moitié translucide et surtout de la couleur de l’arc-en-ciel. On aurait dit une projection, mais dotée d’une chaleur attirante. Sans réfléchir je tendis ma main droite vers lui. Il déploya ses ailes, technique d’intimidation chez ce genre d’espèce. Seulement ça ne m’empêcha pas de l’approcher plus. Tout doucement, ma main diminuait la distance qu’il y avait entre nous deux. Mes doigts frôlèrent le majestueux et les trois condors s’écartèrent. Soudain, dans un cri, l’oiseau aux sept couleurs disparu en un nuage de fumée, laissant place à une pierre ovale aussi décorée d’un gros améthyste. Intriguée, ma main la toucha. Sous la peur, je fermai les yeux.
Une douce brise me chatouillait les joues. J’ouvrai les yeux et eut un hoquet de surprise. Mais ou étais-je donc ?! De l’herbe, une herbe verte et fraîche à perte de vue. Je me levai et commençai à marcher vers un ruisseau non loin de là. Oh ? Je sentais les doux brins sous ma plante, j’en conclus vi+te que j’étais pieds nus. J’eu un pas de recul en voyant mon reflet dans l’eau claire de la rivière. En prenant mon courage à deux mains, j’avançai de nouveau vers le rivage. Ce n’était pas moi dans l’eau, c’est impossible. J’apercevais une jeune femme de la même taille que moi, avec de longs cheveux bruns aux nombreux reflets cuivrés lui arrivant sous les fesses. Une de ses mèches était parfaitement bien tressée. Elle portait de nombreux bijoux d’or avec une pierre violette. Au niveau, de la tête, du cou, des poignets et même des chevilles. Elle portait également une belle robe grise et violette, faite de plusieurs voilages. Elle avait des sortes de peintures tribales sur les joues. Mais ce qui me choquait le plus, c’est qu’elle avait des ailes au niveau des malléoles de ses chevilles et de ses oreilles. Machinalement je portai ma main à celles-ci et senti le plumage. Bonté divine c’était bien moi ce reflet ! Soudain, j’entendis de nouveau la voix de mon rêve.
- Tu as réussi, Summer. Tu fais partie des trente-six pourcents de jeunes femmes de ton époque à avoir le pouvoir d’entrer à Utopia. Ton rêve est désormais réalité. La pierre d’améthyste sur ta poitrine en est la preuve. C’est la gemme du songe. Mais en échange de ta liberté, tu es devenue ma fille.
- La fille de l’air… récitai-je instinctivement.A suivre ?
- Legends:
- Spoiler:
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- Spoiler:
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Image 1 : Ce sont des protagonistes que nous verrons plus tard au fil des aventures, comme tu peux le voir ils ont tous été contactés en "même temps" dans la première vignette l'un est reveillé par un vibreur de téléphone, dans la deuxieme un "pop-up" apparait sur son ordinateur, dans la troisième c'est sur la télé, la quatrième c'est sa montre et la cinquième son téléphone sonne.
- La Reine Belladone - Partie 2:
- La Reine Belladone - Partie 2
Née de l'amour et de la mort, Belladonna prit vie sans véritable explication. Aussi végétale qu'humaine, elle peinait à trouver sa place dans ce monde... Les arbres ne pouvaient la comprendre, les hommes avaient tenté d'abuser d'elle. Et puis ces monstres détruisaient la nature. Alors qu'elle se laissait lentement périr, elle rencontra une lueur d'espoir. Un druide, du nom de Seridan, qui lui apprit à vivre. Elle en tomba follement amoureuse et voulut lui déclarer sa flamme avec une fleur. Mais dans les yeux de son bel humain, elle ne vit que déception et horreur. Son coeur en morceaux, elle se réfugia entre les racines d'un géant de bois. Puis, guidée par une profonde souffrance, elle retourna sur ses pas, pour ne trouver que les cendres de son ancienne vie... Tout devint noir lorsqu'une fois de plus un être humain vint s'en prendre à elle.
Zyl'hote l'avait senti... Aussi éclatant qu'un soleil en pleine nuit, il avait perçu une explosion de magie noire, en plein coeur de la jungle sacrée d'Isera. Derrière son masque, sa bouche se tordit en un inquiétant rictus de satisfaction. Il leva un bras à moitié putréfiée et laissa échapper un croassement étranglé. Aussitôt, d'autres cris lui firent écho, et une nuée d'oiseaux de malheurs se détachèrent du ciel pour fondre sur lui. Dans un concert de bruits affreux, un festin débuta. Leurs serres tranchantes découpaient sans mal la peau, qu'ils engloutissaient par lambeaux entiers. De leurs becs acérés, ils réduisirent les os en petits morceaux, avant de les avaler. Une fois repus, les noirs rapaces reprirent leur envol, planant vers les cimes d'Isera... Un rire tout à fait humain accompagnait la nuée maléfique.
La première chose que Belladonna ressentit en se réveillant fut... le vide. Hormis la sienne, elle ne ressentait plus la moindre vie. Elle ne percevait rien, ni plante, ni animal. Seulement elle, et la mort. Allongée sur un sol dur et froid, elle ramena ses jambes contre sa poitrine en tentant de se rassurer. Mais comment pouvait-elle espérer une fin heureuse ? Elle avait tout perdu. Le vieil arbre avait péri dans les flammes, et Seridan l'avait rejeté. Et désormais elle était plus seule que jamais, dans cette prison sans bruit ni lumière. Pendant ce qui lui sembla durer des jours, la pauvre fleur se mit à pleurer, au point se retrouver toute desséchée. Privée du sol nourricier et du soleil salvateur, la créature florale fanait. Sa peau flétrissait et se ridait, ses longs cheveux tombaient en poussière. Son visage, si pur et délicat, se creusait, tandis que son regard devenait terne et vitreux. Elle tenta de gratter le sol à la recherche d'un peu de terre, mais ses ongles se brisèrent contre la roche. Elle voulut se lever, mais elle réalisa rapidement qu'elle n'en avait pas la force, ainsi isolée. Perdue dans les ténèbres, la belladone attendait tristement que son heure vienne, piégée dans une lente agonie. Pour son plus grand malheur, ce ne fut pas la Mort qui vint. Ce jour-là elle sentit des mains décharnées s'emparer de son corps fragile. Son bourreau la transporta sans ménagement, pour finalement la jeter dans une nouvelle pièce, donc le plafond percé laissait filtrer un mince rayon de soleil. Alors qu'elle rampait vers la lumière, ses doigts s'enfoncèrent dans de l'humus. Roulant sur le côté, Belladonna laissa échapper un râle de désespoir. Elle voulait mourir, mais voilà qu'on la maintenait en vie. Peu à peu, son corps commença à rajeunir et à retrouver sa beauté d'antan. Sauvée malgré elle par la lumière et la terre..
Les jours passèrent sans que la pauvre fleur ne s'en rendent compte. Elle n'était plus qu'une coquille vide, un corps sans âme. Allongée sur le dos, les yeux rivés sur une parcelle de ciel inaccessible, elle attendait. Un beau jour, son bourreau vint lui rendre visite. Il portait une sorte de toge rapiécée, ornée de plumes noires, et son visage était dissimulé derrière un masque en bois pourri. Ses bras étaient rongé par le temps et la maladie, à tel point que l'os était à vif par endroits. Sans un mot il vint l'ausculter, faisant courir ses doigts putréfiés sur son corps... Brisée, Belladonna le laissa faire en silence. Bientôt la visite devint quotidienne. A chaque fois il griffonnait quelques caractères sur un petit carnet avant de repartir. Puis, après une bonne semaine il souleva sa captive entre ses bras, et la déposa dans une nouvelle pièce, beaucoup plus spacieuse. Elle était éclairée par des bougies, posées sur des tables en bois jonchées de livres, d'ingrédients alchimiques et de verreries magiques. C'est alors qu'elle le vit... de l'autre côté de la pièce, immobilisé par des racines moisies, se trouvait Seridan. Le coeur végétal de Belladonna s'emballa brusquement, tant et si bien qu'elle crut qu'il allait déchirer sa peau et quitter sa poitrine. Des larmes de joies inondèrent ses joues et elle tomba à genoux, remerciant la Terre de l'avoir épargné. Elle commença à avancer vers son maître, mais son bourreau lui attrapa les cheveux, et la tira brutalement en arrière. Lentement, il s'accroupit derrière elle et apposa ses doigts osseux contre son cou. Alors il lui murmura doucereusement, avec sa voix rauque et discordante :
- Ah ce bon vieux Seridan... Mon seul ami. Non, nous étions bien plus proche : il était comme un frère pour moi. Nous travaillons ensemble, avions les mêmes rêves. Mais il m'a tourné le dos, il m'a trahi.
Son ami ? La triste belladone secoua la tête. Non ce n'était pas possible, elle refusait d'admettre que Seridan ait quoique ce soit à voir avec cet odieux cadavre. Ce monstre qui puait l'humanité et la mort. La créature florale croisa le regard de son maître... Sa bouche était recouverte par une grosse liane à moitié décomposée, mais elle put lire dans son regard une profonde culpabilité. Tel un cancer, le doute s'instilla dans l'esprit de Belladonna.
- Si tu veux qu'il vive, tu vas devoir m'aider, jeune créature...
La pauvre fleur consulta du regard celui qu'elle aimait. Il secoua la tête vivement, lui intimant de refuser. Mais la fleur choisit d'écouter son coeur, son stupide coeur.
- J'accepte...
- C'est bien. Tu fais le bon choix. Conclut le mage noir d'un ton arrogant.
Pendant plus d'un mois, Belladonna fut contrainte de créer une nouvelle fleur, plus puissante encore que celle qui avait attiré le mal sur elle. Au plus profond de son être, elle avait conscience de commettre une énorme erreur. Mais l'espoir et l'amour l'avait rendue sourde aux supplications de son subconscient. Cette fois aussi elle s'appliqua, passant souvent plusieurs jours sur chaque pétale. Si jamais il y avait le moindre défaut, c'est Seridan qui en subirait les conséquences... Elle dessina des runes de mort et de vie, entremêlées par sa magie des plantes, mais aussi l'ignoble nécromancie de Zyl'hote. Les semaines passaient et son oeuvre prenait forme... Si au début elle ressemblait à une vulgaire tulipe, elle ressemblait désormais à un véritable coeur végétal, qui pulsait lentement. A chacun de ses battements, une vague de magie noire pénétrait le corps de la pauvre belladone... Alors qu'elle progressait dans son travail, le cadavre ambulant était de plus en plus agité. Il avait toutes les peines du monde à contenir son excitation, et ne cessait d'intimer à sa captive de se hâter. Même si cette idée la rendait malade, Belladonna devait bien reconnaître que ce monstre la traitait particulièrement bien. Il savait que de toute façon elle était liée par ses sentiments envers le druide. Alors qu'elle façonnait cette fleur, si puissante et maléfique, la jeune femme ne ressentit pas un seul instant de la colère. Ni même de la haine. Tout était occulté par sa peur de perdre Seridan... Lorsqu'elle eut finit, sa création avait la forme d'un coeur humain, constitué de pétales écarlates, entourées par un complexe réseau de ronces. Il luisait d'un éclat à la fois sanguin et noirâtre... Épuisée et angoissée, Belladonna s'effondra sur le côté. Alors qu'elle chutait, ell sentit un bras squelettique la retenir.
- Je te remercie jeune créature. Croassa le mage noir. Grâce à toi, je peux concrétiser le rêve que mon frère et moi avions... Je vais vivre en dehors du temps.
- Par pitié... Libérez le... Articula la jeune fleur, d'une voix implorante.
- Bien sur.
Zyl'hote reposa délicatement sa captive sur le sol et s'empara de son nouveau coeur. D'un pas décidé, il rejoignit son ancien ami et se posta devant lui. Il posa sa main sur sa tête. Et il lui vola sa vie... Pétrifiée par l'horreur, Belladonna vit le visage de son maître se décrépir jusqu'à finalement disparaître. Ne restait plus qu'un crâne blanc, triste et vide. Le mage noir se mit alors à rire... Un son rugueux qui écorcha les oreilles de la pauvre fille, la meurtrit en profondeur. Impuissante, elle le vit se déchirer la poitrine, s'ouvrir la cage thoracique. Il arracha son palpitant et y installa à la place la macabre création de la pauvre fleur... Le coeur végétal étincelait et vibrait plus que jamais. Le démon arracha son masque et le jeta au sol, laissant apparaître une face rongée par les années et les vers. Mais il rajeunissait. Un immonde rictus étirait ce qui restait de ses lèvres alors qu'il avançait vers sa captive. Le cri de Belladonna commença comme une plainte... Puis se mua en un terriblement hurlement de rage et de haine. Elle sentit la magie s'emparer de son corps, sans qu'elle ne contrôle rien. Mais elle ne voulait pas la contrôler ! Cette puissance qui l'habitait, elle allait la déchaîner ! Sa voix se mua en grondement sourd. Des ronces aussi épaisses que des troncs crevèrent le sol, détruisant absolument tout sur leur passage. La roche fut pulvérisée par la puissance de la nature. Des racines surgirent du sol et se mirent à ramper à toute vitesse vers le perfide nécromancien. Elle entendit des corbeaux crier. L'instant suivant c'était un véritable essaim qui fondait sur elle, toutes griffes dehors. Pris dans cette tempête de plumes noires, Belladonna ramena instinctivement ses créations à elle. Ronces et racines s'enroulèrent sur elles-mêmes, formant ainsi un cocon impénétrable. Vidée par ce brutal déploiement d'énergie, elle perdit connaissance.
Zyl'hote fulminait. Il n'était pas parvenu à tuer la protégée de Seridan... Il avait tout tenté, mais si sa magie ni ses corbeaux n'étaient parvenus à entamer ce formidable amas de ronce qui la protégeait. Mais au moins il avait eu ce qu'il voulait... Cette idiote, naïve et amoureuse, avait été si facile à manipuler. Il avait suffit de lui faire croire à l'espoir. Le mage noir se laissa aller à un petit rire en repensant à sa tête lorsqu'elle à vue que son maître était en vie. Mais il ne pouvait nier qu'elle était d'une puissance redoutable, il lui faudrait tôt ou tard s'occuper d'elle. Pour l'instant il ne pouvait rien, mais bientôt... Il laissa passer sa langue sur ses lèvres, parfaitement reformées maintenant. Il avait besoin de prendre des milliers d'autres vies. Alors plus rien ni personne ne pourra s'opposer à lui ! D'un claquement de langue, il appela à lui ses corbeaux, qui le dévorèrent en piaillant de joie. Ensemble, ils volèrent vers le village le plus proche...
Les oiseaux se posèrent tous sur la place centrale du petit hameau, sous le regard curieux des habitants. Tous ensemble, ils se mirent à régurgiter les restes de leur maître. Un premier cri d'effroi brisa le silence, tandis que Zyl'hote reprenait sa véritable forme. Il écarta ses bras, désormais pleins de vie, et invoqua sa magie corrompue. De gigantesques bras cadavériques crevèrent les pavés pour s'emparer de tous les villageois qui étaient à portée. Les autres tentèrent de fuir. Mais c'était sans compter les oiseaux de malheur, qui fondirent sur eux pour leur déchiqueter les épaules et la nuque. Un par un, le nécromancien absorba leur vie, leur force, leur jeunesse. Zyl'hote jubilait.
La sombre belladone n'était désormais plus qu'haine et ire. Lorsqu'elle était finalement sortie de son cocon, après plusieurs années de sommeil, son visage avait changé. Son innocence s'était envolée à tout jamais. Elle n'avait plus aucun espoir. Ses yeux avait perdu leur teinte lumineuse, pour devenir aussi noirs que la nuit, à l'instar de ses longs cheveux. Les feuilles qui l'habillaient avaient vieilli, et arboraient désormais une flamboyante couleur d'automne. Des ronces épineuses s'étaient enroulées autour de chacun de ses membres, fouettant l'air agressivement. Elle avait troqué son sourire pur et son regard candide pour un masque de mépris et de rage. Mais comment aurait-il pu en être autrement ? La jungle d'Isera était morte. Les arbres avaient perdu toutes leur couleurs, l'herbe était devenue noire et jaune. On entendait plus d'oiseaux chanter, seulement le bruit du vent s'engouffrant entre des troncs décharnés. Une brume menaçante flottait légèrement au-dessus d'un sol jonché des cadavres pourrissants. De tous les animaux qui avaient pu vivre ici il ne restaient que des os et des morceaux de chair en décomposition. L'odeur atroce de la mort était partout, l'air était vicié. Le soleil lui même n'existait plus en ces lieux ! Belladonna sentit une douleur poindre au creux de sa poitrine, mais elle la balaya. Elle n'avait plus le temps de souffrir pour les autres. Partout où elle regardait, elle voyait la marque du nécromancien... Elle sentait l'aura de sa création, ce coeur végétal qu'elle lui avait confectionné. Elle aurait du se sentir coupable. Mais elle n'avait pas non plus le temps pour ça. Elle avait soif de sang, et elle savait qu'une seule personne au monde pouvait l'étancher. Elle repensa fugitivement à Seridan, et revécut l'épisode de sa mort. Elle allait le venger. Elle allait se venger. Elle allait venger Isera.
Guidée par ses funestes désirs, la noire belladone traqua l'atrocité qu'elle avait créée. Plus elle s'enfonçait dans la jungle, pire était le spectacle. Dans les sous-bois les cadavres marchaient... Elle vit un monstrueux renard, dont le flanc gauche était dévoré par les vers, éventrer ce qui restait d'une laie pour se repaître de ses entrailles. L'animal lui jeta un regard torve avant de disparaître, comme happé par les volutes blanches. Un très léger frisson parcourut l'échine de Belladonna. Elle qui n'avait connu que la vie, avait l'impression de pénétrer dans un nouveau monde. Elle se reprit rapidement et continua à avancer. La piste laissée par Zyl'hote était si facile à suivre pour elle. Ce coeur végétal, qui battait et luisait en rouge sang, l'appelait. Pendant plusieurs jours, la créature florale explora ces terres putrides, rencontrant chaque jour de nouvelles horreurs. Elle vit des cadavres humains s'adonner à une macabre orgie, sous le clair de lune. Loin dans le brouillard, elle aperçu la silhouette d'une chose à peu près humaine, affublée d'une tête de phacochère et d'une queue de serpent. La pauvre belladone sentait la folie la guetter, tapie dans les méandres de son esprit torturé. Mais elle suivait sa lueur de lucidité, sa soif de vengeance, tant et si bien que jamais elle ne s'égara. Après la jungle, elle traversa une lande hantée par mille spectres, qui tourbillonnaient dans le ciel. Craintifs, ils s'enfuyaient en poussant des cris étranglés dès qu'ils la voyaient... Au coeur de la plaine, elle tomba nez à nez avec un groupe de squelettes, qui dansait une gigue endiablée autour d'un feu bleu. Ce dernier dégageait un froid terrible. Une semaine plus tard, elle avait presque rattrapée sa proie. Elle sentait que son oeuvre était toute proche. Mais le nécromancien avait probablement lui aussi senti sa présence. Cela faisait désormais plusieurs jours qu'elle était épié par une nuée de corbeaux. Un sourire macabre naquit sur les lèvres de la sombre belladone. Elle était certaine que Zyl'hote ne pouvait pas fuir. Elle avait compris qu'il la craignait... Le nécromancien savait que tant qu'elle vivrait, elle représenterait un danger pour lui. Sa vengeance était si proche. La jeune femme bouillonnait intérieurement, tant sa rage était forte. Elle allait bientôt exploser, et emporter ce mage noir vers sa déchéance. Sa vengeance était si proche !
Zyl'hote l'attendait, debout au centre d'un cercle de pierres dressées. Sa robe était plus rapiécé que jamais, dévoilant une peau pâle couverte de tatouages magiques. Belladonna y reconnut quelques puissants symboles runiques... Il avait enlevé son masque, dévoilant un visage d'une beauté saisissante. La bouche de la jeune femme se tordit en un rictus de dégoût.
- Cela fait bien longtemps que je t'attends, jeune créature. Siffla le nécromancien. Je te souhaite la bienvenue dans mon royaume intemporel. Ici tout est déjà mort, même le soleil ! Le temps n'a plus aucune emprise, sur moi, sur mes terres et mes sujets. Grâce à toi. Tu m'as été formidablement utile, mais je ne peux te laisser en vie vois-tu...
- Tu as profité de mon innocence... Vous les humains ne faites que ça. Vous n'avez de cesse d'utiliser ce monde qui vous entoure. Vous violez la nature, la dépouillez de ses possessions. Vous manipulez vos semblables, pour arriver à vos fins égoïstes, vous...
- Crois-tu que Seridan était différent ? La coupa brusquement Zyl'hote. Lui aussi était terrifié par la mort, lui aussi voulait échapper au temps. Tu n'oses même pas imaginer quelles atrocités il a pu commettre. Ce corps que tu as vu, n'était même pas le sien à l'origine !
Belladonna eut un mouvement de recul. Elle ne voulait pas croire cet homme. Mais elle se souvenait de ce regard coupable que lui avait lancé son maître... Et si le druide n'avait fait que de l'utiliser, dans l'espoir d'obtenir une rédemption ? Le doute resurgissait, la torturait.
- Non... Commença-t-elle. Je ne peux pas croire ça.
- Quelle naïveté. S'esclaffa le mage noir. Les humains sont tous les mêmes, tu le sais très bien. Nous sommes dominés par nos peurs et nos désirs ! L'homme est individualiste par essence. Seridan était faible, il a cru pouvoir oublier le passé. Il ne méritait pas de continuer à vivre, dans ce corps qu'il avait volé. Je n'ai fait que libérer son esprit tourmenté.
- Assez ! Tu n'es que mort et putréfaction ! Tu as détruit tout ce qui était beau et pur. Tu m'as tout pris... Tu vas souffrir. Je vais t'arracher les yeux, te démembrer. Tu hurleras quand je plongerais ton visage dans le feu, tu me supplieras de t'achever un bon millier de fois avant que je daigne te prendre la vie. Cracha la sombre belladone, l'écume au lèvres.
Elle était folle de rage, et ne pouvait même plus contenir son pouvoir. Elle le sentait vibrer dans chaque parcelle de son être. Elle le laissa exploser. Le sol se déchira, alors que de gigantesques plantes grimpantes poussaient à toute allure. Les massifs monolithes furent balayés comme des fétus de paille. Les vignes fouettaient l'air avec colère, soulevant des gerbes de terre et d'herbe à chaque fois qu'elles s'écrasaient. Et au coeur de ce chaos, le nécromancien riait à gorge déployée. Ses pieds quittèrent le sol. Son corps tout entier était entouré par un bouclier magique, que les plantes de Belladonna ne parvenaient pas à détruire. Alors que la jeune femme redoublait d'effort pour briser la barrière invisible, elle sentit une intense douleur dans le bas du dos. Elle se retourna vivement pour voir un cadavre armé d'une lance. La pointe de son arme était couverte d'une sève noirâtre... La sienne. Elle poussa un grognement de fureur et l'instant suivant le macchabée était déchiqueté par un massif de ronces épineuses. C'est alors qu'elle remarqua qu'elle était encerclée par une véritable armée de morts, qui poussaient des cris inintelligibles en frappant leurs armes contre leurs bouclier. A cet instant précis, Belladonna renoua avec la peur. Cet ennemi... Il était devenu incroyablement puissant. Pouvait-elle réellement lui faire face ? Elle se jeta sur le côté, évitant une lame acérée et reprit ses esprits, dispersant ses doutes. Elle ne pouvait tout simplement pas échouer, cela n'était même pas concevable. Elle frappa le sol du talon, faisant apparaître un arbre sous ses pieds, afin de se rendre hors d'atteinte des morts-vivants... Mais ainsi perchée, elle réalisa qu'elle était devenue une cible de choix pour les archers... et les corbeaux. Les sinistres oiseaux fondirent sur elle comme ils l'auraient fait sur un mulot égaré. Elle poussa un hurlement de souffrance lorsqu'elle sentit leurs becs et leurs serres pénétrer sa chair. Tant bien que mal elle essayait de repousser les rapaces, mais ces derniers virevoltaient entre ses lianes. A peine avait-elle eu le temps de faire apparaître un cocon végétal autour d'elle, qu'elle sentit que son piédestal vacillait. Les cadavres étaient en train de couper l'arbre ! Belladonna ferma les yeux un court instant, plongeant dans les méandres de son esprit. Elle s'enfonça dans ses souvenirs, dessina mentalement le lotus noir qu'elle avait créé pour Seridan... Aujourd'hui elle comprenait pourquoi il l'avait qualifié d'instrument de mort. Un pâle sourire étira ses lèvres, et elle ouvrit à nouveau ses paupières. Un champ de fleurs noirs venait de pousser à ses pieds, et s'étendait sur des lieux à la ronde. Petit à petit, les mouvements des morts-vivants ralentirent... Ils titubaient, s'effondraient. Certains se tenaient la tête en hurlant, d'autres restaient debout, complètement immobiles. Ce fut alors au tour des corbeaux de chuter. Un par un, les oiseaux s'écrasaient brusquement au sol, comme s'ils étaient morts subitement. Oui, Belladonna comprenait maintenant. Le parfum de ses lotus noirs était un véritable poison qui se propageait à une vitesse fulgurante dans l'air. Une toxine engourdissante, capable de plonger dans un coma profond même le plus grand des géants. Malgré la douleur, le sourire de la femme florale s'élargit. Les cadavres eux mêmes ne pouvait y échapper.
Bien à l'abri derrière sa barrière magique, Zyl'hote était indemne. Mais son son regard affolé trahissait son incompréhension. Ses lèvres tremblaient de peur. Les yeux de Belladonna se rétrécirent, crachant toute sa haine sur son mortel ennemi. Elle était épuisée, mais elle ne pouvait pas s'arrêter là. Sa vengeance était à portée de main ! Elle tendit un bras chancelant dans la direction du nécromancien, ouvrit les doigts. Le sol fut agité par des secousses, tandis que la terre s'éventrait. Une gigantesque plante carnivore s'extirpa des tréfonds, ouvrant une gueule béante. La monstrueuse dionée était suffisamment grande pour engloutir un troupeau entier de bêtes. Ses mâchoires hérissées d'épines claquaient avidement dans l'air... Soudain, plusieurs tentacules verdâtres fusèrent du gosier de la plante, pour s'enrouler autour du bouclier du mage noir. Celui poussa un hurlement d'horreur quand il sentit que les langues du monstre végétal le traînait vers le bas. Belladonna vit son visage se contracter sous l'effort, alors qu'il luttait. En vain. La gueule se referma violemment sur Zyl'hote, dont les cris continuaient de résonner dans la nuit. Transpercé de toutes parts par les dents de la plante carnivore, lentement digéré par toutes sortes d'acides, le nécromancien devait terriblement souffrir. La sombre belladone aurait aimé savourer chacun de ses cris... Mais elle était épuisée, et gravement blessée. Ses jambes se dérobèrent sous son poids et elle tomba de son perchoir. Avant qu'elle ne touche le sol, elle fut rattrapée par l'une de ses plantes, qui la déposa délicatement sur un lit de mousse. Son visage exprimait la sérénité, ce qui contrastait brutalement avec le masque de haine qu'elle arborait jusque là. Elle avait eu sa vengeance.
Perchée au sommet d'une montagne, Belladonna contemplait le vide. Cela faisait maintenant plusieurs semaines qu'elle avait tué le mage noir. Elle avait cru que ce meurtre l'aiderait... Une fois de plus, elle avait été si naïve. La jungle et la lande étaient toujours aussi mortes. Seridan aussi. La triste fleur enfouit son visage dans les mains en sanglotant. Pourquoi devait-elle souffrir ainsi ? Guidée par la colère et la haine, elle s'était vengée. Mais à quoi bon ? Pour quel résultat ? Depuis la mort de celui qu'elle aimait, elle avait refusé toute émotion qui pouvait la détourner de son but, elle avait dédié sa vie à sa soif de sang, son désir de vengeance. Mais aujourd'hui elle avait bu tout son saoul, et souffrait toujours autant. Elle était incroyablement puissante, elle était terriblement seule. Tout ce qu'elle voulait c'était trouver sa place dans ce monde, être heureuse... Si naïve et innocente. Et vide de sens.
Seule sur le toit du monde, une pauvre belladone pleurait.
- Wild Lock - Chapitre 1er:
Wild Lock (Chapitre 1er)
Du bruit, beaucoup de bruit. En regardant autour de lui, il confirma la pensée qu’il avait eue en entendant un tel boucan. Une flopée de ces infâmes volatiles qui lui volait le ciel et sa tranquillité. Après dix minutes de cris, de bruissement d’ailes et même quelques prises de becs entre les voyageurs (une femelle et son mâle à n’en pas douter), il retrouva sa tranquillité. Qui donc avait pu créer ces emplumés bruyants et sans la moindre élégance qu’on appelait pigeons. Il est vrai qu’il se considérait modestement comme une noble créature de par la rougeur le caractérisant. Volant très lentement, le moment lui vint de se poser. La cible fut une jolie voiture, chère, à n’en pas douter, mais d’une propreté impeccable. Le parfait support pour que le rouge gorge effectue ses derniers besoins avant de s’envoler de nouveau vers d’autres cieux.
- Ce… Piaf nous a…
- Reste concentré. Pas de babillage inutile, agit en professionnel.
Il savait qu’elle avait raison, il jura intérieurement d’avoir pris le temps de nettoyer la voiture avant la mission pour la retrouver dans cet état sur la route. Il tuerait le prochain de sa race qu’il aurait sur son chemin, c’était une promesse. En attendant, la mission l’attendait, et le jeu en valait –et ce n’est pas peu dire- la chandelle.
Phase 1, l’observation. Le Kid attendait sur le trottoir, sa cigarette entre les lèvres et sa casquette toujours fixée sur ses cheveux blonds. Attendant l’ouverture comme prévue, il ne faisait rien de spécial, autre que profiter de sa nicotine. Carla elle, était déjà sur le toit. Il aurait été juste de dire qu’elle était l’atout majeur du plan, si celui-ci n’avait pas un besoin crucial de chacun d’entre eux. Son rôle était simplement le déclencheur, celle sans qui rien n’aurait pu commencer. Cam au volant, était le cerveau et la plus taciturne de la bande. Semblant s’être faite la promesse intérieure de ne pas abuser de la moindre parole tant que celle-ci n’était pas nécessaire, ses lèvres auraient pu être collées entre elles que personne n’y aurait vu de différence. Enfin venait le dernier de la bande, Lucky Guy, au surnom qu’il s’était lui-même choisi. Il était le plus… Instable. Et en même temps le plus digne de confiance. Le petit dernier, le plus humain si l’on peut dire, il était tout ça à la fois. L’excitation qui mène à l’extase était le seul moteur qui le poussait à faire partie de cette équipe, et jusqu’à présent il n’avait jamais eu à se plaindre. Et cette fois-là serait bien loin d’être une exception à la règle.
Phase 2, le signal. L’ouverture du Casino, réglée comme une horloge à vingt-deux heures pile, sonnait le lancement du plan. Carla entra en action au moment même où les premiers clients s’amassaient à l’intérieur de cette débauche d’or et de cupidité. Débauche que Lucky Guy aurait rejointe volontiers s’il n’était pas actuellement en quête d’une sensation incomparable à celle des paris et des jeux d’argent. Attendant une réponse de Carla, il se mit à trépigner d’impatience et à réfléchir au personnage qu’il allait jouer une fois à l’intérieur. Il adorait prendre différentes personnalités comme dans un jeu de rôle lorsqu’il effectuait une mission, et récoltait à chaque fois les émotions des gens autour pour s’améliorer. Jouant avec une mèche de ses cheveux bouclés, tapant légèrement la pointe de sa chaussure contre la porte, l’impatience le gagnait et son attente du signal devenait de plus en plus intenable. De son côté, Carla en avait presque fini. Elle avait dit que la phase suivante serait opérationnelle onze minutes après l’ouverture du Casino, et il n’était pas question que sa parole soit remise en doute. Dix minutes cinquante-sept secondes, cinquante-huit, cinquante-neuf… « Clic ! »
- J’en ai terminé. Je vous rejoins pour la phase 5, articula-t-elle dans un souffle de sa voix d’ambre.
- Toujours à l’heure, murmura Lucky Guy dans un rictus.
Phase 3. D’un même geste, lui et Cam sortirent de la voiture dans une parfaite symétrie. Les deux portes claquèrent en un seul bruit, et chacun du long de son long manteau noir avança lentement en direction de l’entrée. Après quelques pas à l’intérieur du Casino, un rapide coup d’œil de chacun sur du côté des caméras leur permit de vérifier que Carla avait effectivement –non que l’un ou l’autre l’aurait mis en doute- accompli sa mission. Sans dire un mot, les deux professionnels prirent place, l’un dans la queue pour échanger de l’argent en jeton, l’autre se rendant au-devant des gardes.
Aux anges, Lucky Guy pouvait ouvrir le bal. Il se remémora la chanson qui disait « J’m’approche du vigil qui me regarde bizarre, j’m’avance vers lui et j’lui dis, qu’est-ce que t’a co***rd ? » et répéta à haute et intelligible voix les mêmes paroles dans une extase d’avoir réussi à placer une de ses musiques favorites dans une de ses missions. Aux aguets, le garde empoigna sa matraque mais fut mis au sol bien avant d’avoir pu l’abattre sur son adversaire. Lucky Guy lui avait assené une forte et précise pression dans le cou, rendant le garde inamovible et inanimé pour les prochaines minutes. Les civils ayant remarqué la scène fuyaient, interloqués. Un échange de regard plus tard, Cam quitta la queue de change et se dirigea vers la porte isolée du fond dont jaillissaient d’une manière semblable à celle d’un geyser un nombre impressionnant de gardes.
Phase 4, anticipant la fermeture de la porte après le passage rapide du dernier garde, Cam pivota sur elle-même et entra dans le couloir avant sa fermeture complète. Jusque-là, la mission était un succès, mais il fallait également dire qu’aucune mission n’avait amené à l’échec dans sa carrière. Propre, nette, sans bavure, c’était son style, et la seule chose qu’elle affectionnait. Egalement la seule chose qu’il lui restait de l’œuvre posthume de son père. Cette dernière pensée fut chassée aussi vite qu’elle était venue, dans un professionnel écart de toutes les émotions non nécessaires à sa mission. Longeant le couloir, ignorant les divers travailleurs qu’elle croisa, Cam se mit en piste du plan qu’elle avait vu une fois et retenue par cœur, en direction de l’objet de leur mission.
Du côté de Lucky Guy s’éternisait une poursuite parmi les plus amusantes qu’il avait connu. Courant sur les tables de billard et de black jack, esquivant les machines à sous, percutant des vieux friqués dont il ne s’empêcha pas de prendre les chapeaux de cow-boy, il s’amusait comme un fou tandis que le poursuivait la dizaine de gardes semblant représenter l’ordre du casino, et également un sujet de moquerie au fur et à mesure que Lucky Guy se jouait d’eux.
- Arrêtez-vous !
- Arrête-moi toi-même !
Lucky Guy regardait sa montre. Même si s’il s’amusait en ce moment, il savait qu’il était là pour une mission qu’il devait finir après. Une fois que Cam serait revenue, la cinquième et dernière étape serait pour lui. Mais en attendant…
- Mesdames, messieurs, votre attention s’il vous plaît ! Cria Lucky Guy après s’être arrêté sur une des centaines de tables au tapis vert et doux.
Interloqués, les gardes s’arrêtèrent tout autant que les civils qui paniquaient.
- Je m’adresse à vous tous, ceux qui sont venus jouer en paix ! Ceux qui sont riches, ceux qui sont en couple, celles qui sont veuves, celles qui ont ruiné leur dernier mari après le divorce, et enfin aux gosses nés avec une cuillère en argent dans la bouche.
Une explosion n’aurait pas eu d’effet moindre sur le public dont l’expression figée reflétait à Lucky Guy la réussite de son speech. Un silence pesait sur la salle alors que ce dernier chassait toujours avec une queue de billard qu’il avait trouvé sur la route tous les gardes qui tentaient de monter le rejoindre.
- Merci ! Maintenant que tout le monde écoute, j’ai quelque chose à vous demander. J’apprécierais que tous ceux qui ont des objets de valeur sur eux et qui appartiennent aux catégories que j’ai cité avancent de quelques pas tandis que les autres reculeront un peu derrière.
- Pour qui tu nous as pris, racaille ? Pourquoi on t’écouterait ? S’écria un des joueurs du Casino dans un ras-le-bol.
- m**de, t’as raison, réfléchis Lucky Guy. Peut-être parce que j’ai kidnappé quelqu’un cher pour toi, comme pour chaque personne dont j’ai cité la catégorie. Peut-être parce que je fais partie d’un gigantesque gang avec suffisamment de membres pour agir sur mon ordre et tuer une personne qui vous est chère ? Attends une seconde, s’adressa-t-il au bonhomme en faisant semblant de regarder son téléphone et de descendre le long d’une grande liste de noms. Ah, je t’ai trouvé ! Alors voyons-voir… Tu as bien une personne dont le prénom commence par L qui t’es très chère non ? Tu veux peut-être que je te donne le prénom entier, le nom de famille, et toutes les autres informations sur cette personne ?
L’homme âgé qui avait osé hausser la voix avait pâli à vue d’œil, atteignant un blanc presque indissociable de celui de son chapeau immaculé.
- Je… Non… D’accord, je vais faire ce que vous dites, conclut-il maladroitement en s’approchant, les larmes commençant à lui monter aux yeux.
« Ma chance ne m’a pas lâché, s’écria Lucky Guy intérieurement. J’suis toujours aussi bon avec les bobards ! »
Au fur et à mesure, de plus en plus de gens suivaient l’homme et approchaient, apeurés, de la table où Lucky Guy se trouvait.
- Ça suffit, les mains en l’air maintenant !
Un des gardes avait sorti son pistolet et le pointa actuellement sur le génie maléfique qui malgré tout, souriait.
- On dirait qu’il y ‘en a un qui n’a pas bien saisi la situation ici, sourit-il. Quelqu’un peut-il deviner et lui répéter ce qui arrivera à vos proches si je suis abattu ici ?
- Baissez votre arme ! S’écria le vieil homme apeuré qui menait la foule s’approchant de la table.
- Merci vieux monsieur, croyez-moi, je ne fais pas ça par plaisir, mentit Lucky Guy avec une jouissance intérieure. Hey toi !
Il se tourna vers le garde qui avait sorti son arme -qu’il avait fini par baisser sans trop savoir quoi faire après l’intervention du vieil homme- :
- T’es pas fût-fût hein ! Rigola-t-il.
« Quitte à avoir de la chance, autant la pousser jusqu’à ce qu’elle cesse de vous accorder ses faveurs et filer aussitôt ! », telle était la devise de Lucky Guy, qui s’en était bien sorti jusqu’à présent sans rien de plus qu’un énorme culot.
La tension électrique dont il se délectait avait atteint son point culminant. La moindre erreur désormais pouvait amener à sa capture et donc inévitablement, à l’échec de la mission. Mais c’était dans ces moments-là que Lucky Guy appréciait vraiment son travail. La méthode clean de Cam ne l’attirait pas du tout, dans le sens où effectuer une mission sans pousser un peu le risque lui paraissait ennuyeuse. Et rien, non, rien n’était pire que l’ennui.
- A toute l’équipe, vous me recevez ? Demanda Cam à travers le minuscule micro. La phase 4 est opérationnelle. Tout le monde se réunit à l’endroit prévu dans l’optique de la dernière phase. Trois minutes.
« Si Cam demande déjà à ce qu’on se rejoigne tous les sur toi, c’est qu’elle a fini plus tôt que prévu. Ça ne lui ressemble pas… Carla était déjà là-haut, et Le Kid sans doute à mi-chemin avec le butin. Lucky Guy serait donc le dernier arrivé, comme prévu, et l’atout majeur de l’évasion.
- Bon finalement, j’ai menti. En fait je n’ai plus vraiment envie de vos objets de valeur. Et je n’ai pas vraiment vos familles en otage non plus d’ailleurs. Merci en tout cas Gérard pour ton aide, tu les a tous bien fait marcher ! A la revoyure vieux frère ! S’écria le joyeux luron en s’échappant à toute vitesse vers les escaliers.
Il avait parlé au vieil homme avant de partir en le saluant comme un complice. C’était finement joué, car dans leur désespoir de rattraper Lucky Guy qui détalait en lançant des objets derrière lui, la tripotée de gardes se jetait sur le vieil homme qu’ils imaginaient complice de celui qui les avait tournés en ridicule. C’est derrière un regard hébété et une bouche en O que le vieil homme disparu sous l’amoncellement de gardes sous les yeux de Lucky Guy.
« Je m’aime. »
Continuant à faire du jogging dans les couloirs, il estima sa performance dans le Casino comme acceptable mais se jura de faire encore mieux la prochaine fois. La vie d’un artiste n’est rien d’autre qu’une course à la prochaine œuvre. Un peu essoufflé, il arriva au dernier escalier qui menait à la porte du toit. Il était censé retrouver ses coéquipiers et cracker le code ramené par le Kid qui nécessitait selon les informations de Carla, des codes tapés simultanément ainsi que l’empreinte digitale du directeur du Casino. Il était le seul, avec Cam, à avoir la rapidité pour se mettre en osmose totale pour un crackage bilatéral binaire tandis que le Kid utiliserait l’empreinte sur le coffre biométriquement protégé et prétendu inviolable.
Phase 5, Lucky Guy arrive sur le toit.
Et découvre les cadavres de ses trois associés.
Bonne lecture à tous et n'hésitez pas à discuter des textes et à les commenter sur le topic de discussions prévu à cet effet
Enjoy
Re: Topic du M-I Jump
Et voici l'heure de vous proposer le numéro 3 du Mi-Jump
Quatre textes, quatre séries, dont la fin de celle d'Unholyscream. Pas besoin de faire un long discours, voici tout de suite les 4 oeuvres de ce numéro ainsi que sa super couverture:
Voilà, j'espère que ces textes vous plairont et je vous invite à les commenter sur le Topic des Discussions.
Bonne lecture à tous et n'hésitez surtout pas à nous envoyer des oeuvres à publier
Quatre textes, quatre séries, dont la fin de celle d'Unholyscream. Pas besoin de faire un long discours, voici tout de suite les 4 oeuvres de ce numéro ainsi que sa super couverture:
- La Reine Belladone:
- La Reine Belladone - Partie 3
Née de l'amour et de la mort, Belladonna prit vie sans véritable explication. Aussi végétale qu'humaine, elle peinait à trouver sa place dans ce monde... Les arbres ne pouvaient la comprendre, les hommes avaient tenté d'abuser d'elle. Et puis ces monstres détruisaient la nature. Alors qu'elle se laissait lentement périr, elle rencontra une lueur d'espoir. Un druide, du nom de Seridan, qui lui apprit à vivre. Elle en tomba follement amoureuse et voulut lui déclarer sa flamme avec une fleur. Mais dans les yeux de son bel humain, elle ne vit que déception et horreur. Son coeur en morceaux, elle se réfugia entre les racines d'un géant de bois. Puis, guidée par une profonde souffrance, elle retourna sur ses pas, pour ne trouver que les cendres de son ancienne vie... Tout devint noir lorsqu'une fois de plus un être humain vint s'en prendre à elle.
Le nécromancien la manipula, usa ses propres sentiments contre elle. Amoureuse et naïve, la pauvre belladone lui créa un coeur, lui donna la puissance. Mais le vil mage noir, n'hésita pas à la trahir, détruisant son seul espoir avec plaisir. La fleur devint sombre, obsédée par son désir de vengeance... Elle traqua le monstre, et à la suite d'un combat sans merci parvint à l'occire. Et c'est une fois qu'elle eut assouvi sa soif de sang, qu'elle réalisa à quel point tout ceci avait été futile. Car elle était toujours aussi seule.
La triste fleur avait repris son errance, traversant le monde comme un fantôme. Elle gravit des sommets, descendit des canyons. Elle franchit des fleuves et s'enfonça sous terre. Elle vit des déserts, et découvrit la neige. Mais toujours elle fuyait les hommes, ces êtres égoïstes qui n'avaient de cesse de vouloir l'utiliser. Finalement Belladonna s'était résignée à l'idée de ne pas avoir de place. Elle était tout simplement destinée à traverser les âges, à voir les peuples s'élever et s'effondrer, les races s'éteindre, la mort se propager. Les années passaient et la créature végétale avait perdu ses couleurs, les troquant contre un noir terne et triste. Son visage, jadis si ravissant, arborait désormais un masque de mélancolie qui ne semblait pouvoir être enlevé. A chaque nouveau pays qu'elle arpentait, la belle plante était témoin de la folie des hommes, qui allaient jusqu'à s'emprisonner dans de gigantesques dédales de pierre. Un immonde chaos, de bruits et d'odeurs putrides. Son dégoût s'accrut encore quand elle vit un groupe d'hommes traîner plusieurs femmes à l'aide de lourdes chaînes, le tout dans un concert de gémissements et de pleurs... Elle avait voulu aider les captives, jusqu'à ce qu'elle réalise qu'elles mêmes s'en prenaient à la plus faible de leur groupe, lui crachant les pires insultes à la figures, la frappant de leurs poings maigres. Aux yeux de la belladone, l'humanité était un véritable fléau infligé à la Terre.
Au détour d'un pic rocheux, elle assista à une guerre. Le fracas des armes s'élevait au-dessus d'une vallée à l'herbe verdoyante. L'acier hurlait autant que ses victimes, le sol se gorgeait bien malgré lui de leur sang. Les hommes tuaient les hommes, au nom de leurs dieux, de leurs rois, de leurs ancêtres. Rien qui ne puisse justifier un tel massacre, un tel gâchis. La nature ne méritait pas d'être souillée ainsi, sa beauté sacrifiée sur l'autel de la bêtise humaine. Belladonna succomba presque aussi tôt à cette colère latente qui grondait en elle depuis tant d'années. Elle en voulait au monde entier, elle voulait le voir souffrir, autant qu'elle. Même la mort du nécromancien n'avait pas pu satisfaire cette soif là. Les paupières closes, les bras écartés, la belle créature se laissa aller, guidée par ses violentes émotions. Des ronces surgirent de terre, empalant les soldats un à un. Pendant un court instant leurs cris redoublèrent, sonnant comme une délicieuse symphonie aux oreilles de la noire belladone.
Alors que le silence reprenait ses droits sur le paisible vallon, Belladonna contemplait du haut de son promontoire un gigantesque charnier fleuri. D'élégantes fleurs de lys commençaient à recouvrir le champ de bataille, camouflant les atrocités qui y avaient été commises. Alors que le dernier cadavre était englouti par cet océan de pétales blancs, la femme florale sentit comme une vague de soulagement l'envahir. Pour la première fois depuis des années, elle se sentait apaisée, comme après avoir vengé Seridan. Mais cette fois aussi cela fut éphémère. La vérité la frappa de plein fouet, alors qu'elle réalisa qu'elle monstre elle était devenu. Un être de colère et de haine, incapable de trouver la paix autrement que dans le massacre. Au final, elle ne valait pas mieux que Zyl'hote. Un frisson agita ses épaules et elle fut obligée de s'asseoir pour ne pas dévaler la pente. Les remords la gagnaient... Elle prit sa tête dans ses mains, et commença à se répéter qu'elle n'avait fait qu'exaucer le voeu de sa mère la Nature. Sa voix lancinante s'éleva au-dessus du champ de fleur, comme une plainte, un psaume sordide. Toute tremblante, elle regarda le soleil se coucher... L'obscurité vint l'envelopper, la nuit la prit dans ses bras. Belladonna se laissa bercer par cette douce étreinte et finit par s'endormir.
Lorsqu'elle se réveilla, la créature florale souffrait bien plus encore. Son sommeil avait été hanté par les esprits de ceux qu'elle venaient de tuer. Elle tenta bien de fuir, loin de ce champ mortuaire, pour échapper à ces voix qui la harcelaient. Mais partout où elle allait, ses regrets la suivaient. Seule sous les étoiles, Belladonna réalisait qu'elle voulait vivre, mais ses erreurs passées la tuaient à petit feu. La pauvre femme était clouée au sol par le poids de la culpabilité, et les lamentations des âmes damnées résonnaient dans l'obscurité. Mais au coeur de cette effroyable concert, existait un murmure. Presque silencieux, aussi discret qu'une brise, était un chuchotement dans le noir. Les paupières mi-closes, la sombre fleur se releva lentement, guidée par cette petite voix d'un autre monde.Non loin d'elle, vacillait une silhouette fantomatique, telle une flamme à l'agonie. Les contours de du spectre se précisèrent, alors qu'il prenait la forme d'un bel homme en armure. Soudain, une ronce épaisse creva la terre pour mettre fin à ses jours. Belladonna fit un pas en arrière et poussa un cri en revoyant la scène de son massacre. Elle ne pouvait pas supporter cela ne serait-ce qu'une seconde de plus. Elle plaqua ses mains sur ses yeux, et se roula en boule, sanglotant piteusement. Elle se détestait tellement... Et cet esprit prenait un malin plaisir à la tourmenter ainsi. Mais alors qu'elle pleurait, elle sentit une main éthérée traverser son épaule. Elle releva la tête, écarta les doigts... Pour voir que le fantôme s'était relevé. Sa silhouette était encore vague, mais la belle plante voyait bien que des feuilles poussaient sur son corps, que sa peau avait l'air d'écorce. L'étrange fantôme s'inclina devant elle, comme pour la remercier, puis disparut.
L'instant suivant, elle quittait ce rêve étrange, avec une toute nouvelle expression sur le visage. Elle allait réparer ses erreurs. Déterminée, Belladonna revint sur ses pas.
Lorsqu'elle retrouva la vallée aux lys, rien n'avait changé. Le paysage est d'une beauté fascinante, à l'inverse de la réalité qu'il dissimulait. La jolie belladone posa une main sur sa poitrine et laissa échapper un long soupir. Son coeur était lourd, mais elle connaissait le remède. Elle se laissa tomber sur les rotules, en plein coeur du champ immaculé. Elle enfouit ses bras sous les pétales, jusqu'à trouver un premier cadavre. Elle posa délicatement ses doigts contre ses joues et lui insuffla une partie de sa magie. Alors que le corps commençait à s'animer, Belladonna sentit un lien naître entre eux. Elle était sa mère... L'humain perdit une partie de son humanité. Sa peau devant aussi blanche que ses os et des lianes s'enroulèrent autour de ses membres. Ses cheveux devinrent de longues feuilles émeraudes, ses yeux avaient la teinte écarlates de baies juteuses. L'air hagard, l'homme végétal se releva en regardant autour de lui.
- Je... Où suis-je ? Demanda-t-il, hébété.
Belladonna s'approcha de lui et le prit dans ses bras, avant de déposer un baiser sur son front. Il se laissa faire, sans rien comprendre.
- Tu es chez toi... Oublie tout de mon ancienne vie car tu es désormais mon fils. Expliqua avec amour la belle fleur.
- Ma femme...
- Tu n'es plus humain, et elle a déjà fait son deuil. Tu es mort il y a longtemps tu sais... Mais je suis venue pour t'offrir une seconde chance.
Le ressuscité s'abandonna à l'étreinte de sa nouvelle mère, pleurant en silence sur les souvenirs de sa première vie. Jamais plus il ne verrait le visage de sa tendre et chère, jamais plus il ne sentirait le contact grisant de sa peau nue. Il appartenait à un autre monde maintenant, il le savait bien. Le visage baigné de larmes, il acquiesça lentement. Il était mort à la guerre, mais sa mort avait été si brutale qu'il ne se souvenait pas des détails. A quoi bon ? Il se perdit dans le regard de la créature qui se dressait face à lui. Il réalisai à quel point il était lié à elle, et tout désir de fuir le quitta. Elle lui avait redonné vie, et il lui serait éternellement reconnaissant pour ce geste... Alors qu'il contemplait son visage divin, il commença à oublier celui de sa veuve. Cette femme florale était tout pour lui... Envoûté par sa grâce et sa magie, il finit par déclarer :
- Je suis vôtre.
A ces mots, Belladonna pleura à son tour. C'était ici qu'était sa place. Son coeur fit un bond dans sa poitrine et elle se mit à danser, à papillonner parmi les lys. Tout autour d'elle, les anciens guerriers se relevaient, touchés par la magie bienfaisante de l'immortelle belladone. Ceux qui refusaient cette nouvelle vie était aussitôt changée en immense arbres, afin qu'ils trouvent le repos éternel. C'est ainsi qu'une véritable jungle, gorgée de vie et de magie, prit pied dans la vallée et sur les abrupts versants des montagnes l'encerclant. D'immenses orchidées s'ouvrirent, ponctuant de leurs couleurs vives ce tout nouvel océan de verdure. Des champignons géants, aux formes les plus folles, sortirent de terre, comme attirés par l'aura que dégageait l'endroit. Ce fut alors au tour des animaux de s'installer... Des oiseaux au plumage éclatant étaient venus faire leur nid dans les plus hautes cimes, tandis que cerfs et loups dansaient inlassablement le ballet de la chasse. De gigantesques serpents se suspendaient aux branches, glissaient entre les racines. Les phalènes virevoltaient dans les clairières, les coléoptères rampaient sous les feuilles. Et au coeur de ce paradis terrestre, assise sur son trône végétal, régnait une magnifique belladone.
L'enfant courait à en perdre haleine, perdue parmi les montagnes. Elle se risqua à jeter un oeil en arrière et laissa échapper un glapissement de terreur en voyant que son poursuivant gagnait du terrain. Pieds nus, la petite fille ne prêtait pas attentions aux pierres qui en meurtrissaient la plante. La seule chose qui comptait pour elle était d'avancer, de ne pas faiblir... Elle n'osait pas imaginer quel destin l'attendait si jamais il devait l'attraper... Elle redoubla d'effort, bondissant par-dessus les rocs et les buissons. Elle courut tant et si bien qu'elle ne vit pas que le paysage autour d'elle changeant, passa d'un gris-brun morne à un millier de nuances de vert. Lorsqu'elle osa enfin s'arrêter pour reprendre son souffle, elle réalisa qu'elle s'était enfoncée dans une jungle épaisse. Dans son dos, il n'y avait plus personne. Seulement un gigantesque python, dont le corps dilaté montré qu'il venait tout juste d'engloutir une proie massive. Une proie de taille humaine en tout cas... La petite fille poussa un cri et bondit en arrière. Son talon heurta une racine et elle tomba à la renverse, pour atterrir durement les fesses dans l'herbe. Elle voulut s'aider d'une liane pour se relever, mais réalisa que cette dernière était bien trop froide et lisse pour être végétale. Le serpent se jeta sur elle, entourant son petit corps chétif de ses anneaux.
Lorsqu'elle reprit connaissance, elle découvrit qu'elle était portée par quelqu'un de grand et musclé. Elle voulut d'abord se débattre mais du rapidement se rendre à l'évidence : il était bien trop fort pour elle. Sans un mot, sans un regard, il la mena à un magnifique palais. L'édifice était un véritable hommage à la nature. Il s'agissait d'un entrelac de troncs, qui s'épousaient parfaitement pour former de larges piliers sculptés, et qui soutenaient une haute voûte, faîte de branches et de vignes. Le sol était recouvert d'herbe fraîche, et le toit était aussi feuillu que les géants de la jungle. En guise de porte, une simple arcade couverte de lierre. L'enfant était émerveillée par tant de beauté et de simplicité... Elle fut délicatement posée à terre, juste devant un trône de racines et de ronces. Il était occupée par la plus belle créature qu'elle eut jamais vu. Sa peau, d'une pâleur lunaire, contrastait agréablement avec le violet sombre de ses cheveux. Son regard, qui brillait d'un éclat solaire, n'était qu'amour et bienveillance, tandis ses lèvres minces étaient étirées en un sourire séducteur. Habillée de seulement quelques feuilles, elle était dotée de formes voluptueuses, avec ses jambes interminables, ses hanches fine et ses seins parfaitement dessinés. Sa voix, d'une pureté cristalline, emplit le palais :
- Bienvenue dans mon royaume, jeune enfant. Dis moi... Pourquoi es-tu entrée dans cette forêt ?
- Je ne sais pas, j'ai simplement couru, pour échapper à cet homme... Commença la petite fille d'une voix tremblante. Il disait que je lui appartenais, car depuis que mes parents sont morts...
Sa voix se brisa et elle éclata en sanglots. Aussitôt la reine belladone quitta son trône pour étreindre la pauvre créature. Elle en profita pour lui susurrer tout bas, au creux de l'oreille :
- Ne crains rien mon enfant. Je suis là pour toi, maintenant. Ta place est désormais ici, et nous tous sommes ta nouvelle famille.
Belladonna embrassa le front de la petite humaine, et prit sa vie. Sa peau blanchit et de grandes feuilles, diaphanes, poussèrent dans son, imitant les ailes d'un majestueux papillon. Une magnifique fleur, d'un rose éclatant, poussa sur son crâne, des tiges feuillues vinrent s'enlacer autour du corps menu de l'enfant, formant une robe aussi belle que complexe. La fée florale reprit vie, embrassa sa mère sur les joues et déploya ses ailes.
Debout dans sa demeure, Belladonna regardait sa fille virevolter parmi les cimes. Un lien indestructible l'unissait à ce lieu, mais surtout à tous ses habitants. Ses enfants... Elle posa une main sur son coeur, et sourit. Non elle n'était pas humaine, non elle n'était pas qu'une simple fleur. Elle était la Reine Belladone.
Une déesse qui avait créé son propre monde.Fin.
- Black Curse:
- Black Curse
- Scalpel !
Assis sur une chaise le panda actionna une manette. Un bras mécanique se déplaça dans le caisson où reposait le cadavre et introduit un scalpel dans les mains du chirurgien. Celui-ci regarda silencieusement le corps qu’il allait autopsier. Il était placé dans une caisse de verre totalement hermétique creusée de deux trous où étaient fixés les gants extensibles par lesquels le médecin pouvait le manipuler sans le toucher directement. Mais le plus surprenant était son aspect. Le cadavre était parsemé de tâches noires qui se rejoignaient souvent entres elles, sa peau était presque entièrement noire. Ses ongles, ses lèvres l’étaient également. Seuls ses cheveux et ses pupilles étaient d’un blanc pur qui contrastait avec le reste de son corps. Le chirurgien réalisa une incision le long de son abdomen et entreprit de fouiller l’intérieur de son corps visiblement à la recherche d’une chose qu’il était le seul à connaître. L’autopsie se déroula pendant de longues minutes avant que ce le chirurgien ne décide de terminer ses manipulations visiblement déçu. Il recula sur sa chaise à roulette fixant le plafond de son laboratoire en soupirant.
Rien. En dehors de son aspect extérieur ce corps était parfaitement normal. Aucune anomalie ne pouvait être observée dans le moindre de ses organes. Le docteur Sasha Yersin resta immobile, plongé dans ses réflexions. Malgré son prénom féminin il s’agissait bien d’un homme. Plutôt jeune - il venait de finir ses études depuis quelques mois – son aspect physique cadrait bien avec son âge. Un visage et un regard très juvénile qui respirait néanmoins l’intelligence, la tête encadrée par des cheveux noirs assez longs qui descendaient jusque dans sa nuque. Il portait une blouse blanche déboutonnée qui recouvrait un t-shirt portant des rayures ondulées bleues et blanches au dessus de son pantalon noir. Sasha se gratta les cheveux. Il n’y avait rien à comprendre. Tous les tests s’étaient révélés négatifs. Le scanner à bactéries n’avait mis en évidence aucun micro-organisme anormal susceptible d’avoir provoqué la mort chez son malade. Les techniques de viro-fluorescence et de parasito-agglutination n’avaient non plus rien donné. Les caryotypes, tableau permettant d’étudier les chromosomes d’un patient étaient tout aussi désespérément normaux. Si ce patient n’était pas mort d’une maladie bactérienne, virale, parasitaire ou génétique, alors de quel mal souffrait-il ? C’était une question qui le hantait et qui avait hanté une bonne partie du monde scientifique puisque c’était ce mal qui avait conduit l'humanité à fuir vers le ciel.
Le docteur décida de quitter son laboratoire pour réfléchir dans un nouveau cadre, suivi de Xao son robot-panda. Le scientifique se promena dans les couloirs du centre de recherche de sa ville céleste. À travers les immenses vitres qui le recouvraient, il pouvait observer l’immense cité volant au dessus des nuages. Tout respirait la modernité et l’avancée technologique. On pouvait voir de petits vaisseaux sillonner les airs permettant à leurs usagers de se rendre d’un point à un autre de la ville au milieu des immenses bâtiments de verre teinté. Et cette immense fourmilière était recouverte d'un gigantesque dôme en verre qui l'isolait de l'environnement extérieur et du manque d'oxygène. Cela faisait 700 ans que l’humanité s’était réfugiée sur ces plateformes volantes sur lesquelles ils avaient bâti leurs villes peu à peu et dont ils se servaient pour arpenter les cieux. 700 ans depuis que les trois-quart de la population terrestre avait été décimé par la maladie qu’il étudiait aujourd’hui et qu’on avait sobrement nommé la Marque Noire. Personne n’avait jamais rien pu faire pour ne comprendre ne serait-ce que son mode de fonctionnement et encore moins comprendre comment la guérir et l’éradiquer. Beaucoup pensaient même qu’il s’agissait d’une malédiction contre laquelle nul ne pouvait rien. Le diagnostic était toujours le même. D’abord les cheveux du patient se décoloraient prenant une teinte blanche parfaite tandis que les ongles et les lèvres se gorgeaient d’une couleur noire intense. En parallèle, le blanc des yeux devenait à son tour complètement noir alors que les pupilles elles se coloraient en blanc. Quelques jours plus tard, des tâches noires apparaissaient peu à peu sur la peau la colonisant rapidement, puis le malade mourrait. Cette apparition de tâches noires était tout simplement du à un dérèglement de la production de la mélanine, ce pigment foncé colorant la peau plus ou moins intensément. Mais en dehors de ce fait, on ne savait rien, ni pourquoi, ni comment cela se produisait. Et le cas qu’il venait de décrire n’était que le cas d’école car dans plusieurs cas le patient trépassait en quelques heures seulement après le basculement de couleur de ses cheveux, ongles, lèvres et yeux. À l’inverse, certains voyaient la maladie se propager beaucoup plus lentement, mettant même des mois avant de mourir finalement. Un cas avait même été reporté où la victime avait tenu plus de 3 ans avant de décéder. Les réactions pouvaient être différentes d’une personne à l’autre mais le résultat était le même, la mort était inéluctable.
Et aujourd’hui encore, personne n’avait le remède. Cette maladie était tombée dans le désintéressement total de la communauté scientifique. Dans un sens c’était étrange, mais d’un autre côté cela pouvait se comprendre tout simplement parce qu’elle ne se déclarait pratiquement plus. Le cadavre qu’avait récupéré Sasha était un cas exceptionnel. Il avait été transféré d’une autre cité volante, bien contente de s’en débarrasser, à son centre de recherche. C’est en se débarrassant et en isolant les patients atteints que l’humanité avait survécu. Bien sûr après la fuite dans le ciel, la maladie avait continué à se répandre. Sans pitié les victimes avaient été renvoyées dans le monde inférieur, et en quelques années l’épidémie avait été endiguée. Encore aujourd’hui, lorsqu’un cas se déclarait le remède était similaire. Le malade était au mieux renvoyé sur Terre, au pire il était abattu. C’était une maladie contagieuse vraisemblablement. Si se séparer des victimes permettait de s’en prémunir et suffisait à survivre, la population avait implicitement décidé que c’était suffisant. Très vite cet état de fait avait été acté et toute recherche abandonnée. D’ailleurs, les informations les plus précises que Sasha avait de la maladie venaient d’un vieux livre d’histoire relatant la dernière période du vieux monde. Il était tombé sur l’extrait d’une publication de l’époque sur le sujet, une description des signes de la maladie par le professeur Noster. C’était ce livre qu’il allait rapporter à la bibliothèque du centre, réfléchissant calmement.
Tout le monde se désintéressait de cette maladie mais pas lui. Dans un sens pourquoi puisqu’effectivement elle était maîtrisée à l’heure actuelle. Sasha fixa le bord du dôme recouvrant la ville. En contrebas, partiellement cachées par les nuages on pouvait apercevoir des tâches vertes et bleues. Le monde inférieur.
Avant d’être passionné de médecine et de sciences Sasha était avant tout passionné de lecture. Et sa lecture préférée depuis qu’il était enfant avait toujours été les histoires décrivant ce monde désormais inconnu. Pas une personne saine ne s’était rendue sur cette planète désertée depuis ces 700 ans. C’était un monde inconnu, empli de mystères, de légendes, dé trésors même qui s’étendaient sous leurs pieds et le visiter était strictement interdit. Qu’étaient devenues les personnes abandonnées à leur sort pendant tout ce temps ? Qu’étaient devenues les personnes saines qui n’avaient pas eu la chance de rejoindre les groupes restreints ayant pu fuir ? Qu’était devenu ce monde en tant d’années ? Que se cachait-il sous les nuages ? C’étaient des questions auxquelles Sasha brûlait de répondre et jamais il ne le pourrait. C’est pourquoi, s’il parvenait à vaincre la malédiction qui avait touché la Terre au cours des derniers siècles, s’il parvenait à trouver le remède qui permettrait de s’en prémunir, alors que resterait-il pour l’empêcher de s’y rendre enfin et explorer ce monde inconnu et infini qui s’étendait à perte de vue du haut de sa petite cité volante cloisonnée ?
C’est plongé dans ces pensées qu’un bruit se fit entendre à ses pieds. Le livre qu’il tenait dans ses mains venait de tomber au sol et de l’eau se déversait sur sa couverture. Relevant son regard vers sa main Sasha s’aperçut pétrifié que celle-ci avait disparu et qu’un filet d’eau coulait de la manche de sa blouse. Relevant cette dernière d’un réflexe, il resta comme paralysé face à ce qu’il pouvait observer. Son bras se décomposait totalement, se transformant en eau qui s’étendait peu à peu rognant muscles et os. Horrifié, aucun son ne sortit de sa bouche alors que les signaux d’alarmes retentissaient dans sa tête comme pour le prévenir d’un danger dont il était parfaitement conscient. Secouant son bras sans effet, la panique le prenait totalement et subitement de la vapeur commença à surgir de ses chaussures. Ses pieds commençaient à s’évaporer. À cet instant un garde surgit d’un coin du couloir et s’arrêta bouche bée devant le spectacle. Alors que son corps entier commençait à se liquéfier, le docteur s’évaporait.
Le calme. Il fallait absolument se calmer. Si l’excitation avait enclenché le processus de vaporisation, se relaxer permettrait peut-être de l’annuler. Fermant les yeux et se coupant du monde, le docteur prit une respiration calme et profonde pendant de longues secondes. Il fit le vide dans sa tête, pensa à des images apaisantes. Aussi compliqué que ça puisse paraître dans une telle situation. Mais la technique était efficace et l’angoisse le quittait peu à peu, il était désormais ailleurs, dans un monde d’harmonie où il se sentait à l’abri. Passé la panique, respirant toujours profondément Sasha rouvrit les yeux, sa main et le reste de son corps étaient revenus à la normale.
Face à lui, le garde était figé, son arme à la main. Il se reprit néanmoins et pointa rapidement son fusil en direction du médecin. Une réaction normale, Sasha lui-même n’était pas rassuré par la situation. Il leva les mains au niveau de sa poitrine en geste d’apaisement et constata immédiatement un détail qui acheva de le plonger dans l’horreur, ses ongles étaient devenus noirs.
- V.. vous êtes en état d’arrestation ! Couchez-vous immédiatement à terre !
Le soldat ne fixait que le visage du docteur qui tourna ce dernier vers la vitre du bâtiment et découvrit ce qu’il redoutait. Ses cheveux étaient totalement blancs, ses lèvres et ses yeux noirs et seules transperçaient des pupilles blanches de ces derniers. Il était contaminé.
Un millier de raisonnements défilèrent en même temps dans sa tête. Que faire ? Il allait mourir. Pourrait-on le soigner ? Combien de temps allait-il vivre ? Allait-on l’exécuter ? Que faire ? Que faire ?
Un mot s’échappa de sa bouche, presque inconsciemment :
- Capsaïcine
Aussi incongru que soit cette réponse, Xao le panda réagit immédiatement, un rotor se fit entendre dans son bras avant qu’un tube à essai n’apparaisse dans sa main qu’il propulsa en direction du garde. Le verre se brisa dans un nuage de vapeur touchant ce dernier. Le docteur tourna les talons et se mit à courir paniqué dans la direction opposée. Il ne savait même pas pourquoi il venait de demander à son assistant robotique qui lui servait de laboratoire mobile de projeter cet agent lacrymogène au soldat. Un réflexe. Il fallait absolument fuir. S’il se rendait, il serait tué ou plus certainement étudié vu le caractère scientifique de sa ville. Mais il n’avait aucune chance de survie, il le savait. Les recherches étaient trop peu avancées en l’état actuel, et pire encore, il ne savait même pas combien de temps il lui restait à vivre. Il passerait les derniers jours de sa vie enfermé à servir de cobaye, c’était hors de question. Non, il savait où il devait aller.
Une alarme résonna rapidement dans le bâtiment mais Sasha avait déjà atteint le garage de l’hôpital. Xao introduit sa main dans la serrure d’un vaisseau qui s’ouvrit immédiatement. Ce robot était vraiment fantastique. Le docteur s’engouffra dans l’habitacle pendant que le panda tripotait les manettes dont le médecin ne comprenait rien. La porte de la piste de décollage s’ouvrit et le vaisseau commença à s’élever alors que la sécurité déboulait dans le hangar. Il fallait partir immédiatement !
- Direction le monde inférieur !!!
Dans un déluge de flamme le vaisseau se propulsa dans le ciel de la cité céleste laissant les assaillants impuissants. Le navire spatial décrivit une immense courbe vers le sommet du dôme pendant que la ville et ses bâtiments défilaient devant leurs yeux sous forme de tâches grises. Ils possédaient le badge permettant de quitter la ville, il ne restait plus qu’à espérer que l’alarme n’ait pas atteint la tour de contrôle des entrées et des sorties de la cité. Sinon quoi le vaisseau s’immobiliserait en plein vol et ils seraient capturés. Mais après quelques petites secondes d’angoisse à l’approche de la sortie, celle-ci s’ouvrit bel et bien, ils étaient sauvés !
Ils n’avaient plus qu’à mettre le cap sur la Terre comme il l’avait annoncé ! Quitte à mourir, il voulait voir ce monde au moins une fois dans sa vie. C’était la meilleure solution pour lui. Voir à quoi ressemblait réellement ce monde dévasté et ce qu’il était devenu. Les livres parlaient d’un monde noir où ne régnait plus que la mort. Un air pestiféré attaquant toute personne assez folle pour le respirer. Un paysage d’apocalypse où aucun sujet sain ne pouvait survivre. Mais sain, il ne l’était plus, alors quelle importance désormais. Et puis, visiter n’était pas la seule idée qu’il avait en tête puisque…
Les commandes de l’appareil se coupèrent instantanément.
Alors que le vaisseau descendait le long du dôme un immense flash mauve venait de les aveugler quelques secondes. Sasha savait très bien de quoi il s’agissait. L’heure n’était plus aux rayons laser mortels aujourd’hui. Ce qui venait de les percuter était un champ électromagnétique déréglant totalement les commandes des vaisseaux s’approchant trop près de la paroi de verre. Une arme de défense plus qu’efficace qui envoyait les vaisseaux indésirables s’écraser des milliers de mètres plus bas.
Déjà le vaisseau tombait en chute libre. Il ne fallait pas paniquer. Sasha se saisit d’un tournevis qui traînait dans sa poche et ouvrit une plaque dans le dos de Xao qui était également à plat. S’il parvenait à le remettre en marche, le panda pourrait prendre provisoirement les commandes du vaisseau avec un contrôle plus ou moins approximatif mais certainement suffisant. Il fallait relancer le générateur, défaire et refaire tous les branchements et surtout injecter une source d’énergie. D’un coup sec le docteur dégagea une sorte de barrette du robot, c’était la batterie interne complètement bonne à jeter. Il sortit son stéthoscope et le brisa en deux pour récupérer celle de ce dernier qui lui permettait d’afficher les tensions et fréquences de ses patients sur un écran et la positionna dans le logement vide de son robot. La chute était de plus en plus folle et il était urgent de prendre des mesures. Le docteur laissa échapper un juron, la batterie de son stéthoscope était plus petite que celle du robot, elle ne reliait pas entièrement les deux bornes ! Alors que le sol se rapprochait de manière inquiétante, Sasha planta son tournevis d’un coup rageur dans l’espace vide et le tourna pour le caler entre la borne et la batterie. L’épaisseur de l’outil était suffisante, le contact était fait. Les yeux verts du panda s’allumèrent alors et celui-ci posa les pattes sur le tableau de bord. Il était parvenu à prendre le contrôle des commandes à temps et le vaisseau se redressa à quelques bonnes dizaines de mètres du sol pour reprendre sa course. Quelques arbres purent néanmoins sentir le souffle chaud du réacteur sur leurs cimes, c’était tout de même moins une. Sasha se dirigea en direction de son panda. Avant d’être interrompu dans ses pensées par l’attaque magnétique, il avait une direction en tête. Visiter ce monde inconnu n’était pas le seul objectif qu’il avait eu le temps de définir. Il repensait au docteur qui avait écrit la publication qu’il avait pu lire sur la maladie qui l’affectait. Ce n’était qu’un extrait de son travail, et pourtant il avait pu obtenir bien plus d’explications claires et précises que dans bien d’autres ouvrages. Le professeur Adamus Noster. C’était quelque chose qui l’avait intrigué et Sasha avait mené des recherches à son sujet il y avait de cela quelques années. Ce médecin était réputé comme l’un des plus grands de son époque au moment de l’épidémie. Et pourtant, il avait décidé de rester sur terre pour continuer à tenter de stopper cette dernière. La plus grande partie de ses écrits étaient restés derrière lui et les connaissances qu’il avait pu accumuler par la suite également. C’était l’objectif de Sasha, il devait retrouver la trace des travaux du professeur Noster et s’en servir avec ses propres données pour trouver une solution au mal qui le rongeait. La science avait évolué en 700 ans, son robot était un concentré de machines sophistiquées et d’échantillons de matières premières qui pourraient peut-être lui venir en aide. Lui-même était un prodige au sein de sa génération, avec ses connaissances il y avait encore un espoir de s’en sortir, non, tout n’était pas perdu. Et pour cela il fallait se diriger vers la résidence du docteur Noster dont il avait rentré les coordonnées dans le plan de vol. Almanah la ville aux fleurs. Du moins c’est ainsi qu’elle était désignée dans les vieux livres.
Il allait devoir explorer ce territoire inconnu et répondre à ces questions qui lui envahissaient l’esprit. Pourquoi son bras s’était-il transformé en eau, que lui était-il arrivé ? Pourquoi avait-il développé la maladie alors qu’il avait respecté toutes les consignes de sécurité et s’était isolé de son cadavre durant toutes ses investigations ? Comment fonctionnait cette maladie et y avait-il un moyen de la repousser ? Des questions auxquelles il allait devoir répondre vite, car dans le cas contraire, il n’avait qu’une seule certitude, c’est qu’il allait mourir.
- L'égaré:
L'égaré - 1ère partie
Un jour, alors que la pluie battait les plaines,
J’entamai ce voyage, dénué de chair et de veines,
Frappé par la vanité de mes entreprises,
Je pénétrai dans un monde exempt d’emprises.
Sans qu’aucune part de ténèbres n’entacha mon âme,
Mon regard se porta sur l’homme à la rame,
Frappé par la fébrilité je m’efforçai, ignorant que là, mon âme me sauvait,
Avec toute ma vigueur, de le héler.
Sans sonorité ni un regard adressé,
D’un bond, devant moi il sembla se dresser,
De surprise, son mouvement me laissa bouche bée,
Car ce fut derrière moi qu’il vint se placer.
De ses mains griffues il m’enserra les épaules,
Ce fut ainsi que je réalisai son rôle,
Je me trouvais dans le monde des éthérés,
Moi, un vivant dans le royaume des damnés.
« Vivant, en ces terres te serais-tu égaré ? »
Me demanda-t-il dans un chant psalmodié,
« Car en ce monde tu ne devrais pénétrer,
Mais par ton âme ne je saurais te châtier,
Car nombre d’entre nous ne voudraient te chasser. »
D’un geste d’épaule, de sa prise je me dégageai,
Et pour lui faire face, par pivot me retournai,
« Mais, que sont ces terres où je ne ressens que l’ire,
Et de ces paysages, je ne saurais que dire ».
Mes mots, de l’intérêt lui semblèrent susciter,
Tel un spectre, dans les airs il sembla léviter,
Mais, de sa tangibilité je ne saurais douter,
Car de la main qu’il m’a tendue je me rappelle le toucher.
D’une force surréelle il me hissa à ses côtés,
Et encore plus haut dans le ciel il décida de m’emmener,
Puis, quand l’altitude fut telle que l’air me manqua,
Le gardien se para et de ses doigts tendus le désigna.
Au loin, se découpant sur l’horizon embrumé,
Le palais des damnés me semblait se dresser,
Et, ce fut avec horreur que je constatai,
Que chacun de ses murs, des plaintes émettaient.
Apeuré, le regard je voulus détourner,
Mais, de sa main ferme, le gardien irrité,
Me maintint la mâchoire pour m’imposer une horreur,
Qui encore aujourd’hui étreint mon cœur.
« Lâchez-moi, une telle chose je ne saurais admirer,
Pourquoi donc voulez-vous me l’imposer ? »
Pendant un instant, mes mots restèrent sans réponse,
Et le contact de sa main me sembla être de ronces.
Enfin, satisfait de son œuvre, il me relâcha,
De ces hauteurs le gardien me lança,
De toutes mes préoccupations, la peur m’arracha,
Car avec le sol, viendrait mon trépas.
Mes oreilles sifflèrent tandis que je fendais l’air,
Et quand l’imminence de l’impact me sembla délétère,
Je fermai les yeux et formulai une prière,
Car, sans réveil je me retrouverai dans la bière.
Mais, alors que le sol je pensai embrasser,
Telle une bourrasque le gardien me fauchait,
La poitrine endolorie et l’esprit évanoui,
Je sus seulement me réjouir de la poursuite de ma vie.
Inconscient, je ne sus ce qui autour de moi se déroulait,
Seulement qu’à mon réveil le gardien me portait,
Et que bien loin de l’entrée déjà je me trouvais,
Car devant moi, les portes du palais se dessinaient.
« Non, dans ces lieux je ne désire pénétrer !
Quelle horreur voulez-vous m’infliger »,
En tentant de descendre de ses épaules je m’écriai,
Tandis que d’un pas leste il avançait.
« Assez, cesse donc de t’agiter, car en ces lieux tu es invité,
À tes hôtes tu ne saurais te refuser,
Car même si en ton âme il n’y a que bonté,
Dans ce château, vers ton monde il y a le seul accès ».
« Bien, mais pourquoi ne pas simplement m’y escorter,
Dans ce monde, je n’ai aucune intention de m’éterniser. »
Je disais alors que le long de son dos il me laissait glisser,
Pour qu’enfin, le sol mes pieds pussent fouler.
« La prudence je saurais te recommander,
Car si ton âme est encore immaculée,
Ton monde tu ne sauras retrouver,
Si par leurs ténèbres tu te trouves happé.
Ne te méprends pas sur leur nature,
Car le charme de leurs mots, de ton esprit pourra entrainer la rupture,
Et réalises que malgré mon apparence,
Je suis le seul ici qui n’imposera pas à ton âme pénitence ».
Ces mots prononcés et précautions délivrées,
De ses mains griffues, le gardien les portes fit pivoter,
Avant de se retourner et de me jauger,
Espérant qu’en me menant ici il ne m’avait condamné.
Malgré les tourments qu’il m’avait infligés,
Pour cet être je ne pouvais éprouver aucune inimitié,
Car même si par ses gestes et propos il m’avait brusqué,
Je pressentais que lui seul ne souhaitait me condamner.
« Ce bal des éthérés, saurai-je y danser ? »
Avec de l’aplomb, je daignai lui demander,
« Rien je ne sais, sinon que vous y êtes convié. »
Répondit-il avec un sourire carnassier.
« Êtes-vous certain que je ne saurais être tenté ?
Ne pourriez m’accompagner ?
Car si mon âme vous a frappé par sa qualité,
Auriez-vous la bonté de m’accompagner ? »
Dans le regard du gardien, je compris sa détresse,
« Je ne peux, cela m’est interdit par ma maîtresse,
Dans ce domaine, seul au palais je ne peux entrer. »
Me dit-il tandis que je sentais l’air vibrer.
Un instant, vers la porte je me tournai,
Par son encadrure la lumière filtrait,
Déjà, dans mon dos disparaissait le gardien,
Et le ciel se chargeait de nuages diluviens.
D’un pas assuré, dans j’invitai le palais,
Les plaintes de ses murs, à la force de mon esprit je taisais,
Et d’un pas, dans un immense hall je pénétrais,
Pour participer à la valse des éthérés.
- Les Fils de la Terre:
- Les Fils de la Terre
Je suis William Smith, je fais partie des scientifiques qui ont été chargés d’étudier le mal qui ravage en ce moment même notre monde, bien qu’à cette époque nous pensions faire face à la plus grande découverte de notre siècle. J’écris ces lignes pour les survivants, ce qui va suivre est l’histoire racontée par un homme qui a directement vécu les évènements catastrophiques de ces dernières semaines.
Cette odyssée débute le lundi 29 Juin 2015 lorsque je reçus un appel provenant du Pentagone, j’avais l’ordre de me rendre aux côtés de dizaines d’autres confrères dans une base de recherche internationale établie au milieu du Sahara afin de servir mon pays. Nous arrivâmes en fin d’après-midi, tandis que le ciel commençait à peine à prendre ses couleurs orangées, signifiant que le soleil venait de débuter sa course vers son couché. Sans attendre nous entrâmes dans un dôme d’acier haut d’au moins soixante mètres et d’une longueur telle que je ne pouvais l’estimer. À l’intérieur, des milliers de vies issues de nationalités et d’origines différentes travaillaient sur une multitude de projets, tous classés secret défense. Un militaire, sûrement un général, décoré d’une abondance de médailles nous entraîna dans un des sous-sols du monument, là-bas attendaient, assis sur une estrade, les dirigeants de puissantes nations, ainsi que d’autres scientifiques arrivés plus tôt, qui eux, se tenaient debout et semblaient patienter avant le début d’un discours. Nous rejoignîmes rapidement nos collègues avant que le militaire qui nous avait conduits jusque-là ne monte lui-même sur l’estrade et commence à parler.
Il nous informa que nous allions prendre part à la recherche la plus importante de notre vie, peut-être la plus importante de ce siècle, voire même du siècle dernier et des précédents. Il nous demanda finalement de regarder derrière nous et lorsque nous nous retournèrent, nous le vîmes… D’abord voilé d’un gigantesque tissu sombre, gigantesque afin de le recouvrir entièrement. Un géant, c’était un véritable géant qui était étendu sur le sol. Je me demandai un instant comment nous avions pu ne pas le remarquer en entrant dans la salle, mais cette pensée fut vite balayée lorsque je m’approchai de lui. Nous autres scientifiques, le touchions, l’étudions, écrivions tous les détails qui nous semblaient intéressants sur nos carnets de notes. Et tandis que nous agissions, le militaire nous expliqua où le corps avait été trouvé.
La découverte avait eu lieu deux jours plus tôt au beau milieu de l’Antarctique. Une troupe de zoologues qui travaillaient sur la faune locale avait aperçu la tête du géant dépasser d’un glacier, l’hypothèse la plus probable était que cet être reposait sous la glace depuis des milliers d’années et que la fonte des glaces l’avait ramenée à la surface. Il avait ensuite été transporté jusqu’ici sans que la population mondiale n’en sache rien. Il fallait d’abord faire étudier la chose par des scientifiques avant de la montrer aux yeux du monde. Il nous invita à monter sur une mezzanine de façon que nous puissions voir en entier et en une seule fois, ce corps titanesque.
Ce géant possédait une anatomie proche de celle d’un homme à l’exception qu’il était doté d’une queue et ne semblait pas posséder d’organe génital externe. Sa peau était recouverte d’écailles vertes et nous pouvions supposer à cet élément un quelconque lien avec les dinosaures, ou les reptiles de notre époque. Les pieds étaient pourvus d’imposantes griffes noires et ressemblaient bien plus à des pattes animales qu’à des attributs humains, les jambes semblaient être dotées d’écailles plus résistantes et plus grandes, comme si la peau était enveloppée dans une armure d’os épais. Il n’y avait aucun détail particulier au niveau du tronc du géant, à l’exception d’une couronne de plumes rouges qui entourait son cou. La gueule du Titan, car c’était peut-être en s’inspirant de cette créature que la mythologie grecque avait créé les siens, était garnie de tels crocs qu’elle aurait fait pâlir un lion ou tout autre carnassier digne de ce nom. Les canines dépassaient d’ailleurs de la gueule à la manière des anciens tigres à dents de sabre. On pouvait aussi apercevoir sur le sommet du crâne deux cornes blanches, longues d’un mètre chacune, les yeux bien que clos, étaient de la même couleur que le plumage, cela nous le découvrîmes plus tard. En tout la créature devait faire au moins trente mètres.
J’étais impatient tout comme mes collègues, de commencer les examens, il faudrait prélever du sang et l’étudier, puis disséquer la bête. C’était vraiment une chance inconsidérée que de tomber sur un spécimen inconnu, d’une espèce inconnue, et en parfait état car conservé par la glace.
Nous avions décidé de commencer par prélever une écaille ainsi que quelques seringues de sang, imposant comme il était ce géant devait en posséder des rivières. D’ailleurs ce géant possédait un nom désormais, il ressemblait à un titan alors il lui fut attribué le nom de Cronos qui était pour les grecs le roi des Titans.
Malheureusement les prélèvements ne s’étant pas déroulés comme nous l’espérions, la peau trop dure empêchait nos outils d’atteindre les veines, nous décidâmes de réessayer au niveau du ventre, là où les écailles étaient presque inexistantes et la peau moins épaisse. Il fallut tout de même avoir recours à des méthodes violentes pour entamer la chair et faire couler quelques goûtes du liquide que nous désirions tant. Lorsqu’il coula enfin, nous pûmes observer avec étonnement que le sang n’était pas rouge comme nous l’attendions mais bleu. Bien que cela n’ait aucune forme d’importance dans notre démarche, nous fûmes surpris de cette découverte.
Finalement, des dizaines de chercheurs grimpèrent sur le corps immense afin de débuter la dissection, des soldats étaient aussi présents. Ils étaient plus forts et réussissaient à percer plus facilement la carapace de Cronos.
C’est à l’instant où nous allions débuter l’opération que la découverte passa de fantastique à tragique. Les murs et le sol se mirent à trembler à mesure que le corps se relevait. La bête s’appuya contre un mur pour se mettre debout et se figea durant quelques secondes, sans doute lui fallait-il un temps pour se réhabituer à la façon de se mouvoir. Les hommes qui se trouvaient sur Cronos étaient tombés, la plupart étaient sévèrement blessés, parfois même mor sur le coup. Un silence glacial régnait dans la salle, personne n’avait prévu que la bête se réveillerait. Elle ne devait pas pouvoir se réveiller puisqu’elle était morte. Cronos semblait décider à sortir du sous-sol, il levait la tête, regardait autour de lui, touchait les murs. Finalement il vit une grande ouverture au-dessus de lui, sûrement l’endroit par lequel il était entré là. Il se déplaça un peu de sorte à se trouver juste en dessous de l’ouverture, en soulevant puis reposant ses pieds il avait provoqué de terribles bourrasques d’air qui nous avaient fait trembler à nouveau. Cronos leva les bras et ceux-ci atteignirent le niveau supérieur, à partir de là il tenta de se hisser et c’est à cet instant que le général hurla de faire feu. Les balles ricochèrent contre ses écailles en produisant un bruit métallique, et bientôt il disparut de notre vue.
Nous nous mîmes à courir tous, les militaires avaient pris leurs armes et lorsque nous atteignîmes enfin la sortie nous pûmes l’observer. Il était là, debout à contempler le désert. Il semblait apprécier avoir face à lui toute cette nature. Nous attendions, sans trop savoir quoi, mais un geste de sa part, un mouvement pour nous montrer qu’il était bel et bien en vie. Il ressemblait à une statue, un obélisque planté au milieu du désert. Finalement notre vœu fut exaucé et il se mit en mouvement. Il ouvrit grand la gueule et produisit un son strident qui sembla retentir dans le monde entier.
Il venait d’appeler ses frères, si nous avions su peut-être aurions-nous prononcé un autre vœu...[/code]
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Samael- Coléoptère
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Re: Topic du M-I Jump
Le numéro 4 du MI Jump est de sortie en cette veille de fête nationale
Bonne lecture à tous et merci aux auteurs de partager leur sagesse
Merci à Perona Sama pour son super dessin de couverture
J'espère que vous aurez beaucoup de plaisir à lire ces textes, n'oubliez pas de laisser des commentaires pour les auteurs sur ce topic : Topic des Discussions
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- Tout Feu Tout Flamme:
- Tout feu, tout flamme
Victoria, c’est mon prénom. Pourquoi ils m’ont appelé comme ça ? Parce que ma naissance à été une victoire pour ma mère, enfin c’est ce qu’elle ne cesse de me répéter. Je crois qu’à la base, elle avait des problèmes de stérilité et qu’elle a mis du temps à avoir un enfant. De mon point de vue, je ne sais pas si ma naissance est une chance, ou une malédiction.
Par conséquent je n’ai ni frère, ni sœur. Je suis fille unique, m’ennuyant profondément chaque jour qui passe. La sociabilité n’est pas vraiment mon point fort. On dit de moi que je souris peu, que j’ai même parfois un air hautain. Ils peuvent dire ce qu’ils veulent, ils ne feront pas ma vie.
- Maîtresse Victoria, il fait chaud. Votre jus d’orange est prêt.
- Très bien, posez-le sur la table merci.
Cet après-midi encore, j’étais seule au domicile. Père était au Sénat tandis que Mère devait être aux thermes. Ce n’était pas plus mal, je n’aurais pas à croiser le regard mauvais de Père comme ça. Il a misé sur le mauvais cheval en épousant ma mère, voulant absolument un fils. Seulement, il a su bien après son union qu’elle n’était pas fertile. C’était trop tard pour lui. Bien fait. J’ai entendu des histoires de divorces dans certains ragots ici et là. Mais en général ça se finissait mal. Les conjoints étaient pendus sur la place publique et leurs têtes étaient mises en offrandes pour les dieux. Ca faisait plutôt mauvais genre pour un sénateur. Je m’assied à table et bu mon verre d’une traite. Chiara avait raison, il faisait une de ses chaleurs cet après-midi…
Chiara est notre esclave de maison. Dans la tradition, une fois au service d’une famille, l’esclave perd son nom et en a un nouveau donné par ladite famille. Nous nous sommes tous mis d’accord pour l’appeler Chiara en référence à sa peau. En effet, Chiara veut dire « clair », et malgré ses années de loyaux services nous sommes toujours étonnés du fait qu’elle garde son teint de porcelaine alors qu’elle travaille beaucoup dehors, sous ce soleil de plomb. Nous sommes tous trois plus bronzés qu’elle, pour dire !
Je considère Chiara comme mon amie. Peut–être la seule même. Car je sais qu’elle m’est fidèle et qu’elle le sera toujours. Pas comme tous ces inconnus qui essayent de se rapprocher de moi car je suis la fille d’Aurélius le grand sénateur. Je n’ai que quatorze ans, mais on cherche déjà à me marier.
On me dit que j’ai de la chance d’appartenir à une haute branche de la société de notre belle Pompéi. Que j’aurais pu finir esclave ou femme de chambre. Que je suis très influente de part ce rang. Tu parles, tant que tu es une femme tu ne peux rien faire. Ton rôle est d’accompagner bêtement ce qui te sert d’époux pour le gratifier et faire monter sa côte de popularité. Tu ne sers qu’à faire jaser les autres et à jaser avec eux. Cette superficialité ne m’a jamais intéressé. Les portes de la plupart des arts te sont automatiquement fermées. Dont un qui m’intéresse particulièrement : la guerre. Beaucoup de gens me disent que je suis la réincarnation de Minerve, de par mon caractère belliqueux. Mais Minerve est bien une femme non ? Si Minerve, déesse de la guerre est une femme, je ne vois pas pourquoi les femmes n’auraient pas le droit de la faire elles aussi.
- Vous voulez y aller, n’est-ce pas ?
Je tournai la tête rapidement vers la douce voix de Chiara. Des fois, j’avais vraiment l’impression qu’elle lisait dans mes pensées. Je sais que si je pars, elle allait me couvrir en racontant un énième bobard à mes parents. Je donnai un rapide coup d’œil à la position du soleil.
- Non, ma mère ne va pas tarder à rentrer, c’est trop risqué pour aujourd’hui. Demain j’aurais besoin de ton aide en revanche, lui répondis-je dans un clin d’œil.
Elle me sourit. Chiara possédait une bienveillance hors du commun. Malgré son statut d’esclave, malgré les tâches ingrates qu’elle fait dans la maison, elle garde le sourire. A chaque fois que je lui demande pourquoi, elle me répond toujours la même chose. Soit disant notre famille est très gentille avec elle. On la loge, elle dort dans le grenier, et elle a le droit à de nouveaux vêtements lorsque les siens sont trop usés. Mère lui donne les restes lorsqu’il y a des repas officieux ou de famille à la maison (c'est-à-dire quasiment tout le temps) et elle a le droit d’utiliser l’eau de la source pour se laver une fois toute les deux semaines. Mais pour moi, tout cela est normal. Elle nous sert et s’occupe de notre foyer, la récompenser est tout à fait banal. Mais il faut croire que dans certaines famille ce n’est pas un reflexe. La nature humaine est d’un triste parfois…
Le soleil commençait à se coucher et teinter le ciel d’un rouge carmin. Chiara faisait souvent la comparaison du ciel à mes cheveux. En effet, je suis rousse. Mais les rayons de l’astre du jour me donnent une tignasse rouge écarlate. Ainsi quand la nuit tombe, je deviens brune. Bizarre hein ? Mère m’a toujours dit que c’était en raccord avec mon tempérament… de feu. Je n’ai jamais supporté l’autorité.
- Victoria, je t’ai attendu aux thermes enfin ! Ou étais-tu passée ?
Tiens quand on parle du loup… Mère venait de rentrer.
- Je suis restée à la maison, Mère.
- Pourquoi ça ?
- La chaleur était écrasante cet après-midi, je ne me sentais pas très bien.
Comme à chaque fois qu’elle revenait des bains, sa peau luisait grâce aux soins qu’elle avait pu bénéficier. Ses cheveux étaient parfaitement tirés en un chignon relevé. Pas une mèche ne dépassait. Sa tunique était parfaitement droite, assortie avec sa stola couleur safran rappelant sa chevelure. Ses petits yeux verts me fixaient, légèrement indignés comme toujours.
-Par Héra regardes-moi tes cheveux Victoria ! Viens, on va arranger ça ! Cléante et Sirius viennent diner ce soir, il faut être irréprochable voyons !
Encore un diner ennuyeux qui s’annonce… Je ne lutte même pas contre la poigne de Mère. Elle m’installe sur un siège dans la salle et m’interdit de bouger le temps qu’elle aille chercher une brosse. En une seconde elle revient avec des pinces en plus. Une fois de plus, elle me reproche la longueur de mes cheveux, et me dit que ce n’est pas féminin du tout. En effet, je les ai coupé sur un coup de tête. Je me souviens, c’était il y a un an. Je ne cessais de dire à ma mère qu’ils me gênaient, mais elle ne voulait rien entendre. Alors j’ai décidé de les couper moi-même avec la dague de mon père. Qu’est ce que je m’étais faite disputer ce jour là ! En y repensant c’était drôle. Voir la tête horrifiée de Mère, voire même mortifiée, haha !
Elle commence à tirer sur ma tignasse afin d’essayer de discipliner et lisser un maximum mes cheveux. En deux temps trois mouvements, elle a réussi à les relever et à en faire une coiffure plaquée et présentable. Je ne peux pas le nier, elle a vraiment des doigts de fée.***
La nuit était tombée et le diner prenait fin. Les deux sénateurs et collègues de Père prirent congé et nous saluèrent poliment. Je soufflais intérieurement. J’ai cru que ça ne se terminerait jamais ! Toutes ces discussions politiques ne m’intéressent pas le moins du monde, heureusement que le repas de Chiara était exquis, comme à son habitude. Le Sirius m’observa avec un regard à la limite du lubrique. Il me dégoute. Je haussai un sourcil en réponse. Visiblement irrité, il se tourna vers mon paternel et lui déclara :
- N’oublies pas ce que je t’ai dit en début d’après-midi. C’est fort regrettable si ça ne venait pas à changer.
- J’y songerais Sirius, je lui en parlerais. Chiara, raccompagne ses messieurs jusqu’au portail veux-tu ?
- Tout de suite maître.
Eberluées, ma mère et moi regardèrent mon père les yeux écarquillés. Vu le ton qu’avait employé l’autre perfide sénateur, c’est que c’était plutôt grave. Mon père tourna les talons et alla en direction du salon, moi à ses trousses.
- Ca ne va pas au travail Père ?
- Ca va parfaitement bien au travail. En revanche c’est ici que ça ne va pas.
- Comment ça ?! S’écria ma mère.
- C’est plus particulièrement toi qui ne va pas, Victoria.
Il s’assied dans le fauteuil qui lui était réservé et pris une grappe de raisin dans la corbeille à fruits avant de poursuivre.
- Nous n’arrivons pas à trouver de mari pour toi, ma fille. Et saches que je fais en sorte de ne pas sélectionner n’importe qui pour toi. Mais à chaque fois, le même problème survient. Ce problème bloque tout vois-tu.
- Quel est ce problème ? Demandai-je en sachant pertinemment la réponse.
- Ton caractère. Ton tempérament rebelle nous fait honte. Nous avons juré devant les dieux que nous t’éduquerons bien, ce que nous avons fait. Nous avons juré devant les dieux que tu aurais un avenir luxueux et confortable. Mais tu es ta propre barrière Victoria. Son ton calme était presque effrayant. Tu fais preuve d’immaturité, et d’irrespect envers ceux dont tu devras être reconnaissante plus tard. Pourquoi, ma fille ?
- Parce que ce n’est pas ça dont je rêve.
- Il faut que tu saches que les rêves n’ont pas de place dans ce monde, décréta sèchement Mère.
- Cet après-midi, Sirius m’a parlé de son fils, Octavius. Il est destiné à être un grand sénateur. Il a dix-neuf ans et n’est toujours pas marié. C’est une chance pour toi. Seulement, il te faut être plus disciplinée pour le mariage, et il n’a pas tord. C’est une chance inespérée, cette occasion ne se présentera pas deux fois. Je l’ai rencontré une ou deux fois, c’est un chic garçon.
- Comme les apparences veulent qu’il le soit, répliquai-je en serrant les poings et les dents.
- C’est normal Victoria c’est ce qui régit la société. Voilà pourquoi il faut toujours être bien habillé, bien apprêté, bien_
- Non ce n’est pas normal ! Criai-je. Je ne veux pas être ce que vous ou la société voulez que je sois. Je veux être ce que j’ai envie d’être !
- Et que veux-tu être au juste ? Me demanda Père, un rictus crispé aux lèvres.
- Je veux être une guerrière.
- Ce statut n’est réservé qu’aux hommes, ne sois pas stupide !
- Alors je serais un homme !
N’arrivant plus à contenir ma colère je montais dans ma chambre. Des larmes chaudes coulaient à flots de mes yeux, des larmes de haine. De haine contre ce monde, cette société débile, ces castes… Je m’endormis vite, très vite.
- Toutes les jeunes filles aspirent à un rêve. Mais seul quatre pourcents d’entre elles le réalisent. Mais toutes ces chimères nourrissent un monde parallèle, un monde ou tous les rêves sont possibles. En trouvant la gemme du songe, tu ouvriras les portes d’Utopia.***
Au réveil, j’avais les yeux bouffis. Je n’avais pas très bien dormi. Cette voix que j’avais entendu dans mon sommeil m’intriguait… de quoi ils me parlaient ? Je repensais à ce qu’il s’est passé hier. Je ne pouvais plus rester ici dorénavant. Il fallait que je me rende là ou je devais aller depuis un moment : au Colisée. C’est là bas que les futurs guerriers sont formés avant d’entrer sur le champ de bataille et de se faire un nom. Mais cette structure n’était réservée qu’aux hommes, hélas.
J’y allais souvent, en escapade l’après-midi. Chiara me couvrait à chaque fois en inventant une excuse idiote comme quoi j’étais à la maison, ou partie en balade je ne sais où. J’avais ma cachette secrète et j’observais de là les gladiateurs s’entraîner. Je pouvais rester des heures et des heures à les regarder. C’était comme un spectacle pour moi ; voir chaque muscle de leur corps se raidir, chaque geste précis et travaillé, chaque coup net et puissant…
Mais aujourd’hui je ne serais plus spectatrice mais actrice dans cette arène. Actrice de ma vie. Je bénissais Venus de ne pas m’avoir donné mes atouts féminins trop tôt, ainsi je pourrais rentrer facilement dans l’école sans me faire remarquer. Je pense qu’un bandage autour de ma poitrine naissante suffira.
En sortant de chez moi je fus étonnée par la panique qui régnait en ville. Les habitants avaient le visage blafard, triste et médusé. Ils se dirigaient tous vers le même endroit. Intriguée, j’en fis de même. La foule me menait dans la partie sud de Pompéi. J’écarquille les yeux de surprise : il n’en restait rien. Que des cendres ! Toutes les maisons avaient été rasées, les pâturages n’existaient plus. Un paysage gris se dessinait devant mes petits yeux jaunes perdus. On ne voyait qu’une chose se dresser fièrement sur ce tableau de désolation : notre grand Vésuve. Je demandai à une passante, complètement égarée, ce qu’il s’était passé, même si j’avais peur d’avoir compris. Elle me répondit comme une folle :
- C’est le Vésuve qui a déversé sa colère cette nuit ! Mais par tous les dieux, qu’avons-nous fait à Vulcain pour subir sa haine ? Nous vivions en paix, en respectant tous les principes et les règles fondées par et pour notre peuple ! Nous n’avons fait aucune faute, aucun péché !
Ca voudrait dire que le Colisée est aussi détruit ?! Trop d’éléments, trop d’informations se bousculent dans ma tête. Sans réfléchir je courrai dans sa direction, en contournant le quartier rasé par la lave. Le Colisée est situé au niveau de l’autre versant du volcan, il fallait donc un petit moment pour y parvenir.
J’arrivai à l’autre extrémité du quartier détruit par les cendres, en sueur. J’essayai de me faufiler entre les passants m’attendant au même paysage que j’ai vu précédemment. Mais juste avant le Vésuve, une autre structure tenait bon. Un cri sortit tout seul de ma bouche. Le Colisée était encore debout. Il a résisté aux flammes, mais totalement. Il ne restait pas que quelques pierres non. Il était intact, comme au premier jour, comme si la coulée de lave l’avait délibérément contourné. C’est à n’y rien comprendre.
Soudain une main se posa sur mon épaule. S’en suivi une voix de vieille femme :
- Il y a trop de monde ici, suis-moi mon enfant.
Mère m’a toujours dit de ne pas suivre les inconnus, mais là je suis totalement troublée que je ne sais plus qui écouter. Je sentais que cette vieille dame allait me donner des réponses. Une fois dans un coin reculé, elle leva sa capuche pour laisser apparaître son visage. Ridé, sans surprise, mais avec des yeux perçants de couleur jaune, un peu comme les miens. Son regard me mettait mal à l’aise, un peu comme accusateur.
- Tu es un demi-dieu ma fille.
- Pardon ?!
Je me suis peut être prononcée un peu vite quand je disais qu’elle allait me donner des réponses…
- C’est toi qui as causé ce carnage.
- Ah ouais ? J’aimerais bien savoir comment hein, je n’ai pas bougé de chez moi de la nuit, répliquai-je en croisant les bras.
- Qui t’as dit que tu avais besoin de te déplacer ? Ta colère n’a pas de limite spatiale, fille de Vulcain.
- Fille de ?! Je suis la fille d’Aurélius Caecilius sénateur de surcroît. Vous devez faire erreur.
Lentement, les engrenages commençaient à s’emboîter dans ma tête.
- Je sais qui tu es, Victoria Caecilius, comme tout Pompéi. Tu n’as pas eu un moment d’égarement dans ton esprit hier soir ?
Mes yeux s’écarquillèrent. Tout ça serait à cause de la violente dispute que j’ai eu avec mes parents hier soir ? Impossible.
- Il n’y a qu’une seule explication, tu es la fille de Vulcain. Il t’a cédé tous ces pouvoirs. Or tu ne les maîtrise pas encore.
- Impossible. Comment expliquer le fait que le Colisée ait tenu alors ?
- Ta volonté peut-être ? Le pouvoir d’un dieu n’a pas de limites, et je ne connais pas celle d’un demi-dieu.
Je tombais des nues. La vieille femme continua son récit :
- Si tu veux des réponses, je pense qu’il faut que tu ailles dans ton berceau. Grimpes le volcan et résout tes interrogations dans le cœur de la montagne de feu. On t’a souvent dit que tu avais un tempérament de feu, non ? Ajouta-t-elle dans un petit rire.
Je me retournai vers le Vésuve et répétai machinalement ce qu’elle venait de dire. Attendant une réponse au dialogue je me rendis compte que la vielle dame avait disparu. Volatilisée. Une sorcière ? Aucune idée. De toute façon je n’avais d’autre choix que de suivre son conseil, ne croyant pas un mot de ce qu’elle racontait.« Dans tous les cas, un dieu peut exaucer les rêves, alors pourquoi pas un demi dieu ? »La voix de la sorcière résonnait dans ma tête. Il était vraiment temps pour moi de gravir cette montagne.***
Après deux heures éprouvantes, j’arrivais enfin au sommet du coléreux Vésuve. Le centre du volcan était empli de lave en ébullition. C’était autant spectaculaire qu’effrayant. Ce n’était pas donné à tout le monde d’arriver jusqu’ici et de voir cela. D’après Chiara, beaucoup de personnes ont essayé de gravir le Vésuve et sont morts, la plupart tombés dans ses entrailles. Mais étonnamment je n’ai pas peur. Je veux surtout comprendre ce qu’il s’est passé. Je remarquai que quelque chose brillait au centre du cratère. Je pris ma respiration et cria de toute mes forces :
- Vulcain es-tu là ?
Aucune réponse. Je souriais intérieurement. Je devais être ridicule. Je commençais à tourner les talons quand une voix familière me répondit sur le ton de la plaisanterie :
- C’est une façon de s’adresser à un dieu, tu crois ?
Cette voix, c’était celle de mon rêve, il me semble. Je fermis les yeux et lui répondit sur un léger ton arrogant :
- Faudrait déjà-t-il savoir à qui je m’adresse.
- Tu n’as pas besoin de le savoir. Tout ce que tu dois savoir c’est que je ne suis pas Vulcain.
- Alors expliques-moi juste ce qu’il s’est passé, lui ordonnai-je.
- Comme je te l’ai dit la nuit dernière, tu as un potentiel énorme, et je recherche des personnes comme toi. Lorsque qu’une jeune fille à un fort potentiel, ses convictions et son âme se condensent pour former une pierre.
- La gemme des songes ?
- Exactement.
- Cette pierre exauce les rêves ?
- Tu as tout compris. Mais ce n’est pas tout. Il marqua une pause. Plus les convictions et l’âme de la jeune fille sont fortes, plus la gemme également. Dépassé un certain stade, la gemme peut accorder des pouvoirs en plus de celui d’exaucer le rêve de la jeune fille.
- J’ai eu le pouvoir de contrôler le Vésuve ?
- Contrôler est un grand mot, regarde ce que tu as fait. La voix ria. Plus sérieusement, dans ton cas oui tu as eu des pouvoirs. Ce qui montre la puissance de ton âme Victoria. Le pouvoir correspond au caractère de la personne.
- Je vois, je vois ne m’en dis pas plus c’est bon, répliquai-je à moitié blasée par ce genre de remarque.
- Il faut que tu saches une dernière chose Victoria.
- Quoi donc ?
- Une fois ta gemme trouvée, tu ouvres les portes d’un nouveau monde : Utopia.
- Et qu’est ce que j’irais faire là-bas ?
- Réaliser ton rêve. De toute façon c’est trop tard, tu as déjà trouvé ta pierre.
-Qu_ ?!
Une lumière blanche m’aveugla. La pierre, c’est ce qui était au centre du cratère et qui brillait !
J’ouvris les yeux. Je ne me trouvais plus sur le Vésuve, mais désormais sur une terre privée d’eau. Le sol était mi-rocailleux, mi-sablonneux, comme de la poussière. Il était d’un ocre pur et des montagnes m’entouraient. Il faisait une chaleur presque insupportable. Je me sentais lourde. Je baissais la tête. Je portais un plastron : comme les gladiateurs ! En dessous, ma jupe grise volait avec la brise. J’avais des jambières faite d’or et un manchon dans le même matériel au bras gauche. Sur la main, une pierre écarlate éclatante et d’une chaleur intense. Derrière moi, une cape rouge flottait au gré du vent. J’étais devenue une guerrière. J’étais devenue un gladiateur.
- Bienvenue à Utopia Victoria. Tu fais partie des quatre pourcents des jeunes femmes de ton époque à avoir le pouvoir d’y entrer. Tu es devenue ma fille, la fille du feu. Mais en échange ton rêve s’est exaucé : tu es devenue une fière guerrière. Et tu devras combattre bien assez tôt.
- Mais pourquoi ? Criai-je au ciel.
- Pour défendre ta place ainsi que ta vie, jeune fille…A suivre.
- Black Curse - Partie 2:
- Black Curse
Chapitre 2
Le vaisseau tanguait dangereusement. Cela faisait presque une heure que Sasha et Xao volaient vers leur destination et il était de plus en plus difficile pour le robot de maintenir le vol. Le contrôle qu’il exerçait sur la machine volante était de plus en plus faible. Le fait d’en avoir repris les commandes désactivées avait plus permis de lui offrir un dernier souffle qu’autre chose. Il était temps d’arriver car l’appareil allait bientôt lâcher. La machine fonçait pendant que le paysage défilait devant les yeux de Sasha. C’était vraiment merveilleux. Tant de lieux, de concepts qu’il n’avait pu qu’imaginer au travers de ses lectures qui se présentaient aujourd’hui à ses yeux. Voler au dessus de la mer, des déserts, des montagnes et des glaciers, c’était déjà un rêve qui se réalisait pour le docteur. Un changement immense après avoir vécu toute sa vie au milieu des nuages dans le vide qu’était le ciel. Il en était sûr maintenant, redescendre sur ce monde avait été la bonne décision. Il ne restait déjà plus que quelques centaines de kilomètres à parcourir pour atteindre leur objectif, ils étaient proches. Depuis quelques minutes le vaisseau perdait de l’altitude peu à peu, il n’allait plus tarder à être à plat. Se poser devenait vital mais il était également important de se rapprocher voire même d’atteindre la destination avant cela. Sasha ne se voyait pas voyager seul à pied sur des kilomètres, et surtout, il ne pouvait pas se permettre de perdre de temps. Car du temps, qui sait combien il lui en restait encore à vivre ? Chaque heure, chaque minute pouvait peut-être compter, c’était une course contre-la-montre dans laquelle il était engagé et il ne devait le perdre de vue sous aucun prétexte. Le paysage s’était transformé, les montagnes enneigées avaient laissé la place à une gigantesque forêt. Des arbres immenses dont les plus impressionnants venaient presque chatouiller le ventre du vaisseau du haut de leur cime. C’était un océan vert qui s’étendait sous leurs yeux, égayé de ça et là par les couleurs chatoyantes de quelques fleurs à la taille tout aussi imposante. C’était une sorte de paradis floral et arborescent qui se présentait à eux. Cela offrait deux indications au docteur. Ils s’approchaient bel et bien d’Almanah la ville aux fleurs, ce qui était plutôt bon signe, mais à côté de ça ils ne disposaient d’aucun endroit pour se poser dans cette jungle d’arbres, ce qui était beaucoup moins rassurant. Il fallait réfléchir. Regardant le cadran de bord Sasha estima qu’ils n’étaient plus qu’à quelques minutes de la ville. C’était le bon moment, il fallait à tout prix entamer un atterrissage d’urgence, mais où ?
Une explosion retentit au poste de commande projetant le robot-panda en arrière sous le cri de surprise du docteur qui se protégea le crâne de ses mains par réflexe. De la fumée s’échappait des machines. C’était fini ! Le vaisseau était définitivement mort. Il n’y avait plus d’atterrissage d’urgence, il n’y avait plus rien ! Il n’y avait plus qu’à se protéger et prier pendant que la navette spatiale tombait en flèche. Sasha se jeta sur un siège, saisissant son fidèle robot au vol, et cala le fauteuil du mieux qu’il put contre la carlingue. Il tournait le dos à l’avant du navire mais il imaginait parfaitement ce qui allait se passer. Un énorme choc ébranla l’habitacle, et tout devint noir.
Sasha rouvrit les yeux. Combien de temps venait de s’écouler, il n’en savait rien. Le choc lui semblait si lointain, et pourtant si proche. Le vaisseau avait percuté un arbre, c’était certain mais après ? Il lui semblait au fin fond de lui-même que plusieurs autres chocs s’étaient succédés mais il était incapable de s’en rappeler avec certitude. C’était comme si l’accident s’était effacé de sa mémoire, il savait ce qu’il s’était passé mais dans le même temps il ne pouvait pas s’en souvenir. La perception qu’il en avait était enfouie en lui, tout était oublié. C’était une chance que le vaisseau avait lentement perdu de la hauteur avant de s’écraser, la chute avait sans doute été moins violente. Le docteur voulut se relever mais il n’y parvint pas. Son corps ne lui répondait plus. Est-ce que l’ensemble de ses os étaient fracturés ? C’était bien possible après un tel crash. Il voulut tourner la tête pour inspecter ses bras, mais là encore aucune réponse. Il commençait à craindre le pire. Il fallait se concentrer. Sasha se focalisa sur son pied, rien ne venait, toujours pas. Puis après quelques minutes, une réponse, son pied venait de bouger. Il venait de bouger à plusieurs mètres derrière son crâne.
Que se passait-il ? Son corps avait-il été mis en pièce par l’impact, chacun de ses membres éparpillés aux quatre coins du vaisseau ? Mais dans ce cas pourquoi pouvait-il encore les commander ? Le silence se fit, puis il comprit. Sasha n’était plus qu’une flaque d’eau étendue tout au long du sol. Il s’était inconsciemment liquéfié de la tête aux pieds. Ce qui lui avait d’ailleurs peut-être sauvé la vie. Et alors qu’il avait eu tant de mal à reconstituer sa main lorsqu’il avait découvert ses nouvelles capacités, tout vint cette fois naturellement. L’eau glissa vers son pied et son corps se recomposa peu à peu. Ses jambes étaient réapparues pendant que le reste suivait. Il ne savait pas comment fonctionnait exactement son corps, mais il se reformait. À l’instinct. Il n’y avait même plus à se concentrer, il fallait juste le vouloir, et bientôt Sasha était sur pied, intact, et découvrit l’étendue des dégâts autour de lui.
Tout était en pièce. Le vaisseau était totalement inutilisable, coupé en deux, ce n’était même pas la peine d’espérer pouvoir le réparer un jour, il était fichu. Au milieu des décombres, Xao le robot reposait immobile. Le tournevis que Sasha avait utilisé pour le remettre en route avait volé lors de l’impact alors que la batterie était à quelques mètres de ses pieds. Le docteur la ramassa et la cala dans son emplacement avec un écrou ramassé dans les décombres. Il referma la plaque métallique du panda, c’était un bricolage sommaire, mais il devrait néanmoins tenir. Finalement, la chute s’était bien passée, bien que le navire était entièrement détruit il n’y avait aucune perte à déplorer. Le docteur leva la tête et inspira un grand coup. L’air était frais ! Alors que dans sa cité volante, l’air était si rare qu’une bonne partie devait être fabriqué industriellement, ici il abondait, pur et naturel. Il était probable qu’aucun homme n’avait jamais compris la chance qu’il avait de respirer cet air à l’époque où l’humanité vivait encore en ces lieux. C’était un acquis, une chose à laquelle on ne pensait même pas. Et c’était pourtant l’un des plus grands trésors que la nature nous offrait. Les connaissances que l’on transmettait là-haut sur ce monde désert parlaient d’air vicié, souillé par la maladie. C’était tout sauf ça. À la place d’un monde noir où régnait la mort, Sasha était au beau milieu d’une forêt où chantaient les oiseaux. C’était incroyable de voir un tel spectacle. Des arbres immenses s’élevant dans un désordre incroyable, leur sommet cachant pratiquement le soleil dont quelques rayons parvenaient néanmoins à percer le plafond végétal. Les traits de lumières éclairaient un paysage calme et paisible. Des fleurs endormies, des mares tranquilles, la forêt dormait. Il était évident que la disparition des activités humaines avait transformé les lieux. La nature avait repris ses droits et régnait désormais en maître sur ces terres. C’était un choc pour le docteur dont la cité d’origine ne comptait que quelques arbres en tout et pour tout. Atterrir dans un tel décor était impressionnant. La plupart des arbres mesuraient quelques dizaines de mètres, jamais Sasha ne s’était senti aussi minuscule de sa vie. Il avait la sensation de voir le monde des yeux d’un insecte. Néanmoins il ne fallait pas perdre de vue l’objectif, ce que lui rappela rapidement Xao, totalement insensible au dépaysement, en affichant une carte de la zone. Selon l’hologramme qui se dressait désormais au milieu de la forêt, Almanah était encore à plusieurs minutes de marche, ce qui ne représentait rien d’insurmontable mais il fallait tout de même se mettre en route. Le docteur jeta un dernier regard au vaisseau brisé. Celestia, le nom de sa cité volante était déchiré entre deux plaques métalliques séparées à la suite du choc. Fallait-il y voir un symbole ? Peut-être, mais il n’y prêta pas grande attention. Toute cette vie était derrière lui et elle ne lui manquerait pas particulièrement. Sasha se mit en route, il était temps de découvrir ce que ce nouveau monde lui réservait.
Absolument rien ! Il ne restait plus rien de ce qui avait jadis été une ville importante dans cette région ! Sasha avait marché plus d’une heure finalement à escalader les racines géantes, à garder son équilibre sur les mousses glissantes ou à se frayer un chemin entre les plants de ronces. Le trajet n’avait pas été de tout repos mais rien ne gâchait le plaisir de découvrir un nouvel univers. Le docteur avait finalement débouché dans une clairière qui faisait face selon sa carte à Almanah, la ville aux fleurs. Et il n’y avait rien d’autre que la forêt, toujours la forêt. Sasha était sur les hauteurs. Devant lui, le sol herbacé plongeait vers une étendue d’eau, presque un lac. Celle-ci formait un demi-cercle qui venait se fermer au loin contre une gigantesque falaise de roche qui s’étendait sur tout l’horizon. C’était la fin de la route, on ne pouvait de toute manière pas aller plus loin. Et au centre de ce lac, une petite île également collée à la roche sur laquelle les arbres et les fleurs semblaient partout. Mais aucune trace de la moindre ville. Les yeux de Xao s’avancèrent pour sortir de leurs orbites et Sasha les détacha de la tête du robot. Il porta ces jumelles à ses yeux pour observer la scène plus en détail mais il ne vit rien. La forêt était plus dense encore que celle qu’il venait de traverser, on ne distinguait rien entre les troncs et les feuillages. Seul le bord de l’eau semblait un peu plus dégagé mais aucun signe de vie humaine ne se présentait à ses yeux pour autant. Rien d’inquiétant, la ville avait certainement dû disparaître dans cet amas de plantes, il suffisait tout simplement d’aller voir sur place pour s’en rendre compte.
Le médecin dévala la pente à toute allure, emporté par son élan. Aussi impressionnant que soient les arbres, un espace dégagé était tout de même agréable. L’herbe était haute, lui atteignant presque les genoux alors qu’il continuait à courir jusqu’aux abords du lac avant de freiner brutalement à son niveau. L’eau était pure, aucun doute là-dessus, d’un bleu profond sur lequel se reflétait le soleil. Mais à travers ce manteau aquatique, on ne distinguait rien. Sasha avait beau s’approcher, il pouvait observer son reflet, son visage et ses cheveux blancs mais impossible d’y voir à plus de quelques centimètres de profondeur, et c’était gênant. La prudence était sans doute l’attitude qui lui serait la plus utile lors de son voyage. On ne survit pas dans un endroit inconnu et potentiellement hostile si l’on ne prend pas les précautions nécessaires et il en était conscient. Au-delà de ce paysage magnifique, que se cachait-il sous les eaux ? Fallait-il prendre le risque de traverser à la nage ? De grands nénuphars reposaient tout du long de sa surface, avec de l’élan il pouvait probablement sauter de l’un à l’autre et atteindre la rive opposée, alors que faire ? Sasha resta perplexe pendant que Xao tournoyait autour de lui en vrombissant, une hélice sortie de son crâne. Agacé le médecin l’envoya se poser sur le premier nénuphar qu’il avait en vue. Un test pour voir si ces plantes supportaient le poids d’un robot, et par extension le sien. Un test concluant, le panda pouvait se tenir sur la plante sans que celle-ci ne semble s’affaisser de quelques millimètres, elle était stable et le médecin prit sa décision, c’est par là qu’il traverserait le lac. Il se jeta à la suite de son compagnon d’aventure et mit pied sur le nénuphar. Ce dernier pouvait le supporter, flottant toujours sans problème sur l’eau. Au centre, une grande fleur blanche se dressait à la hauteur du visage du docteur. Ses pétales se déployaient largement déversant un parfum fleuri qui emplit les narines de Sasha. C’était agréable. Il resta quelques instants immobile, observant la plante et les alentours, c’était étrange de se tenir presque debout sur l’eau. Mais il fallait continuer la traversée. Un autre nénuphar reposait à quelques pas, plus petit cette fois et il le rejoint d’un grand saut qui fit dériver la plante sur quelques mètres en direction de la prochaine plate-forme de fortune. En calculant les sauts, la direction qu’il leur imprimait, Sasha pouvait se rapprocher facilement de ses prochaines cibles. Il avait déjà son chemin en tête, tous les calculs étaient faits, il savait exactement où et comment il devait sauter pour atteindre la berge qui lui faisait face. Une nouvelle fois il se lança, atteignant aisément la plante qu’il visait, mais cette fois-ci cette dernière ne bougea pas. Immédiatement un liquide visqueux se dégagea des pores de la feuille et recouvrit les pieds du scientifique qui tenta de les soulever instantanément, sans succès. La matière qui venait de le recouvrir était extrêmement collante.
Danger. C’est le mot qui résonna à son esprit. Sasha força sur ses jambes, il fallait se défaire de ce gel absolument car son apparition ne lui signifiait rien de bon mais c'était peine perdue. Impossible de s’en défaire, et à mesure qu’il se démenait pour se sortir du piège la colle continuait à recouvrir le nénuphar bloquant encore plus sa proie. Soudain, un tremblement se fit sentir tout du long de la feuille manquant de déséquilibrer le docteur. Le nénuphar surgit des eaux pour s’élever dans les airs. Et sous le regard effrayé de Sasha un monstre fit son apparition. Un gigantesque poisson aux écailles bleutées qui le regardait fixement, la faim se lisant dans son regard. De la bouche de la bête pendait une grande langue qui sortit de l’eau pour se dresser lentement en direction du scientifique bloqué. C’était trop tard pour s’en rendre compte mais ce n’était pas sur un nénuphar qu’il venait de mettre pied. La plante était reliée au poisson, c’était une extension de son corps, un leurre sur laquelle se posaient les proies qu’il n’avait ensuite plus qu’à happer une fois piégées. Lentement, la langue du monstre s’approchait peu à peu du jeune homme désormais immobile et réfléchissant à toute vitesse pour se sortir de cette situation critique. Une idée lui vint en tête et il l'exécuta, il n'avait plus le choix. Ses pieds et ses chevilles se liquéfièrent, c’était sans doute le seul moyen d’échapper au prédateur. Mais alors qu’il tombait à genou sur la plante, ceux-ci se retrouvèrent à leur tour bloqués par la matière visqueuse qui la recouvrait. Pire encore, ses pieds liquides ne s’étaient pas échappés pour autant. Le gel retenait l’eau en son sein et il était impossible d’y échapper ! Peut-être aurait-il dû installer des armes sur Xao car le panda, bien que truffé de gadgets, ne pouvait rien non plus pour son maître. La langue de la créature n’était plus qu’à quelques centimètres de sa tête, recouverte elle aussi du même gel qui le retenait prisonnier. Ce dernier allait se fixer sur l'ensemble de son corps et le poisson n’aurait plus qu’à le tirer à lui pour l’avaler, il n’y avait plus rien à faire. Sasha leva le bras dans un geste protecteur, le regard horrifié par ce qui allait se passer, quand un petit cri résonna à ses oreilles.
- Attention !
Un bruit se fit entendre dans son dos, quelque chose venait de se poser derrière lui. À genou, incapable de se retourner, Sasha ne pouvait pas voir ce qu’il se passait mais immédiatement le gel se relâcha, prenant un aspect plus liquide et moins collant dont le médecin put se défaire. Avant même d’avoir libéré ses jambes la colle avait disparu, rengorgée dans la plante, il était libre !
- Par ici !
Un éclair passa devant ses yeux sans que Sasha ne puisse définir ce dont il s’agissait mais de toute manière cela n’importait pas, il fallait vite quitter ce terrain dangereux et il se jeta en direction du son. Dans la panique, sous l’effet de l’adrénaline, le docteur ne prêta même pas attention à ce qui lui était venu en aide, son instinct lui dictait d’agir et il le fit. Tout juste voyait-il devant lui un petit point qui sautait de nénuphars en nénuphars et à la suite duquel il se précipita. Il n’y avait même pas le temps de se demander si les plantes sur lesquelles il sautait étaient sûres, son sauveur semblait lui montrer un chemin et il s’empressa de le suivre. À cet instant, un nouveau poisson sauta des eaux pour avaler le point qui filait devant lui. Sasha leva le bras, étouffa un son alors qu’il voulait avertir l’être qui lui faisait face mais c’était trop tard pour faire quoi que ce soit. Le point rebondit sur le prédateur comme si de rien n’était et poursuivit sa route encourageant le médecin à ne pas s’arrêter. Et de sauts en sauts, de feuilles en feuilles, la rive se rapprochait. Le chemin emprunté était-il le seul sûr ? Aucun moyen de le savoir mais il n’était absolument pas celui que Sasha avait calculé. Il ne restait plus qu’un saut pour atteindre la berge, il était sauvé. D’un gigantesque bond le médecin tenta de rejoindre cette dernière avant de s’étaler dans l’eau, elle était encore trop loin pour lui, et il perdit de vue le petit point qu’il suivait depuis sa mésaventure avec le nénuphar collant. Sasha se redressa immédiatement, émergeant de l’eau dans une grande inspiration et agrippa le sol pour se hisser sur la berge, il ne resterait pas une seconde de plus dans une eau aussi dangereuse. Il était trempé. À quatre pattes sur le sol, il s’avança suffisamment pour se mettre à l’abri du bord du lac. L’endroit était sûr, il avait finalement réussi à s’en sortir. Redressant la tête, il chercha du regard la chose – impossible de la décrire autrement tant il ne l’avait qu’entraperçue – qui lui était venue en aide mais il ne vit rien d’autre que les fleurs. Que s’était-il passé ? Qu’est-ce qui venait de le sauver ? Le silence se fit, il était seul.
- Espèce d’idiot ! C’était un poisson-nénuphar !
Sasha porta immédiatement son regard en direction de la voix qui venait de se faire entendre. Perché sur une fleur, un être minuscule le fixait sévèrement. Ne dépassant pas les dix centimètres, la créature avait tout d’un lutin. C’était une jeune fille aux cheveux noirs tombant au niveau de ses joues et entourés d’un ruban rouge. Elle était vêtue d’un kimono rouge aux motifs blancs tenu au niveau de la ceinture par un ruban blanc. La tête de la créature était toute ronde, presque aussi grande que son corps, et ses yeux en représentaient une bonne partie. Enfin, la jeune fille tenait dans ses mains la tige d’une feuille qui recouvrait le haut de sa tête à la manière d’un parapluie. Sasha n’avait jamais entendu parler d’êtres de ce genre et resta silencieux, incapable de dire quoi que ce soit. Qui pouvait bien être cette jeune fille qui lui faisait face ?
- L'Egaré - Partie 2:
- L'Egaré - Partie 2
Je ne sus comment, mais dans une plaine je m’éveillai,
De la valse des éthérés, soudain tout j’oubliais,
Sans doute mon esprit, éprouvé, voulu m’en préserver,
Seule restait la certitude que j’en avais triomphé.
Car c’est une plaine de beauté que mes yeux découvraient,
Avec en son centre un lac, dont les périls je braverais,
Mais, ce ne fut pas sur lui, qu’en premier mes yeux se posaient,
Car devant moi se tenait, une femme d’une grande beauté.
Elle s’élança vers moi, de son allure vestalique,
Et ensuite m’annonça, mes épreuves prophétiques,
Car, si du bal des éthérés, j’avais triomphé,
Encore des épreuves, je devrai surmonter.
Elle m’indiqua que devant moi, se dressait un lac damné,
Dont je devais, pour ma quête, entamer la traversée,
Je voulus m’offusquer, et ainsi protester,
Mais rien de ma gorge, ne voulut s’élever.
Dans mon mutisme, je l’écoutai m’annoncer,
Que dans ce royaume, seule ma chair subsistait,
Et dans un souffle, enfin elle m’informa,
Que de la valse des éthérés, moi seul triompha.
Surpris par son annonce, mon esprit s’ébranlait,
Mais, sans attendre, elle me demandait,
« À ton arrivée, as-tu rencontré le gardien,
Seul être en ce monde à te vouloir du bien ? »
Je restai coi, épris de torpeur,
D’un geste de la main, elle balaya ma frayeur,
Par un pouvoir que je ne sus déceler,
Seulement son existence, je peux affirmer.
« Humain, daignerais-tu le répondre ? »
Me dit-elle de la plus suave des voix,
Mais, encore coi je restai,
Car derrière elle, des ailes s’agitaient.
Affublée des atouts d’une séraphine,
Elle portait pourtant une couronne d’épine,
Et des mots du gardien je me remémorai,
Car, en ses terres, aucun allié je ne trouverai.
« Oui, cet être informe d’une grande bonté a su me guider. »
Je répondais d’un ton assuré,
« Seriez-vous alors la gardienne de cette prairie,
Qui en toute part me semble regorger de vie ? »
D’un sourire, son visage se fendit,
Et dans ses yeux, je pus lire son mépris,
« Alors, tu as donc rencontré l’humain qui a failli,
Dans tes épreuves, ne penses pas trouver de répit ».
Par ces mots d’une acerbe douceur,
En mon cœur, elle réveillait une douleur,
Car, peu à peu, la mémoire me revenait,
Et le but de ma quête, je me rappelai.
« Vois-tu ce lac ? Tu devras le traverser. »
M’annonça-t-elle de son index pointé,
« Dans un canot, tu devras embarquer,
Et avec ta rame, de ces flots triompher ».
Dubitatif, mon regard se portait,
Sur l’étendue plane que je devrais traverser,
« Ne puis-je simplement le contourner ?
Les terres me semblent pourtant l’enserrer. »
« Une telle entreprise, je te décommanderai,
Même si mes plus grands souhaits t’y pousseraient,
Car mes prérogatives, seules dans les terres s’étendant ci-après,
Je pourrais exercer pour te dévorer. »
Je lui lançai un regard circonspect,
« De mon corps, souhaites-tu t’alimenter ? »
D’un coup, son visage se muait,
Et une paire de croc, ses lèvres découvraient.
« Vivant, toi qui t’es égaré,
Ma maîtresse me défend de te dévorer,
Tant que je ne t’aurai pas guidé jusqu’au rivage,
Où tu continueras ton pèlerinage ».
« Mais, si de ses flots tu te détournais,
Mes prérogatives, je retrouverais,
Et des mes crocs, je m’abreuverais,
De toi, plus précieux des mets. »
De stupeur, mon visage se décomposait,
« Cette traversée, je ne saurais la mener,
Une rame, je ne crains posséder. »
Sur moi, elle posa un regard circonspect.
De son regard, ses craintes je devinai,
Car sans rame, sa mission je compromettais,
Et jamais, de ses crocs elle ne pourrait,
De mon sang, goulûment s’abreuver.
« Mais, le gardien ne te l’a-t-il donc pas confié,
Cette rame qui permettra ta traversée ? »
Et, sans attendre ma réponse, son regard s’illumina,
Et de mon corps, la rame elle extirpa.
« Ah, je le savais, simplement, tu l’ignorais ! »
D’une voix plein d’entrain, elle s’exclamait,
« Suis moi, tu dois traverser, déjà ton corps semble se décomposer,
Et je ne souhaiterais, m’en retrouver privée. »
Surpris, mes mains je contemplais,
Déjà, mon existence s’effaçait,
Car en ce monde auquel je n’appartenais,
Ma présence ne pouvait s’imposer.
Apeuré, d’un pas leste je la suivais,
Jusqu’au rivage où une barque m’attendait,
Sans attendre, d’un bond je m’y installai,
Tandis que la rame, avec force elle me lançait.
« Vas, je ne cesserai de te guetter,
Et si ta traversée tu devais avorter,
Sur les berges, je saurais te réceptionner. »
Siffla-t-elle d’un ton carnassier.
D’un coup de rame, j’entamais ma traversée,
D’un autre, les flots je fendais,
Mais, déjà, sur la plane surface je voyais,
Que des vagues, soudain se dressaient.
Immédiatement, ces eaux me semblèrent m’oppresser,
Et à leur vindicte, je ne pus me refuser,
Car déjà, les vagues semblèrent me happer,
Et d’elles des hurlements, j’entendis s’élever.
De quolibets, elles semblèrent m’affubler,
Tandis qu’encore je m’efforçais d’avancer,
Dans le canot, de l’écume s’infiltrait,
Et apeuré, vers le rivage, mes pupilles je figeai.
Mais, déjà, je la voyais,
Plus monstrueuse que je me rappelais,
Et, si chaque choix me condamnait,
Je décidais, qu’exsangue, je ne partirais.
Alors, debout, je me dressai,
Et ses flots vivants, je confrontai,
« Ta colère, viens donc l’exprimer,
Qu’importe tes mots, je saurais les braver ! ».
Devant moi, un élémentaire se dressa,
Et sur moi, sa haine déversa,
Des paroles, il n’eut à prononcer,
Pour que ses sentiments furent exprimés.
De chacun de ses mouvements, mon embarcation il ébranlait,
Et de mes bras qui s’effaçaient, au bastingage je m’arrimai,
Mais, ainsi, je ne pouvais avancer,
Et bientôt, de ses fracas, il me ferait couler.
D’une main, de ma rame, je m’emparai,
Et encore, sa colère, je supportai,
Mais, rien en cet être ne m’effrayait,
Car, en toutes ses plaintes, je me voyais.
Et, même si l’eau mes membres fouettaient,
De vifs coups de rames je me dirigeai,
Vers la berge qu’il m’interdisait,
Et derrière laquelle se dressait une forêt.
Enfin, le voile d’eau de son corps je transperçai,
Un instant, telle une cascade je pensai,
Que son immense force me balaierait,
Mais, là, en son cœur je me trouvais.
Et, même si de complaintes il ne tarissait,
En ce lieu, sur les eaux le calme régnait,
Et, tandis que mon embarcation se parait,
De mon corps détrempé, je l’écoutai,
Ainsi, je compris ce qui l’animait,
Que sa colère, il ne me la destinait,
Mais contre sa vie, et tous ses regrets,
Qui, malgré ce monde, encore subsistaient.
« Ta colère, je saurais l’accepter,
Car, en tout mon être, elle semble vibrer,
Et, si de nos yeux nous ne pouvons pleurer,
Laisses-moi triompher de ce monde de damnés. »
Silencieusement, il me répondait,
En un instant, les plaintes tarissaient,
Et enfin, devant moi il apparaissait,
Cet enfant qu’à ses parents, ce monde arrachait.
« Pourquoi en ces eaux suis-je condamné ?
Ne pourrais-je donc jamais m’en aller ? »
D’un visage figé il m’interrogeait,
Tandis que d’un coup de rame je m’en rapprochai.
Et c’est ainsi que nos rôles s’inversèrent,
Car ce ne furent pas des mots que mes pensées s’exprimèrent,
Mais par une main que sur ses joues humides je posai,
Pour d’un doigt, une larme balayer.
D’un mouvement de tête, il sembla me remercier,
Pour ensuite, tel un fantasme, s’évaporer,
Et ainsi, tous les flots déchaînes,
Furent happés par sa félicité.
À nouveau, seul sur le lac je me retrouvai,
Et des derniers coups de rames, les terres je gagnai,
Derrière-moi, de rage, des hurlements j’entendais,
Car jamais, de mon sang la vampire ne s’abreuverait,
Les bras brûlants, enfin la berge j’atteignis,
Le canot, d’un dernier coup de rame, la terre fendit,
Je pris mon élan pour d’un bond en sortir,
Et derrière-moi abandonner, le lac des ires.
- Les Fils De La Terre - Partie 2:
- Les Fils de la Terre
Le soleil s’était couché sans que nous ne le remarquassions, laissant place à la froide nuit du désert. La température semblait chuter au même rythme que notre sang ne se glaçât, les deux éléments étaient sans doute liés, à moins que le second ne fût dû à la terrible peur qui nous envahissait.
Après avoir poussé son effroyable hurlement, Cronos redevint immobile et resta ainsi des heures durant. Au début, nous fîmes de même, incapables de nous mouvoir. Nous ne comprenions pas encore pourquoi le géant avait provoqué ce cri strident. Pourtant, le seul fait de l’avoir entendu nous avait paralysés, comme si nous savions qu’il annonçât un malheur proche.
Lorsque l’obscurité arriva, nous ne vîmes plus dans les ténèbres environnantes que les deux flammes rouges qui brillaient dans les yeux du démon. Ces feux ardents ne vacillaient pas, ils fixaient l’horizon, comme à la recherche d’un mouvement, de quelque chose.
Bientôt, des projecteurs sur le dôme nous éclairèrent afin de rendre l’attente plus supportable. Mais qu’attendions-nous ? Il ne vint à personne l’idée de partir, de s’éloigner de la créature qui venait de s’éveiller de son profond sommeil à travers les âges, personne même ne donna l’ordre de capturer la bête, comme si nous savions que toute tentative serait vaine.
Finalement notre patience fut récompensée, à notre plus grand désespoir, la terre se mit à trembler. Un instant nous crûmes que le bâtiment derrière nous allait s’écrouler sous l’intensité des tremblements. Nous, hommes chétifs, étions déjà tombés à terre et nous protégions le visage de nos mains, en espérant que la fin du monde n’avait pas débuté – Je crois que nos craintes étaient fondées. Après quelques secondes nous commençâmes à nous habituer aux secousses, qui néanmoins semblassent s’intensifier, et nous pûmes nous relever et tenir debout, bien que ces actions ne nous demandassent un peu d’efforts.
Il nous fut impossible de les voir s’approcher, pourtant nous savions qu’ils arrivaient, nous le sentions. D’autres Cronos se dirigeaient dans notre direction. Le sol qui ne cessait de trembler, appuyait nos hypothèses. Nous comprîmes qu’ils étaient à portée de vue, lorsque nous vîmes dans la noirceur de la nuit, leurs terribles flammes briller. Ils étaient trois, venant de toutes les directions. Une première paire incandescente germa du nord, tandis qu’une seconde arrivait par le sud, et que la dernière naissait dans l’est.
Les titans parcoururent les kilomètres qui les séparaient de nous en une poignée de minutes, puis une fois près du dôme, s’arrêtèrent et formèrent à eux quatre un étrange cercle silencieux. Tout laissait à penser qu’ils communiquaient, peut-être grâce à une sorte de télépathie, rien d’étonnant pour de telles abominations. Cette réunion dura jusqu’au lever du jour mais pendant ce temps, nous reçûmes d’importantes informations.
Le monde et ses habitants avaient vu ces monstres se réveiller, la panique gagnait certains, la fascination en prenait d’autres, tandis que des sceptiques croyaient à pure fiction.
Un navire de pécheur au beau milieu de l’océan Atlantique, avait pu observer un des titans surgir du fond des eaux. La créature devait sans doute se trouver dans les abysses marins pour ne jamais avoir été découverte jusque-là. Un autre avait été aperçu par un touareg, jaillissant du sable, d’abord une main, puis l’autre, jusqu’à s’extraire complètement. Le dernier des monstres était sorti d’un volcan à Hawaii, couvert de lave.
Lorsque les premières lueurs du jour apparurent, ils se mirent en branle. Un instant plus tôt ils étaient immobiles, et le suivant, je voyais des morceaux de murs nous tomber dessus. Leurs gigantesques mains frappaient le dôme à un rythme effréné et faisaient s’écraser sur nous, une pluie d’acier et de béton.
Je crois être le seul à pouvoir raconter cette effroyable expérience.
Je ne sais pas combien de temps j’étais resté inconscient, pourtant à mon réveil j’aurai parié sur des décennies. Le bâtiment démesurément grand qui se tenait là, encore quelques heures plus tôt, n’était plus. Mes confrères et tous les hommes présents sur le site, étaient morts. Je m’en étais assuré en cherchant désespérément un survivant. J’étais seul, blessé, et perdu au milieu du désert. Mais ce n’était pas à mon destin que je pensais, plutôt à celui de l’humanité.
Je ne sais pas pourquoi mais j’ai préféré lutter contre la mort et chercher à gagner la civilisation. C’est sur cette décision que je me suis lancé dans une traversée du désert, je saignais à la tête mais mes jambes étaient intactes, tout ce qu’il me fallait.
Durant de longs jours j’ai vu les mêmes paysages, du sable, du sable, et toujours du sable. Il m’arrivait parfois de croiser des villages dévastés, sans vie. Ces escales me permettaient de trouver quelques vivres, et de rester vivant jusqu’au prochain bourg. Je ne sais au bout de combien de jours je réussis cet exploit, mais je parvins à rejoindre une ville côtière, où je trouvai quelques survivants. Tout était dévasté, mais des aides européennes avaient été envoyées afin de recueillir les rescapés. Ainsi un bateau m’emmena jusqu’en France. On m’apprit durant le voyage que ce pays et une grande partie de l’Europe n’avaient pour le moment pas encore été touchés par les attaques des titans. Ces derniers s’étaient dirigés vers le Japon en quittant l’Afrique, ils s’étaient attaqués à Tokyo qu’ils avaient entièrement détruit en un jour. Ils avançaient désormais en Asie et semblait prendre la direction de l’Europe. On pensait qu’ils l’atteindraient en six jours, et on estimait déjà le nombre de victimes s’approchant des trois milliards. Tout ce que les gouvernements avaient jusque-là tenté, s’était vu inutile. Les statistiques montraient que les démons s’en prenaient principalement aux villes les plus peuplés, tout laissait croire qu’ils voulaient exterminer la race humaine. Des sectes d’adorateurs avaient commencé à apparaître, et provoquaient des attentats dans le but d’aider les Cronos. Ils pensaient que l’Homme était un parasite qui menait le monde à sa fin. Ces terroristes considéraient les titans comme « Les Fils de la Terre », envoyés par Mère Nature pour éradiquer le virus humain.
Je crois aujourd’hui, qu’ils avaient raison. Ces monstres se sont réveillés afin de sauver la Terre de la folie humaine. J’ai bien peur que nous ne puissions rien faire face à la Nature. Si je devais donner un conseil aux survivants, s’il y en a. Je leur dirais de fuir, de quitter toute civilisation et de vivre en ermite. C’est peut-être le seul moyen pour survivre. Et qui sait, une fois toutes les villes du monde détruites, les titans se rendormiront-ils ?
Nous atteignîmes la France en une journée. Sans attendre, la plupart des voyageurs voulurent se rendre en Amérique, sachant bien que l’Europe n’allait pas tarder à être détruite. Je m’étais décidé à rester sur ce sol. De toute façon fuir ne changerait rien, personne ne pouvait échapper à la Nature. Je décidai donc de me rendre à Paris, traversant les régions comme les titans traversaient les pays. Lorsque j’atteins la ville escomptée, les démons n’étaient qu’à quelques frontières. La capitale était abandonnée, je n’y vis qu’une poignée de mendiants et d’hommes résignés comme moi. La plupart des habitants étaient partis pour les Amériques, ou pour des îles désertes perdues au milieu des océans, que sais-je. J’avais décidé de périr sous la tour Eiffel, si je devais choisir le lieu de ma mort, autant qu’il soit beau. Je n’étais visiblement pas le seul à avoir fait ce choix, car je trouvai là-bas une petite dizaine de personnes, qui, comme moi préféraient mourir paisiblement plutôt que de vivre dans le crainte. Je me mêlai donc au groupuscule et j’appris à faire la connaissance de certains, plus particulièrement d’un couple de londoniens qui s’étaient eux aussi retrouvés ici après une suite de péripéties surprenantes. Ils m’apprirent qu’ils avaient une fille, qu’ils avaient laissée en compagnie de sa bonne dans la cave d’une maison parisienne. Ils espéraient qu’elle réussirait à s’en sortir vivant,et qu’elle attendrait patiemment que les titans aient quittés le continent pour sortir. Ils avaient ordonné à la bonne de l’emmener en Inde, là où ils pensaient que les démons ne retourneraient plus. Eux, préféraient mourir, ils trouvaient le moment opportun et ne semblaient plus avoir la force de continuer à fuir encore longtemps. Les anglais parlaient sans cesse de leur fille, si bien que je finis par la connaître sans la connaître.
Mon épopée se termine donc ici, en ce lundi 3 Août 2015 – ma montre brisée m’empêche d’indiquer l’heure. Nous sentons la terre trembler, moi et mes compagnons fraîchement rencontrés, nous entendons les immeubles s’effondrer, et voyons au loin les yeux flamboyants des Cronos. J’espère que des hommes pourront lire ces lignes un jour, cela signifierait qu’il y a eu des survivants à ce cataclysme.
À côté de moi, les londoniens pleurent en prononçant le nom de leur enfant, Liz. Et tandis que la tour derrière nous s’écroule et qu’une imposante ombre pourvue de griffes semble se diriger jusqu’à moi, ma dernière pensée sera pour cette découverte que nous avons faite et qui aurait dû être la plus grande de tous les temps, qui aurait dû…
William Smi
J'espère que vous aurez beaucoup de plaisir à lire ces textes, n'oubliez pas de laisser des commentaires pour les auteurs sur ce topic : Topic des Discussions
Bonne lecture à tous et n'hésitez surtout pas à nous envoyer des oeuvres
Re: Topic du M-I Jump
Le MI Jump N°5 est de sortie
Merci à tous les participants et aussi beaucoup à @Draw' pour le dessin
Enjoy
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- Dangerous Days - Midnight:
An 2318.
Le soleil se couchait sur la tentaculaire mégapole qu'était devenue Mourmansk, recouvrant la cité d'une inquiétante aura rougeoyante. La neige tombait doucement, comme à son habitude, sur ce chaos urbain, composé de grattes-ciel gigantesques, aux fondations si hasardeuses qu'ils semblaient avoir poussé de travers. Des routes translucides serpentaient presque aléatoirement entre ces géants d'acier et de verre, aussi bien à leurs pieds qu'à leur sommet, et sur lesquels défilaient sans discontinuer des véhicules aux couleurs et formes variées dont le seul point commun était de pouvoir flotter dans les airs. Suspendus aux parois, des écrans publicitaires gigantesques vantaient les mérites des tous nouveaux produits à la mode, allant du tout dernier modèle de bécane à réaction aux sérums rajeunissants, prétendument révolutionnaires. Malgré le crépuscule, des néons aux couleurs saturées clignotaient à tous les étages, accouchant ainsi d'une véritable anarchie lumineuse qui rendait plus que mince la différence entre le jour et la nuit. De même, la cacophonie perpétuelle qui caractérisait la titanesque ville polaire donnait l'impression que ses habitants avaient, d'un commun accord, renoncé à toute forme de sommeil. Vingt millions d'être humains grouillaient dans cette fourmilière grotesque par ses proportions et son activité. Vingt millions de personnes qui vivaient désormais sous le joug d'une force venue des confins de l'espace. Mais au moins l'on pouvait de nouveau voir les étoiles, pour peu que l'on se plaçât sur les toits d'une des interminables tours de métal. Ils avaient envahi la terre pour la purifier, disaient-ils. Peut-être que grâce à eux le monde était un endroit meilleur... Mais tout en bas de Mourmansk, là où la lumière naturelle parvenait à peine, existait un quartier connu de tous, ignoré de tous. Les notables, les gens civilisés, les policiers et même le crime organisé... Tous évitaient les Tréfonds. La plupart du temps, un silence de mort y régnait, accompagné de son épouse, une obscurité glaciale. Ses habitants - des sans-abris, des p*tes de bas étage et autres rebuts de la sociétés - étaient les plus pauvres à des kilomètres à la ronde, et leur vie était sans cesse menacée par les dangers inhérents aux zones de non-droit. Les plus optimistes vous auraient dit, avec un rire sans joie, que de toute façon les choses étaient ainsi et qu'au moins elles ne pouvaient pas être pires.
Malheureusement, les jours qui marquèrent le début de cette année allaient leur prouver à quel point ils avaient tort.
Le vent hurlait dans la ruelle, me transperçant le torse comme autant d'aiguilles de glace. Un frisson parcourut mon échine et je m'emmitouflai un peu plus dans mon manteau, dans l'espoir d'y trouver réconfort et chaleur. Espoir vain bien sur. Je laissai échapper un juron quand une nouvelle bourrasque vint rabattre une mèche de cheveux noirs sur mon visage. "Temps de m**de, annonciateur d'une bonne nuit de m**de" pensai-je avec aigreur.
Devant moi, en grosses lettres rouges, clignotait le nom de ma destination. "L'Absolution". Je ricanai en constatant que le néon de la lettre "U" n'avait toujours pas été réparé et poussai la porte du bar. L'espace d'un instant je restai sur le seuil, assourdi par le vacarme que vomissait l'édifice. L'intérieur était aussi tape à l’œil que la façade était sale et décrépie. Un large bar derrière lequel étaient entreposées des centaines de bouteilles occupait la partie gauche de la salle, tandis que les tables et les chaises se trouvaient à l'opposé. L'établissement était rempli ce soir et pour cause : deux créatures de rêves dansaient sur la scène, éclairée par des spots aveuglants, qui trônait au centre de la pièce. Les murs rouges et violets étaient si éclatants qu'ils me filaient presque la migraine. Mais c'était un peu pour ça que j'venais dans ce trou de toute façon : mon cerveau s'en sortait rarement intact quand je me bourrais la gueule. Un léger sourire s'empara de mes lèvres quand je reconnus la musique, un tube vulgaire vieux de 10 ans.
Je claquai le battant métallique derrière moi et me figeai la seconde suivante, interdit. Une colère froide prit possession de mon esprit tandis que mon regard circulait furieusement entre le gérant de l'établissement et les deux strip-teaseuses. Seins nus, elles se mouvaient avec une grâce féline, envoûtante. Comme hypnotisée par leur déhanché, la quasi-totalité des clients du bar avait les yeux rivés sur ces femmes à la beauté surnaturelle... Un cercle rouge entourait leur nombril, symbole répugnant de leur statut d'esclave sexuelle. Après une poignée de secondes interminables, je desserrai la mâchoire et fis quelques pas en direction du comptoir gris acier :
- C'est quoi ce bordel, Malcolm ?! Qu'est-ce qu'elles foutent là ?
J'avais parlé suffisamment assez fort pour couvrir la musique, mais le barman ignora délibérément ma question :
- Salut Cole ! Viens t'asseoir avec moi. Qu'est ce que j'te sers ?
- Joue pas à ça avec moi. Je t'ai posé une question ! Qu'est ce que ces deux sal**es d'espionnes Zoltans foutent ici ?!
La danseuse la plus proche de moi tressaillit légèrement avant de se remettre à se trémousser, comme si de rien n'était. Le nombre de regards haineux que je m'attirai me fit aussitôt comprendre que j'avais parlé trop fort. Je pris une profonde inspiration avant de continuer, plus calmement, même si la veine sur mon front continuait de palpiter :
- Je prendrais la même chose que d'habitude. Mais réponds moi s'il te plait.
- Ça marche, répondit mon ami, le visage à mi-chemin entre le soulagement et l'appréhension.
Pendant que Malcolm me préparait mon cocktail, je laissai mon regard parcourir la salle, tout en évitant soigneusement de poser les yeux sur les troublantes danseuses. Un vague sentiment de honte s'empara de moi... J'avais presque quarante ans, et je me trouvais dans un bar à p*tes sordide, sur le point d'ingurgiter une mixture à la provenance douteuse. Pire encore, ce soir j'allais... Je sursautai en entendant le bruit d'un verre posé brutalement, ce qui me tira des mes pensées.
- Voilà ton tord-boyaux.
- Tu sais que ces deux filles sont les prostituées des Zoltans ? Attaquai-je, sans m'intéresser à ma boisson. Si elles se sont enfuies tu viens de te mettre dans une m**de pas croyable...
- Étaient, rectifia le barman. Elles ont été chassées par leur anciens maîtres. En tout cas c'est ce qu'elles m'ont dit, et je les crois.
Voyant ma moue dubitative, il continua :
- Sérieusement, tu penses vraiment que deux p*tes auraient pu échapper aux Zoltans aussi facilement ?
- Mouais, pas faux. Concédai-je. Ou alors ce sont des espionnes, ajoutai-je en baissant la voix.
- Me fais pas rire. Quel intérêt y'aurait-il à espionner un bar des Tréfonds. Le meilleur des Tréfonds, mais quand même... Puis tu sais, j'les ai pas prises pour rien. Regarde les un peu, t'as déjà vu d'aussi belles créatures de toute ta vie ? Certains clients seraient prêt à payer très cher pour passer une nuit avec une ancienne esclave des aliens. Leurs corps ont subi des opérations chirurgicales pour leur permettre de s'accoupler avec les Zoltans, ce qui les rend particulièrement différentes. Et attirantes pour les plus déviants des hommes. Et on peut encore en tirer du plaisir, crois moi. Ajouta-t-om avec un rire qui sous-entendait qu'il avait personnellement testé la marchandise.
Un rictus de dégoût se peignit sur mon visage. Je savais bien sur ce que ces femmes subissaient, mais l'entendre en parler sur un ton si naturel me révoltait. Lorsque j'ouvris la bouche, c'est avec une haine glaciale que je crachai mon venin :
- pu**** d'aliens ! Comment osent-ils baiser des humaines ?! Et toi tu trouves ça normal ?
-Hé, calme toi mon vieux, tu sais bien que c'est le prix à payer...
Ma colère latente éclata soudainement et j'abattis avec force mon verre sur le comptoir.
- Le prix à payer pourquoi ?! M'emportai-je. Cites moi un truc de bon que ces enfoirés d'extra-terrestres ont apporté !
La respiration saccadée, je fixai Malcolm, attendant sa réponse. Nous avions toujours évité ce sujet épineux, du moins jusqu'à aujourd'hui. Je réalisai que j'avais terriblement peur de sa réponse. Il était mon seul ami, et je craignais de le perdre...
- Ils ont purifié l'eau et l'air. Sans eux la pollution serait encore en train de nous tuer, répondit-il sans la moindre hésitation.
- Mouais. T'exagères et t'y connais rien. Donne moi un vrai argument, pas un truc que les Zoltans ont dit pour se justifier.
- L'éradication des religions ? Toi aussi t'as eu des cours d'histoire, tu sais bien à quel point ces saloperies ont pu déchirer les humains. Tant de guerre, de massacres... C'était un fléau, tu ne peux pas le nier.
- C'est une bonne chose, admis-je. Mais le génocide des croyants...
- Ils ont eu le choix bon sang ! S'exclama vivement le tenancier de l'Absolution. Le lavage de cerveau ou la mort... Perso j'suis pas mécontent que la plupart de ces fanatiques se soient sacrifiées pour leurs "dieux" imaginaires. Au moins on en est débarrassé définitivement.
Le barman croisa les bras comme s'il entendait clore la discussion là, et un drôle de silence s'installa entre nous. C'était le genre de moments uniques que nous partagions tous les deux, et c'était probablement l'une des raison de notre amitié. Nous étions très différents, débattions beaucoup sur des sujets divers. Mais toujours nous avions ces pauses pour réfléchir aux arguments de l'autre, et déterminer qui était le vainqueur de la joute orale. Je me fendis d'un mince sourire : je m'étais inquiété pour rien. Alors qu'il savourait sa victoire, j'assénai, avec le calme assuré de celui qui se sait victorieux :
- Et les Amériques alors ?
- Quoi les Amériques ?
- Joue pas au con, tu vaux mieux que ça Malcolm. Quand les Zoltans sont arrivés, venus des confins de l'espace où une connerie du genre, ils ont décimé la population américaine. Pas un survivant. Je sais ce que tu vas me dire, l'interrompis-je alors qu'il ouvrait la bouche pour protester. Oui les américains étaient sur le point de nous envahir, c'était en effet la suite logique après la sanglante et rapide annexion du continent sud. Mais encore une fois, les méthodes étaient horribles. Tant de civils sacrifiés ! Si tu veux mon avis, les aliens voulaient juste une terre sans le moindre humain, pour je ne sais quel plan macabre., et ils se sont servis de la dangerosité du Nouveau Continent comme d'un prétexte. Il nous est devenu impossible de nous rendre là-bas, et je préfère pas imaginer ce qu'ils sont en train de tramer.
-Allez, t'as gagné Cole... Soupira mon ami, plus pour me faire plaisir que par conviction réelle. T'as raison, nous sommes tous les esclaves de ces monstres, certains plus que d'autres, ajouta-t-il en jetant un rapide coup d'oeil aux danseuses. Mais on y peut rien, il faut bien continuer à vivre.
Je ne pus m'empêcher de frissonner tant son ton était triste. On n'y décelait nul espoir, seulement une sorte de résignation assumée. Il savait que sa situation ne risquait pas de s'améliorer et essayait simplement d'être heureux ainsi. Pas facile... Je finis mon verre d'une traite, et posai un billet sur le comptoir.
- Triste époque. Soupirai-je. J'dois te laisser.
- Déjà ? Fit-il, étonné.
- Ouais, j'travaille ce soir. Au revoir Malcolm, que la chance continue de te sourire !
- Et qu'elle commence à le faire pour toi ! Rétorqua-t-il en se laissant aller à un petit rire sans joie.
Je ne répondis pas et claquai la porte de son cloaque derrière moi. Je n'avais pas besoin de chance de toute façon, j'avais bien mieux. Inconsciemment mes doigts frôlèrent le contenu de la poche intérieure de mon manteau. Malgré le vent qui continuait de hurler, je m'enfonçai dans une noire ruelle. Une nuit de travail, mer**que au possible, m'attendait.
Mes bottes s'enfonçaient dans une neige sale, déjà piétinée des centaines de fois. Non loin de moi, je vis un pauvre gamin, même pas majeur qui était appuyé contre un mur, une main sur le ventre, le visage tordu par la souffrance. Soudain, il se mit à vomir des flots de sang, la poitrine agitée de convulsions frénétiques. Quelques secondes plus tard il s'effondrait en avant, la tête dans une neige rougie par sa propre hémoglobine. Une overdose de "Zoltaïne", cette saloperie de drogue extra-terrestre. Si pour les Zoltans c'était rien de plus qu'un déchet, pour un humain c'était la porte vers un monde imaginaire, où l'on était dieu. Mais la porte se refermait trop rapidement, laissant le drogué dans un triste état de débilité maladive, qui le conduisait à l'addiction. La pire came du monde. Tellement addictive qu'une injection vous condamnait. Tellement toxique qu'on finissait immanquablement par en mourir. Un lourd sentiment de culpabilité vint s'abattre sur mes épaules et je détournai le regard, comme le lâche que j'étais. C'était moi qui avait tué ce gosse...
Lorsque j'arrivai à mon "coin de vente" - un croisement entre deux coupe-gorge putrides - je vis qu'un client m'attendait déjà. Il se tenait voûté, et ses vêtements crasseux tombaient en lambeaux. Ses bras étaient constellés de traces de piqûres, boursouflées et purulentes, tandis que ses yeux brillaient d'une lueur verte surnaturelle. Un habitué qui ne tarderait pas à succomber... Une victime de plus et une rentrée d'argent en moins pour moi. Je lui tendis sa dose sitôt qu'il m'eut donné mon fric, et il disparut dans la nuit. Avec un soupir blasé je m'assis sur le banc que j'avais traîné jusqu'ici. Ma came était probablement la pire de la ville : en essayant de trouver un moyen de soigner les victimes de la Zoltaïne j'avais réussi à synthétiser une version moins nocive, moins virulente de la drogue. Aussi mes clients vivaient - et souffraient - plus longtemps avant de mourir. Le doute tenta de s'emparer de moi, mais je le balayai tant bien que mal. Tôt ou tard, je sauverais tous ces gens... Du moins c'était là mon voeu le plus cher. La tête renversée en arrière, comme si j'essayais d'apercevoir un coin de ciel entre les interminables immeubles, des pensées parasites me torturaient. Remords, honte, culpabilité, dégoût de soi. Mon âme était bien noire ce soir.
- Il faut bien vivre... Murmurai-je pour moi même, comme pour me donner la force de continuer. Et en des temps si troubles, on doit trop souvent se salir les mains, même quand on veut faire le bien.
Les heures passaient et les transactions se succédaient. Il était environ deux heures du matin quand je vis venir la petite Jezebel. L'adolescente, toute menue, était drapée dans un long manteau qui avait été blanc et qui était beaucoup trop grand pour elle - je préférai ne pas imaginer ce qu'elle avait du faire pour se le procurer. Ses cheveux roses flottaient autour de son visage, sur lequel se peignait un mal-être terrible, que seule la pire des drogues pouvait soulager. Elle avait commencé à en prendre après la mort de sa mère, quelques mois plutôt. Je connaissais bien Jane, cette brave femme, qui se battait contre la vie pour élever sa fille unique, en dépit d'un mari alcoolique et violent. Sans doute avait-elle succombé sous ses coups, ce qui expliquai la fuite de leur enfant... Je lui avais promis d'aider sa fille si malheur devait lui arriver... D'une certaine façon - une horrible façon - c'était ce que je faisais. Une tristesse des plus sincères enserra mon coeur alors qu'elle se rapprochait inexorablement. A cet instant, j'aurais tout donné pour qu'elle fasse demi-tour... Mais je savais qu'elle n'en ferait rien , et cela me mortifiait. Elle n'était plus qu'à quelques mètres quand je lui adressai la parole :
- Jez', fais pas ça... Ta mère...
- Ma mère est morte. J'ai la thune alors donne moi ma came, cracha-t-elle, le visage ravagé par les affres de la dépendance.
Voyant que je ne réagissais pas, elle se mit à crier des injures que moi même me refusais à utiliser, et tenta de me frapper de son petit poing chétif. J'attrapai aisément son poignet, et réalisai avec peine à quel point elle était maigre. Elle resta immobile quelques instants, me laissant le temps d'examiner son bras. Quelques traces d'injection, mais pas tant que ça... Un petit tatouage en forme d'étoile au creux de la paume. Quelques blessures. Rien de bien surprenant sur le corps d'une fille de quinze ans qui vivait dans les Tréfonds.
- Jez' tu peux encore t'en sortir... Essayai-je d'un ton presque suppliant.
- Ta gueule le vioque ! Si tu ne me donnes pas c'que j'veux, j'irais voir ailleurs ! Hurla l'adolescente en se débattant furieusement.
A contrecœur je lui tendis une petite seringue, qui contenait le fameux liquide vert lumineux. Je n'avais pas vraiment le choix, si je ne lui donnait pas sa dose, elle se la procurerait chez quelqu'un de bien plus dangereux. J'avais peut-être une chance de la sauver, moi... Elle me jeta son argent à la figure et m'arracha l'objet de son désir. Elle s’apprêtait à partir quand ma main tomba sur son épaule, avec un peu plus de force que je ne l'avais voulu. Je sentis son petit corps s'affaisser sous mon poids et je tressaillis imperceptiblement.
- J'gagne assez d'argent pour m'occuper de toi, je peux...
- Lâche moi ! Hurla-t-elle, hystérique. Je sais très bien ce que tu veux me faire, sale porc !
Attristé par les mots qu'elle venait de me cracher à la face, je desserrai mon étreinte et elle se dégagea d'un vif mouvement. Comme pétrifié, je la regardai s'en aller en boitillant et vacillant dans le vent. Le coeur plus lourd que jamais, je restai debout à contempler l'horreur des Tréfonds pendant près d'une heure, le corps transpercé par les griffes froides de cette maudite brise. Ce fut un son des plus terribles qui me tira de ma torpeur, une sinistre plainte qui m'écorcha les oreilles. Un cri si puissant qu'il semblait outrepasser les limites du corps humain, un cri d'agonie qui, bien que je refusât de l'admettre, ne pouvait provenir que de la gorge d'une jeune fille. Mon sang ne fit qu'un tour et je m'élançai en direction du hurlement, courant à en perdre haleine dans ce dédale urbain. Paniqué à l'idée que la petite se soit faite agressée, je me perdis plusieurs fois dans ce labyrinthe de ruelles ténébreuses. Et lorsque j'arrivai enfin à destination, je le regrettai aussitôt.
Une jeune femme était attachée à un mur, les bras et les jambes écartés, à l'aide de lourdes chaîne de fontes, sortes de reliques du passé. Son corps était recouvert de tatouages ésotériques, peints à l'encre rouge et noire, à tel point que je mis plusieurs seconde avant de réaliser qu'elle était entièrement nue. Ce ne furent pas ses seins, joliment dessinés, qui attirèrent mon attention, non. Je ne m'attardai pas non plus sur la position obscène de son corps. Ce que je fixais d'un oeil éteint c'était une plaie béante, qui s'étirait de sa gorge à son bas-ventre. Un trou gigantesque, qui vomissait entrailles encore chaudes et torrents écarlates. Éviscérée, comme un vulgaire poisson. Ses cheveux étaient collés à son visage par son sang poisseux.
Une étoile à cinq branches était tatouée dans sa main.
- Le mythe de la sirène:
- Le mythe de la Sirène
On raconte qu’une nuit, il y a bien des années, une femme s’empara d’une bicoque dans le port du village d’Haveim. Elle transportait dans ses bras un bébé endormi, une toute petite fille âgée de quelques mois tout au plus. Elle rama jusqu’à ce que la côte ne soit plus en vue avant de se redresser sur la barque, berçant son précieux bagage. On raconte qu’ensuite, la jeune femme se jeta dans le vaste océan, serrant le nourrisson contre son cœur.
Les deux corps sans vie s’enfoncèrent dans les profondeurs, jusqu’au sein de la demeure de la Déesse Ran, souveraine des abysses et de ses noyés. Toutefois, Ran se refusa d’abandonner l’enfant dans son royaume et, d’un souffle, elle lui redonna vie. Pour lui permettre de se mouvoir dans l’océan, sa demeure, elle dota l’enfant d’une queue de poisson, remplaçant ses jambes, et de branchies. Aussitôt, le nourrisson se remit à respirer et la Déesse sourit, attendrit par ce petit être.
Les années passant, Yline grandit en une magnifique jeune femme pleine de vie. Elle soutenait sa mère d’adoption dans son royaume et accompagnait les noyés dans l’autre monde. De Ran, elle avait appris qu’elle était autrefois aussi humaine et vulnérable que tous ces marins qu’elles accueillaient dans leur royaume. Curieuse à propos du monde et de ses habitants, elle s’aventurait souvent hors des abysses, vers les eaux plus claires sur lesquelles voguaient de somptueux navires. Au cours des années, elle fut aperçut quelques fois rôder autour des vaisseaux et, parfois, on entendait son chant border les marins dans la nuit. Rapidement, dans les villages côtiers, se répandit la rumeur selon laquelle la déesse de la mer elle-même veillait sur les marins d’Haveim, les protégeant des tempêtes et leur assurant une pêche fructueuse.
Pour beaucoup, il ne s’agissait que d’histoires, de fables qu’on racontait aux pêcheurs superstitieux avant que ceux-ci ne partent en mer. Jusqu’au jour où Yline s’aventura un peu trop près des hommes. Une tempête comme jamais se déchainait sur l’océan ce jour-là, et la jeune femme s’était encore glissée hors de son royaume des profondeurs pour se rapprocher des côtes d’Haveim. Sur la mer agitée, un petit navire de pêcheurs tentait, en vain, d’échapper aux vagues. Et c’est quand il se brisa sous leurs assauts, qu’elle entendit les cris désespérés des marins, qu’Yline se décida. Elle nagea entre les débris, cherchant avidement toute trace de vie, et repéra les corps de deux marins qui luttaient pour se maintenir à la surface. Saisissant les deux hommes à peine conscients, elle les tira jusqu’à un canot secoué par les vagues. Après les avoir hissé à son bord, elle entreprit de les guider hors de la tempête avant de plonger pour regagner les abysses.
Durant les mois qui suivirent, Yline n’explora pas le monde de la surface. En s’approchant ainsi des humains, elle avait brisé ses propres règles. Ran l’avait pourtant mise en garde contre les Hommes, s’ils étaient d’apparences si chétifs, ils pouvaient toutefois tromper, blesser et tuer pour leur propre bénéfice. Mais après ce premier contact avec les deux marins, elle mourrait d’envie de s’approcher davantage, d’en voir plus, d’en savoir plus. Quand, finalement, elle remonta à la surface, elle tomba rapidement sur un navire de pêche qui voguait tranquillement sur la mer calme. Toute la journée durant, elle suivit le bateau et, veillant à ne pas être vue, elle observa l’activité des pêcheurs à son bord jusqu’à la tombée de la nuit. Une fois que le silence fut total, la jeune fille se mise à chanter doucement. Et c’est quand son regard tomba sur la proue du navire qu’elle se rendit compte qu’un jeune homme qui la fixait. Tétanisée, Yline resta quelques instants sans bouger avant de replonger dans les profondeurs de l’océan.
Quand Yline retrouva le navire le lendemain, la nuit commençait à tomber et les hommes finissaient de s’activer sur le pont. Seulement, cette fois, elle resta à distance, essayant de repérer le marin qui l’avait vu la veille, sans succès. Toute la nuit, elle resta à observer le bateau tanguant au rythme des vagues, attendant. Finalement, elle aperçut une silhouette s’avançant sur le pont pour se positionner contre le bord, la forme semblait scruter l’océan devant elle. Alors, la jeune femme nagea vers le bateau. Quand elle ne fut plus qu’à quelques mètres, la silhouette sembla la repérer et s’agiter.
- Ne pars pas !
A ses mots, Yline fixa curieusement le jeune marin. Et maintenant qu’elle l’observait de plus près, elle était convaincue d’avoir déjà vu son visage auparavant.
- C’était toi non ? C’est toi qui nous a secouru le vieux et moi cette nuit-là, sous la tempête…
La jeune fille écarquilla les yeux à l’évocation du souvenir, elle se rappelait maintenant du visage des hommes qu’elle avait repris à l’océan. Elle hocha la tête en réponse.
- C’est donc vrai ce qu’ils disent, tu es bien la protectrice des pêcheurs d’Haveim !
Yline ne put s’empêcher de rendre son sourire au jeune homme qui la regardait, l’air rayonnant.
Les nuits qui suivirent, Yline multiplia les rencontres avec Fenris, c’est ainsi qu’il lui apprit qu’il se nommait. Elle lui signalait toujours sa présence en chantant et presque immédiatement, le jeune marin était sur le pont. Elle l’écoutait parler, sans jamais oser ouvrir la bouche. Il lui racontait des histoires sur le monde, son monde, sa terre, son village, il lui décrivait les plaines, les champs et les montagnes et c’est ainsi qu’elle se prit d’affection pour lui, le premier homme dont elle s’approchait autant. Au bout de plusieurs jours, Fenris lui apprit que lui et l’équipage devaient rentrer au port, et qu’il ne serait sans doute pas sur la mer pendant plusieurs semaines. Cependant, le garçon désirait la revoir et c’est ainsi qu’il lui promit de la rejoindre dix jours plus tard, dans la baie d’Haveim, et qu’elle n’aurait qu’à chanter pour qu’il la retrouve.
Et c’est ainsi qu’Yline attendait à la date convenue dans la baie, impatiente à l’idée de revoir le marin. Alors qu’elle guettait l’horizon, elle vit un petit bateau s’avancer dans la baie. En s’approchant, elle remarqua Fenris qui se tenait sur le pont et son visage s’éclaira. Aussitôt, elle se mit à chanter et trouva presque immédiatement le regard du jeune homme qui lui sourit, comme subjugué. Quand elle fut au niveau de la barque, elle remarqua qu’il n’était pas seul à bord et qu’un autre homme se trouvait à l’arrière du pont, il la fixait avec un étonnement visible. Devant cette présence inattendue, Yline ne put s’empêcher un mouvement de recul.
- Ne t’occupes pas de lui, c’est un ami.
Elle trouva le regard de Fenris qui lui souriait tendrement et la jeune femme se relaxa immédiatement, lui souriant à son tour. Alors qu’il lui racontait comment il s’était occupé ces dix derniers jours, Yline se rapprocha davantage du bateau et posa sa tête contre le bois en l’écoutant. De temps en temps, elle pouvait sentir les mains du garçon se balader dans sa chevelure.
Puis, soudainement, l’ambiance changea.
- Je suis désolé tu sais, mais te capturer changerait ma vie. Tu es vraiment unique Yline…
Avant qu’elle ne puisse comprendre le sens de ses paroles, Fenris la saisit fermement par les cheveux et alors qu’elle tentait de se débattre, un filet l’enserra. Folle de rage, la jeune femme se débattait, mordait, frappait, essayant vainement de se libérer tandis que le filet se resserrait davantage autour d’elle, esquintant sa peau, arrachant ses écailles. D’un coup de queue, elle parvint à déchirer plusieurs mailles du filet et se glissa hors du piège. Trahie et blessée, Yline s’éloigna rapidement vers les fonds marins.
Furieuse que sa confiance ait été abusée, Yline jura de se venger. Toutes les nuits qui suivirent la trahison de Fenris, la jeune fille remonta à la surface, cherchant le jeune homme sur toutes les bicoques qui partaient du port d’Haveim. Elle ne le revit jamais.
Une nuit, alors qu’elle chantait son désespoir sur l’océan, elle remarqua un petit bateau non loin, sur lequel une silhouette la fixait. Et alors qu’elle s’en approchait, Yline continua à chanter, subjuguant le marin. Quand elle ne fut plus qu’à quelques centimètres, la jeune femme étendit ses bras autour du cou de l’homme, l’enlaça et l’entraîna avec elle au fond de l’océan.
La rumeur se répandit dans tout Haveim, qu’une créature en colère séduisait les marins du village avant de les entraîner dans les abysses, dans le royaume de la Déesse Ran.
- La forêt des ignés:
- La forêt des ignés :
Le lac, derrière moi, j’abandonnai,
Mais, dans une dense forêt, déjà, je pénétrai,
Malgré que la lumière, à peine y filtrait,
Parmi la végétation, rien ne m’alarmait.
D’une terrible épreuve, je venais de triompher,
Alors, d’un pas certain, je m’avançai,
Et l’entière atmosphère se métamorphosait,
Quand des quelques mètres, je le sentier je m’avançai.
Mais, ce ne fut point dans l’obscurité où je fus plongé,
Sinon dans un monde d’où la lumière semblait en tout point émaner,
Surpris, je m’agenouillai, et de mes mains, les feuilles soulevai,
Pour constater qu’entre leurs rainures, des êtres vivaient.
Mon visage, de ces créatures fantastiques, je rapprochai,
Et, des mes pupilles figées, je les observai,
Ses êtres, desquels une douce lumière s’échappait,
Mais, lentement, je la vus s’estomper.
« Ces êtres n’auraient-ils donc aucune longévité ? »
Pris d’effroi, je m’écriai,
Mais, mon appréhension fut levée,
Quand de la feuille, ils s’extirpaient.
Ebranlé par le spectacle auquel j’assistai,
Ma prise sur la feuille je relâchai,
Et sur mon fondement je basculai,
Alors que devant moi, une sphère lumineuse s’élevait.
Après quelques instants, sa forme se stabilisa,
La lumière s’étira ; une bourrasque me frappa,
Je forçai sur mes jambes et me relevai,
Le vent, encore plus puissamment, sur moi se déchainait.
Forcé à la cécité par ses assauts répétés,
Je ne pus assister à une scène de la plus grande des beautés,
Le vent retomba, et mon visage je n’eus plus à masquer de mes bras,
Alors, devant moi je découvris celle que je crus être la déesse de ces bois.
Existence extirpée de splendides lueurs,
Pas un instant elle ne fut prise par la torpeur,
Immédiatement elle s’animait,
Et, ses paumes, vers moi elle tendait.
Ebahi, je l’observai avec timidité,
Car devant moi se tenait une femme d’une grande beauté,
Mais, ma dernière rencontre me vint à l’esprit,
Et d’effroi, mon corps se transit.
Par œillades, son corps j’admirais,
Mes pupilles, sur ses membres sveltes je glissais,
Sur son visage angélique j’attardais,
Et dans ses yeux émeraude j’égarais.
« Seules dans les légendes contées, je pensais les humains exister. »
Me dit-elle alors que ses lèvres fines s’animaient,
Que ses traits fins s’étiraient,
Et que son nez fin elle retroussait.
« Oh, non ! Déjà tu disparais ! »
S’écria-t-elle alors que me bras elle saisissait,
Et constatait qu’à travers, le sol elle apercevait,
« Je dois vous aider, sinon, seul l’ennui je retrouverais. »
Là, je réalisai, que le contact de sa peau, d’une étrange douceur me semblait,
Que de son entier être une chaleur émanait,
Que sous sa peau laiteuse, des veines ignées semblaient rouler,
Et que de magie elle semblait infusée.
Elle tira sur mon bras, et, ainsi, de mes contemplations, m’arracha,
D’un pas leste, devant moi elle marcha,
M’emmenant vers un lieu connu seulement de ses pairs,
Ceux qui, plus tard, je définissais d’élémentaires.
« Ils peuvent te sauver. Non ; doivent t’assister !
Car, si tes habilités ils devaient tester,
Ils ne le pourraient si tu n’existais. »
Dans un souffle, elle exposait.
Parmi les lueurs, ces pairs, elle m’entraina,
Jusqu’à ce lieu où elle me parraina,
Car dans le royaume des ignés je ne pouvais pénétrer,
Si leur condition, je ne savais partager.
Un torrent ardent sembla me frapper,
Mais, pas même de ma peau je ne fus amputé,
Car son corps elle avait interposé,
Elle, qui des flammes se trouvait immunisée.
« Eldreit, cèdes-tu à la folie ?
Pourquoi donc commettre l’infamie,
D’amener un humain dans l’enceinte,
De ce que nous tous qualifions de terre sainte ? »
En cœur, les ignés s’exprimaient,
Mais, nulle part ils n’apparaissaient,
Seule leurs voix, ici raisonnaient,
Tandis que, dans les feuilles, leurs corps résidaient.
« Il n’y a point de sainteté pour nous, les damnés,
Mais, cet humain n’a point été condamné,
Même si la Maîtresse souhaite l’éprouver,
Rien ne m’empêchera de vouloir le sauver.
Seule de la pureté je perçois dans son essence,
Sinon, comment, en cette forme, expliquer sa présence ?
Mais, si vous voulez l’éprouver, si vous souhaitez le tester,
Si, à vos ordres, vous succombez, d’abord, vous devrez m’affronter. »
Sa tirade achevée, Eldreit se planta à mes côtés,
La nature se vida, mais je ne sus le capter,
Car devant mes yeux ils apparaissaient :
Les incandescents ; ceux dont l’âme brulait.
« Nous ne saurions te défaire ; Oh, toi, puissante guerrière. »
Incanta leur roi alors que ses pieds foulaient terre,
« Dis-moi, pour lui, quels sont tes projets ? »
Demanda le roi en camouflant son rejet.
« En ce monde, sa présence, il ne saurait maintenir,
Mais, ses souhaits, il doit assouvir. »
Exposa Eldreit en pointant mes mains,
Que je portai devant mes yeux et tentait de mouvoir en vain.
« Son humanité doit être conservée, mais nous pouvons l’altérer,
Sinon, bientôt, la Maîtresse viendra à le posséder ».
Dans une démonstration théâtrale, elle exposait,
Tandis que certains des ignés, dans le fond, ricanaient.
« Pour que son périple il puisse achever,
De nos existences nous devons l’infuser,
Puis nos pouvoirs nous devons partager. »
Fit Eldreit pour exposer son plan diphasé.
Dans l’assemblée, j’entendis des protestations s’élever,
Courroucés, certains voulurent s’en aller, d’autres m’achever,
Mais, de nombreux semblèrent la considérer,
Cette proposition qui les isolerait.
Mais, sans le réaliser, je m’évanouis,
Et dans mes plus profondes mémoires je fus enfoui,
Mais, comme mon nom, mes lèvres ne sauraient les exprimer,
Sans doute, la Maîtresse de ces lieux me les a-t-elle scellées.
Alors, avec la conscience je fleuretai,
Et, de mon coma, à un débat j’assistai,
De sa voix cristalline, Eldreit les convainquait,
Consciente que, par la même, elle les condamnait.
Ignés, damnés, leur Maîtresse les punirait,
Mais, ainsi, de leur condition ils se libéreraient,
Pendant un temps, de leur mission ils discutaient,
Considérant que ma transformation y suffirait.
Certains, septiques, doutaient que j’y survivrais,
Et ce fut ainsi, qu’à nouveau, l’inconscience me délivrait,
De ces appréhensions qui, mon cœur, assaillaient,
Et que mon réveil, d’un coup, balayait.
Ma sauveuse : devant moi je la trouvai,
Mais, autour de nous, les ignés disparaissaient,
Car, sans le vouloir, leur entière essence je consommais,
Jusqu’à ce que, de cette race, seule Eldreit il restait.
« Tu les as délivrés. »
Dit Eldreit qui m’enlaçait,
« Ils vont t’accompagner ; moi, je te guiderai. »
Coi, je me relevai.
Devant moi, mes palmes je portai,
Lentement, elles réapparaissaient,
Mais, en moi, je les sentais,
Ces êtres qui espéraient.
En mon corps, plus jamais de torpeur,
Seule y règne une éternelle chaleur,
À jamais, je devrai avancer,
Car, pour part, je suis damné.
Mais, si à cet instant mon existence s’imposait dans l’éternité,
Moi, aberration alitée,
Ma quête me restait à achever,
Et, plus longtemps je ne sus la retarder.
Guidé par la dernière de son espèce,
J’avançais dans cette forêt, épaisse,
Et, après trois jours, exténués,
Nous abandonnions la forêt des ignés.
- Brume sur Pine Street:
Au cours de l'après midi, la brume s'était épaissie. Et ce soir là elle s'accrochait lourdement aux collines de San Francisco.
Julia Tilton fronça les sourcils. Etait-ce la pente qui ralentissait son allure ou simplement le brouillard ? Quoi qu'il en soit elle ne serait pas à l'heure à son travail et en plus, son brushing était fichu !
La jeune femme commença à presser le pas pour ne pas aggraver son cas. Bien sûr, le restaurant dans lequel elle travaillait n'allait pas faire faillite si elle arrivait avec dix petites minutes de retard. Sarah, l'autre serveuse resterait un peu plus longtemps et c'est tout ! Mais le grand patron piquerait certainement une de ses colères dont lui seul a le secret, c'était d'ailleurs à cause de son chef que Julia épluchait chaque matin les offres d'emploi du Chronicle !
Fort heureusement ses collègues se montraient vraiment aimables avec elle, les heures étaient pratiques et surtout, la sauce au homard méritait le détour... Et puis en deux ans la jeune femme avait pu servir trois vedettes de cinéma au total. Bon Shaun Cassidy n'était peut être qu'une starlette de téléfilms, mais Jodie Foster, voila une véritable star, et Clint Eastwood, eh bien .... C'est Clint Eastwood quoi ! Impossible de l'oublier celui ci ! Pas plus d'ailleurs que le pourboire qu'il lui avait laissé ...
_________________
A quelques rues d'ici, deux jeunes garçon parlaient. Au vu de leur ressemblance se sont des frères, même taille, même aspect physique.
"Arrête de faire la tête Jaden ... Tu sais très bien que je n'avais pas le choix !
-Si, tu aurais pu éviter d'assommer ton propre frère avec un pied de chaise ! Renchérit Jaden.
-Et te laisser tuer Jack, non mais t'es pas bien ?! S'étonna Timothée.
-Il l'avait bien cherché ...
-Et alors, ça t'autorisait à lui sauter dessus comme un sauvage ?
-Il a dragué ma copine ! Cria Jaden.
-C'est même pas ta copine. Souffla son frère d'un air agacé.
-Peuh !"
Comme à chaque fois, il savait qu'il avait tort mais refusait de l'admettre, Jaden regarda son frère en haussant les épaules et entreprit de frotter la bosse qu'il avait sur le front. Timothée eut un petit sourire gêné, certes il y avait peut être été un peu fort en le frappant avec ce pied de chaise.
Entre cette dernière qui était irréparable et Jaden qui était resté à demi inconscient pendant près d'une demi heure, la soirée s'était terminée de manière assez folklorique. Mais que son crétin de frère veuille l'admettre ou non, il n'avait pas réellement eu d'autre choix.
Tout perdu qu'il était dans ses pensée, le jeune homme ne vit pas arriver Julia en face de lui. La collision fut brève mais brutale.
"Aïe !!!" s'écria la jeune fille en atterrissant sur le derrière.
"Ouille !!!" Renchérit Timothée.
Immédiatement, Jaden se précipita pour aider son frère à se relever, tandis que Julia se redressa en pestant.
"Pouvez pas faire attention non ?!
-La ferme ! Cracha Jaden, que son mal de tête rendait encore plus aimable que d'habitue."
Son interlocutrice s'empourpra vivement, furieuse elle ouvrit la bouche pour dire quelque chose qui aurait été sans nul doute fort peu sympathique si son téléphone n'avait pas sonné a ce moment précis. Elle fouilla dans son sac puis attrapa son portable et la colla a son oreille.
"Oui Sarah, je sais que je suis en retard mais il a fallu que je tombe sur un vrai cas, si t'avais entendu comment il m'a parlé l'autre oursin.
-L'autre quoi ?!!!"
Jaden se rua sur l'insolente. Celle ci loin d'être effrayée, fit un pas sur la côté et lui fait un croche pied, le jeune homme s'écrasa alors lamentablement sur le sol. Son frère qui avait vu le coup venir l'aida a se relever.
Timothée, n'ayant pas de chaise sous la main et ne tenant pas autre mesure à éclater la tête de son frère avec un parcmètre, il étendit les bras en disant le plus stoïquement du monde ce simple mot destiné à résoudre tant de conflits.
"Stop."
Il eut un instant de silence.
Julia éclata de rire.
"Tu crois vraiment que tu me fais peur. Hoqueta la jeune femme. Bon sur ce je dois vous laisser, j'ai une vie moi.
-Bien sûr, mais faîte attention à vous. On ne sait jamais sur qui on peut tomber par un tel temps. Dis Jaden avec un regard noir.
-Jaden ne fait pas ça ... souffla Timothée."
_________________
Le soleil venait de se coucher. Un peu plus loin, les feux antibrouillard des voitures fouillaient l'épaisse brume, tandis que les pneus résonnaient lugubrement sur les pavés mouillés. Mais là, sur Pine Street le seul son aux oreilles de Julia était sa propre respiration et le bruit de ses pas qui martelaient le sol.
Soudain, la jeune femme s'arrêta. La respiration qu'elle percevait n'était en réalité pas la sienne. Il y avait quelqu'un d'autre, tout près, qui accordait son souffle au sien. Elle se retourna, mais ne vit personne. Le brouillard lui jouait sûrement des tours ...
Julia reprit sa marche, après quelques pas, elle s'arrêta de nouveau et tendit l'oreille. Cette fois c'était sur quelqu'un marchait derrière elle !
-Qui est là ? Demanda t-elle en faisant volte face.
Mais elle se heurta a nouveau au silence. Perdait elle la tête ? Encore une centaine de mètres et elle arriverait au restaurant. Elle serait bientôt en sécurité.
Elle se remit en route, mais soudain quelque chose de mou et humide lui caressa la joue. La jeune femme laissa échapper un cri et chassa l'air d'un geste agacé.
-C'est quoi ce truc ? Fit elle. Qui est la ?
La chose la frôla de nouveau, une sensation froide sur la nuque. Il fallait qu'elle se reprenne, il n'y avait rien ici ! Rien que du brouillard ...
Soudain une voix s'éleva, une d'homme... qu'elle avait déjà entendu plus tôt.
-On ne sait jamais sur qui on peut tomber par un tel temps...
Julia poussa un crie et s'élança vers le restaurant. Mais un coup de pied la fit tomber à genoux, elle sentit les gravillons déchirer son pantalon et écorcher ses genoux. Elle jeta alors son sac à main vers l'agresseur mais ne rencontra que le vide. Elle ravala un sanglot et s'efforça de se relever, tandis que la créature invisible se mit à rire et lui agrippa l'épaule d'une main ferme.
La jeune femme tenta de se défendre, et cette fois ci sa main rencontra un instant une substance indéfinissable. Un visage d'homme lui sourit à travers la brume, mais disparut aussitôt. Elle l'avait déjà vu.
Julia se mit a pleurer, c'était un cauchemar ! Rien ne pouvait disparaître ainsi, changer d'état ou de forme comme le brouillard ...
A compter de cet instant, toute cohérence quitta la jeune femme, et lorsque la lame brilla dans la faible lumière des réverbères, il était déjà trop tard.
Je suis sûr que vous allez kiffer lire ces textes
N'oubliez pas de laisser des commentaires pour les auteurs sur ce topic : Topic des Discussions
Bonne lecture à tous et n'hésitez surtout pas à nous envoyer des oeuvres
Re: Topic du M-I Jump
Bonjour à tous, en cette radieuse après-midi sort le Jump n°6
Comme vous pourrez le constater, celui-ci comporte 5 textes pour une fois, suite à une demande de Ziefniel pour convéniences, nous lui avons accordé 2 textes dans ce numéro Ne vous faites pas cependant, ceci n'a en rien modifié le karma du Jump puisque l'on a ajouté un texte et non remplacé un slot pour son second texte
Ceci étant dit et avant de vous souhaiter une excellente lecture, je remercie Perona Sama pour son dessin de couverture toujours à l'heure lorsqu'elle nous fait un texte
Bonne lecture à tous
PS : Vous le remarquerez, vu la longueur des textes, nous avons du faire ce Jump sur 2 posts consécutifs, pas de panique
Comme vous pourrez le constater, celui-ci comporte 5 textes pour une fois, suite à une demande de Ziefniel pour convéniences, nous lui avons accordé 2 textes dans ce numéro Ne vous faites pas cependant, ceci n'a en rien modifié le karma du Jump puisque l'on a ajouté un texte et non remplacé un slot pour son second texte
Ceci étant dit et avant de vous souhaiter une excellente lecture, je remercie Perona Sama pour son dessin de couverture toujours à l'heure lorsqu'elle nous fait un texte
Bonne lecture à tous
PS : Vous le remarquerez, vu la longueur des textes, nous avons du faire ce Jump sur 2 posts consécutifs, pas de panique
- Les pieds sur terre:
- Les pieds sur terre.
- Aaah !
Mon fessier heurta violemment le sol. Je tombai à la renverse sous le coup violent que mon adversaire venait de m’infliger. Il se recula et ria à gorge déployée. C’était une sorte de lutin féminin, avec de grandes oreilles pointues. Elle était toute vêtue de turquoise, un sourire sournois ornait le bas de son visage. Elle avait de petits yeux perçants bleus. Quelques mèches blondes dépassaient de son couvre chef et s’entremêlaient sur son front aussi blanc et pur que de la porcelaine. Elle s’arma de son javelot (une lance à sa taille) et se mit en garde. Une sorte de brume fraiche se dégagea de l’arme et commença à se propager autour d’elle, gelant ainsi les brins d’herbe verdoyants à souhait. Un paysage d’une telle beauté détruit par de la glace… Quel gâchis ! Je me relevai, les genoux légèrement flageolants et les mains serrées contre ma poitrine. Qu’est ce que je devais faire ?
- Tu es vraiment pathétique. Tu n’as même pas d’arme. Comment veux-tu te battre ? Utopia nomme ses représentantes vraiment au hasard.
Une arme ? Représentante ? Qu’est ce que tout ça voulait dire ?
- Meurs, pseudo Fille de la Terre !
Le lutin se rua sur moi, avec l’intime conviction de me tuer. Dans quelques secondes, sa lame transpercera mon cœur confus. Instinctivement je fermai les yeux et me remémorai comment j’en étais arrivée là.***
Tokyo, au Japon. An deux-mille cent quarante-sept.
Je rentrais des cours comme d’habitude. Le soleil allait lentement se coucher. Son magnifique reflet miroitait dans le métal et les miroirs qui faisaient la rue. La technologie avait pris le pas sur la nature. Il n’y avait plus une once de vert depuis une centaine d’années. Beaucoup de personnes en étaient ravies, mais je n’en faisais pas partie. Ma grand-mère me contait souvent la vie à son époque et la fameuse tradition des cerisiers en fleurs, l’Hanami ce fameux festival. Oh, de nos jours il est toujours fêté. Mais les cerisiers sont remplacés par de vulgaires hologrammes, ce qui pour moi dénature totalement la tradition. L’éclosion des fleurs de cerisiers se fait de manière totalement artificielle. Il n’y a plus la « magie » que ma grand-mère a dans les yeux lorsqu’elle me le conte. En fait c’est plus devenu « quelque chose que l’on doit faire » plutôt que « quelque chose que l’on aime faire ». Beaucoup d’autres petits plaisirs comme celui-ci ont disparu avec Mère Nature. Même le Mont Fuji, si désiré par les touristes il y a une centaine d’année, a été recouvert totalement de bitume.
Je n’étais pas née lorsque cela a été décidé, mais ma grand-mère m’a expliqué que la technologie a avancé à une vitesse incroyable le siècle dernier. Les humains ont inventé des trains à très grande vitesse, en améliorant le Shinkansen, allant jusqu’à des pointes de plus de quatre-cent kilomètres/heure. Les américains ont créé l’avion hypersonique. Les robots humanoïdes sont entrés dans notre vie quotidienne. Ils nous servent de femme de ménage, d’employés de bureau, d’ouvriers dans certaines usines, de maîtres d’école et dans plein d’autres domaines.
Bien entendu des luttes ont eu lieu avant d’arriver à ce résultat. Des organisations ont tenté de lutter pacifiquement contre les technologies bien trop envahissantes, mais aucun résultat n’apparu de leur côté. Ils décidèrent de s’engager contre les gouvernements. Mais les dirigeants des pays changèrent au fur et à mesure que l’on avançait dans le temps. Une nouvelle ère était en train de naître. Ils étaient de moins en moins compréhensifs. Les partisans de grandes organisations telle Greenpeace furent massacrés lors de certaines opérations « coup de poing ». Ma grand-mère m’a raconté que la lutte la plus meurtrière s’était effectué lors de la tentative de sauvetage de la forêt Amazonienne. Des centaines et centaines de militants s’étaient enchaînés à des arbres, voulant empêcher la déforestation. Mais le chef des Etats-Unis ordonna quand même l’abattage du lieu, et des membres de Greenpeace par la même occasion.
S’en suivit des guerres sans merci. Mais au final le pouvoir remporta la victoire, réduisant au silence les minorités.
De nos jours, la médecine a progressé : les gens vivent de plus en plus longtemps. L’espérance de vie est passée à cent-quarante ans. Mais nous utilisons des produits chimiques au détriment des plantes médicinales puisque celles-ci n’existent plus. Je trouve ça triste personnellement. Les humains ont détruit une ressource très importante de ce monde. Tout ça pour satisfaire leur égo. Importer et exporter leurs propres créations. Mais je pense qu’un jour, la technologie aura atteint ses limites. Et nous mourrons tous, un par un. L’Homme est bête. Grand-mère me disait toujours : « L’homme n’a pas les pieds sur terre, mais sur le bitume ». Autrement dit, il est conscient de ce qu’il a crée mais pas des conséquences à l’avenir, qu’il soit proche ou lointain.
J’étais arrivée au pas de la porte. Machinalement, je rentrai dans le hall de l’immeuble. Après avoir pris l’ascenseur, j’ouvrai ma porte d’entrée. Je voulais un verre d’eau bien fraîche. Il faisait une de ses chaleurs cet après–midi !
- Oh tu es déjà là Hanako ?
- Je suis rentrée, grand-mère.
Je vis seule avec ma grand-mère. Mes parents sont morts durant la dernière catastrophe de Fukushima il y a maintenant dix ans de cela. Oui, avec les technologies, ce genre d’accident s’est multiplié. Mais ce ne sont que des pas en avant pour la science, selon les hauts dirigeants du monde. Une poignée de vie ne vaut pas le confort du reste de la planète. Le pire je crois, c’est qu’ils n’y travaillaient même pas. Leur entreprise n’était pas très loin du site et l’usine a littéralement explosé de par je ne sais quelle combustion qui n’a pas fonctionné. Cela ne change en rien que mes parents étaient à la merci du souffle de la déflagration. Et qu’ils ont perdu la vie.
Aujourd’hui j’ai dix-sept ans. L’usine de Fukushima a fermé mais il y en a d’autres dans le Japon. Ma grand-mère décida de nous rapprocher de la capitale, qui est plus sûre à ce niveau là, entre guillemets. Nous nous sommes donc habituées toutes les deux à la pollution de la métropole et à son surplus d’humains et de machines.
-Hanako, je t’ai déjà dit de sourire un peu plus ma chérie, tu as un très joli visage.
Grand-mère me tira de ma rêverie. Je posai mon verre machinalement avant de lui esquisser un léger sourire. C’est vrai, j’ai un visage plutôt fermé. Je suis timide, je ne parle pas à beaucoup de monde. Mais je ne suis pas triste, non. Plutôt blasée. Blasée de ce que l’humanité est devenue. En vérité, je parle comme si je l’avais vécu, cette époque préexistant à la mienne, alors que c’est totalement faux. J’aimerais le vivre, mais c’est impossible malheureusement. Je suis comme n’importe quelle femme de ce monde à ce jour ; guidée par la lucidité. Mais j’aimerais croire qu’un monde ressemblant au notre antérieurement existe. C’est peut-être mon côté enfant qui ressort…
Tiens d’ailleurs, cela faisait plusieurs jours que je faisais le même rêve. Une voix me disant toujours la même phrase : « Toutes les jeunes filles aspirent à un rêve. Mais seul un virgule trois pourcents d’entre elles le réalisent. Mais toutes ces chimères nourrissent un monde parallèle, un monde ou tous les rêves sont possibles. En trouvant la gemme du songe, tu ouvriras les portes d’Utopia. »
Mais les rêves ne sont que des divagations de l’esprit humain. C’est ce que l’on nous apprend à l’école tout du moins.
- Qu’as-tu fais de ta journée grand-mère ?
- Oh, je suis allée dans une brocante dans le quartier est. Et je t’ai trouvé une jolie barrette !
- Vraiment ? M’enquis-je.
- Oui, elle correspondait tellement à ton prénom et à tes cheveux noirs que je n’ai pas pu résister, je te l’ai acheté.
- Il ne fallait vraiment pas, grand-mère.
- Je vais te la chercher !
Quelques minutes plus tard, elle revint avec ledit bijou. Elle avait raison il était somptueux. La barrette était en forme de fleur et incrustée d’une émeraude en son centre. Elle était imposante, mais tellement jolie. Je remerciai ma grand-mère avant de filer dans ma chambre devant mon miroir. Je la plaçai maladroitement dans mes cheveux, sous mon chignon. Je n’avais pas l’habitude de porter ce genre d’artifice. Mon seul accessoire était ma paire de lunettes et cette dernière était vitale pour ma vue dirons-nous. Je tournai ma tête à droite puis à gauche, et un sourire apparu sur mon visage. Je murmurai :
- Hanako, enfant de la fleur.
- Félicitations, Hanako. Tu as trouvé la gemme du songe, ton billet d’entrée pour Utopia. Ton rêve se réalisera assez vite.
D’où venait cette voix ?! J’inspectai du regard chaque recoin de la pièce.
- Les rêves ne sont que fabulations.
- Alors comment expliques-tu que je puisse te parler ?
- Hallucination due à la chaleur. Je ferais mieux de faire une sieste.
- Et l’éclat étincelant de ta barrette ?
- Reflet du sol_ Hein ?!
Tout devint blanc autour de moi. Cette pureté m’éblouit. Une douce chaleur m’envahit. Ah que c’était agréable…
Plus tard je me réveillai. Je ne sais pas combien de temps il s’était passé. Mais en ouvrant les yeux, je tombai nez à nez sur un fin visage avec de grandes oreilles. Je criai de surprise : un lutin ?! Mais ou étais-je arrivée ? Mon regard se posa sur mes genoux endoloris. Une jupe longue ? Mais je n’étais pas habillée comme ça avant de m’endormir ? Qu’était-ce cet accoutrement ? Ne comprenant strictement rien à la situation, la voix du lutin m’interpella. Elle semblait parler au ciel :
- C’est bon, je l’ai trouvé.
Elle posa ses yeux bleus sur moi, avec un regard félon. Elle sortit de nulle part un javelot bien aiguisé qu’elle commença à faire tournoyer dans sa main gauche. Sur mes jambes, je reculai prudemment. Comme si un animal sauvage était prêt à m’attaquer et que je ne devais pas faire de gestes brusques pour l’énerver. Je ne comprenais strictement rien à la situation. Machinalement je touchai mes cheveux : la barrette était toujours là. Elle était légèrement chaude, comme si elle était habitée d’une conscience, d’une vie. Je ne savais toujours pas d’où provenais la voix que j’avais entendue. Mon cerveau était en train de formuler mille et une hypothèses plausibles pour expliquer ce qu’il m’arrivait. Mais aucune ne semblait logique. La technologie aurait-elle une faille, alors que l’on la prône depuis plus de cent ans.
Une chose était sûre dans tous les cas : ce lutin n’était pas là pour prendre le hé avec moi.***
- Meurs, pseudo Fille de la Terre !
Le lutin se rua sur moi, avec l’intime conviction de me tuer. Dans quelques secondes, sa lame transpercera mon cœur confus. Instinctivement je fermai les yeux. Soudain, un bruit métallique se fit entendre. Surprise, j’ouvris les yeux. La lance du lutin avait volé au loin et s’était écrasée sur une souche. Devant moi se tenait une silhouette de taille assez petite mais très élancée. Je ne voyais que ses jambes, le reste étant caché par une cape rouge sang. Ses cheveux courts volaient au vent. Le gel avait disparu au sol et mon ennemi était à terre. Je pouvais lire la peur dans son visage. Je sursautai, deux mains se posèrent sur mes épaules. Je me retournai promptement et une voix douce se fit entendre.
- Tout va bien, tu n’es pas blessée ?
Elle devait avoir la quinzaine. Elle était jolie avec ses longs cheveux châtains. Ses grands yeux bruns me fixaient avec inquiétude. Doucement, je me relevai avec son aide. Elle avait des sortes d’ailes aux chevilles et au niveau des oreilles. Elle était vêtue d’une robe fluide grise et violette. Elle dégageait une aura agréable, apaisante et rassurante. Elle m’adressa un grand sourire avant d’ordonner à la fille aux cheveux rouges :
- Ne l’élimine pas.
- Tu plaisantes j’espère ? Elle a failli tuer l’une des nôtres, je vais la cogner comme il se doit !
- Victoria ! S’écria l’ange, déconfite.
Ladite Victoria serra son poing et une flamme en apparu. Elle fondit sur le lutin, tétanisé par la peur. La fille de feu lui infligea un direct du droit acharné et l’ennemi vola à quelques mètres plus loin. En quelques foulées elle la rattrapa et lui rendit un violent coup de pied dans le poitrail. Le lutin gémit de douleur. Victoria s’apprêta à donner le coup final, mais le petit être se volatilisa dans une poussière blanche.
- Je t’avais pourtant dit de ne pas l’éliminer !
- Elle est partie, je ne l’ai pas tué.
L’ange aux cheveux châtains s’avança vers Victoria pour me faire face ensuite.
- Je m’appelle Summer, enchantée.
- Toi tu m’appelleras Fille du Feu. Non ! Fille des Flammes c’est plus classe, m’ordonna Victoria sur un ton nonchalant.
- Tu es la Fille de la Terre, Utopia t’as choisi.
- Mais, pour quoi faire ? Répondis-je hésitante.
- Va savoir… Même nous on ne sait pas pourquoi on est là, cracha la rouge en levant les yeux au ciel.
- En attendant cet endroit est magnifique ! Clamai-je.
En effet, nous nous trouvions dans une clairière. L’herbe était basse, mais du vert s’étendait à perte de vue. Autour de nous, des arbres de toutes sortes : des chênes comme des peupliers, des pins comme des érables. Un camaïeu de verts et de bruns défilait devant mes yeux éblouis par ce spectacle que je n’avais jamais pu voir au cours de ma vie. J’étais aux anges, qui aurait cru qu’un monde contraire à la logique existait ? Mes pieds nus foulaient ces brins verts frais, chatouillant ma voute plantaire. Quelle sensation agréable ! Doux, léger, tout le contraire du béton des trottoirs de Tokyo, que le carrelage froid de grand-mère, que le parquet rugueux de ma chambre. La voix de Summer me fit revenir à la réalité, enfin façon de parler :
- C’est ton royaume, Hanako.***
A quelques kilomètres de là…
- Maîtresse j’ai failli à ma mission. Mais je suis prête à me racheter ! Envoyez-moi tuer la Fille de l’Eau ! Supplia le lutin blond.
- Non c’est trop tard, on a manqué une occasion en or d’éliminer une des filles du Quatuor Naturel ! Tu es inutile, et tu n’as pas ta place dans mon armée, rétorqua une voix sèche.
- La Fille de l’Eau est certainement la plus expérimenté des quatre, ne la visons pas directement. Elle saura se défendre. Déclara une voix aigue.
- Mais, maîtresse ! L’erreur est humaine ! Donnez moi une autre chance je vous en conjure !
- Tu n’es plus humaine dans ce monde, comme nous toutes.
Une silhouette leva le bras gauche lentement et le lutin gela, avant de voir son corps être éclaté en mille morceaux par un projectile quelconque.A suivre.
- L'Egaré - Partie 4:
L'égaré, partie quatre :
Le gouffre des muets :
Aux pieds d’une montagne aux flancs escarpés,
Nous trouvâmes une ouverture, et entreprirent d’y pénétrer,
Immédiatement, par la pénombre, nous fûmes happés,
Jusqu’à ce qu’Eldreit, d’une flammèche, vint nous éclairer.
D’un pas prudent, j’avançai,
Tandis que, par prouesse d’ignée, elle flottait,
« Savez-vous quel chemin nous arpentons ? »
Dis-je avec une œillade pour accompagner mon interrogation.
« Je ne sais, je n’ai jamais quitté les bois,
Mais, seule de la pierre, de mes yeux ne je vois,
Je ne sais qui, de ces lieux, a pu faire son repère,
Sinon que l’atmosphère ne me rappelle nul parère.
Je ne peux te dire qui, plus loin, nous trouverons,
Seulement que, en ce gouffre, de prudence nous userons. »
Sa voix s’estompa ; son timbre raisonna,
Et, telle une onde, bientôt remonta.
D’un pas mal assuré sur la roche qui ruisselait,
J’avançai tandis qu’Eldreit, de son être m’éclairait,
Je suivis les clapotis ; ils devinrent symphonie,
Et découvris la place d’une cruelle agonie.
La roche s’écarta ; une alcôve se dessina,
À notre arrivée, aucune vie ne se manifesta,
Seuls mes pas vinrent troubler le silence,
D’un monde abandonné à la repentance.
Au centre, mon regard fut attiré,
Par une mare qui, de l’intérieur, semblait scintiller,
Pour toute la grotte, illuminer,
Et la roche, par magie, repousser.
Obnubilé par les reflets qui y dansaient,
Et qui, parfois, la fendaient,
Pour, telles des fouets, s’en extirper,
Je m’approchai et m’apprêtai à y plonger.
Eldreit protesta et, sans doute, ainsi me sauva,
Mais, en réponse, sa flammèche vacilla,
Et, soudain, la mare s’agita,
Frénétique, l’ignée vola vers moi ; elle protesta.
Alerté par ses plaintes, je me retournai,
Mais, déjà, elle disparaissait,
Quand, par-dessus mon épaule j’apercevais,
Des bras visqueux qui l’agrippaient.
En un instant, des aqueux l’assaillaient,
Et, dans la mare, la noyaient,
Pendant un instant, je paniquai,
Car sa condition, je partageais.
Si personne ne me l’avait conté,
Je pouvais, dans mon esprit, théoriser l’antagonisme que les ignés,
Êtres embrasés qui ne pouvaient s’accorder à l’humidité,
Pour les aqueux, par leur condition, devaient susciter.
À Eldreit, je devais ma vie,
Alors, sans que j’en eux l’envie,
Dans la mare je plongeai,
Et ses remous je bravai.
Téméraire, j’entrai dans leur repère,
Tandis que les eaux, de mes forces me drainèrent,
Mais, rien dans ma condition ne me préoccupai,
Car l’ignée, déjà, rapetissait.
Je battis des pieds pour les rattraper,
Mais, se furent des aqueux aux extrémités palmées,
Qui refermèrent leurs membres écailleux,
Sur mes jambes et me tirèrent dans un creux.
L’un d’eux m’entailla la chair,
Et, de douleur, je recrachai mon air,
Alors, je crus me noyer,
Avant de réaliser que je n’avais pas à respirer.
Mais, même si les eaux ne pouvaient m’emporter,
Je devais encore, Eldreit, la sauver,
Et, de leurs griffes enfoncées dans mon être,
Les aqueux pourraient bien se repaitre.
Je devais agir,
Je ne pouvais me résigner à périr,
Et, alors que le désespoir me gagna,
J’entrevus l’arme qu’un héros mania.
Une épée à demi camouflée,
Qui, par les algues enlacée,
M’offrirai le salut dont je rêvais,
Et, par sa seule vue, le courage qu’il me fallait.
D’un coup de pied, je me dégageai de leur prise,
De ces êtres informes à la peau grise,
Et, avec la force du désespoir,
M’emparai d’une lame qui ferait de cette fosse un mouroir.
Je me retournai,
Je frappai,
Le sang coula,
Puis se dilua.
Un aqueux avait péri,
Un autre se trouvait meurtri,
Mais, Eldreit disparaissait,
Dans des profondeurs que mes yeux ne sondaient.
J’ignorai mes derniers adversaires,
Pour nager vers les entrailles de la terre,
Là où je trouverais celle qui me guidait,
Et dont la vie, plus que ma quête, m’importerait.
Les aqueux me suivirent,
Et bien que la lame me permît de m’appesantir,
Leurs membres palmés les portèrent,
Et, devant moi, ils me confrontèrent.
De toute part, ils m’assaillirent,
Je soutins leurs assauts sans tressaillir,
Et, malgré l’ardeur de l’affrontement,
Aucun d’eux, par ses paroles, ne se montra véhément.
Plus que leurs coups, le silence m’affaiblit,
Et, plus mon sang, leur douleur me meurtrit,
Car, enfin, je compris la malédiction qu’ils partageaient,
Ces êtres, condamnés à rester muets.
Jamais ils ne pourraient exprimer ce qu’ils ressentaient,
Jamais leurs souffrances ne se manifesteraient,
Toujours, dans le mutisme, ils se trouveraient enfermés,
Car, de ce maux, la Maîtresse, les avait condamnés.
Mon esprit fureta et me déconcentra,
Les damnés m’assaillirent à la force d’un mantra,
Et d’un coup, un courant, vers le fond, me tira,
Là où le corps de l’ennemi reposera.
Mes blessures m’accablèrent,
Par mes coups, plus d’aqueux ne succombèrent,
Je crus abandonner,
Abandonner ma quête dans le royaume des damnés.
Mais, une vision ramena ma vigueur,
Une vision m’arracha à la torpeur,
Une vision me fit ignorer la douleur,
Une vision me fit illuminer le gouffre de mille lueurs.
Car Eldreit, à mes côtés succombaient,
Car, bientôt, elle disparaîtrait,
Car jamais je ne m’y résoudrais,
Et car mes pouvoirs, en cet instant, j’éveillai.
Car l’humanité déjà, avant, me quittait,
Quand, dans la forêt, les ignés me sauvaient,
Quand, sans le savoir, en mon corps je les accueillis,
Et que maintenant, dans mon esprit, une flamme naquit.
La rage me gagna,
Ma flamme s’en alimenta,
Et je produisis un torrent,
Qui, aux aqueux, infligea mille tourments.
Des flammes s’extirpèrent de mon corps,
Leur chaleur fut telle que l’aurore,
Sembla s’inviter dans ce lieu enterré,
Où le soleil jamais ne se manifesterait.
L’eau s’évapora ; lentement, la vapeur se dissipa,
Autour de moi, des corps s’effondrèrent,
Encore, leurs chairs se consumèrent,
Tandis qu’une fragrance nauséabonde emplie l’air.
Je ne me réjouis point de les tourmenter,
Mais, pour Eldreit, je les aurais tués,
Sinon qu’aujourd’hui ils se trouvaient simplement brulés,
Mais, avec le temps, leurs peaux pourraient se régénérer.
Dans la fosse, tout semblait calciné,
Mais, certaines choses furent épargnées,
Mes vêtements, mon épée,
Et la vie de l’ignée.
Délicatement, je la ramassai,
Et malgré sa taille, elle murmurait,
« Tu m’as sauvé, tu es igné ;
De la maîtresse, tu sauras triompher. »
Affaiblie, elle s’évanouit,
Ses cheveux prirent la teinte de la nuit,
Stupéfait, je paniquai,
Et mon oreille, délicatement, contre son buste, je posai.
Elle dormait ; elle respirait,
Mais, pour moi, une ascension s’annonçait,
Je la glissai dans la poche de mon veston,
Et, l’épée au poing, quittai les tréfonds.
Les aqueux se contorsionnaient,
Tous, mon regard évitaient,
Tandis que, dans l’ombre, ils se terraient,
Et que moi, lentement, j’ascendais.
Je repris mon chemin et bannis les ténèbres,
Sans être désorienté de ma quête funèbre,
Car, par mes propres paumes je m’éclairais,
Et, ainsi, triomphais du gouffre des muets.
- L'inertie transcendante - Chapitre 1:
- L'inertie transcendante, chapitre 1 :
L’inertie, un terme si entier, si parfait. Un terme qui nous permet d’exprimer avec panache notre propension à ne rien faire. L’inertie, évoque aussi autre chose, un principe scientifique ignoré de la plupart des êtres humains tant sa banalité nous éprouve. Mais, pour moi, l’inertie symbolise l’existence. Si j’accélère, je continue d’accélérer, j’éprouve mon cœur et mes membres ; et, si je ralentis au point de tout faire s’arrêter en moi, alors, je meurs.
Vous vous demandez peut-être pourquoi je vous raconte cela ? Et bien, vous le découvrirez bien assez tôt. Ou pas. Il faut dire que le temps passe lentement pour moi. Sans doute n’aurais-je pas dû pousser mon pouvoir au-delà de sa limite. En ce moment, je suis immobile. Mais, je ne me morfonds pas dans la solitude, le monde m’accompagne. Ainsi, j’ai le temps de vous raconter toute mon histoire, cette histoire remontant à il y a déjà plusieurs jours ; cette histoire insensée dans laquelle j’ai eu l’audace, et sans doute la stupidité, d’accepter de m’inscrire.
Alors, où commencer… Sans doute sur l’origine de ma condition, et de celle de millions de personnes à travers le monde. Il y a de cela dix ans, en 2023, le monde a adopté son identité actuelle. Les scientifiques se plaisaient à dire qu’une « porte » vers une nouvelle réalité avait fendu les flots et irradié le monde de ses énergies. Enfin, pour les plus pragmatiques, cette « porte » que se plaisent à étudier les scientifiques ne se révèle n’être rien d’autre qu’un immense trou au beau milieu de l’Océan Pacifique. Une vue impressionnante, sans doute, que de voir les eaux s’enfoncer dans un abyme sans fin sans pour autant que le niveau des mers ne décroisse.
Ainsi, le 17 septembre 2023, j’obtins mon pouvoir, ma malédiction ; et, le 22 février 2033, la condition que j’avais tant peiné à établir s’ébranla. Ce jour-ci, le monde entra dans une nouvelle ère de chaos, et quoi de plus emblématique pour débuter une telle journée qu’un réveil impromptu.
Je me réveillai donc dans la matinée. Enfin, si d’aucuns purent considérer trois heures comme se trouvant dans une telle période. Ma montre vibra, m’indiquant ainsi que je devais me soustraire à mes draps. Elle vibrait souvent, bien trop à mon goût. Mais, sans elle, je ne pouvais vivre. Ma malédiction m’imposait ces perpétuelles vibrations semblables à des coups de burins sur mon poignet gauche. Je ne pouvais m’abandonner à l’inertie du sommeil ; je devais me réveiller, bouger pour que mon cœur ne se transît point. Quelques implants développés par une unité scientifique placés le long de ma colonne vertébrale envoyaient perpétuellement de légères impulsions électriques afin de stimuler mes muscles, de lutter contre mon pouvoir, mais elles ne pouvaient suffire. Ainsi, depuis dix ans, mon sommeil s’inscrivait sous l’égide de l’éphémère.
Je grognai et martelai la montre pour qu’elle cessât de vibrer. D’un pied, je poussai le drap recouvrant mon corps. La difficulté avec laquelle j’exécutai ce mouvement me confirma la triste utilité de mon perpétuel accessoire. Je m’assis avec difficulté au bord de mon lit et, m’aidant de mes membres supérieurs, me relevai. Comme à chaque réveil, je sentis les impulsions parcourant mon corps et, comme à chaque fois, maudis l’acuité exacerbée de mes sens. Les heures estomperaient la perception, mais l’inconfort ne me quittait jamais.
Malgré la douleur, j’initiai mon rituel matinal. Je ramassai une télécommande trainant à mes pieds et m’en servis pour faire apparaître ma télévision, un cadre transparent maintenu en suspension par un moteur développé par quelque génie doté d’une condition bien plus plaisante que la mienne. Comme à mon habitude, je mis la chaîne d’informations et montai le volume juste assez fort pour pouvoir l’entendre depuis le cuisine.
Je fis quelques moulinets des épaules pour faire circuler mon sang tandis que je me dirigeais vers mon réfrigérateur. D’un geste d’une précision trahissant sa répétition, j’en ouvris la porte, attrapai un yaourt et, en me retournant, la refermai d’un coup de talon. Avec des mouvements d’une égale maîtrise, j’atteignis un tiroir et en sortis une cuillère. Alors, armé de mon couvert, je transperçai l’opercule et m’alimentai.
Pendant un instant, je portai mon attention vers la télévision. J’avais reconnu la musique d’une publicité, ou plutôt, la musique d’une œuvre de propagande. Bien que la nature du contenu n’inspirât guère ma sympathie, mon intarissable curiosité me força à river mon regard vers l’écran. Alors, comme à chaque entracte publicitaire, Deirdre Augton apparut à l’écran. Dans ce monde, personne n’ignorait le nom de cette militaire surnaturelle, l’une des figures de proue dans la lutte contre le terrorisme. Son pouvoir restait un secret, mais sa puissance ne pouvait être niée. À plusieurs reprises, des insurrectionnistes avaient tenté de l’agresser et, sans même user de ses capacités, elle les avait contrôlés.
Enfin, son visage d’un ovale parfait s’anima sur l’écran ; ses yeux bleus, jurant avec ses cheveux bruns mi-longs qu’elle portait attachés, si perçants qu’ils semblèrent lui donner matérialité, fixés sur l’objectif, elle discourut sur les bienfaits des interventions armées à grande échelle face à la menace libertaire. L’apparition de pouvoirs fut saluée par certains comme un acte divin, et leur attribution ne se fit pas parcimonieusement. Rebelles comme militaires en bénéficièrent et, ainsi, la lutte s’intensifia.
Je m’abandonnai à sa voix pendant quelques instants. Dans mon esprit, j’anticipai chacun de ses mots, chacune de ses expressions. Je ne pouvais me rappeler combien de fois j’avais vu ce court métrage, mais, cette fois, je ne pris pas la peine de mener son visionnement jusqu’à terme. J’éteignis la télévision et m’empressai d’avaler mon petit-déjeuner. D’une brève œillade, je contrôlai mon rythme cardiaque : quarante-sept pulsations par minute ; lent pour un être humain normal, mais rien d’alarmant pour ma part. Tout de même, l’accentuer me bénéficierait. Alors, j’accélérai ma préparation.
Je fonçai vers ma commode et en tirai ma tenue. Puis, de quelques pas chassés, je me décalai vers mon miroir. Pendant une seconde, je fixai mon reflet. La nuit me rendait autant grâce que l’alcool pour d’autres. D’amples cernes marquaient mon visage, et plusieurs mèches de mes cheveux châtains s’invitaient dans mon champ de vision. D’une main, je dégageai mon front. Même ainsi, je semblais tout autant misérable. Je soupirai en regardant à nouveau ma montre : cinquante-trois pulsations par minute. La satisfaction germa dans mon esprit conjointement à la certitude que je survivrais à ma matinée. Sans perdre un instant de plus, je me vêtis.
Mon uniforme de travail sur le dos, un costume trois pièces cintré d’un agréable bleu, je m’ébranlai. Bien que Paris ne s’éveillât pas encore, je pris la direction de mon emploi. Je ne doutais pas de l’ouverture des portes, ni de la vacuité des locaux, seulement de la malléabilité de mes horaires. Après l’ouverture de la Porte, le monde avait entamé une inlassable évolution et, si presque toutes les entreprises embauchaient de mes semblables, qu’ils fussent bénis ou maudits, leurs horaires n’avaient que peu évolués. Mon employeur acceptait ma particularité mais, même s’il ne le laissait pas transparaître, la facturation de mes heures supplémentaires lui déplaisait. Enfin, j’abattais à moi seul plus de travail que dix autres collaborateurs.
Je pris le métro, désert à cette heure. Je profitai de l’isolement afin de faire quelques exercices, l’œil toujours rivé sur ma montre. Je devais faire grimper mon rythme cardiaque car, une fois au travail, il ne cesserait de choir. Mais, je devais également prendre soin à ne pas succomber à une inertie positive, à ne pas tourmenter mon corps par une trop grande célérité.
Je me rappelais de ce jour où j’avais souhaité tester mes limites, capter toute l’étendue de ma condition. Alors, plutôt que de m’inviter dans les transports en commun, j’avais couru. Au départ, je ne dépassais pas la vitesse d’un humain moyen mais, à mesure que le temps passait, j’accélérai. Bientôt, ma vision se troubla, les voitures ne devinrent que des images informes et, avant de m’en rendre compte, j’avais fait deux fois le tour de la ville pour arriver au bureau. Nul autre mot que célère ne pouvait me définir.
Mais, à l’issue de cette folle course, je réalisai l’étendue de ma malédiction. J’entamai mon supplice et, à cet instant comme jamais auparavant, espérai que les secours arrivassent avant mon trépas. Je survécus à cette journée ; je lui dus même la présence de mes implants et le port d’une montre. J’en appris plus sur mon pouvoir, et sur son coût. Une inertie négative m’entrainerait dans un coma qui s’achèverait irrémédiablement par ma mort ; une inertie positive détruirait mon corps.
Enfin, j’arrivai à la station où je descendais. D’un pas leste, je montai les marches qui me mèneraient à la place où je trouverais mon lieu de travail. J’allais retrouver mon ordinateur, ma comptabilité. Sans doute, avec du recul, n’avais-je pas choisi le meilleur emploi en considérant ma condition. Mais, s’il ne suscitait pas mon plus vif intérêt, au moins me fournissait-il les ressources suffisantes pour subsister.
Seulement, ce jour-ci, je n’atteignis jamais mon poste de travail. À peine m’exposai-je aux douces lueurs de l’astre lunaire que la lumière diffusée par les lampadaires vacilla. Mon instinct m’indiqua la présence d’un danger. Mais, je ne pouvais l’éviter : il semblait cerner l’entier continent. En un instant, toute l’électricité se retira et la Ville Lumière fut happée par l’obscurité. Puis, aussi vite qu’elle disparut, elle revint chargée d’ire.
Des arcs électriques se soulevèrent et fendirent le bitume. Des grondements retentirent mais aucune plainte humaine ne parvint jusqu’à mes oreilles. Sans même le réaliser, la population succombait. Ma perception s’accentua. Assourdi par le tonnerre, je ne m’entendis pas pousser un juron tandis que je distinguais clairement une gerbe d’électricité se diriger vers moi. Un instant, je crus mon trépas s’annoncer mais, à l’instant où l’électricité lécha ma chair et détruisit mes implants, une nouvelle énergie m’anima.
L’éclair se dégagea de ma peau. Mais, ce ne fut pas celui-ci qui se retira, mais moi qui m’élançai. Pris de perspicacité, je contrôlai mon inertie et, en une fraction de seconde inférieure à celle qu’il fallut à l’électricité s’insinuer dans ma chair, je fuis. Plus vite que je ne l’avais jamais fait, je courus dans les rues se disloquant sous mes yeux et, bientôt, rendu aveugle par ma célérité, je parcourus la pénombre au hasard.
Par chance, il sembla qu’aucun éclair ne me frappa. Ainsi, je survécus. Mais, quand je m’arrêtai, je subis l’assaut du contrecoup de l’exacerbation de mon pouvoir. Mon entier corps me sembla se décomposer, me bruler ; l’air qu’happaient mes poumons m’incendiaient les muqueuses et mes yeux semblaient être réduits à l’état de braises incandescentes tant ils m’accablaient de douleur. Je m’évanouis, emportant avec moi la certitude que je ne me réveillerais pas.***
Je me réveillai en inspirant bruyamment tel un damné. Tout mon corps ne me sembla être que douleur mais, d’une brève inspection, je constatai sa parfaite conservation. Dans l’autre monde, je n’avais abandonné que mes vêtements. Nu sur un lit que personne n’avait daigné couvrir d’un drap, j’inspectai mon environnement d’amples mouvements oculaires. Alors, je remarquai être relié à un électrocardiographe : vingt-six pulsations minutes. Je devais bouger, et vite.
Malgré la douleur étreignant mes membres et l’auréole glacée m’enserrant le crâne, je m’arrachai au lit et me réceptionnai sur mes pieds. Un frisson parcourut mon épine dorsale à l’instant où la plante de mes pieds entra en contact avec le carrelage glacial. Lentement, j’avançai vers une chaise où se trouvait le drap qui devait recouvrir le lit avant mon arrivée. Tel un sénateur romain en son temps, je m’en enveloppai et la nouait habillement au dessus de mon épaule gauche.
Soudain, j’écarquillai les yeux. La cause n’en fut pas la douleur, ni la peur de succomber à l’inertie, mais l’entrée dans la chambre de Deirdre Augton. Elle m’inspecta brièvement. Pour la première fois, je soutins le regard qui semblait transcender les ondes pour imposer sa matérialité au monde. Toutefois, contrairement à sa représentation télévisuelle, son visage témoignait d’une extrême fatigue et, bien qu’elle espérait le masquer, d’une profonde tristesse.
- Ainsi, vous êtes l’un des cinq, dit-elle sans quitter l’encadrure de la porte.
- Des cinq ? repris-je, incrédule quant à la perspective de survie d’autres individus au cataclysme que j’avais traversé.
- Vous êtes le dernier à vous être réveillé, m’annonça-t-elle.
D’un geste de la main, elle fit s’ouvrir un placard accolé au mur attenant à la porte.
- Habillez-vous, m’ordonna-t-elle en quittant la pièce. Je vous attendrais devant la porte. Et pressez, les autres vous attendent déjà.
Bien qu’être maintenu dans l’ignorance n’éveillât guère en moi d’autre sentiment que la méfiance, je m’exécutai. Toujours relié à l’électrocardiographe, je constatai que mon rythme cardiaque avait légèrement augmenté ; sans doute la rencontre d’une célébrité avait-elle incité mon cœur à rythmer son œuvre. Je détachai nonchalamment le câble me reliant à la machine qui n’émit alors plus qu’un grincement sonore. D’un geste précis, je détachai ma toge improvisée et l’échangeai pour les vêtements soigneusement pliés et entreposés dans le placard : un uniforme militaire dénué de matricule et de coiffe.
Je sortis de la chambre et, à quelques pas de la porte, trouvai Deirdre Augton, comme elle l’avait annoncé. Sans un mot, elle m’indiqua de la suivre. D’une démarche assurée, elle me mena le long d’un corridor semblablement interminable. Enfin, après plusieurs minutes d’une avancée silencieuse, elle s’arrêta devant un pan de mur. Etonné qu’elle s’arrêtât au milieu d’un espace frappé de vacuité, je tournai la tête dans toutes les directions à la recherche de quelque indice.
Lentement, une caméra sortit du mur et sembla scanner la zone. Deirdre leva le menton et se figea. L’instant d’après, un pan de mur s’enfonça et laissa apparaître un ascenseur. D’un geste de la tête, l’héroïne de guerre m’indiqua de m’y inviter. Je m’exécutai et elle m’y suivit. Soudain, les portes se refermèrent et la cabine entama sa chute vers les entrailles de la terre. Malgré la relative stabilité du transport, je parvins à percevoir son exceptionnelle inertie : nous accélérions et, à mon entière surprise, mes fonctions vitales aussi.
Enfin, nous nous arrêtâmes et les portes s’ouvrirent sur un immense hangar souterrain. Aussi loin que ma vue pouvait porter, j’aperçus avions, soldats et armements. Deirdre me saisit par l’avant-bras et m’entraina à sa suite. Tous les soldats devant lesquels elle passa se raidirent et la saluèrent comme le voulaient les conventions militaires. Obnubilé par le déploiement logistique et humain, je perdis le fil du temps pour ne le retrouver que quand nous arrivâmes à un container où quatre personnes se trouvaient réunies autour d’une table en acier. Sur un siège, je remarquai dépasser les oreilles d’un chien.
D’un geste de la main, la militaire m’indiqua de m’assoir. Je balayai la pièce du regard et choisis le siège le plus isolé. Je m’assis et repris mon inspection. Trois femmes au regard vitreux se tenaient autour de la table ; l’autre homme, un militaire aux allures de vétéran, semblait bien moins affecté par les récents évènements. Ainsi, je me trouvais face aux quatre autres survivants. Le chien se redressa sur son siège et vint poser son museau sur la table. À mon grand dam, Deirdre s’assit sur une chaise adjacente à la mienne. Je retins un soupir.
- Bien, fit le vétéran en poussant sa chaise derrière lui. Maintenant que vous cinq survivants sont réunis, il est temps de faire les présentations. Je suis le général Erning, et vous devez déjà connaître la colonel Augton. Vous êtes les seuls survivants d’une attaque terroriste à grande échelle.
Pendant un instant, mon attention vacilla et je cessai d’écouter le général : l’un des survivants ne s’inscrivait pas dans le règne de l’humanité. D’une œillade, je fixai le chien ; en retour, il laissa sa tête basculer légèrement sur le côté jusqu’à ce que l’une de ses oreilles entrât en contact avec le métal froid de la table.
- Un terroriste que nous connaissons sous le pseudonyme de Hill s’est introduit dans la centrale électrique de la zone Europe, expliqua le militaire quand mon assiduité me revint. Il a utilisé le réseau électrique pour faire circuler son pouvoir et créer une destruction à grande échelle. Toute la zone jusqu’à la frontière russe a été détruite. Et, sur toute cette zone, nous n’avons trouvé que cinq survivants en deux mois de recherches.
Je tressaillis intérieurement : cela faisait ainsi deux mois que j’avais survécu à l’apocalypse. Je ne sus par quel miracle j’avais survécu aux arcs électriques, mais un second m’avait maintenu en vie jusqu’à maintenant. Enfin, la stupidité de la situation m’apparut. Le développement technologique lié à l’apparition d’humains dotés de capacités surnaturelles avait conduit à la construction de super-centrales électriques. Une seule de ces usines pouvait fournir assez d’électricité pour fournir un entier continent et, ainsi, elles imposèrent leur existence au détriment des structures plus modestes. Certains vantaient la propreté de l’énergie produite, mais personne ne se douta jamais de l’usage qu’en ferait un terroriste.
- Nous pensons que Hill est lié à un mouvement anarchiste qui est né en Amérique centrale, continua le général. Vous aurez sans doute compris que tout ce que je vous ai dit est frappé du sceau du secret défense. La raison pour laquelle je vous divulgue ces informations, c’est car vous avez survécu à cet attentat. Près d’un milliard de personnes sont mortes, mais vous avez survécu.
Soudain, Deirdre se leva et prit la parole à son tour :
- Nous avons déjà été confrontés à Hill. À chaque fois, nous avons essuyé de lourdes pertes sans parvenir à ne serait-ce que l’égratigner. C’est pour cela que, pour éviter que le désastre que vous avez vécu se reproduise, nous avons besoin de vos services. Vous travaillerez directement pour moi, dans une unité spécialement formée pour l’occasion. Ensemble, nous mettrons fin…
- Désolé, mais ça ne m’enchante pas trop, votre histoire, dis-je en m’étirant. Je ne suis pas enthousiaste à l’idée de me mettre en danger après avoir survécu à ça. Rien ne me dit que j’aurais la même chance.
Deirdre se leva de sa chaise. Je parvins sans difficulté à lire la rage l’animant dans son regard.
- Ce n’était pas une proposition, reprit-elle en articulant très soigneusement chaque mot. Vous avez tous été marqués avec une puce. Soit vous coopérez, soit vous mourez.
Je soufflai en balayant l’assistance du regard. Comme le voulait sa condition, le chien ne comprenait rien à sa situation. Quant aux femmes, l’une d’elles tremblait d’effroi tandis que les autres restaient stoïques.
- Maintenant que ce point est éclairci, il serait courtois de vous présenter, fit le général à notre intention.
Bien qu’elle tremblât de tout son être, la femme blonde, probablement slave et semblablement la plus appréhensive, prit l’initiative :
- Misha Doriung.
- Emma Hughes, se présenta la deuxième, une petite femme au visage ovale, entouré de cheveux bruns ondulés, malgré sa silhouette svelte.
- Begonia Llago, fit la dernière avec un fort accent hispanique, une femme grande et fine aux cheveux blonds et aux yeux verts.
Les regards convergèrent vers moi. Je m’enfermai dans le mutisme pendant un instant. Quand je voulus décliner mon identité, le chien, qui se révéla en fait être une chienne labrador à la robe noire, grimpa sur la table et bondit sur mes genoux. J’esquivai de justesse un coup de langue destiné à mon visage et, d’une main ferme mais douce, plaquai la tête de l’animal contre ma poitrine. De ma main libre, je saisis la plaque en argent pendant au collier de la chienne et y lus l’inscription.
- Misha, annonçai-je en désignant la chienne du regard. Et, pour ma part, je m’appelle Hélios Hubuik.
Alors, pendant les minutes qui suivirent, les deux militaires expliquèrent la soumission hiérarchique qu’ils attendaient de nous et exposèrent leurs projets pour affronter Hill. Bientôt, la discussion perdit de son intérêt et le général Erning quitta la réunion. Les propos se firent plus confus, semblèrent même parfois s’égarer, et la conversation arriva à un point où Deirdre Augton demanda à ce que nous élisions un second dans l’équipe, une personne qui prendrait le commandement en cas d’impondérable. Quitte à se faire aboyer des ordres, je votai pour le chien. Mais, mon choix ne sembla pas être partagé et, sans doute car je n’avais pas manqué d’insolence dans la plupart de mes propos, je fus ignoré jusque dans mes protestations. Les votes furent concordants : j’emportai la nomination de second de l’unité.
Re: Topic du M-I Jump
- El Día de Muertos:
- El Día de Muertos
Au loin les cloches sonnaient.
Les rayons du soleil perçaient tranquillement les nuages pour se répandre doucement sur le village de Monteluma annonçant l’arrivée d’un nouveau jour. Aujourd’hui, nous étions le 2 novembre et ce jour était particulier, plus que les autres en tout cas. C’était le dernier jour de la fête des morts, el Día de Muertos.
Au Mexique, cette fête était l’une des plus importantes de l’année. Le jour où l’on se retrouvait pour danser, chanter et célébrer les personnes chères qui nous avaient quittées. C’était un jour de fête où l’on riait plus que l’on ne pleurait. Un jour que beaucoup dans le pays attendaient, et aujourd’hui qu’il était arrivé le village se réveillait lentement au son des cloches. Si ces dernières avaient pour but de réveiller les vivants, elles servaient surtout à annoncer la venue des morts sur terre. C’était le seul moment de l’année où les défunts redescendaient des cieux pour visiter ceux qu’ils avaient laissé derrière eux et le chant des cloches était le premier de la journée, celui qui saluait leur retour.
Gabriela redressa la tête. Toute la famille était assise autour de la table de la cuisine pour prendre le petit-déjeuner. Tout le monde était levé depuis longtemps déjà comme on pouvait le deviner en regardant le visage maquillé de chacun des membres de la famille. Gabriela, son mari et ses deux enfants arboraient tous des peintures blanches et noires donnant à leur visage l’aspect d’une tête de mort. La population avait pour coutume de se déguiser le jour des morts et ce maquillage macabre faisait parti du folklore.
Esteban et Lucia, les deux enfants étaient excités à l’idée de sortir faire la fête. Il n’y avait pas d'école pour eux aujourd’hui puisque le 2 novembre était férié. Ils pourraient participer avec l’ensemble du village aux festivités et célébrations. Les deux enfants se chamaillaient tout en buvant un verre de lait alors que Rodrigo, leur père, était occupé à lire son journal autour d’un café. Il finit néanmoins par le poser sur la table et se leva en direction de sa femme et de ses enfants avant de monter à l’étage de la maison. Rodrigo était musicien et il allait donc enfiler son costume traditionnel de mariachi pour l’occasion. Il devait jouer toute la journée pour accompagner les familles endeuillées et leur donner du baume au coeur.
Gabriela vit qu’il avait oublié son chapeau sur un meuble et se leva pour le lui apporter quand une sonnerie résonna dans la maison. Les enfants du village venaient chercher Esteban et Lucia pour jouer et ces derniers ne se firent pas prier. Avant même qu’elle ait pu dire quoi que ce soit les deux enfants filèrent joyeusement sous les yeux de leur mère. Ces petits monstres n’avaient même pas dit où ils allaient !
Ce n’est pas qu’elle était craintive à leur sujet mais la jeune femme préférait toujours garder un œil sur eux quand elle en avait l’occasion et c’est pourquoi elle décida de les suivre de loin. Elle savait également très bien que ses enfants ne voudraient pas l’avoir dans leurs pattes en compagnie de leurs amis.
Gabriela jeta un dernier coup d’œil dans le miroir du couloir. Du haut de sa trentaine d’années, elle était ravissante malgré son maquillage funeste. Ses longs cheveux noirs encadraient son visage poudré de blanc en un chignon tiré à l’arrière de sa tête. Ses arcades étaient peintes en noir pour mimer les orbites vides des crânes humains, tandis que ses lèvres habituellement rouges avaient été peintes de cette même couleur sombre. Des traits noirs s’étendaient d’une joue à l’autre, passant par sa bouche et dessinant des dents. Son nez était également peint de cette teinte obscure qui recouvrait finalement une bonne partie de son visage. Sur le plan vestimentaire Gabriela était vêtue d’une grande robe rouge traditionnelle. Celle-ci était ample, notamment au niveau des jambes et portait sur le col des motifs arrondis rappelant des pétales de fleurs. De légers voiles blancs étaient tissés sur la ceinture et les manches pour casser le rouge vif qui habillait la jeune femme.
La plupart des habitants de Monteluma porteraient ce type de costume. Des vêtements colorés pour rappeler qu’aujourd’hui était un jour de fête.
Gabriela sortit rapidement, il ne fallait pas perdre de vue ses enfants. Rodrigo son mari la rejoindrait plus tard, ce n'était pas un problème.
La matinée venait à peine de débuter mais les rues étaient déjà en pleine ébullition. Les enfants couraient de tous côtés pendant que les adultes sortaient peu à peu de chez eux. Comme attendu, c’était un festival de couleurs. Des robes bleues, vertes, rouges, oranges, blanches et noires, il y avait de tout. Les hommes portaient de petits sombreros qui surplombaient leur visage décoré de motifs macabres. C’était comme si l’ensemble du village s’était transformé en une foule de squelettes pendant la nuit. Et déjà les cris et les chants joyeux résonnaient dans la ville. La fête commençait.
C’était déjà le troisième et dernier jour de fête d’ailleurs. Les célébrations commençaient en fait le 31 octobre, c’est-à-dire à la date d’Halloween qui était venue se greffer aux festivités avec le temps.
Le 31 octobre était la journée des enfants. Ils se baladaient dans toute la ville déguisés en monstres et récoltaient des bonbons, notamment les cavaleras, sucreries en forme de crâne qui étaient l’un des symboles les plus connus de la fête. Mais le 31 octobre était également le jour consacré aux angelitos, les enfants morts avant d’avoir été baptisés. On leur apportait différentes offrandes comme des jouets ou des friandises et un goûter sucré était organisé en fin d’après-midi. Gabriela n’avait jamais eu à prendre part personnellement à cette célébration et elle remerciait encore le ciel pour cela.
Le lendemain, le 1er novembre, était le jour destiné aux adultes qui recevaient également divers offrandes, notamment sur les autels privés qui étaient construits dans chaque maison. La jeune femme sortit d’un revers de sa robe une photo qu’elle regarda un instant. Cette dernière représentait sa mère, morte depuis de nombreuses années. C’était la personne à laquelle elle pensait le plus lors de cette fête. Elle avait quitté le monde depuis longtemps, mais Gabriela ne l’avait jamais oubliée ne serait-ce qu’un seul jour.
C’était aussi à elle que la jeune femme allait consacrer sa journée puisque le 2 novembre était le jour où les familles se réunissaient dans les cimetières pour faire la fête et nettoyer les tombes des morts.
Sortant de ses pensées Gabriela s’emplit de l’ambiance dans laquelle elle était plongée. Il y avait un air magique qui traînait dans l'air en ce jour où les squelettes déambulaient dans les rues, guitares, offrandes ou croix à la main dans un concert de chants. Jamais la ville n’était aussi vivante que le jour des morts.
Les rues et les maisons étaient magnifiques. Les habitations de la ville étaient toutes construites d’une roche blanche à beige surmontée d’un toit rouge vif mais aujourd’hui les couleurs détonaient de partout. Des lampions étaient fixés d’un mur à un autre entre les maisons et les confettis et serpentins volaient dans tous les sens. Une procession avait déjà débuté en direction du cimetière de la ville et Gabriela pouvait entendre résonner les guitares et les trompettes sur un rythme enjoué.
Derrière elle, les gens dansaient faisant résonner les perles et autres bijoux qui ornaient leurs jambes et leurs bras. Certains portaient de grandes croix en bois colorées de rouge ou de bleu. Les décorations étaient partout, aux fenêtres ou dans la foule. Gabriela pouvait voir une immensité de calacas, figurines en forme de squelettes de taille plus ou moins importante. Ces derniers étaient habillés de vêtement tout aussi colorés que ceux qui les portaient. Et en dehors de cette vision festive et de la musique qui résonnait dans ses oreilles, Gabriela pouvait également sentir le parfum des fleurs monter agréablement à ses narines.
Les rues en étaient recouvertes jusque dans leurs moindres recoins. La jeune femme mit la main à ses cheveux et en retira une qu’elle avait placée comme décoration. C’était une rose d’Inde mais ici on l’appelait cempasúchil ou Flor de Muertos, c’est-à-dire la fleur des morts. Ce nom avait été donné à cette plante car c’était celle que l’on utilisait principalement lors des célébrations, que ce soit comme décoration ou comme offrande. Son odeur était apaisante, et après l’avoir appréciée quelques instant, Gabriela remit la fleur à ses cheveux.
Bien devant elle, elle pouvait voir ses enfants s’amuser avec ceux de leurs voisins et un sourire s’afficha sur son visage.
Beaucoup à l’étranger ne comprenaient pas pourquoi une journée célébrant les morts pouvait être aussi joyeuse. D’un côté Gabriela pouvait envisager cette interrogation mais elle-même ne comprenait pas pourquoi ces personnes s’évertuaient à faire de cette fête un jour triste. C’était la culture mexicaine qui voulait ça, ces festivités, cette joie, c’était leurs racines, c’était leur histoire.
El Día de Muertos était issu de la réunion entre deux cultures, les rites pré-colombiens de leurs ancêtres aztèques et le christianisme apporté par les colons espagnols. Les aztèques célébraient leurs morts en deux fêtes distinctes de vingt jours, une pour les enfants et une pour les adultes. Les rites funéraires comprenaient offrandes, danses et chants des morts repris encore aujourd’hui. La plupart des défunts étaient censés rejoindre Mictlan le royaume des morts, monde froid et ténébreux. Les offrandes régulières aux morts avaient en fait pour but de contenter le seigneur de ce royaume, Mictlantecuhtli le dieu de la mort.
L’arrivée des espagnols et du christianisme modifia les rites ancestraux que suivait la population depuis les temps immémoriaux. Malgré tout les rites aztèques ne disparurent pas complètement puisque les deux cultures se fondirent plutôt l’une dans l’une pour donner les célébrations suivies à notre époque. La date du jour des morts fut reportée au jour de la Toussaint et les offrandes aux morts se poursuivirent. Les espagnols étaient persuadés que les âmes des défunts parcouraient la terre, flottant autour d’eux, et ces cadeaux étaient un moyen pour eux d’apaiser les esprits pour ne pas qu’ils les emportent.
C’est ainsi qu’était le jour des morts, un métissage de deux traditions distinctes qui s'étaient accordées l’une à l’autre. Les nombreuses représentations de squelettes et autres motifs macabres étaient un héritage des aztèques, tandis que les croix et les cierges venaient tout droit de la symbolique chrétienne.
Mais ce qui comptait pour Gabriela c’était de pouvoir repenser à ceux qui l’avaient quitté avec le sourire. Rire de la mort c’était un cadeau inestimable pour elle et ses pairs. Les mexicains n’avaient jamais eu peur de la mort avec laquelle ils vivaient au quotidien et célébraient plus encore en ce jour. De nombreuses personnes profitaient même de cette fête pour la dépeindre avec ironie et légèreté à travers des poèmes humoristiques.
Ces poèmes représentaient pour les mexicains une satire de la mort et une façon de s’en moquer et de l’accepter.
Mais à cet instant un immense cri de joie et de trompette résonna dans la foule et Gabriela se mit sur la pointe des pieds pour voir ce qu’il se passait. La procession était arrivée au cimetière !
Les différentes familles se séparèrent et se dirigèrent vers les tombes qu’ils étaient venus visiter. Gabriela à son tour partit à la recherche du tombeau familial, serrant la photo de sa mère dans ses mains. Tout autour d’elle les tombes étaient recouvertes de fleurs, sucreries en forme de crâne et autres jouets. De nombreux musiciens parcouraient les allées berçant les lieux sous un air festif. Et c’est au détour d’une de ces allées que Gabriela retrouva Rodrigo son mari, habillé de son costume noir et rouge, guitare à la main.
Elle le suivit jusqu’à la tombe de sa famille où l’attendaient déjà ses enfants et son père. Ce dernier, assez âgé, était assis sur une chaise, s'appuyant sur une cane, et regardait ses petits-enfants courir partout d’un air amusé. C’était l’heure des offrandes et on déposa les fleurs, sucreries, cierges et autres présents. Lucia posa par exemple un dessin qu’elle avait fait à l’école pendant qu’Esteban coinça un poème qu’il avait écrit entre les fleurs.
Et la musique retentit plus forte que jamais. Les voisins venaient rejoindre la famille pour chanter et danser ensemble autour des tombes, au milieu des morts qui les accompagnaient certainement dans leur ronde. Gabriela dansa, tourna et tourna autour du tombeau où reposait sa mère, où reposait ses grands-parents et où toute sa famille reposerait un jour certainement. Elle s’en fichait éperdument. Tout ce qui importait c’était de danser, de valser avec ses enfants qui s’en donnaient à cœur joie sous la musique des mariachis. Les enfants riaient tout autour d’elle et elle pouvait bien danser toute la journée s’il le fallait, c’était comme le temps n’avait plus d’importance à cet instant.
C’était le jour des morts et le cimetière résonnait des cris et des rires, le cimetière débordait de joie.
La nuit commençait à tomber. Ce qu’ils avaient fait de la journée, Gabriela ne s’en souvenait presque plus, tout était passé si vite. Après les danses au cimetière, ils avaient tous déjeûné autour des tombes, en compagnie des défunts. On disait que les morts mangeaient également. Ils ne touchaient pas physiquement aux offrandes mais se délectaient de leur essence. C’est pourquoi les offrandes étaient mangées le lendemain de la fête par les vivants, mais n’avaient plus aucun goût selon certains. Déjeûner autour des tombes était une manière de partager un nouveau repas entre les morts et les vivants. Une occasion pour eux de se retrouver une nouvelle fois autour d’un plat comme si la mort ne les avait jamais séparés.
Après ce repas la famille avait continué à arpenter les rues, c’était aussi un jour où toute la ville se retrouvait et partageait ensemble. Les enfants jouaient, les adultes discutaient et buvaient un verre en mémoire de leurs proches. La journée était passée si vite et la nuit tombait déjà. C’était peut-être le moment le plus magique de la fête pour Gabriela. Chaque cierge qui avait été déposé le jour était allumé à la nuit tombée. Et des milliers de bougies illuminaient ainsi le sol, les fenêtres, les jardins et les toits du village tout entier sous le regard de la lune.
Certains défilaient encore déguisés, agitant leurs effigies de la Catrina, le symbole le plus célèbre de la fête. Une femme squelette vêtue d’habits bourgeois et d’un grand chapeau à plume. La Catrina représentait une catégorie de femmes qui, dans les années 1920, s’habillaient de ces vêtements riches pour donner l’impression de s’être élevées au dessus de leur rang. Ce symbole était un moyen de rappeler que quel que soit notre rang social, nous étions tous égaux face à la mort.
Les cierges et feux qui brûlaient dans les rues et les jardins servaient de moyen de repère pour les défunts. Ces lueurs formaient un chemin qui était censé les diriger tout droit vers leur ancienne demeure où la famille avait préparé un autel à leur intention. Et c’était véritablement des lignes de bougies que pouvait suivre Gabriela en rentrant vers sa maison accompagnée de son mari. Les enfants étaient fatigués et étaient rentrés depuis un moment déjà.
L’autel familial était en plein centre de l’entrée, collé contre un mur faisant face directement à la porte. Les offrandes déposées étaient souvent plus intimes que celles faites en public. Sur ce genre d’autel on pouvait voir entre autre des verres de tequila ou de mezcal, un alcool local, des aliments que le défunt aimait particulièrement, mais aussi sa photo et parfois même celle de saints catholiques. C’était là que Gabriela irait se recueillir après le repas.
Celui fut très calme, tout le monde était sans doute épuisé de sa journée. Défiler un jour entier dans les rues n’était pas l’activité la plus reposante qui soit. C’était l’heure de rendre un dernier hommage aux êtres disparus et Gabriela sortit de table pour se poser devant l’autel. Il était recouvert de bonbons au sucre, mais aussi de morceaux de pan de muerto, le pain des morts, que l’on dégustait le jour de la fête. Quelques crucifix de bois étaient également déposés au milieu des fleurs. Une bassine d’eau, du savon, une serviette et un miroir étaient disposés sur le côté de l’autel. Les mexicains avaient pour habitude de laisser ces objets pour que le mort puisse se rafraîchir une dernière fois avant de rejoindre le royaume céleste.
Gabriela regarda la photo de sa mère qu’elle gardait depuis le début de la journée. Peut-être était-elle en ce moment même à ses côtés à se délecter des offrandes. Le jour des morts, les défunts étaient de nouveaux régis par les règles des vivants, il était essentiel de leur donner à manger. La jeune femme rangea le portrait dans un pli de sa robe et fixa l’autel dans un silence religieux. Il y avait plusieurs portraits sur ce dernier, un autel n’étant pas uniquement destiné à une personne. Des oncles, des tantes, il fallait penser à tout le monde, mais Gabriela n’avait d’yeux que pour sa mère. Elle était belle sur son portrait, sa robe rouge flottant au vent sous sa longue chevelure brune. Gabriela sentit une larme naître sous ses yeux et l’écrasa d’un revers de la main sur son maquillage. Un bruit se fit entendre derrière elle, son mari venait de la rejoindre.
Lui aussi avait de la famille à honorer sur cet autel. Ils restèrent côte-à-côte silencieusement quelques instants, il n’y avait rien à dire de toute manière. Il n’y avait qu’à se remémorer les bons instants passés avec ceux qui n’étaient plus et honorer leur mémoire. Gabriela et son mari s’assirent tous deux sur une chaise face au monument funeste. Elle pourrait rester toute la nuit à le contempler et se plonger dans ses souvenirs. La jeune femme posa la tête sur l’épaule de son mari qui lui répondit d’un geste instinctif de la main en sa direction. Tout était si calme et si paisible. Gabriela ferma les yeux, elle ne souhaitait qu’une chose, que ce moment dure une éternité.
Lorsqu’elle rouvrit les paupières, Rodrigo était monté se coucher et la jeune femme était seule sur sa chaise. Elle s’était endormie et un léger agacement se dessinait sur son visage, ce n’était pas agréable de se réveiller ainsi. Elle se saisit rapidement d’une serviette et s’essuya la figure, il était temps de monter vers les chambres et la jeune femme se détourna de l’autel pour se diriger vers les escaliers. Dans leur chambre, Esteban et Lucia dormaient à poings fermés depuis quelques heures. La lune éclairait de ses rayons leur visage à travers la fenêtre et au vu de leur journée, ils n’avaient pas du mettre longtemps à s’endormir. Gabriela les embrassa tous les deux sur le front et resta quelques temps au dessus du visage de sa fille. Celle-ci semblait en proie à un léger cauchemar, ses traits se crispant par instant. Qu'elle en était la raison, Gabriela n’en avait aucune idée mais elle lui caressa tendrement les cheveux tout en lui chantant une berceuse. Alors que Lucia semblait s’apaiser, elle détacha la fleur orange qui ornait sa coiffure et la glissa dans les cheveux de la petite fille.
À cet instant une bourrasque de vent ouvrit la fenêtre de la chambre des deux enfants. Gabriela s’approcha de l’encadrement pour les refermer mais s’arrêta silencieuse pour observer la lune. Sa lueur apaisante était vraiment un spectacle magnifique. Il faisait noir mais la lueur des bougies qui ornaient le village donnait une atmosphère magique au lieu. Le spectacle était presque irréel et un son fendit le village silencieux. Les cloches sonnaient au loin.
C’était le signe que le jour des morts venait d’atteindre son terme. Les défunts quittaient le monde retournant dans les cieux d’où ils étaient descendus pour une année supplémentaire. Cette journée, tout s’était passé comme dans un rêve. Un léger sourire aux lèvres, Gabriela se retourna paisiblement vers ses enfants avant de fermer les yeux. Et elle disparut dans la nuit.
- Wild Lock Partie 2:
- Wild Lock Partie 2
Pour ceux qui n'auraient pas lu la première partie, je vous invite grandement à la lire dans le Jump N°2 avant de vous attaquer à cette seconde partie
Résumé de la première partie :
Une équipe de quatre professionnels, respectivement Cam, Lucky Guy, Kid et Carla, entreprend de manière méthodique ce qui semble être un braquage de Casino. Après un enchaînement d'actions et un Lucky Guy jouant avec les gardes et clients, debout sur une table se délectant de les manipuler mentalement, l'équipe en arrive à la dernière étape de son plan. Lucky Guy monte sur le toit et retrouve comme prévu son équipe. Mais ceux-ci sont tous morts.***
Sans en croire ses yeux, l'homme s'approcha en s'empêchant l'autorisation de tituber vers le corps de ses trois camarades. Il les regarda un à un pour y retrouver les mêmes traces de lutte sur les poings ainsi qu'une gorge saignante. A vue d'oeil, une grosse aiguille semblait être la cause de la mort, et il s'agissait ici du plus mauvais des présages. Un assassin avec une signature aussi marquée était souvent la crème des professionnels.
Le vent tourbillonnait sur le toit du Casino. Lucky Guy entendait les cris des gardes qui se rapprochaient à travers la porte encore ouverte donnant sur la cage d'escalier. Ne pouvant emporter les corps de ses amis, il s'inclina devant eux avant d'esquisser un mouvement de départ vers un côté du bâtiment. Son geste s'arrêta cependant aussi sec, ses yeux fixant une pierre laissée près du corps de Cam. Une feuille voletait, tentant de s'échapper grâce au vent de l'emprise de la roche la retenant, mais sans succès. Lucky Guy ramassa la feuille et se mit à lire à haute voix :
Un monde au passé oublié est une aberration. Vivre dans le mensonge est un péché.
Où-iras tu après avoir compris que le temps est seule vérité ?
Si tu veux recouvrer ce qui aurait dû être tien, il va falloir le mériter.
Le vrai Lucky Guy.
Le cerveau du lecteur fila à toute vitesse, bouillant entre diverses émotions. Une énigme laissé par celui qui se prétendait le réel héritier de son propre nom ? Bizarre. Lucky Guy aurait volontiers fait une blague si cela été arrivé à quelqu'un d'autre. Son narcissisme enflammait la haine qu'il ressentait pour celui qui avait tué ses compagnons, mais il n'avait pas le temps d'inspecter la scène plus longtemps.
- Ne bouge plus ! Tu t'es bien foutu de notre gueule ! Hurla un garde à bout de souffle, pointant son pistolet sur le seul homme debout du toit.
- Je ne suis pas d'humeur, Billy. Retourne jouer en bas.
Lucky Guy gratifia son interlocuteur d'un regard noir, presque bestial. Ce regard surpris tellement ce dernier qui se sentait en position de force qu'il en laissa tomber de quelques centimètres ses mains. Une occasion qui n'échappa pas au voleur. Tentant sa chance en sautant vers le bâtiment adjacent, Lucky Guy sentit en plein milieu du saut que cela ne marcherait pas. Ses doigts effleurèrent une gouttière, puis attrapèrent dans une déchirure de son bras gauche un rebord de fenêtre sur lequel il se hissa, criant de douleur.
"Il va payer. Je vais lui faire sa fête à ce gars qui ose me voler mon identité."***
La nuit arriva sur les coups de vingt-et-une heures. Lucky Guy était devant un bureau, un excellent Bourbon à la main, penché sur le papier qu'il avait déjà relu plus d'une centaine de fois. Son bras le faisait souffrir, mais il avait d'autres chafs à fouetter. Il pensait.
Il en était arrivé à la conclusion que l'homme le connaissait, et lui rappelait quelque chose d'un passé qu'ils avaient en commun. Mais même en se creusant la tête, il ne voyait pas. Il avait fait du tort, ça oui, mais à un tel nombre de personnes qu'il serait ridicule de les envisager une par une. De surcroît, aucun des pigeons qu'il avait plumé n'irait chercher à lui voler son pseudo.
Tout ceci n'avait aucun sens. L'opération devait être une parmi toutes celles que le groupe avait réalisé sur contrat. Entrer dans le Casino, déjouer le système de sécurité, déjouer la surveillance, occuper les gardes, entrer dans la salle des coffres et emporter le butin. Rien de très compliqué, rien qui sortait de l'ordinaire. Et pourtant, les corps étaient là, sur le toit. Le tueur lui, avait vu dans leur plan, ils les connaissaient bien. Les observaient, peut-être. Il avait voulu viser Lucky Guy en particulier, lui mettre sur la conscience la mort de ses partenaires.
"Enfoiré."
C'était arrivé. Une seconde fois. La mort de sa famille. Il se souvenait de Cam qui le remettait dans le droit chemin chaque fois qu'il se dispersait en mission. De Kid et des concours de jetées de cigarette le long du trottoir. Il n'avait jamais trop parlé à Carla, à part Kid, le groupe était plutôt froid. Meurtri certes, comme lui, sauf que lui l'avait tourné différemment, comme une force. La mort de ses parents ainsi que celle de son petit frère par un chauffard dans sa jeunesse l'avait changé à jamais, ce qui l'avait conduit vers cette voie.
Il adorait utiliser ses talents de mensonge et de manipulation sur les gens, être au centre d'un public. Il était le seul du groupe à aimer la lumière malgré les ténèbres de son vécu. Quelqu'un avait voulu éteindre cette lumière, mais seule la mort pouvait avoir un tel impact sur Lucky Guy.
"Il va falloir y aller."
Il avait un besoin vital d'informations. Et aucun être meilleur endroit pour commencer que le Ringo Club. Un rassemblement non officiel des plus grands bandits du pays, partageant le même code de l'honneur, achetables avec des contrats, et interdits de s'immiscer dans ceux des autres. Il semblerait qu'un des habitués n'avait pas respecté cette dernière règle, Lucky Guy en aurait mis sa main au feu. Il s'en foutait de toute façon.
Il était ambidextre.***
"Ringo Club. Toujours sur le déclin mais jamais inquiété. Tu m'as manqué bébé." chuchota t-il, un éclat dans le regard.
Le bar avait des allures d’hôtel des années 80. Des néons ici et là éclairaient la rue de mille feux, dans une osmose imparfaite de rose et jaunes fluorescents. Des passants s'arrêtaient parfois net devant l'édifice, mais reprenaient toujours leur route après quelques rires. Des fenêtres étonnamment proportionnées apparaissaient de temps à autre, parfois brisées, parfois - était-ce normal - accompagnée de barreaux. Le bâtiment était sans nul doute une robe flashy au milieu d'un magasin de luxe. Mais il n'avait pas l'air inquiété par ses alentours.
Avançant tranquillement, tentant de reprendre un masque d'humour débile et de cynisme, Lucky Guy poussa la porte d'entrée. Devant celle-ci se tenait un homme à l'apparence de portier, qui le gratifia d'un regard au poignet gauche, puis d'un hochement de tête sans sourire. Regardant à son tour son poignet, l'intéressé eu un sourire en coin. Le bracelet VIP du Ringo Club était de loin le plus classe et le plus inimitable de tous. Une scarification en forme de R pas plus large qu'un grain de beauté ornait le poignet de chaque habitué du bar. Et le mieux, c'est que ça n'empêchait pas de draguer.
- Hello, Luck'.
Le barman avait hélé Lucky Guy avec peu d'entrain. Lorsque l'intéressé s'approcha du comptoir, il compris que la mort de ses camarades avait déjà fait le tour du Club. Mauvaise nouvelle, le suspect n'en serait que plus difficile à démasquer.
- Salut Ben. Un Get 27 s'il te plait. Merci de ne pas poser de question, ajouta t-il en soupirant.
- T'inquiètes. On a tous vécu ça ici, personne viendra t'emmerder ce soir. Le premier à le faire recevrait sa première bouteille gratuite, mais pas en mesure de la boire.
Lucky Guy sourit. De tout le Club, Ben avait toujours fait parti de ceux avec lequel il s'était le mieux entendu. Leur même humour cynique ainsi que leur propension à la violence justifiée les avait rapidement rapproché. Il lui arrivait, lorsqu'il sortait seul boire un verre, de rester jusqu'à la fermeture du Bar avec Ben. Tout en riant grassement sur des blagues que le commun des mortels pouvaient considérer douteuses, les deux bonhommes avaient eu de bonnes franches rigolades. Mais pas ce soir.
- J'imagine que tu le cherches. Et que tu pense qu'il est ici, autrement tu ne serais pas venu. Dis moi ce que je peux faire pour toi. Ajouta Ben dans un froncement de sourcil.
- Pas encore assez d'indices. Commença Lucky Guy en avalant la moitié de son verre d'une longue traite. Mais je te garantis que tu sera le premier au courant si j'ai besoin de quelque chose.
Les deux hommes se sourirent. Une bonne camaraderie de bistrot comme on en faisait plus. Les yeux se perdant dans son verre, Lucky Guy réfléchissant. Il en ferait autant pour Ben, c'est clair. Il n'avait vraiment envisagé la question quand tout allait bien, mais désormais il était heureux d'avoir un allié sur qui il pouvait compter. Il se savait fort, résistant aux coups de la vie. Même si celle-ci ne prenait pas de gants, il encaissait quand même. Mais avoir le soutien de quelqu'un qui a traversé une situation similaire, c'était rassurant.
Quelques années plutôt, après une autre de leurs soirées, Ben avait fermé le bar et dit au revoir à son ami. Après quelques minutes de marche, Lucky Guy s'était rendu compte que son décapsuleur avec lequel il aimait jouer manquait de sa poche. Se disant qu'il l'avait oublié au bar, il revint sur ses pas en espérant que Ben n'était pas déjà parti. Quelle fut la surprise en poussant la porte de voir ce dernier par terre, une bouteille de whisky à la main, pleurant toutes les larmes de son corps devant une photo. Lucky Guy s'est toujours dit qu'il se souviendrait de ce moment, de l'image d'un homme à l'apparence invincible, brisé.
Après avoir remarqué l'arrivée de son interlocuteur, le barman avait dit en riant : "Qui a dit que ceux qui servent l'alcool ne le boivent pas ?" dans une tentative d'humour, les yeux encore humides. Il avait alors raconté son histoire, par épisodes parfois incohérents. Une femme, un enfant, le bonheur. Un assassin forçant la porte de sa maison pendant que lui tenait le bar comme chaque soir. Son retour chez lui pour découvrir la seule chance de sa vie d'en avoir une normale, sanguinolente sur le plancher, l'avait brisé.
Quelques mois plus tard, le coupable ligoté aux barbelés sur une chaise de son sous-sol, Ben l'avait retrouvé. Ce dernier lui avouait que sa famille était un contrat. Malheureusement il était mort après de multiples tentatives d'extorsion pour obtenir un nom. Ben ne considérait sa vengeance que comme partiellement accomplie, mais il n'avait jamais retrouvé le vrai coupable, et malgré les enquêtes de Lucky Guy, rien n'avait filtré.
- Hey, Luck' ! S'écria une voix grasse.
Sorti de ses songes, l'intéressé se retourna. C'était Rocka, m**de. L'ex de Cam. Un bel enfoiré.
- Qu'est ce que tu veux, Rocka ?
"Surnom de m**de.", se dit Lucky Guy pour la enième fois.
- J'ai appris que Cam et le reste de ton équipe s'étaient fait buté. C'est pas de bol. Si elle était restée avec moi, ça serait pas arrivé, amateur. Enfin pour elle et les autres c'est trop t...
Mais le dernier mot ne sortit pas de sa bouche. Son interlocuteur lui avait littéralement empoigné le coup avant de le faire plonger vers le parquet du bar. Il le maintenait comme ça, les yeux flamboyants de rage.
- Utilise encore ne serait-ce qu'une fois tes cordes vocales en ma présence, et je te les découpe, lui dit Lucky Guy dans un souffle.
Les conversations autour d'eux s'étaient arrêtées, tout le monde les regardait. Mais aucun ne semblait inquiet ou considérer que ce qui se passait était anormal. Chaque assassin présent dans le bar avait depuis longtemps dépassé le stade de s’émouvoir pour une petite bagarre. Quelques dizaines de secondes passèrent ainsi avant que Lucky Guy relâche sa poigne et ne se relève. Rocka fit de même en se massant le gorge, puis dans un sourire dit :
- Tu démarre toujours au quart de tour hein. Je comptais bien m'occuper de toi un jour de toute façon.
Un serveur arriva sur les lieux en ayant entendu la fin de la conversation.
- Vous connaissez les règles, sortez par l'arrière et réglez ça dans la ruelle. Les bagarres ne sont pas permises dans ces locaux.
Les deux intéressés se regardèrent, l'un toujours un sourire narquois au lèvres, l'autre toujours de la haine dans les yeux, et chacun se dirigèrent vers la porte sans dire un mot.
Une fois arrivés dehors, les deux hommes s'observèrent. Ils avaient beau se détester, chacun savait que l'autre était également un assassin professionnel. La moindre erreur pouvait coûter cher. Rocka jeta un coup d’œil à sa montre et son sourire s'étira. Ce fut le moment que choisi Lucky Guy pour attaquer. Aussi rapidement qu'il le pouvait, il s'en alla saisir de nouveau la jugulaire de son adversaire, la main droite tendue - la gauche souffrant toujours du choc de la veille -. Mais ce dernier n'était pas dupe, il réussit à attraper le bras et à le repousser, mais dans sa préparation pour envoyer un crochet, il ne vit pas arriver le coup de boule.
- Alors, t'as pas les boules ? Ricana Lucky Guy, fier de son jeu de mots.
- Enfoiré, je devais juste te retenir mais je vais t'exploser, s'énerva Rocka en perdant toute trace de sourire sur son visage et en fonçant le poing en avant.
Lucky Guy avait porté le premier coup, mais les rapides échanges étaient désormais égaux, chacun déviait les coups de l'autre avec son coude ou le tranchant de la main. Lucky Guy repéra un interstice pour envoyer un low kick à son adversaire. Ce dernier réagit exactement avec la même idée, et chacun se frappèrent violemment avec un low kick du côté opposé.Le moins bâti des deux hommes fut le premier à vaciller, et Rocka en profita pour lui envoyer un direct du droit au milieu du nez. Tombant à terre, Lucky Guy sentait que son nez été brisé et sa jambe hors-service. Mais tomber à terre équivalait à perdre, à mourir. Et il n'avait pas le temps de s'abaisser à ça. Utilisant les dernières forces de ses jambes, il essaya de crocheter l'équilibre de Rocka. La manœuvre réussie, ce dernier ayant encore la jambe douloureuse suite au low kick. Il tomba à terre après Lucky Guy et reçu un coup de coude au moment où sa tête touchait le sol, accentuant son choc cranien.
Le premier à se relever fut le plus petit des deux, le plus haineux sur le moment. Alors qu'il s'apprêtait à donner le coup de grâce avant que son adversaire ne recouvre ses forces, il s'interrompit en voyant celui-ci exploser d'un gros rire.
- Hahahahaha, bravo nabot. Tu peux me donner l'heure ?
Lucky Guy hésita. Rocka avait l'air trop faible pour être une menace, et il était solidement maintenu au sol. Il feuilleta rapidement l'écran de veille de son téléphone et répondit sans le moindre sourire.
- Si tu voulais connaître l'heure de ta mort, il est 00h03. L'heure du crime aura eu raison de toi.
- Ou plutôt de ton pote le barman.
Lucky Guy s'interloqua. Cette dernière phrase avait été dite sur un ton bien trop sérieux. Il repensa à ce qu'il avait entendu pendant le combat.
"Je devais juste te retenir".
Lâchant son adversaire, il bondit tant bien que mal en direction de l'intérieur du bar. Mais la porte de la ruelle ne s'ouvrait que dans un sens, il devait refaire le tour pour entrer. Courant, trébuchant et souffrant de la douleur de sa jambe, il continua en contenant la douleur jusqu'à arriver une nouvelle fois devant l'entrée. Le gardien n'était pas là, quelque chose de vraiment mauvais, une première.
Poursuivant son chemin à travers les portes, Lucky Guy se dirigea vers le bar. Il s'arrêta net. Le bar était vide. Vide. Vide. Il répéta avec la plus grande incrédulité ce mot dans sa tête. Comment diable était-il possible que LE Ringo Club se vide, à quel point les circonstances devaient-elles être énormes pour qu'une chose pareille arrive ? La folie guetta l'homme désormais seul dans la pièce, mais il se la refusa avant de vérifier le point capital de son investigation. Il s'approcha du comptoir, Ben n'était pas là. Enfin, il n'était pas debout. Allongé derrière le comptoir, la gorge sanguinolente, il gisait, une feuille de papier sur son torse, qui ne comportait qu'un seul mot :
"Unlucky ?"
Le monde s'arrêta de tourner rond pour Lucky Guy. Pour plusieurs raisons. Mais la principale, parce qu'il avait découvert l'identité du criminel.
Encore une fois, un grand grand grand merci à tous les auteurs pour leur assiduité, c'est vraiment important pour nous et ça nous fait ultra plaisir d'avoir sorti 6 Jumps de suite sans qu'aucun n'ai un slot manquant, merci à vous
Vous pouvez discuter comme toujours dans le Topic Des Discussions
Re: Topic du M-I Jump
Hello hello
Le temps a passé depuis le Jump précédents, la rentrée, la consistance du précédent, tout ça...
Mais voilà enfin un Jump numéro 7, prenez plaisir à le lire
Merci à Mrs-Fatale pour avoir offert un dessin de couverture plus de son texte
Bonne lecture à tous, et n'oubliez pas de commenter dans les Discussions du Jump
Le temps a passé depuis le Jump précédents, la rentrée, la consistance du précédent, tout ça...
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- Les Sœurs de la Destinée:
Marlène n'était pas une petite fille comme les autres. Elle regardait rarement la télé et préférait la solitude à la compagnie. Elle parlait assez peu de manière générale, sauf aux merveilleux personnages qui peuplaient son imaginaire et elle passait le plus clair de son temps dans les librairies à la recherche de nouvelles histoires, à rêver de super héros, de dragons ou encore de science fiction. Elle pouvait lire durant des heures et feuilletait encore et toujours les même illustrations, car pour elle le monde réel n'avait pas grand intérêt.
Pourtant Marlène avait bientôt quinze ans, et dans quelque temps elle ne serait plus une enfant.
Un bel après-midi de printemps, alors que la jeune demoiselle était plongée dans un ouvrage de science-fiction, Marlène vit une petite carte tomber du livre, intriguée elle la ramassa. De ses doigts elle retira la poussière qui était dessus, une pomme aux ailes transparentes en ornait l'endroit. Sur l'envers, il y était écrit, d'une très belle calligraphie, "La Loge de la Destinée" et en dessous était écrit une date, un lieu et une heure.
Marlène se leva brusquement, comme si elle avait quelque chose à faire. Elle s'arrêta en sortant de la librairie pour relire le bout de papier, le lieux et l'heure du rendez-vous.
"Si mon destin se jouait ce soir, pensa-t-elle." La jeune fille ne savait pas alors qu'elle disait vraie.
Il faisait nuit lorsque Marlène arriva au lieu indiqué. L'imposante façade se dessinait telle l'entrée burlesque d'un ancien cabaret, prenant une profonde inspiration, Marlène actionna le poignée de la porte qui s'ouvrit dans un grincement presque mélodieux. La jeune fille heurta une dame épaisse, maquillée comme au théâtre. Puis un groupe de jeunes filles fanfreluchées apparut.
Au sol un tapis rouge parcourait le corridor, les murs étaient recouverts de tapisseries.
Une main se referma alors sur le poignet de Marlène, l'entrainant dans un couloir. Une jeune fille vêtue d'une longue robe la fixait d'un air étrange.
"-Tu es Marlène, n'est ce pas ?
-Ou ... Oui, bégaya-t-elle.
-Je t'attendais, viens avec moi. N'aie crainte."
Les deux jeunes filles pénétrèrent alors dans un petit salon très bien décoré, surplombé d'une enseigne portant l'inscription suivante "La Loge de la Destinée", Une femme un peu plus âgée était assise nonchalamment sur une méridienne, dans ses vêtement amples et colorés elle ressemblait à un luxuriant jardin de Juin. Les regards captivants des deux femmes analysaient la jeune Marlène, comme si les yeux du monde étaient rivés sur son destin. Elle se plaçait a la croisée de deux chemins, là où les enfants n'aimaient pas rester et là où les adultes devait renoncer à leur innocence. Marlène était terrifiée de se retrouver à cette frontière.
Ce soir là, Marlène allait connaître l'éternité.
Rosie et Narcissa officiaient dans cet étrange lieu en tant que diseuses de bonnes aventures à l'aide d'un jeu de cartes. Mais cela n'est pas tout le temps bon de vouloir connaître sa destinée, car de tout les gens ayant franchi le seuil du Cabinet de la Destinée, que se soit pour l'argent, l'amour ou encore la puissance, nombreux d'entre eux l'avaient amèrement regretté.
Après une longue discussion, la jeune fille appris que la jeune Rosie avait veillé sur elle depuis son entrée dans le monde, telle une bonne étoile. Mais pourtant cette rencontre était une ultime marque d'affection avant qu'elle n'entre définitivement dans un lieu inconnu, où les grandes personnes ont oublié comment il fallait croire aux fées. Mais Marlène avait bientôt quinze ans, elle ne serait plus une enfant.
Rosie lui conta alors son histoire, comme elle le faisait à chaque fois.
"Un soir de pleine lune, un gentilhomme s'était épris de la plus blanche et la plus blonde de toute les fées. Il lui fit la cour, et de sa si jolie voix, la persuada de l'épouser au plus vite. La jeune fille follement amoureuse, accepta sans plus attendre mais lui fit promettre, qu'en aucune façon il ne devait s'enquérir de ses gants parfumés.
La promesse ainsi faite, les noces avec faste furent célébrées.
Durant plusieurs années, le chagrin et le manque épargnèrent le foyer, mais jamais la fée ne confia a son mari comment elle avait si bien réussi sa vie. Et comment elle pouvait les combler autant, lui et leur fille.
Mais ce bonheur si étrange commença a éveiller les soupçons du gentilhomme sur un serment jadis engagé. Il ne comprenait pas comment son épouse, pourtant si coquette n'ôtait jamais ces gants.
Le soir elle se couchait bien après lui pour qu'il ne la voie pas les défaire, et se levait très tôt à l'aube pour les remettre a nouveau. Et après toutes ces années, ils n'avait ni pâli, ni même affronté un accroc.
Sa curiosité grandissait de jour en jour, il devint hautin et déplaisant car il estimait que si une quelconque magie sommeillait dans ces gants, elle lui revenait de droit !
Le secret révéla la véritable personnalité de l'homme, un mari envieux, défiant et vaniteux.
Une nuit, faisant semblant de dormir, le mari orgueilleux décida de s'emparer des gants déposé sur la table de chevé. Il les regarda de prêt, les examinant sous toute les coutures mais ce n'était que de simples gants. Agacé il fit un geste brusque mais heurta la lampe, qui se fracassa sur le sol.
Sa femme bondit hors du lit et vit son époux. C'est ainsi que le gentilhomme autrefois si courtois, les vit, ses écailles reptiliennes aux mains, que sa charmant épouse lui dissimulait chaque nuits.
Horrifié il poussa un cri, tandis que la fée, démasquée pleura de colère.
-"Qu'as tu fais malheureux, ta vanité nous a tous les deux condamnés! En bravant l'interdit tu me chasse a jamais de cette maison et jamais plus tu ne connaitras l'abondance. Ogre avide tu as été en voulant t'emparer de mon bien,
ogre perfide tu resteras parmi les humains! A l'Aude je viendrais chercher notre belle enfant et tu ne l'a reverra plus jamais!"
Et sans rien ajouter, elle disparue.
C'est ainsi quand une nuit, l'homme vit sa fortune d'effriter peu à peu. Il ne lui restait plus que sa fille qui lui sera enlevé.
Convaincu que dans cette enfant se trouvait le même démon que celui qu'il avait jadis aimé, enleva la fillette.
Longtemps la fée cherche son enfant mais en vain. Car la fillette lunatique hantait dorénavant les sentines les plus indigents de la cité engourdie. Et plus l'ogre s'engraissait sur le dos de sa progéniture, plus sa mort se profilait à l'horizon.
Et un beau jour, le voleur de gants s'éteignit dans l'indifférence et l'oubli."
Marlène avait but les paroles de la jeune demoiselle comme si elle était face à une vraie fée.
Pourtant l'heure n'était plus aux contes.
De son fauteuil Narcissa lui avait prédit un avenir de livres et d'histoire, que tout le monde savourerait. Elle voyait son succès s'étendre à travers les villes, puis les pays. Pourtant elle lui prédit aussi un divorce des plus compliqué et des amours vacillantes.
Narcissa raccompagna alors la jeune fille une fois la séance terminé, elle lui indiqua la sortie, mais Marlène ne dirait guère abandonner ce lieu. Mais la voyante lui confia que ce n'était pas un adieu, car au dernier jour de sa vie, ce serait-elle qui viendrait la chercher.
___________________________
Des années plus tard, Marlène venait d'achever le manuscrit que sa maison d'édition lui réclamait tant, elle se massa le poignet. Ces moment étaient toujours émouvants, même quand on est un écrivain d'une grande renommée. Ses yeux se posèrent alors sur la vieille carte de visite qui n'avait pas quittée sont bureau depuis. Elle relu la dernière phrase de son livre et repensa à cet étrange Cabinet, a ces deux femmes Rosie et Narcissa. Cette fois, elle tenait la fin de son roman .. et peut être de sa vie.
- L'avènement du Serpent:
- L'avènement du Serpent
La Genèse raconte : que dans les temps qui suivirent la Création, le serpent, maudit par Dieu, fut obligé à marcher sur le ventre et à manger la poussière tous les jours de sa vie.
Il picorait paisiblement les graines sur le sol et les baies toujours accrochées aux arbustes, profitant par la même occasion de la douce chaleur émanent des rayons du soleil. Il alla même jusqu’à se permettre quelques pépiements enjoués, ses derniers. Alors qu’il avalait gloutonnement un étrange fruit coloré, le jeune oiselet ne s’aperçut que trop tard du danger qui le menaçait. Il tenta maladroitement de s’envoler, abandonnant ses vivres pour sauver sa vie, mais le prédateur fondait déjà sur lui. Quelques secondes plus tôt, l’oiseau qui dégustait ses baies était désormais dévoré.
Le reptile agita lentement sa langue comme il avait l’habitude de le faire pour chasser, le maigre repas qu’il venait d’ingérer ne lui suffisait pas, il avait encore faim. Et lorsque le maître des bois avait faim, il mangeait.
Tous craignaient le grand serpent, seigneur de la forêt. Même les hommes évitaient de se mesurer à lui, ils l’avaient baptisé « Coalt » et ce nom lui plaisait. Coalt était le plus grand et puissant serpent du continent, ses écailles vertes lui permettaient un camouflage presque parfait dans les feuillages et les herbes hautes qui étaient ses terrains de chasse favoris. Il avait appris avec les années à hypnotiser ses proies d’un regard, et à se déplacer aussi silencieusement que le vent. Il était craint de tous et ne tremblait devant personne. Personne ou presque.
Coalt avançait rapidement entre les troncs des arbres, cherchant avec hâte une nouvelle victime à se mettre sous la dent. Il venait de repérer un lièvre distrait lorsqu’il l’entendit, ce cri strident qu’il redoutait tant. Il s’immobilisa instinctivement et attendit quelques secondes, anxieux. Quand enfin il jugea la menace passée, le serpent se dressa de toute sa hauteur et observa le ciel et ses occupants. Et il le vit, survolant l’autre côté de la forêt. L’inquiétude de Coalt disparut presque aussitôt puis il se remit en chasse. Le lièvre avait fui en entendant le terrible glapissement mais ça ne faisait rien, le reptilien avait une autre proie en tête.
L’aigle royal était le seul animal qui effrayait le grand serpent, ils s’étaient affrontés de nombreuses fois et de nombreuses fois Coalt avait failli succomber de ses blessures ou finir avalé par l’imposant bec du rapace. Aujourd’hui il savait comment se venger. Lorsque l’oiseau partait se nourrir, son nid et ses œufs restaient sans défense ; il n’en fallait pas plus pour le serpent.
Coalt se faufilait entre les roches, impatient. Il devait se dépêcher de trouver le nid avant que l’aigle ne revienne sinon il pourrait très rapidement passer de pillard à proie. Il entendait déjà au loin les exclamations de son ennemi, il devait être en train de revenir à son nichoir avec le ventre plein. Alors que Coalt, le grand serpent maître des bois avait faim. Un nouveau sentiment remplaçant la peur naquit en lui. La rage. Cet aigle qui avait manqué maintes fois de lui ôter la vie, dont l’existence même remettait en question son titre de seigneur de la forêt, cet aigle qui volait tandis que lui rampait… Oui c’était de là que venait cette rage, il volait… C’était pour cette raison qu’il le haïssait tant. Coalt rampait et ramperait toujours tandis que l’aigle s’élèverait éternellement jusqu’au firmament, mais il s’élèverait seul ! Le serpent aperçut enfin le nid et ses habitants statufiés, glissant jusqu’à eux, Coalt ne fit qu’une bouchée des trois œufs qui trônaient là, puis repartit vélocement en apercevant le rapace qui s’approchait.
Un sinistre sourire s’étendit sur la gueule du serpent lorsqu’il entendit le cri déchirant d’une mère ayant perdu ses enfants.
Il sentait les œufs dans son corps, il était fou de joie bien que la douleur soit forte. Il avait commencé à souffrir peu de temps après avoir engloutit son repas et ne comprenait pas le pourquoi de ce mal. Ce n’était pas la première fois qu’il jouait les ovivores, pourtant ce n’était jamais arrivé qu’un tel feu ne naisse en lui. La brûlure était apparue dans son estomac puis avait semblé se propager à tout son corps, traversant chacun de ses muscles et chacune de ses écailles. Pourtant il était heureux, il s’était vengé. L’aigle devait ressentir une douleur bien plus grande que la sienne.
La douleur ne cessa jamais, durant une année entière elle ne fit que redoubler chaque jour. Jusqu’à ce que Coalt n’en puisse plus. Chaque mouvement qu’il effectuait provoquait en lui une terrible chaîne de souffrance. Il devait en finir, il voulait en finir. Au prix de nombreux autres maux, il arriva finalement jusqu’à la plus haute des falaises de son territoire. Il allait mettre fin à ses jours, c’était la seule solution pour arrêter de souffrir. Et finalement, il volerait, même si ce vol devait lui coûter la vie. Un instant il pensa se retourner, faire marche arrière et redevenir le maître des bois, mais c’est à ce même moment qu’une brûlure, plus forte qu’aucune autre jusque-là, s’exprima. Et il tomba.
Alors qu’il chutait et se rapprochait dangereusement du sol, il se vit muer. Troquant sa vieille peau pour de flamboyantes écailles, et… de majestueuses ailes aux couleurs de l’arc-en-ciel. La douleur l’avait abandonné et il lui fallut du temps avant de comprendre sa mutation, instinctivement ses ailes s’étaient mises à battre, faisant s’envoler le serpent. Il était désormais maître de la terre et des cieux; et fut surnommé par les hommes : « Quetzacoalt ».
- Le Jardin:
Le Jardin
Jacassant au milieu d'une forêt sauvage, un arbre disait à son aîné,
Au fait, te souviens-tu de l'histoire de Jean, notre ami égaré ?
Inconscient, qui avait un jour déclaré de façon immature,
Maugréant contre l'ennui, qu'il irait ailleurs chercher la verdure ?
Entre temps, je me demande combien s'en est écoulé ?
Le monde inerte autour de nous, sans évolution,
Avance si peu à travers les âges, vivant une soliture ambrée,
Nombre d'années ont du passer, nous, vivant notre résolution.
Attaché à cette envie d'aventure, il nous racontait,
Toutes les nuits, les magnifiques rêves qu'il faisait,
Une contrée verte, légère et plus réduite que notre noble forêt,
Ridicule de taille même, mais où les arbres était chouchoutés.
Epistolant à propos de ces fables, gentiment nous l'écoutions,
Epris de ses histoires, tel un conteur il fabulait à foison,
Tous nous étions, mi-amusés, mi-cyniques,
Les histoires sans queue ni-tête qu'il racontait l'éloignèrent de notre crique,
Après le passage de l'aube un jour comme les autres, il était parti,
Vers la conquête de son désir le plus cher il se rendit,
Emmitouflé dans sa profonde croyance de l'existence d'un paradis,
Renoncer était pour lui le déshonneur des hardis.
Des jours passèrent, sa légende fut contée à travers les bosquets,
Une fois l'an, un jour fut réservé que la forêt célébrait,
Riants, joyeux, les arbres parlaient entre eux,
Et dans une cacophonie bruyante, vantaient les mérites d'une passion de feu.
Six années passèrent avant qu'un jeune bourgeon,
Omnibulé par le héros, avec sa famille coupa les ponts,
Une fois n'était pas coûtume, il voulait sa propre aventure,
Suant de sève et de larmes, prêt à tout pour cette verdure.
Long fut le périple qu'il éprouva au travers des contrées,
Emanant de lui ce courage, contre vents et marées,
Soufflant les obstacles sur son chemin, il rejoignait son destin,
"Ô héros de la légende, attends-moi sous l'ombre des pins".
La nuit vint, sous une lune argenté en croissant,
Emprisonné de son désir, le bourgeon découvrit le jardin,
Il y retrouva le héros à la taille impressionnante, lui tendant la main,
Lequel lui annonça avec un grand sourire : "Je t'attendais, mon enfant".
PS : Le sais-tu L, que le Dieu de la mort ne mange que des pommes ?
Bonne lecture à tous, et n'oubliez pas de commenter dans les Discussions du Jump
Re: Topic du M-I Jump
Bonjour à tous ! Avec un peu de retard du à beaucoup de travail je poste ce Jump spécial Halloween !
Pour rappel, la couverture provient de @ji-san qui a gagné le concours graphique, bravo à lui !
Voici les textes ! Avec en premier le texte d'@Unholyscream, gagnant du concours, bravo à lui également !
Pour rappel, la couverture provient de @ji-san qui a gagné le concours graphique, bravo à lui !
Voici les textes ! Avec en premier le texte d'@Unholyscream, gagnant du concours, bravo à lui également !
- Le Miroir Interdit:
- Le Miroir Interdit
A vous qui lirez ces lignes, sachez bien une chose : je ne suis pas fou. La main qui tient cette plume tremble encore au simple souvenir des terrifiants événements qui eurent lieu durant le macabre Halloween de 1999, me changeant à tout jamais. Mais je me dois d'écrire. Je ne le veux point, mais il le faut, le monde doit savoir. Cette atroce vérité qui réduisit mon esprit en charpie... J'ai le devoir de vous en avertir, quoi qu'il m'en coûte. Car si cette Chose venait à être libérée... Mon dieu, je n'ose pas le concevoir.
27 octobre 1999
Un sourire se dessina sur mes lèvres lorsque je lus la lettre envoyée par mon meilleur ami. Comme à l'accoutumée, il avait préparé une soirée spéciale pour fêter Halloween, à laquelle nous étions tous les quatre conviés. Sally, Mina, Dorian, Jonathan et moi nous connaissions depuis le collège, époque à laquelle notre passion commune pour l'occulte et les histoires horrifiques nous avait rapproché. Aujourd'hui j'avais dix-sept ans révolus et si je ne croyais plus aux spectres, esprits vengeurs et autres créatures surnaturelles, j'aimais toujours autant avoir peur. Et puis, il fallait bien le reconnaître, Dorian avait un véritable don, ainsi que les moyens grâce à la fortune de son père, pour organiser de magistrales soirées "frisson".
Mais cette fois-ci il avait choisi de rester énigmatique, évoquant seulement un terrible objet du passé, entaché du sang d'innocents. Incapable de décrypter le sens caché derrière ces quelques mots je posai la feuille sur mon bureau et me replongea dans la lecture de mon cours d'histoire.
31 octobre 1999
C'était une nuit particulièrement sombre et froide. Alors que nous avancions au travers des bois, je ressentis comme une aura mauvaise suinter du sol, portées par les volutes sournoises de la brume nocturne. Nos lanternes projetaient d'immenses ombres dansantes autour de nous, transformant les branches décharnées en d'atroces créatures ténébreuses. Une chouette poussa un cri à notre passage et j'eus l'impression de sentir ses grands yeux dardés sur mon dos. Un frisson parcourut mon échine... J'avais beau garder une expression neutre sur le visage, je n'en menais pas large. Pour ne rien arranger, notre guide en la personne de Dorian, se plaisait à répondre à nos questions par de funestes énigmes. Après une bonne demi-heure à cheminer ainsi, l'atmosphère se fit de plus en plus pesante. La lune était absente du ciel et les étoiles avaient préféré se cacher derrière d'impénétrables nuages, comme si elles-mêmes étaient terrifiés par ce qui allait survenir. Dorian ne parlait plus, les murmures de mes amis avaient fini par mourir d'eux mêmes... Puis nous débouchâmes dans une vaste clairière, au cœur de laquelle trônait un immense miroir. Entouré par un cercles de bougies, les flammes dansantes de ses dernières se reflétaient sur le verre poli d'une manière malsaine. Instinctivement, les poils de mes bras se hérissèrent. Je me sentais terriblement mal à l'aise en ce lieu. Tout au fond de moi une petite voix me chuchotait que c'était pas un endroit pour les humains...
- Mes amis, voici le Miroir Interdit. Présenta notre guide d'une voix théâtrale. Pendant des années je l'ai cherché, littéralement obsédé par le secret qu'il renferme. Puis il m'est apparu en rêve... Et je l'ai trouvé.
- Tu veux dire que... Commença Sally, les yeux pétillant.
Le maître de la cérémonie hocha gravement la tête, la lueur des bougies projetant des ombres hideuses sur son visage. L'espace d'un court instant je crus que c'était une toute autre personne qui se tenait là devant nous.
- C'est ici que se trouve emprisonné l'esprit de Bloody Mary.
Jonathan poussa un sifflement de surprise, et Sally laissa échapper un petit couinement. Elle adorait cette légende urbaine, à tel point qu'elle prenait l'apparence de ce fantôme à chaque fois qu'elle avait l'occasion de se déguiser. Un sourire naquit sur mes lèvres : j'étais vraiment curieux de voir ce que mon ami nous réservait désormais. Sans aucun doute il y aurait le rituel mais... après ? J'oubliai le malaise que j'avais ressenti à la vue de l'objet et jeta un coup d’œil à Dorian. Il rayonnait, visiblement fier de lui.
- Bon on commence quand le rituel ?! S'impatienta Mina, les poings sur les hanches. On n'est pas venu en pleine nuit juste pour camper !
- Ne sois pas trop impatiente... Cette nuit est peut-être notre dernière, plaisanta Jonathan. Il n'est jamais bon de réveiller un esprit en colère.
- Aurais-tu peur ?
En m'entendant il me jeta un regard de défi et s'approcha pour s'emparer d'une bougie. Il la tendit à bout de bras, fixant intensément le miroir.
- Je suis prêt.
J'acquiesçai puis fit quelque pas en avant à mon tour. Mais lorsque je me retrouvais face à l'objet, je fus à nouveau agité par une peur irrationnelle. Mes entrailles semblaient se tordre alors que mon regard traînait sur les motifs qui décoraient le cadre doré... Des symboles aussi grotesques qu'hideux. J'y vis la représentation d'une immonde créature, composé de cadavres grossièrement cousus les uns aux autres. A un autre endroit, des visages tordus par la douleur, finement sculptés, la bouche ouverte dans un hurlement d'effroi. Au travers de globes oculaires plus vrais que nature, l’œuvre semblait me fixer avec voracité. Mais pire que tout, le bois était maculé de tâches sombre, dont je devinais aisément l'origine. Alors que j'étais sur le point de faire un pas en arrière, Mina, Sally et Dorian vinrent se placer à nos côtés. Je ne voulais plus prononcer les paroles impies censées appeler la femme sanglante. Non je ne voulais plus... Mais alors, je me surpris à ouvrir la bouche, et à scander, en chœur avec les autres.
« Oh... Bloody Mary, Bloody Mary, Bloody Mary... »
Un silence terriblement lourd s'abattit sur mes épaules. Je n'avais qu'une envie : m'enfuir en courant, pour placer le plus de distance entre cette horrible miroir et moi. Mais non, j'étais comme paralysé... Après quelques secondes, qui semblèrent durer des heures, un vent violent souffla sur nous. Les flammes des cierges vacillèrent puis s'évanouirent, nous plongeant dans d'épaisses ténèbres. Palpables. Alors que nous tâtonnions dans nos sacs pour trouver nos lampes, un craquement brisa le silence. Je sentit Dorian sursauter juste à côté de moi, laissant tomber sa torche. La main tremblante, je dirigeai mon faisceau vers le miroir... Je ne pus réprimer un cri d'effroi, repris en chœur par mes amis -je ne saurais dire lesquels- quand la lueur s'arrêta sur une large fissure dans le verre poli. A travers le trou, nous regardait un œil, rouge de sang.
La surface, noire d'encre, ondula et un bras surgit. Une chair blanchâtre, visqueuse, tapissée de grosses veines écarlates... Les longs doigts palmés de la créature se refermèrent sur le poignet de Sally, et elle fut brutalement attirée vers l'objet maudit. Au lieu de se fracasser le crâne contre la paroi, sa tête s'enfonça à l'intérieur, comme s'il eut été constitué d'eau... Un hurlement à peine humain s'échappa de la gorge de Jonathan lorsqu'il tourna les talons et disparut entre les troncs. Comme tiré de ma torpeur par sa fuite, je me jetai sur mon amie, lui attrapant fermement la jambe, rapidement imité par Mina et Dorian. Malgré nos efforts joints, la Chose était dotée d'une force surhumaine, et nous sentions le corps de la jeune fille disparaître de plus en plus de l'autre côté... Puis soudain la créature lâcha prise et nous tombâmes tous les quatre à la renverse, pantelant. Je suais à grosse goutte lorsque je me remis sur pied... Je peinais à respirer, mes poumons presque broyés par la présence de... de... cette chose... La tête me tournait... Tant bien que mal nous remîmes Sally sur pied, avant de tituber dans la forêt. Le visage de Dorian était crispé en un masque d'épouvante, ses yeux roulant aléatoirement dans ses orbites, tandis que toute couleur avait quitté Mina, laissant sa peau livide, exsangue. Après vingt bonnes minutes d'errance, je m'effondrai. Les genoux dans la terre, je me mis à fixer l'obscurité en face de moi. Que s'était-il passé ? Je me pris la tête entre les mains, tentant désespéramment d'oublier la vision de cet œil sanguinolent et de ce bras, trop grand, trop blanc et trop maigre pour appartenir à notre monde. Lorsque je soulevais à nouveau mes paupières, je vis Mina et Dorian affairés autour de Sally, visiblement paniqués.
- Que... Comment va-t-elle ? Parvins à articuler malgré ma bouche pâteuse.
Dorian me jeta un regard désolé et commença :
- Elle est comme... Comme...
- Vide. Acheva Mina, la voix tremblante.
J'inspirai profondément puis m'agenouillai devant la petite brune, qui avait été mon amie depuis tant d'années. Délicatement je soulevais son menton pour l'examiner... Son souffle était si régulier, qu'il en devenait presque mécanique. Ses yeux étaient rivés droit devant elle, inertes. Plus le moindre battement de paupières. Son regard semblait porter à travers moi. Ou peut-être avait-elle cessé de voir... Un terrible frisson secoua mes épaules.
- Je... Je suis tellement désolé... Se lamenta celui qui avait tout organisé. Je... C'était seulement un jeu, je ne comprends pas ce qui a pu se passer... J'ai fait le rituel des dizaines de fois seul, devant ce miroir et... et... rien ! Je...
Mina posa une main qui se voulait rassurante sur son épaule.
- Ce n'est pas ta faute...
- Ce n'est la faute de personne, continuai-je.
- Si. J'ai causé tout ça... C'est moi qui... Regardez Sally, elle est morte !
- Non ! S'écria la jeune fille. Elle n'est pas morte, juste choquée !
- Ses yeux... Regarde ses yeux... Son âme... est morte. Lâcha finalement Dorian en éclatant en sanglots. Par ma faute...
Ni Mina, ni moi ne répondirent. Nous étions trop occupés à regarder derrière nous, dans la direction du miroir.
1er novembre 1999
Des ombres rampaient sur moi, glaciales. Des mains blanches palmées, sortaient des ténèbres, pour enrouler leurs doigts autour de mon cou, s'introduire jusque dans ma gorge et me crever les yeux... Je m'éveillai en hurlant, trempé. Brusquement je repoussai ma couette, et constatai avec soulagement que j'étais bien seul dans mon lit, que ces terrifiques visions n'avaient été qu'un cauchemar. Cette nuit d'horreur dans les bois, tout cela n'avait été qu'un mauvais rêve... Qui avait l'air tellement réel. Je secouai la tête. Les monstres et les fantômes n'existaient pas. Tout cette histoire n'avait été qu'un long et terrible songe. Je quittai mon lit, allumai la lumière. Et tombai à genoux, en couvrant ma bouche, lorsque j'aperçus ma lampe torche. Elle était posée sur le sol, juste à côté de chaussures maculées d'herbe et de boue, et de mon long manteau noir. Ma mère déboula dans ma chambre à ce moment, ouvrant la porte à la volée :
- Tout va bien ?! Je t'ai entendu crier... Qu'est-ce que tu fais par terre ?
- C... Ça va. Juste un cauchemar particulièrement réel... J'ai du tomber en sortant du lit. Balbutiai-je d'une voix faiblarde.
- Bon... Ça va alors, lâcha-t-elle la mine soucieuse, avant de ressortir.
Alors que je me remettais sur pied, un sentiment de terreur incontrôlable s'empara de moi. Ma respiration était saccadée, et mon cœur battait tant qu'il était sur le point de s'échapper de ma poitrine. Je devais absolument prendre des nouvelles des autres ! Je m'emparai de mon téléphone, et constatai que j'avais déjà plusieurs appels en absence de la part de Mina et de Dorian, ce dernier ayant même laissé un message vocal. Mais rien des deux autres... J'appuyai sur le bouton me permettant d'accéder à la messagerie, et appris ainsi que mon ami voulait organiser un rendez-vous, pour parler de ce qui s'était passé dans les bois. Il confirma mes craintes en précisant qu'il n'avait pas eu de nouvelles, ni de Sally - que nous avions ramené chez elle et laissé dans son lit - ni de Jonathan. Même au travers du combiné, je pouvais percevoir honte et chagrin dans la voix de Dorian.
Le rendez-vous étant fixé au lendemain, je décidai de me changer les idées en allant faire un peu de sport. C'était bien le meilleur moyen que je connaisse pour m'aérer l'esprit. Mais lorsque je sortis de ma douche, je me retrouvai face à face avec mon reflet, dans le grand miroir de la salle de bain. Aux côtés de mon double se trouve une silhouette atrocement difforme... La chose, dont les traits étaient trop troubles pour être identifiés, leva une grande main blanchâtre, qu'elle fit lentement courir sur le torse de mon reflet... Je sentis son contact visqueux sur ma peau. C'était exactement la même sensation que dans mon rêve... Mon cœur cessa de se battre et je vomis dans le lavabo.
Finalement je n'allai pas courir aujourd'hui. Je passai le reste de la journée à de regarder le plafond, tétanisé.
2 novembre 1999
Le soleil était haut dans le ciel, mais bien caché derrière d'épais nuages cotonneux. C'était une journée grise et peu lumineuse, en dépit de l'heure. Je ne tardai pas à reconnaître Mina et Dorian, qui discutaient à voix basse, à l'endroit du parc où nous avions l'habitude de traîner. J'ouvris la bouche pour les saluer mais mon ami me devança :
- Je suis désolé Andrew... Si tu savais à quel point je m'en veux...
- Arrête ça je t'ai dit, t'y es pour rien, rétorquai-je en frissonnant. Puis tout le monde va bien, c'est l'important ! Sally va se remettre et...
- Jonathan est mort... Souffla Mina.
Je tressaillis en entendant la nouvelle. Incrédule, je scruta le visage de la jolie blonde, et découvrit que ses yeux étaient rouges et ses joues humides... Dorian se tordait les mains en se lamentant, les épaules secouées de spasmes. Je tentai de parler, mais les mots moururent dans ma gorge. Ce n'était pas possible... Comment avait-il pu... ? Mes lèvres s’entrouvrirent à nouveau, et mon regard croisa celui de Mina. Comme si elle avait lu dans mes pensées, elle murmura en baissant la tête :
- Il a été retrouvé pendu dans sa chambre, hier.
Je me raidis brusquement et prononça d'une voix atone :
- Pourquoi aurait-il fait une chose pareille ?
- La honte ? La peur de nous faire face après sa fuite ? Hasarda la jeune femme, sans quitter le sol des yeux.
- C'est insensé... Il n'était pas comme ça. Je... Je ne comprends pas...
Mina haussa les épaules, incapable de trouver une autre explication.
- Il a eu le temps de voir la chose. Et il n'a pas supporté... Tout comme Sally. Intervint Dorian.
Les mots avaient été prononcées. Des mots que nous aurions tous pu dire, mais que seul notre riche camarade avait eu le courage d'avancer. Sally avait perdu l'esprit, Jonathan avait préféré se suicider plutôt que de savoir qu'une telle créature pouvait exister. Je déglutis avant de lâcher, sur un ton qui se voulait rassurante mais qui tremblait tant que je dus probablement accroître leur malaise :
- Nous devons vivre, nous ne pouvons pas laisser cette... ce monstre nous détruire.
- Il hante mes rêves et côtoie mon reflet ! Hurla soudainement Dorian en se relevant d'un bond. Comment veux-tu vivre ? Comment veux-tu que je continue à vivre, avec cette horreur qui constamment me rappelle que j'ai mené mes amis à leur perte ?!
Troublé par la véracité de ses propos je gardai le silence et détourna les yeux. Lorsque je me redressai, il était parti. Mina me jeta un regard suppliant, mais je fus bien incapable de la conforter.
4 novembre 1999
Ni Mina, ni Dorian ne répondaient plus à mes appels. Je m'étais déplacé jusqu'à chez eux, mais n'avais rencontré que des portes closes. Je voulus rendre visite à Sally, mais me heurtai à la haine que me vouait désormais sa famille... Comme j'étais celui qui l'avait raccompagné le soir d'Halloween, ils me tenaient pour responsable de son état. Je me sentais terriblement seul. Je passai le plus clair de mes journées enfermé dans ma chambre, à regarder dans le vide... Mes pensées, tout autant que mes rêves et mes miroirs, étaient habités par la Chose, qui chaque jour rongeait un peu plus mon âme... Ses grandes mains palmées, blafardes, caressaient mon visage. Parfois je sentais son immonde langue, aussi longue qu'un serpent et aussi visqueuse qu'une limace, s'enrouler autour de mon cou, obstruer mes poumons. Et je ne pouvais rien faire... Sinon m'abandonner à son étreinte et me laisser lentement dépérir. Je ne mangeais guère plus qu'une fois par jour, ce qui ne tarda pas à alarmer ma mère. Par moment je fus tenté de tout lui raconter, mais je savais bien qu'elle ne me croirait pas. Après tout, qui me croirait ?
7 novembre 1999
Les cours avaient repris. Désormais je n'avais pas plus de vie qu'un fantôme hantant le lycée, se déplaçant sans mot dire de salle en salle. Plus personne n'osait m'adresser la parole, car l'on racontait qu'une terrible malédiction frappait ma personne, condamnant à la mort tout ceux qui m'étaient proches. Mina était portée disparue depuis plusieurs jours, après avoir fuguée en pleine nuit. Dorian, lui, avait été retrouvé mort, baignant dans son propre sang, des morceaux de miroir plantés dans la gorge et les poignets. Je n'avais rien ressenti en apprenant la nouvelle...
Alors que l'appel de la Chose se faisait de plus en plus insistant, le monde réel avait de moins en moins de sens pour moi. Les voix des professeurs et élèves se mélangeaient en une incompréhensible cacophonie à mes oreilles. Les attentions de ma mère m'apparaissaient comme une nuisance. La race humaine me dégoûtait. Mais quand je dormais, alors je sentais la douce étreinte de la Créature-dans-le-Miroir... Lorsqu'elle me prenait entre ses bras, tout malaise disparaissait et je glissais dans une exquise hébétude, bercé par son chant mélodieux. Puis chaque réveil apportait son lot de souffrance et de solitude.
10 novembre 1999
Pieds nus et emmitouflé dans mon grand manteau noir, je titubai à travers la forêt, mes pas guidés par les étoiles ainsi qu'un malfaisant croissant de lune. L'astre pâle semblait se gausser de mes tourments, alors que mes pieds sanguinolents foulaient la terre froide. J'avais succombé à l'appel de ma Mère-Véritable... La Créature-dans-le-Miroir, me rappelait à ses côtés, et je sentais que c'était là-bas que se trouvait ma place. Ma Fausse-Mère avait voulu m'empêcher de partir, c'est pourquoi j'avais du m'enfuir précipitamment, avant même d'avoir pu me chausser. Cette Humaine... Je secouai la tête, son identité n'était plus très claire pour moi. Mais de toute façon, seule comptait ma Mère-Véritable.
Un sourire béat illuminait mon visage alors que je vacillai entre les troncs, ballottés par des vents violents et sournois. Ils s'engouffraient dans ma veste, mordaient ma chair puis repartaient en sifflant, comme tout autant de vipères éthérées. Mon corps devint rapidement couverts de petites plaies, creusées par de viles branches et de sournoises racines. Je chutai souvent, mais me relevai toujours, galvanisé par ce qui m'attendait au bout du chemin. Puis, après ce qui me semblait durer plusieurs siècles, mon chemin de croix aboutit, tandis que mon pied droit s'enfonçait dans l'herbe fraîche de la Clairière Interdite.
Je jetais un œil vers les cieux pour constater que les étoiles s'étaient éteintes. Leur lumière avait été bannie de ce lieu sacré. Seules quelques bougies, à la cire délicieusement rouge, éclairaient les formes macabres du cadre du Miroir. Et là, devant le bel objet, se tenait une silhouette que j'avais le sentiment de connaître. Plus grande que moi, ses longs cheveux blonds tombaient au creux de ses reins. Elle était nue et, avec ses bras écartées, semblait s'offrir toute entière à ma Mère-Véritable. Mon cœur réagit à la vue de ses courbes et je compris qu'elle était ma Sœur... Et que nous avions été proches dans une ancienne vie, pas si lointaine. Mes lèvres soufflèrent un mot, que je ne comprenait pas, que j'avais oublié. Mina.
Elle se retourna, ses yeux transperçant l'obscurité pour se poser sur moi. J'y lus un bonheur indicible, une paix intérieure que je ne pensais pas possible. Alors elle s'avança et plongea, lentement, de l'autre côté du miroir. La surface ondula, comme si elle rentrait dans un mur d'eau, puis bientôt elle eut totalement disparu... C'était mon tour. J'inspirai profondément, et me remis à marcher, tentant tant bien que mal de contenir mon impatience. Je me défis de ma veste, et constata que malgré ma nudité il ne faisait pas froid ici. Il n'y avait pas le moindre vent. Du bout des doigts, j'effleurai le verre poli... Et sursautai quand le visage de la jolie blonde réapparut. Désormais ses traits étaient déformés par une souffrance inimaginable, et je me surpris à reculer d'un pas.
Ma Mère-Véritable... Que faisait-elle à ma Sœur ? Je vis la bouche de cette dernière s'ouvrir en un dernier hurlement silencieux et ses spasmes cessèrent. Sa carotide explosa, arrosant de sang frais toute la paroi interne du miroir. Bientôt cette dernière fut changée en un mur écarlate, dégoulinant et luisant d'un éclat sombre. Je fis un nouveau pas en arrière, les entrailles dévorées par un doute terrible. La Chose... était la Mère de ma Soeur, non ? Alors pourquoi ?
Soudain, alors que je m'apprêtai à tourner les talons, un gigantesque bras livide surgit du rideau de sang pour tenter de mes happer. Par chance les ongles mous de la chose raclèrent l'air à quelques centimètres de mon visage et je me jetais en arrière. Je sentis mon crâne heurter un morceau de roche, et le monde se mit à vaciller devant moi. Je voyais la patte de la Créature-dans-le-Miroir qui griffait furieusement le vide, labourait la terre. Mais j'étais hors de sa portée... Alors je vis avec horreur un autre bras surgir de la surface écarlate, puis un troisième. Lorsque le quatrième surgit, dans une éclaboussure sanguinolente, un gémissement de désespoir s'échappa de ma gorge. Les mains palmées de la créature prirent appui sur le cadre doré, laissant d'atroces marques dans le bois. Ensute elle poussa, comme pour s'extirper de sa prison... Oh... Je vis une longue langue rosâtre fouetter l'air avec fureur... Puis cinq yeux rouges étinceler dans la nuit. Un terriblement hurlement de frustration déchira le silence, et je sentis les mots de la créature résonner dans mon crâne. Des mots inhumains, impossible à décrire. C'est à cet instant que je compris que la chose qui se tenait devant moi n'appartenait pas vraiment à notre réalité. Une divinité abyssale et ancienne, manipulant nos cauchemars pour prendre possession de nos âmes. L'horreur qu'elle incarnait était telle que nous autres, pauvres hommes, ne pouvions même pas appréhender son existence. Aujourd'hui encore je me demande pourquoi je ne suis pas devenu fou à la simple vue de cette atrocité innommable.
Lorsque je m'éveillai, l'aube rose était sur moi. J'étais nu, au cœur de la clairière. Le miroir n'était plus là, mais je sentais encore toute la haine de la Chose déferler sur moi. Sans même prendre la peine de remettre mon manteau je m'enfuis en courant.
Non, je ne suis pas fou. Mais quand les ombres rampent vers moi, quand le vent m'apporte Sa voix et que mon reflet n'est pas seul, je ne désire rien de plus que la douce délivrance que connaissent les ignorants et les déments. Elle est toujours là, tapie dans mes rêves, à attendre que mon esprit faiblisse à nouveau... Je sais bien que je ne pourrais toujours résister, mais pour le bien de l'humanité, il faut que je sois le dernier à céder.
- La Cage:
- La Cage
Stephen consulta sa montre : 11h48. Il s’était endormi la veille avec l’idée d’arriver un peu plus tôt au travail afin de faire connaissance avec ses nouveaux collègues, et c’est dans une tentative ratée de sourire enjoué qu’il pénétra dans le parking de l’hôpital. Il ouvrit la portière de sa voiture, sortit, observa un instant l’imposant bâtiment qui se dressait devant lui, et ne put repousser la main invisible qui lui empoigna machinalement les entrailles. Il avait quitté son précédent job pour subvenir aux besoins de sa famille qui venait récemment de s’agrandir avec l’arrivée de sa fille, Lisa. Il aimait son précédent job, dans les champs, mais il ne rapportait pas assez. C’était avec un certain regret qu’il s’était mis à éplucher les petites annonces des journaux, et avait finalement trouvé un travail bien payé, dans un hôpital. C’est avec un pas incertain qu’il s’avança jusqu’aux portes principales et entra dans le hall.
Stephen se dirigea maladroitement jusqu’à l’accueil qui trônait au centre de la large salle. Une vieille femme installée derrière le comptoir l’avait observé arriver jusque-là, elle rectifia la position de ses lunettes d’un geste, puis demanda :
- Que puis-je pour vous ?
- Je suis le nouvel agent de sécurité, Stephen Myers. On ne m’a donné aucune indication lors de l’entretien téléphonique que j’ai passé avec le directeur, je ne sais pas où me rendre.
- Oh alors c’est toi le petit nouveau, tu m’as l’air bien jeune pourtant. Mais je ne me suis pas encore présentée, Brenda Mcwyle, je m’occupe de l’accueil en journée. Tu dois être en binôme avec Johny, il ne devrait pas tarder à arriver, il a la fâcheuse habitude d’être en retard. Il t’expliquera le travail.
- Qui est ce Johny ?
- Quand on parle du loup… Elle disait ces mots en pointant du doigt les portes vitrées de l’entré, là où un homme imposant se présenta quelques secondes plus tard. Il ressemblait à un véritable biker avec son air patibulaire, son jean large, et son veston de cuir porté par-dessus sa chemise orange. Johny, ce jeune homme est le nouvel agent de sécurité, Il… Elle fut interrompue par Johny qui beuglait tout en se dirigeant vers un couloir à la droite du hall.
- Pourquoi est-ce qu’on m’envoie un gamin pour bosser… Amène tes fesses et fissa. Stephen se précipita à sa suite alors qu’il disparaissait dans l’allée. Avant de se volatiliser à son tour, il adressa un geste de remerciement à Brenda.
Johny se déplaçait étonnement vite pour sa corpulence, il ne cessait de creuser l’écart qui le séparait de Stephen, si bien que ce dernier fut presque obligé de trottiner pour le rattraper. Exploit qu’il réalisa lorsque son collègue s’arrêta, à quelques mètres d’une porte.
- C’est nos vestiaires, on doit porter une tenue pour bosser. Attrape la première qui se présente et magne toi, on est déjà à la bourre pour remplacer l’autre équipe.
Johny parvint tant bien que mal à se faufiler dans le vestiaire qui semblait trop petit pour lui, puis fut rapidement rejoint par Stephen. Les deux hommes abandonnèrent leurs vêtements pour une jolie combinaison bleue claire, et se remirent ensuite en route. Enfin, Stephen se remit plutôt à suivre Johny, ne sachant pas où ils se rendaient. Au bout de quelques minutes à déambuler dans les dédales de l’hôpital, il se décida finalement à poser la question :
- Je peux savoir où l’on va ?
- Comment ça tu veux savoir où qu’on va, on t’l’a pas dit le jour de l’embauche ?
- Non, je ne sais même pas vraiment en quoi consiste le boulot.
- Mais qui m’a envoyé un branleur pareil, il faut que je t’explique c’qu’on doit faire en plus… On est agent de sécurité, non ? Bah on est là pour sécuriser. On est trois équipes de deux, toi et moi on en forme une, et on se relaie toutes les huit heures pour surveiller l’hôpital vingt-quatre heures sur vingt-quatre. D’ailleurs demain on commence à vingt heures, alors sois pas en retard ou t’auras à faire à moi.
- On doit juste faire des rondes dans l’hôpital toute la journée ?
- C’est plus compliqué que ça, c’est un hôpital psychiatrique ici, et y a pas que de simples tarés crois-moi. Quand on travaille en journée c’est le plus ch**nt, demain soir on sera tranquille. On va commencer par aller remplacer l’autre équipe puis on se mettra au boulot.
Stephen et Johny continuèrent leur marche jusqu’à une salle de surveillance, là-bas ils prirent la place d’un autre binôme qui s’éclipsa rapidement. Johny s’installa dans un fauteuil face aux caméras et prit un magazine.
- On a quatre heures à rien faire, alors trouve-toi une occupation et me cause pas.
Les quatre heures passèrent lentement, Stephen avait lui aussi attrapé un magazine mais s’était rapidement lassé. Il entendit finalement les ronflements de Johny qui s’était endormi, et se plongea dans ses pensées. Il songea à sa fille, si petite et si belle, à sa femme qu’il aimait, et durant un instant il se sentit bien, complètement détendu et heureux. Puis il s’endormit à son tour.
Il se réveilla en sursaut, Johny venait de lui hurler qu’il était l’heure de se mettre au boulot. Stephen mit quelques secondes pour reprendre ses esprits puis réalisa qu’on lui tendait une matraque, Johny portait déjà la sienne à sa ceinture. Il tenait aussi un sandwich à la main, mais ça il ne lui en proposa pas.
- Le travail commence maintenant.
Ils marchaient en silence, Johny avait brièvement expliqué que l’hôpital détenait des patients au cas plus graves que d’autres, et ces patients étaient dans une partie éloignée du bâtiment, presque repliée sur elle-même. Là-bas les patients passaient leur journée dans leur cellule et avaient, lorsque leur médecin le conseillait, droit à une sortie de quinze minutes par jour dans une cour extérieure qui leur était réservée. Ainsi, le rôle des agents de sécurité était aussi d’escorter et surveiller les patients lorsqu’ils sortaient.
- En ce moment il n’y a qu’un seul taré qui a le droit de se balader dehors, et je t’avoue que je m’en serai bien passé. C’est sûrement le plus fou de tous.
- Il est si terrible que ça ?
- Pire que tu peux l’imaginer, ça fait dix-huit ans que je bosse ici, et ça en fait vingt-deux qu’il croupit dans sa cellule.
- Qu’est-ce qu’il a fait pour se retrouver là ?
- Il avait à peine six ans lorsqu’il a trucidé sa mère et sa sœur. Il paraît qu’il avait le visage barbouillé de sang et fendu d’un immense sourire lorsque la police est arrivée. On y est. Johny soupira puis frappa à la lourde porte d’acier. Jack, c’est Johny, c’est l’heure de ta promenade, on va entrer d’accord ? Il attendit quelques instants, puis n’obtenant pas de réponse inséra la clé dans la serrure, et ouvrit la porte.
Stephen retenait sa respiration, il s’attendait à trouver devant lui un géant de deux mètres de haut, mais il ne fit face qu’à un jeune homme souriant. Il était assis sur une chaise et paraissait attendre qu’ils s’avancent, ce que fit Johny, rapidement suivi par Stephen. La pièce était sombre mais il put apercevoir les masques. Ils étaient accrochés aux murs et donnaient une ambiance angoissante à la scène, les masques au regard figé semblaient l’observer.
- Ne touche pas aux masques, Jack n’aime pas ça. Johny s’était approché du patient et lui passait des menottes.
- Il sort avec des menottes ?
- Une mesure de sécurité.
C’était un après-midi étonnement agréable pour une journée d’hiver, le vent était légèrement chaud et le ciel dégagé, Stephen se surprit même à siffloter. Jack marchait à l’avant, précédé de ses deux gardiens. Il ne se préoccupait de rien, se contentant d’avancer, cette promenade semblait même l’ennuyer. Stephen entreprit de débuter une conversation avec lui :
- Ça doit être agréable de sortir prendre l’air quand on est enfermé toute la journée, non ? Il attendit quelques instants une réponse mais elle vint finalement de la part de Johny
- Te fatigue pas, il parle quand il a envie, c'est-à-dire pas souvent.
La promenade se fit ensuite dans un profond silence brisé à de rares occasions par le chant des oiseaux, puis les gardes raccompagnèrent le détenu dans sa cellule. Lorsque Johny enleva les menottes des poignets de Jack, ce dernier se décida à ouvrir la bouche. Il mit quelques secondes pour se réhabituer à parler puis dit :
- J’attends demain pour la promenade.
- Demain tu seras surveillé par une autre équipe, désolé Jack. Puis il ferma la porte.
Johny et Stephen retournèrent ensuite dans la salle de surveillance où ils restèrent une heure entière avant d’être appelés par un médecin pour venir canaliser un patient qui se montrait violent. Une fois chose faite ils retournèrent dans la salle et y restèrent jusqu’à ce que l’équipe les relevant n’arrive, à vingt heures. Ils reprirent leurs vêtements et se dirigèrent vers l’entrée principale. La personne s’occupant de l’accueil n’était plus Brenda mais une jolie rousse que Stephen salua d’un geste de la main avant de passer la porte. Il observa Johny qui quittait déjà le parking, perché sur une imposante moto, puis entra dans sa voiture et rentra chez lui.
Il était dix-neuf heures trente lorsqu’il quitta son petit appartement situé à quinze kilomètres de l’hôpital, Stephen embrassa sa femme puis caressa plusieurs minutes durant les cheveux de sa fille, et passa la porte.
La nuit était tombée et la lune pleine lorsqu’il se gara devant l’hôpital. Il chercha du regard la moto de Johny mais ne vit rien, il ne devait pas être encore arrivé. Stephen se dirigea vers le bâtiment étonnamment éteint et entra, le hall était vide et sombre. Il alla tout de même jusqu’au comptoir mais n’aperçut aucune jolie rousse. Il décida d’aller voir la salle de surveillance pour savoir pourquoi l’hôpital était plongé dans le noir, et s'aventura ainsi dans les couloirs emplis de ténèbres.
Stephen déambulait dans l’hôpital à la recherche de la salle de surveillance, il avait dû mal à se repérer dans le noir et le fait d’être un nouveau venu dans l’établissement ne l’aidait pas. Et finalement, quelques minutes plus tard il reconnut le chemin menant à la salle. Il n’était plus qu’à quelques mètres de la porte lorsqu’une main lui saisit le bas des jambes, la peur et la surprise firent faire un bond à l’agent de sécurité qui s’arracha à l’emprise inconnue. Stephen, littéralement le dos collé au mur, sentait son cœur battre à la chamade. Il voyait désormais une vague forme dans l’obscurité du couloir mais n’arrivait pas à l’identifier, il s’approcha et se baissa afin de mieux voir. Une nouvelle fois la surprise le saisit lorsqu’il comprit qu’il s’agissait d’un des agents de sécurité, ce dernier semblait peiner à respirer et sur le point de s’évanouir. La première réaction de Stephen fut de penser à une attaque cardiaque, il mit son collègue sur le dos puis apposa ses mains sur le torse afin de débuter un massage. En touchant le vêtement de l’agent dont il ne connaissait pas le nom, Stephen comprit qu’il s’agissait d’autre chose, il était trempé de sang et l’absence de lumière ne lui permettait pas d’identifier la source de la blessure. Une nouvelle fois, une main le toucha, cette fois au niveau du visage. L’agent de sécurité tentait tant bien que mal de parler et d’attirer l’attention de Stephen, qui se pencha pour entendre ce qu’il avait à dire.
- Il… Il est pas… loin…
Stephen mit du temps à saisir ce qu’on voulait lui dire, et ne comprit finalement que quand il entendit un rire froid résonner à l’autre bout du couloir. Un des patients avait dû s’échapper de sa cellule. Il jaugea la distance qui le séparait de la porte de la salle de surveillance, il retourna ensuite son attention vers l’agent de sécurité qui venait de rendre l’âme, et se mit à courir. Son ouïe était brouillée, il entendait vaguement le rire s’intensifier à mesure qu’il se rapprochait, il concentrait toute son attention sur les bruits que provoquaient le déplacement lourd de ses pas.
Il parvint finalement à atteindre la salle le premier, il referma la porte et la verrouilla. Il y eut quelques secondes de silence, puis de grands bruits martelés au rythme des coups qui frappaient la porte. La scène sembla durer des heures pour Stephen, mais prit fin. Alors qu’il entendait le rire s’éloigner, Stephen prit une longue inspiration.
Il cherchait désespérément le téléphone qui se trouvait dans la salle de surveillance, en vain. Cette fichue obscurité était la pire plaie qu’il pouvait avoir dans une telle situation, et ce n’était pas seulement les lumières qui semblaient dysfonctionner, mais tout le système électrique, les caméras aussi étaient éteintes. Réalisant que dans une situation pareil le téléphone ne lui servirait à rien, Stephen s’autorisa à pousser un petit gémissement. C’est à ce moment qu’on tenta d’ouvrir la porte.
La poignée s’abaissa une première fois dans un claquement sonore, se releva, puis redescendit ensuite plus brutalement.
- Bon, gamin tu m’ouvres ?
- Johny ? Johny c’est toi ? En entendant la voix de son collègue, Stephen s’était précipité sur la porte qu’il déverrouilla.
- Bien sûr qu’c’est moi, tu voulais qu’ce soit qui ? Johny eut tout juste le temps d’entrer que Stephen refermait et condamnait déjà la porte. Mais qu’est’qu’tu fais ?
- Tu l’as pas vu ? Johny, dis-moi, tu l’as pas vu ?
- Pas vu qui ?
- Le fou qui s’est échappé tu l’as pas vu ?
- Qu’est c’que tu m’racontes comme conneries encore ?
- T’as pas vu le gars de l’autre équipe dans le couloir ?
- J’ai vu pers… Johny n’eut pas le temps de finir sa phrase, un rire froid retentit derrière la porte.
- Johny, Johny, allons-nous promener.
Silence.
- Jack c’est toi ? Qu’est-ce que tu fais dehors, il faut retourner dans ta chambre mon grand. Stephen pouvait clairement entendre la tension dans la voix de Johny.
- Sors et promenons-nous d’abord, je retournerai dans ma chambre plus tard.
Une nouvelle fois le silence s’installa, puis les pas de Jack s’éloignant se firent de plus en plus faible.
- Il est parti ?
- Espérons, mais on va pas pouvoir rester là toute la nuit. Il faut se barrer gamin, on est comme dans une cage avec lui dans les parages, il faut juste sortir de l’hôpital, on appellera les secours une fois dehors. Johny se tut puis n’entendant rien dit, Ouvre la porte.
- T’es sûr ?
- Dépêche-toi pendant qu’il est pas là.
Ainsi Stephen s’exécuta et les deux hommes se retrouvèrent dans les ténèbres des couloirs de l’hôpital.
- Tu me suis et tu la ferme.
Johny connaissait l’hôpital comme sa poche après y avoir passé autant d’années, c’est comme ça qu’ils purent emprunter des allées habituellement réservées au personnel, que Jack ne connaissait sûrement pas, lui qui avait passé la plupart de son temps dans sa cellule. Ils se rapprochaient de l’entrée, ils y étaient presque, il ne leur restait plus qu’à traverser le hall et ils seraient dehors. Ils débutèrent la traversée de la salle et tout se passa pour le mieux jusqu’à ce qu’ils se trouvent au niveau du comptoir d’accueil. C’est à ce moment que Jack se décida à passer à l’action, surgissant de derrière le comptoir, il se jeta sur Johny en poussant un rire guttural qui figea les deux agents de sécurité. Entraîné par la violence du saut, les deux hommes tombèrent à terre et ainsi débuta une lutte au sol. Johny tentait de repousser de ses bras le corps de Jack, qui s’évertuait à l’aide d’une lame à lui lacérer le visage. Stephen était paralysé, il ne parvenait pas à bouger ses membres qui semblaient peser des tonnes, pourtant devant lui se passait une scène effroyable : La lame de Jack qui s’était enfoncée vers le menton de Johny commençait lentement sa remontée jusqu’aux yeux du Biker.
Lorsque Johny hurla, le corps de Stephen se remit en route. Il se précipita vers l’entrée principale, abandonnant son acolyte, il eut tout juste le temps d’entendre les intestins de l’homme se vider, et son hurlement s’intensifier avant de s’évanouir.
Stephen courait sur le parking de l’hôpital, il ne lui restait plus qu’à atteindre sa voiture et il pourrait enfin quitter cet endroit et ce fou qui l’habitait. Jack était à ses trousses, riant toujours plus fort et tenant dans sa main une lame rouge de sang. Stephen n’était plus qu’à quelques mètres de sa vieille Ford bleue lorsqu’un coup de pied lui faucha les jambes, le faisant tomber au sol dans un grand cri de douleur.
- Chut chut, doucement, tout va bien se passer. On va juste se promener tous les deux.
La lame s’enfonça dans l’épaule gauche de Stephen qui poussa un long gémissement et se mit à pleurer. Les larmes coulaient au rythme des éclats de rire. Jack retira sa lame puis sembla perplexe durant quelques secondes, il sourit ensuite à nouveau puis dit :
- Oh mais tu ne l’as pas vu encore…
Il mit les mains dans ses poches puis en retira un masque. Il l’enfila et fixa à travers ses yeux de plastiques le visage de Stephen. Le masque était entièrement blanc, ne laissant apparaître aucune expression, même les rires de Jack s’étaient arrêtés. Tout en cet instant rappelait la froideur, le silence qui semblait se prolonger, l’air qui s’était considérablement rafraîchi, ainsi que la blancheur de la lame que Jack venait d’essuyer.
- Il est temps.
Et le couteau s’enfonça.
Jack avait ôté son masque et regardait l’horizon, impassible. Un nouveau monde s’offrait à lui, la cage venait de s’étendre considérablement puisque le monde lui-même était la cage.
Que Dieu prie pour les êtres enfermés avec lui.
Dernière édition par Gear 2nd le Ven 11 Déc - 23:37, édité 1 fois
Re: Topic du M-I Jump
- La Spirale:
La Spirale
Ses vêtements en guenilles, son visage blafard, la folie de son regard. Tout en lui amenait la peur.
Il se tenait devant, ses yeux sombres fixant le vide. Quelle ironie que cette quête du responsable de toutes ces atrocités se termine ainsi, à sa merci. Étonnamment, ses yeux semblaient aussi effrayés que ceux qu’ils rencontrèrent. Se préparant à parler, toujours menaçant, il fit un pas en avant. Riggs l’imita, incertain mais non sans un soulagement de découvrir enfin la vérité.
Dix-neuf Juin, la chaleur était insupportable et la ville bien calme. Bien plus calme que d’habitude à l’arrivée de l’été. Les enfants ne jouaient pas. Les commerçants s’époumonant pour appâter le client ne bondaient plus les ruelles. Les journaux gisaient ici-et-là entre les pavés de la rue, tous ayant bien évidemment le même gros titre. Un homme s’approcha de la rue déserte, un cigare dans la bouche et des petits yeux perçants. Il ramassa en soupirant un journal au hasard et commença à le lire à la lueur d’un lampadaire.« Les victimes de l’assassin de 23h ont dépassées la quinzaine. Les autorités restent muettes.
La petite ville de Mosny-en-oie est depuis maintenant deux semaines la proie d’un tueur en série surnommé « l’assassin de 23h ». Cette dénomination provenant d’un journaliste dépeint le fait étonnant que chacune de ses victimes soit morte à 23h précisément, laissées à côté d’une montre à gousset arrêtée à la même heure.
L’homme est extrêmement dangereux et semble n’avoir aucun modus operandi. Voilà 15 jours exactement depuis le premier assassinat, et chaque nouveau jour voit pleuvoir son nouveau corps. Les autorités sont harcelées de toute part mais n’ont pour l’instant pas communiqué publiquement sur cette affaire. Les citoyens vivent depuis quelques jours dans la peur de sortir, et un communiqué public de la mairie leur demande de ne pas sortir au-delà de vingt-deux heures et d’être toujours accompagné de quelqu’un. Cependant le plus important à savoir pour conserver sa sécurité est avant tout de… »
L’homme arrêta ici sa lecture. Pour la bonne et simple raison que le reste de l’article avait été arraché. Soupirant de nouveau, il jeta le journal déchiqueté et continua sa marche en remontant son pantalon qui tombait, laissant pendant un court instant entrevoir le revolver six coups qu’il gardait attaché à sa ceinture. Après quelques minutes de marche, sa destination se profila et il entra dans le bâtiment en trainant les pieds.
- Bon retour inspecteur, rien à signaler ?
- Aucun idiot en vue dans les rues. Faut dire, ils auraient intérêt à être sacrément idiots pour sortir maintenant.
- Ces rondes sont importantes inspecteur. Si on pouvait endiguer ces meurtres ne serait-ce qu’un soir et briser sa chaîne, les gens reprendraient peu à peu espoir.
- ‘Sais pas. Je vois pas l’intérêt de faire cette ronde tout seul. A force des morts, les policiers restant ici à faire des papiers augmentent alors qu’on a besoin d’eux dehors. Si on passait tous la nuit à sillonner les rues, on le trouverait cet enfoiré.
Le policier chargé de l’accueil du commissariat ne répondit rien. L’inspecteur Riggs – ainsi que le disait son badge – continua son avancée dans les lieux jusqu’au bureau du commissaire et entra après trois coups à la porte.
- R.A.S chef.
- Parfait Riggs. Soyez prêts pour la spirale dans une demi-heure. J’ai réuni une quarantaine d’officiers ce soir avec l’aide de la ville voisine.
Après un hochement de tête, l’inspecteur ressorti du bureau avec un peu plus de confiance qu’en y entrant. Quarante, c’était plus que les fois précédentes. La spirale de ce soir serait peut-être la bonne.***
Vingt-deux heures, sur le parking du commissariat plein à craquer se trouvait la quarantaine de policiers précédemment mentionnée par le chef des lieux. Riggs, au milieu, un nouveau cigare en bouche, attendait l’habituel discours.
- Officiers, commença le maire de Mosny. Comme depuis huit jours maintenant, il est l’heure de commencer la spirale. Avant tout, merci aux policiers de Vines de nous avoir rejoint pour aider l’enquête. Ensuite, pour nos policiers, merci d’être encore présent ce soir malgré les précédents échecs. Nous espérons tous que chaque soir soit le bon, celui où l’on coincera ce salopard pour lui faire arrêter ses odieux crimes qui ont instauré la terreur dans notre cité. Chassez-le, trouvez-le, amenez-le moi, vivant, je me moque des marques qu’il aura tant que vous me le ramenez vivant ici. Bonne chance pour la spirale messieurs.
Les policiers rompèrent et, par groupe de trois, se séparèrent pour sillonner la ville. A l’exception de Riggs. Il avait spécialement demandé à rester seul pour faire ces chasses, et la confiance que son chef plaçait en lui avait eu raison des protestations des autres policiers. Commençant à marcher en direction de la cathédrale – centre principal de ces abominations – Riggs repensa au premier soir de cette chasse, où il avait perdu son meilleur ami.
- Excusez-moi !
L’inspecteur se retourna. Un groupe de trois flics qu’il ne reconnaissait pas l’avait hélé.
- Hm ? répondit l’intéressé.
- Bonsoir, commença le plus grand des trois. On est des policiers de Vines et euh, on n’a pas trop compris pourquoi ce nom de « Spirale » dans les ordres de votre maire. Ca désigne quoi exactement ?
- Rien de spécial, notre maire est un fan de coquillages.
Laissant les officiers avec un visage choqué et trahissant leur incompréhension, Riggs se départit une nouvelle fois dans la direction de la cathédrale avec un petit sourire aux lèvres. Asocial, voilà ce qu’il était. Et il aimait ça, en jouait souvent pour le rester. En marchant néanmoins, il se remémora fatalement la vraie réponse à la question des policiers de Vines. Le soir de cette première chasse, dans la soirée du septième jour, lui et une dizaine d’autres policiers avaient pris la décision de patrouiller dans la ville pour prévenir le huitième meurtre d’arriver. Glover – son meilleur ami – avait proposé de commencer cette patrouille depuis les extérieurs de la ville, puis de tourner en cercles de plus en plus courts jusqu’au centre de la ville où se tenait le commissariat.
- En gros, comme une spirale ! Rigolais Glover après avoir fini d’étaler sa proposition.
Tout le monde accepta son plan, et la patrouille avait ainsi commencée, par équipes de deux. Riggs était avec Glover ce soir-là, ils parlaient, fumaient, et traquaient le tueur de vingt-trois heures en sillonnant les rues de la ville. Mais le lendemain matin, sans savoir comment, Riggs s’était réveillé aux abords de la cathédrale avant l’aube, et en cherchant de la lumière, avait trouvé son ami allongé au pied d’un lampadaire. Il avait été poignardé, sauvagement. Son corps portait un peu plus d’une vingtaine de marques, et la vie l’avait déserté depuis plusieurs heures déjà. Depuis les vingt-trois heures de la veille, exactement.
Après des bouteilles, des cigares, et des pleurs pour son ami disparu, Riggs s’était proposé chaque soir pour faire une ronde avant la chasse afin de vérifier que les rues étaient bien vides, puis pour participer à la patrouille du soir, seul désormais. Lui et les neufs autres hommes qualifiaient ainsi cette patrouille de « spirale » ainsi que l’avait surnommé leur défunt camarade, et c’est une appellation que chaque habitant de la ville en vint à connaitre.
La Spirale était une chose compliquée. Elle n’était ni bien, ni mal. Ni annonciatrice de bonne nouvelle, ni de mauvaise. Elle était le parfait équilibre en le désespoir de sa continuité, qui signifiait que l’assassin rodait toujours, et l’espoir qu’elle apportait, que celui-ci serait peut-être enfin puni pour ses actes.***
La nuit passa, éclairée par les lampadaires et les phares des voitures de police, mais aucun coup de feu ne fut entendu, aucun cri, rien. Comme tous les soirs.
La patrouille continua jusqu’à trois heures du matin, et, comme à chaque fois, se termina par la découverte d’un corps mutilé par de nombreux de coups de couteaux, accompagné d’une montre à gousset.
Seize victimes. Seize jours de terreur, seize échecs pour sauver la vie d’un citoyen de la ville dans laquelle ces policiers avaient grandi et noué des liens.
Seize fois qu’au moins un de ces policiers voyait un visage qu’il connaissait, parfois un ami, parfois une connaissance, parfois un membre de la famille.
Seize fois qu’une ce des familles se déchirait. Le sang de chaque personne habitant à Mosny était glacé en entendant les informations et découvrant que la police avait une fois encore été mise en échec et que l’assassin de vingt-trois heures sévissait toujours.
Le cadavre avait été une nouvelle fois trouvé dans un rayon de cinq-cents mètres de la Cathédrale, une assistance boulangère du village, qui apparemment se rendait chez son amant.
- Je fais une ronde pour prévenir des idiots dans les rues, et c’est une idiote qui profite du couvre-feu pour aller voir son amant aux alentours de vingt-trois heures. Marmonna Riggs.
Dans son bureau, l’inspecteur était avachi sur une carte sur laquelle il plaçait chaque matin un point rouge pour déterminer avec la précision la plus aboutie le lieu possible du prochain meurtre. Il ne vivait désormais que pour coincer ce tueur, ne passant ses journées qu’à trouver des moyens de mettre fin à ces assassinats. Chaque fois qu’il voyait au matin le point rouge qu’il avait placé là la veille, il se rendait compte qu’il visait quasiment juste à chaque fois, mais pas assez pour surprendre le tueur. Ce dernier semblait avoir un coup d’avance sur lui, à tel point que Riggs faisait tourner ça dans sa tête comme un affrontement entre lui et l’assassin. Le moment où il réussirait à avoir le coup d’avance serait le moment décisif, il en était persuadé. Il rassemblait tout ce qu’il savait dans une autre petite feuille sur laquelle était écrit :
- Première mort à la lisière ouest de la ville, proche du lavoir.
- Seulement depuis la première Spirale, les victimes se concentraient près de la Cathédrale, comme un défi personnel envers lui
- Morts par coups de couteaux en grand nombre
- Une montre à gousset laissé auprès de chaque corps (« gros stock, achetées où ??? » était griffonné à côté)
- Pourquoi 23h ???
-
Un des tirets était vide, comme avide d’avoir à son tour une information importante permettant de rétrécir l’étau. Après trois heures de réflexions ne menant pas à grande chose de concret, Riggs descendit à la morgue. Il le faisait toujours afin de regarder les corps et de chercher des indices matériels, mais la police avait bien du mal à autopsier correctement un cadavre par jour. En entrant dans la salle, le corps de la femme était là, sur la table et caché d’un drap blanc. Sans aucun gêne et avec un début d’habitude, Riggs ramena le drap aux pieds du corps, exposant sans s’en soucier le moins du monde sa nudité au milieu de la salle afin de commencer ses examinations.
Après une demi-heure, il ne trouva rien à rajouter au rapport d’autopsie, rien à rajouter par rapport aux autres corps au final. Le rapport contenant sept pages décrivant l’état très précis de la victime, du contenu de son estomac et autres faits que les gens normaux n’auraient pas pensé à vérifier. L’arme du crime était le même couteau courbé que pour les autres, les blessures identiques, le nombre de blessure était inconnu.
C’était la première fois que l’inspecteur le remarquait, mais le nombre de blessures était introuvable dans le rapport. Ce qui pourtant aurait dû n’être qu’une simple formalité était étonnamment manquant dans le rapport, et maintenant qu’il y pensait, manquant dans tous les précédents. Peut-être que le légiste en avait marre de compter les blessures que « blessures en grand nombre » lui suffisait. En y réfléchissant, Riggs se dit lui-même que le nombre de blessures importait peu. Après tout, cela n’allait pas apporter grand-chose à l’enquête. Son excitation d’avoir trouvé quelque chose retomba et, reposant le rapport d’autopsie sur la table, l’inspecteur se releva pour retourner à son bureau.
Arrivé à la porte, il réfléchit une nouvelle fois. Après tout, autant compléter ce fichu rapport. Tout était bon à prendre et, même si il n’allait surement que perdre son temps, il n’avait de toute façon aucune piste. Retournant auprès du corps, l’inspecteur enleva de nouveau le drap et se mit à compter les blessures.
Vingt-et-un, vingt-deux, vingt-trois…
Vingt-trois.
La peur s’empara des yeux du policier qui sans réfléchir se dirigea vers le box mortuaire de la dernière victime avant celle présente sur la table. Ouvrant le sac, il se mit à compter le nombre de coups de couteaux. Vingt-trois.
Frappé d’horreur, il s’arrêta là. Vingt-trois coups de couteaux avaient tué les deux dernières personnes. Il s’était arrêté de compter à la vingtaine pour les blessures de son ami Glover. Vingt-trois coups, vingt-trois heures. Le nombre vingt-trois revenait dans la méthodologie du tueur. Obsession ou bien tic, en tout il ne s’agissait pas d’une coïncidence. Le nombre vingt-trois était la clé.
Survolté, Riggs remit les draps et corps en place et quitta la salle en courant pour se rendre de nouveau à son bureau. Cherchant d’autres signes de ce nombre quelque part, ses yeux s’écarquillèrent d’horreur en découvrant un de ces signes. Sur la carte, les points rouges autour de l’église formaient un deux, alors que les deux derniers, plus écartés sur la droite, ressemblaient à s’y méprendre au commencement d’un trois. L’horreur ne s’arrêta pas, un filet de sueur froide avait pris possession de Riggs et coulait lentement dans son dos, sans jamais vouloir s’arrêter. Tout devenir clair, limpide. L’assassin s’arrêterait lorsqu’il aurait marqué le nombre de son obsession sur la carte de la ville. Seize morts avaient déjà eu lieu. Mais l’inspecteur n’avait même pas besoin d’estimer le nombre de victimes qu’il restait à l’assassin pour parachever son œuvre. On en était déjà à seize victimes, et sept points rouges supplémentaires amèneraient à une parfaite finition du second chiffre. Vingt-trois victimes, évidemment. Et le tueur disparaîtrait, impuni, puissant, fier d’avoir achevé son œuvre ou autre mission divine qu’il s’inventait.
Au même titre que la Spirale, l’espoir et le désespoir s’emparèrent au même instant du cerveau de l’inspecteur. Il avait enfin trouvé la réponse à la question de « Quand ? », à savoir quand les meurtres s’arrêteraient si la police ne réussissait pas. Mais ce « Quand ? » impliquait qu’il n’avait que sept jours. Tout serait fini dans sept jours.
« Tu vas mourir dans sept jours ».
Une voix sembla lui parler. Comme s’il s’imaginait l’assassin lui déclarant de sa voix froide cette phrase. Comme si le duel qu’il s’inventait prendrait fin cette nuit-là, par la mort de l’un ou de l’autre. Ou des deux.***
Les jours passèrent, et les corps s’accumulèrent. Chaque jour, Riggs était un peu plus à cran et psychotique. Son étude des points rouges pour former le chiffre 3 lui semblait parfaite, et les évènements lui donnaient raison. Mais jamais, même en étant sur place à l’heure précise, ne voyait-il l’attaque. Il n’entendit aucun bruit qui lui indiquait qu’un violent meurtre avait lieu, il n’avait rien. Il aurait marché au milieu d’une forêt déserte que cela ne l’aurait pas plus avancé. Chaque jour qui passait, ses cernes se noircissaient, son hygiène se détériorait. Il ne dormait plus, seul lui restait l’incompréhension, et son début de psychose sur cette affaire.
Maintenant que l’assassin n’avait apparemment plus de coup d’avance sur lui qui devinait juste à chaque fois, comment faisait-il pour le manquer. Une autre question le hantait, comment était-il possible que chaque nuit, l’assassin trouve une personne à tuer ? Les policiers eux-mêmes ne voyaient plus depuis des jours la moindre personne dans les rues, alors comment l’assassin en trouvait-il, si proche de la cathédrale ? Si par hasard il allait chercher des gens chez eux pour les tuer, comment s’y prenait-il pour les faire ouvrir ?
Autant de questions qui restaient sans réponse et qui ne contribuaient pas à l’amélioration de sa santé mentale. Heureusement, et malheureusement, il avait l’impression que tout prendrait fin ce samedi soir, la nuit du vingt-troisième meurtre. Une part de lui espérait que la vérité éclaterait et que sa quête – sa psychose – prendrait fin.
Il devenait malade de cette routine qui s’était instauré. La Spirale, le discours du maire, la marche dans la ville sombre et froide qui ne donnait rien, la découverte d’un corps. Et la journée qui recommençait inlassablement de la même façon.***
Le septième soir après sa découverte était venu. Vingt-troisième jour depuis le début des meurtres. Il était le seul à savoir que ce jour signifiait la fin, il n’en avait parlé à personne. C’était entre lui, et ce tueur.
La voix glacée résonnait dans sa tête depuis son réveil : « Tu meurs ce soir, ce sera toi ma dernière victime. La vingt-troisième victime, tu meurs ce soir… »
La journée passa en un éclair, et après la plus morne ronde qui soit, il était vingt-deux heures. Le maire réitéra son speech, Riggs était presque content de ne plus entendre ce discours qui le faisait vomir. Cette habitude, cette récurrence, ces jours mornes, tout cela le faisait vomir régulièrement, comme s’il essayait d’exfiltrer ou de chasser ce cercle vicieux de son propre corps. A la fin du discours, il avait plus mauvaise mine que jamais. Le visage d’un blanc de craie, les cernes d’un noir de jais, il était plus affreux que jamais. Et terrifiant. Il espérait bien faire subir la terreur la plus absolue au tueur lorsqu’il le rencontrerait. Avec résolution, il se rendit en direction du dernier point rouge. La Spirale comptait désormais quatre-vingt policiers, de Mosny et des villes alentours. Une véritable vague qui s’apprêtait à déferler sur la ville.
Arrivé à la place de la cathédrale, l’inspecteur attendit sur un banc. Il ne servait à rien de marcher, il savait que l’assassin viendrait le trouver, lui. De là où il était, il voyait toujours le lampadaire sous lequel il avait retrouvé son meilleur ami presque un mois avant cela. La première victime de la Spirale. Les minutes passèrent, et l’inspecteur avait toujours les yeux rivés sur le lampadaire. Une force mystique, ou bien simplement la fatigue, l’empêchait de détourner les yeux et de repenser à cette nuit-là. Lassé, il se leva. Il lui restait deux minutes avant l’heure, mais tant pis. Arrivé sur place, la voix revint le hanter de plus belle, sa froideur plus transperçant que jamais.
« C’est maintenant, il est vingt-trois heures. C’est maintenant, tu vas mourir, c’est maintenant. »
- C’est maintenant.
Riggs sursauta. Il avait distinctement entendu une voix. Une voix qui n’était pas dans sa tête. Pas du tout, dans sa tête. En levant les yeux, les vitres du magasin derrière le lampadaire lui renvoyait le reflet de ce qu’il cherchait.
Ses vêtements en guenilles, son visage blafard, la folie de son regard. Tout en lui amenait la peur.
Il se tenait devant, ses yeux sombres fixant le vide. Quelle ironie que cette quête du responsable de toutes ces atrocités se termine ainsi, à sa merci. Etonnamment, ses yeux semblaient aussi effrayés que ceux qu’ils rencontrèrent. Se préparant à parler, toujours menaçant, il fit un pas en avant. Riggs l’imita, incertain mais non sans un soulagement de découvrir enfin la vérité.
- Bonsoir Riggs. Tu en mis du temps.
Aucun mot n’exprimait la peur qui s’était emparé du détective. Ses yeux semblaient vouloir sortir de leurs orbites pour ne pas voir ce spectacle. Ses lèvres voulaient se fermer à jamais pour ne plus laisser sortir le moindre son. Mais c’était impossible.
Riggs avait reconnu la voix. Il l’avait senti, c’était lui…
Lui qui avait parlé.
- Qui… Qui es-tu ?
- Je suis toi, Riggs. Nous sommes l’assassin de vingt-trois heures. Nous sommes les serviteurs de ce nombre maudit.
- Nous ?
- Oui, nous. Ce n’est pas un hasard, si la première victime était la personne qui patrouillait avec toi cette nuit-là. Pas un hasard, ce lien étroit et glacé que tu sentais entre nous. Pas un hasard, que tu sois le seul à avoir tout compris. Et enfin, pas un hasard, que tu n’ai jamais pu m’arrêter.
- Mais… Comment as-tu fait ?
La démence menaçait à chaque instant de broyer son cerveau, Riggs avait peur, plus que jamais. Il voulait s’enfuir, à toutes jambes, mais il avait besoin de savoir. De connaître la vérité, le pourquoi. Et surtout, le comment.
- C’était facile. Tu es un policier de confiance, pour les braves gens. Ouvrir leur porte au brave officier Riggs qui vient leur demander si tout va bien leur fait si plaisir. Tu les entendrais hurler, une fois qu’ils voient le couteau. Une fois qu’ils voient sur ton visage ce sourire et qu’ils comprennent qu’ils seront la victime de la soirée, si tu savais quel pied c’est. Mais je raconte n’importe quoi. Après tout, tu sais déjà. Nous sommes la même personne.
- Tu n’es pas moi ! Je suis John Riggs, c’est mon corps, mon cerveau, tu n’es personne ! Tu ne devrais même pas exister.
Riggs tentait à chaque mot de ne pas flancher et de ne pas tomber sous le coup de la peur.
- Ne parle pas de ce que tu ne sais pas ! S’énerva son reflet. Tu es responsable de tout ! Tu as lu ce livre ! Ce livre, à l’université que tu as trouvé dans la bibliothèque. Tu avais vingt-trois ans, et tu as rigolé en voyant le titre du livre.
- Le nombre vingt-trois, souffla l’inspecteur dans un murmure de souvenir. Je l’avais…
- Oublié ? Jusqu’à maintenant, oui. Tu m’as créé ce jour-là. Tu n’as pas pu supporter la psychose que cette lecture t’avait donnée. Pendant des jours, tu t’es tapé la tête contre les murs, pour essayer d’oublier. Tu cherchais, tu comprenais tout. Tu en étais arrivé au point où tu comprenais que ce nombre régissait ta vie, régissait la vie de tous. Tu étais un pauvre fantôme malodorant qui passait ses journées à écrire à la craie sur les murs de sa maison. Et un jour, sans pouvoir supporter davantage cette souffrance, tu m’as créé. Et tu as tout oublié. Je t’ai vu mené ta vie tranquille, avec ce Glover. Pendant que toute cette souffrance était en moi, que tu avais le contrôle de tout. Mais tu as fait l’erreur de ne pas te suicider plus tôt. Sais-tu quel jour nous étions, le soir du premier meurtre ?
- Mon… Anniversaire d’entrée dans la police ?
- Bingo ! Comme tu étais fier ce jour-là. Vingt-trois ans dans la police. Il fallait fêter ça, tu ne crois pas ?
Le sourire de l’homme dans le miroir s’élargit. Riggs n’avait plus peur à présent. Maintenant que tout trouvait un sens, il savait ce qu’il avait à faire. Il savait où était caché le couteau qui avait tué tous ces gens. Il savait que le nombre vingt-trois gagnerait.
Il savait qu’il était sa vingt-troisième victime, et détacha de son cou sa montre à gousset.
Re: Topic du M-I Jump
Salut à tous
Avec un petit peu de retard, voici le nouveau Jump, le MI-Jump n°8
Je vous souhaite une excellente lecture à tous, et n'oubliez pas d'aller voter pour votre texte favori dans les Discussions du MI-Jump
Un très grand merci aux auteurs de ces oeuvres pour continuer à faire vivre le Jump du Forum
Avec un petit peu de retard, voici le nouveau Jump, le MI-Jump n°8
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- L'Odyssé d'Hyrule:
- L'Odyssé d'Hyrule
Chapitre 1 : Le Début d'une belle aventure
Je suis parti. Ce matin, avant même que le chant du coq ne réveille le village. Il le fallait, je sais que mes parents seront tristes un temps, mais l'aventure m'appelle. J'ai marché toute la journée sans m'arrêter, de peur que mon père ne soit parti à ma recherche malgré le mot laissé dans ma chambre, leur demandant de ne pas s'inquiéter, que je reviendrai. Je suis pourtant encore bien loin du temple, première destination de mon voyage, de mon épopée. Là-bas je deviendrai, du moins je l'espère, un véritable disciple de mon Dieu. Mais il me faudra encore marcher trois jours avant d'atteindre le sanctuaire. J'écris ces lignes, moi Hyrule futur héros renommé, depuis la branche d'un arbre à l'orée de la forêt de Scissy, vaste étendue d'arbres qui sépare mon bourg de la cité d'Emerant, où se situent les temples des Dieux. Demain je débuterai la traversée des bois, puisse Sadida m'être propice.
Il flânait, se penchait pour cueillir des fleurs - créant ainsi un magnifique bouquet coloré qu'il tenait à la main -, caressait la peau rugueuse des troncs, et se complaisait surtout, le visage levé vers le ciel, à recevoir les chauds rayons du soleil. L'espace de quelques minutes ces complaisances lui avaient presque fait oublier sa quête, presque. Hyrule se remit en route, s'enfonçant toujours plus profondément dans les charmants bois qu'il parcourait depuis déjà plusieurs heures.
Le jeune homme ne s'aperçut pas qu'il marchait sur un rameau sec, qui craqua sous son pied. Le bruit de brisure alla se propager dans les bois, provoquant une réaction de la part des habitants de la forêt, d'un même battement d'ailes les oiseaux s'envolèrent, tandis que dans un identique instant les lapins, biches et autres créatures s’enfuirent au galop. La scène amusa Hyrule, mais il n'avait plus le temps de badauder : il ne comptait passer plus de deux jours dans la forêt, et la nuit ne tarderait pas à tomber. Il repartit en direction du sanctuaire sacré, pressant le pas.
L'ennui ne tarda pas à venir. Il fut quelques fois tenté de récolter des plantes ou de courir après les écureuils, mais l'influence du temps l'en empêcha. Il constata que le soleil avait déjà débuté sa course jusqu'au coucher, et accéléra de nouveau sa marche. Mais outre l'ennui, c'était plus particulièrement un sentiment de solitude qui l'assaillait. Il avait quitté les siens depuis bientôt deux jours, et ne les reverrait certainement pas avant longtemps, alors l'idée de rentrer chez lui germa dans son esprit. Ses parents lui manquaient, s'il rentrait maintenant son père le sermonnerait peut-être légèrement, mais la vie reprendrait rapidement son cours... Hyrule soupira, c'était justement pour cette raison qu'il était parti, cette vie le lassait. Il rêvait de parcourir le monde, de combattre des adversaires tous plus puissants les uns que les autres, de ne faire qu'un avec la nature et de devenir un fidèle disciple de son Dieu. Il rêvait. Mais il avait décidé de vivre son rêve, et était parti à l'aventure. Et la solitude disparut totalement lorsqu'il se souvint d'Azalée. Hyrule enfouit sa main dans la poche de son pagne végétal et en extirpa sa poupée. Il l'avait conçu lui-même à partir de fils de lin et de cuir de bouftou. Les yeux de la marionnette, deux pierres violettes, fixaient le garçon, tandis que le sourire figé, cousu par son créateur, emplissait son cœur d'un mélange de joie et de fierté. Pour devenir un disciple de Sadida, savoir créer une poupée était une compétence indispensable. Il se rendait justement au temple pour montrer Azalée au prêtre, et ainsi devenir l'un des membres de la famille du Grand Feuillu. Après avoir admiré son oeuvre durant de longues secondes, il remarqua que le soleil était sur le point de disparaître, et décida de passer la nuit sur la branche d'un des arbres environnants.
- Nous serons bien pour dormir ce soir, demain nous atteindrons Emerant et notre aventure pourra enfin débuter. Bonne nuit Azalée.
Ce n'étaient pas les hululements d'une chouette fondant sur sa proie qui avaient réveillé Hyrule en sursaut. Ce n'était pas non plus le sifflement du vent dans les feuillages, ni même le bruit d'un sanglier ou d'un autre animal retournant la terre à la recherche de nourriture, non. C'étaient les hurlements.
Ils avaient déchiré la nuit. D'un même geste toutes les créatures de la forêt s'étaient mises en branle, cherchant un lieu où se réfugier. Les gueulements avaient été si forts qu'Hyrule avait bondi de surprise, et failli tomber de sa branche. L'être qui avait poussé ces cris devait être proche au vu de la puissance des hurlements. Et quelques instants plus tard, Hyrule et Azalée ne tardèrent pas à le voir approcher. Hyrule n'entendit tout d'abord qu'un léger bruissement dans les buissons en contrebas, de plus en plus marqué à mesure que la bête se rapprochait. Il en allait de même pour les tremblements du sol, qui redoublaient d'intensité à son approche. Bientôt il l'aperçut : la créature se dégagea des arbustes, elle n'était rien de plus qu'une forme, rien d'autre qu'une ombre étrange dans l'obscurité de la nuit. Hyrule retenait son souffle, les battements de son cœur, semblable à ceux d'un tambour, avaient redoublé de vitesse et l'assourdissaient. Il étouffa un gémissement et ferma les yeux, priant intérieurement pour que la bête disparaisse. Pour la seconde fois depuis son départ, il regrettait d'avoir quitté son foyer. Le monde était dangereux, ici son père ne pourrait pas le protéger. À nouveau il se sentit seul. Hyrule rouvrit ses yeux, les laissant tomber craintivement vers le sol : la bête l'observait.
Deux flammes incandescentes brillaient dans les ténèbres. Cette vision glaça le sang du jeune homme, si bien qu'il crut s’évanouir. La créature le toisa, durant de longues minutes qui semblèrent des heures pour Hyrule, elle l'épia. Jusqu'à ce qu'elle ne se décide à attaquer. La bête poussa un nouvel hurlement puis bondit sur l'arbre, lacérant son tronc. Hyrule pouvait voir l'animal qui tentait, tant bien que mal, de planter ses griffes dans l'écorce et de monter jusqu'à lui. Le garçon avait eu l'ingénieuse idée de camper sur une branche haute, hors de portée des habitants de la forêt.
La créature s'acharna encore quelques temps sur le bois puis, grognant, abandonna. Elle disparut en un instant, comme l'ombre qu'elle était, et n'abandonna pour seule preuve de son passage que les cicatrices laissées sur l'arbre. Le silence de la nuit s'installa à nouveau ; Hyrule ne se rendormit pas.
Le jour était arrivé, et les craintes du garçon avaient fui en même temps que la lune. Hyrule se remit en route peu de temps après le lever du soleil, l'astre lui redonnait courage et il oublia bientôt jusqu'à l'existence de la bête qui hantait pourtant la forêt. Les plantes et fleurs semblaient encore plus belles que le jour précédent, la composition chaotique et naturelle du bois ne le rendait que plus majestueux. Sortant Azalée de sa poche, Hyrule s'amusa à lui montrer le paysage, décrivant bosquets et fourrés. Il aimait parler à sa poupée, elle était presque une partie de lui-même, et l'avoir près de lui suffisait à le rendre heureux.
Après de longues heures de marche, le garçon et sa poupée approchaient enfin de l’extrémité des bois. C'est à cet instant qu'Hyrule aperçut un petit cours d'eau, il avait emporté en partant quelques tranches de pain ainsi qu'une gourde, mais cette dernière s'était vite retrouvée vide. Déposant Azalée sur le sol, il se pencha et but directement à même le ruisseau. Lorsqu'il releva la tête, apaisé, Hyrule eut la fatalité de se retrouver face à deux flammes qu'il avait souhaité ne jamais revoir. La bête était un loup gris d'au moins trois mètres, son poil épais, recouvert d'un mélange de terre et de sang le rendait encore plus imposant et effrayant, tandis que ses canines découvertes, aussi blanches que l'ivoire, annonçaient ses attentions. Il se tenait à peine quatre mètres devant Hyrule, les pattes dans l'eau, et semblait prêt à bondir à tout moment, ce qu'il fit. Grognant, le loup se jeta sur le garçon, qui eut pour réflexe d'attraper Azalée et de se balancer sur le côté dans un roulement douloureux. Il se releva puis s'enfuit à toute allure. Si la bête le rattrapait il ne verrait de ce monde que cette forêt alors, puisant dans ses forces, il courut. Hyrule se souciait peu des coupures infligées à ses pieds nus par les pierres, il ne se préoccupait pas non plus des feuilles et bas branchages qui fouettaient son visage, l'unique chose qui absorbait totalement son attention était d'échapper au fauve qui le pourchassait. Hyrule enjamba un tronc mort et manqua de tomber, il entendait le loup se rapprocher peu à peu et priait pour que la forêt prenne bientôt fin, peut-être trouverait-il de l'aide en dehors. Espérant intérieurement, il ne vit pas la racine qui sortait de terre. Il chuta et s'écrasa lourdement sur le sol, se releva puis se remit à courir, mais il s'arrêta presque aussitôt : il ne tenait plus Azalée. Hyrule se retourna pour aller chercher son amie, et se retrouva face à la bête. La première chose qu'il remarqua fut l'intimidante patte de l'animal posée sur la poupée, ensuite il vit la faim dans les yeux du loup, et enfin la bave dégouliner de sa langue molle et rose.
- Tout doux... gentil le chienchien...
Pour seule réponse : un grognement.
Hyrule s'approchait lentement, pas après pas. Il n'avait qu'une seule envie, fuir, mais il devait récupérer Azalée, elle était sa création, sa compagnonne, et sans elle il ne pourrait devenir un disciple de Sadida. Alors usant de tout son courage il s'avança encore, toujours plus près de la gueule menaçante du loup. L'animal était sur ses gardes, prêt à fondre sur sa proie, mais il semblait néanmoins intrigué par les actions du jeune homme. Lorsque ce dernier se baissa pour ramasser sa poupée, la patte massive redoubla de lourdeur, elle écrasait impitoyablement Azalée contre la terre, si puissamment que les griffes du loup se plantèrent dans le cuir, le déchirant peu à peu. Hyrule était tombé à la renverse devant cette avertissement de la bête, et regardait, impuissant, l'animal détruire son oeuvre. Le rembourrage d'Azalée se déversait lentement sur le sol, à mesure que le loup décousait son ventre. Le garçon tenta faiblement de s'opposer au jeu cruel du canin, au moyen d'un léger gémissement, mais fut interrompu par le même hurlement qui avait fendu la nuit précédente. La laine complètement sortie de la poupée, la bête se désintéressa d'elle et l'envoya voler d'un coup de patte, reportant son attention vers le jeune homme. La scène avait terrifié Hyrule, mais c'était la rage qui avait poussivement pris toute place dans son esprit. Ce loup avait détruit son ouvrage, qui au passage était sa plus fidèle amie, alors un nouvel hurlement retentit dans la forêt. Cette fois poussée par Hyrule.
Tandis que la bête s'élançait sur sa victime, une aura verte recouvrit le garçon. La sensation était agréable, une douce chaleur envahissait le corps du jeune homme, mais une violente colère bornait sa pensée. Alors Hyrule hurla et en ce même instant l'aura verte explosa, projetant l'imposant corps du loup contre un tronc. La bête lâcha un couinement apeuré et eut simplement le temps de se relever qu'elle fut balancée à nouveau. Cette fois par les branches. Les arbres semblaient se mouvoir selon la volonté d'Hyrule, bien que ce dernier ne paraissait plus conscient et dirigé par sa seule rage. Un massif chêne se pencha et d'un déplacement de branches envoya la bête s'écraser contre un rocher dans un craquement d'os sonore. Le loup se remit sur ses pattes, poussa un long gémissement, et s'éclipsa aussi vite qu'il le put. Après quelques instants d'immobilité, Hyrule s'évanouit.
Ce sont les pépiements d'un oiseau qui réveillèrent le garçon, après quelques heures passées à dormir sur le sol de la forêt. La première chose qu'il fit en se réveillant fut d'aller chercher Azalée : la poupée était dans un triste état, mais réparable. Hyrule ramassa son amie et se dit qu'il la raccommoderait en chemin ; après plusieurs minutes de marche il sortit des bois. Il se rappelait vaguement de l'attaque du loup, simplement qu'une fureur brûlante l'avait envahi et que, durant quelques instants, il ne se contrôlait plus. La couleur verte martelait son esprit, sans qu'il n'en sache la raison. Hyrule prit Azalée dans ses mains et l'attira contre lui, il était rassuré de savoir que son état était remédiable. Il la serra contre lui et, l'espace d'un instant, eut l'impression que la poupée faisait de même. Il la regarda à nouveau, Azalée était bien sûr inerte, et se dit qu'il devait se reposer.
Demain j'atteindrai Emerant, je sens l'appel de l'aventure plus intensément que jamais. C'est mon destin, je le sais. Toutefois il me reste encore à faire mes preuves auprès du prêtre du temple, mais Azalée à mes côtés, je me sens capable surmonter l'impossible. Si ce n'est plus.
- Méfiance Part 1:
L'hélicoptère avait décollé plusieurs heures auparavant à l’intérieur de l'habitacle huit personnes regardaient le paysage depuis les fenêtres, aucuns mots ne fut prononcé depuis le départ. Mais ils avaient tous un air dubitatif, qu'allaient-ils trouver une fois arrivé ?
Ils avaient signé, il y a déjà quelques mois pour participer à un nouveau concept de télé-réalité, survolant les plaines et forêts Péruvienne le bruit des hélices couvrait le silence.
Après un temps indéterminé l'appareil commença enfin à se stabiliser et à entamer une descente, il se posa dans une vallée le soleil était à son zénith et un vent léger soufflait.
Les candidats sortirent les uns après les autres, et s'avancèrent en direction d'un drapeau. Un homme se tenait près de ce dernier.
«Présentateur : Les huit personnes que vous voyez ne se connaissent pas et pourtant elles vont participer à une aventure inédite, dans cette expérience les candidats jongleront entre épreuves et survie. La frontière entre réalité et imagination peut parfois être mince, il n'y a pas de règles tout les coups sont donc permis afin d'obtenir les indices et par la même occasion gagner les 300 000 dollars.
Il y a huit heures ils ont quittés New-York sans connaître leur destination. L'aventure commence !»
Le présentateur se tourna alors vers les personnes qui se trouvaient derrière lui.
«Chers candidats vous vous apprêtez à vivre une aventure unique en son genre, en plein milieu du Pérou, qui sera votre terrain de jeu. Il n'y a aucune route pour relier les villes entre elles, vous avez renoncé à tout confort moderne et devrez rester deux mois afin de toucher la somme qui sera partagée entre les participants n'ayant pas laissé tombé. On vous abandonne ici avec une équipe de cameramans, à deux kilomètre d'ici se trouve une ancienne habitation qui vous servira de logement. Dans la forêt vous trouverez des piquets qui vous aideront à rejoindre cette dernière. Bienvenue dans Méfiance, c'est partit !».
Le présentateur ayant à peine finit son discours, les premiers candidats commencèrent déjà à courir en direction des points d'orientations rapidement suivi par les autres.
Simon et Greg avaient prit la tête et devançaient leurs concurrents qui eux étaient plus à la traîne.
«Sam : On avait toujours nos vestes, donc on mourrait de chaud en plus on était crevé. L'aventure commence bien»
Après quelques minutes les deux premiers arrivèrent devant leur habitation, qui était une grande maison en bois assez imposante.
«Simon : A peine arrivé j'ai décidé de rentrer pour faire le tour des lieux. Je sais que certains feront des remarques sur le manque de confort mais moi ça m'est égal»
L'entrée débouchait sur une grande salle à manger, à l'étage se trouvait les chambres ces dernières étaient faites pour une ou plusieurs personnes. Il y avait aussi un grenier et une cave et quelques autres portes mais toutes étaient fermés, la cuisine quant à elle était rudimentaire. Pas d'eau courante ni d'électricité, le seul éclairage était celui des lampes à huile.
Pendant que Simon et Greg faisaient un rapide repérage, les autres concurrents arrivèrent à la rivière.
«Carolina : On a traversé une eau, on voyait pas trop le fond. Ca nous a rafraîchit pour le coup haha ».
Alors que les premiers arrivés étaient à l’extérieur, ils furent rejoint par les autres. Impressionnés par l'endroit ils prirent vite leur marques, la répartition des chambres et des lits se firent naturellement avec les filles d'un côté et les garçons de l’autre. S'étant réuni sur la terrasse de la maison ils commencèrent à parler, à s'échanger des regards.
«Carla : J'ai bien observé tout le monde, et je pense que j'ai quelque chose en plus. Ils ne sont pas prêt à tout alors que moi je n'ai aucun scrupule.»
«Greg : Je suis pas du genre à m'en prendre aux autres, mais si il faut mentir alors je le ferai».
«Bon la nuit va pas tarder à tomber, alors il faut s'organiser. Je vais chercher de quoi manger, ceux qui veulent suivez moi. Dit Greg en direction de ses concurrents.
-Très bien moi et Erwan on va aller chercher de l'eau, Répondit Carla. Les autres qui restent allez chercher du bois pour faire du feu !»
Chacun partirent donc dans des directions opposées, et ce n'est que quelques minutes après leur départ que Carla trouva la rivière précédemment traversée elle posa les seaux en acier sur le sol et fit signe à Erwan, ils décidèrent de s'octroyer un moment de détente en se trempant les pieds dans l'eau. Ce qui avait l'air plutôt agréable.
Ils finir néanmoins par remplir les récipients et partirent rejoindre le groupe.
A leur arrivée le feu était allumé, ils installèrent donc des bûches et des rondins de bois autour afin de tous pouvoir profiter de sa lumière quand la nuit tombera.
C'est Carolina qui brisa le silence.
«Bon il est peut être temps de faire un peu connaissance vous ne croyez pas ? Alors Erwan que fais tu dans la vie ?
-Je suis en deuxième année de fac, j'étudie les langues étrangères à Londres. Et vous autres ?
-Moi je suis weeding planeuse, Reprit Carla. Et j'ai fais du mannequinat quelque temps j'ai débuté au États Unis puis je suis parti m'installer en Australie, j'ai pas mal voy …. »
Cette dernière n'eut pas le temps de terminer sa phrase, qu'un hurlement sinistre se fit entendre dans la forêt. Accompagné de craquements le cri était terrifiant digne d'une créature ressemblait à un mélange entre les hurlements d'un loup, les pleurs d'un enfant abandonné et les plaintes atroces d'une femme. Pris de panique les candidats se levèrent.
«Ho la vache c'était quoi ? Dis Jazz le visage déformé par la peur.
-On devrait rentrer ! Renchérit George.
-C'était sûrement un ours ! Rigola Simon qui n'était pas le moins du monde effrayé. »
Tandis que les bruits devenaient de plus en plus fréquents ils décidèrent de courir vers la maison et de fermer la porte à clé. Bien qu'une simple porte en bois ne puisse pas protéger de grand chose.
«Carolina : On a entendu quelques chose de super bizarre qui provenait de la forêt, je sais pas ce que c'était ».
« Sam : Je travaille avec les animaux et je peux vous dire que c'est première fois que j'entends ça »
Après avoir passé une nuit agitée certaines personnes étaient déjà debout. En effet George, Sam et Greg étaient partie chercher des champignons ainsi que des baies pour le déjeuné.
La cueillette n'étant pas très productive le jeune professeur décida de s'enfoncer plus profondément dans la forêt.
« Greg : J'avais faim, alors je faisais tout pour trouver quelques chose à me mettre sous la dent. Ca ne me fait pas peur d'aller plus loin, je m'inquiète surtout pour les deux autres haha. »
Ses deux compagnons n'avaient pas envie de prendre de risques depuis l'événement de la veille.
« Tu t'éloigne trop Greg, reviens ! Cria Sam.
-Mais non ne vous inquiétez pas je sais ce que je fais ! »
Ils décidèrent donc de retourner au camp, avec les baies qu'ils avaient trouvé.
« Il est où Greg ? Demanda Jazz avec une voix inquiète.
-Il a voulu s'enfoncer dans la forêt mais moi j'avais trop peur, alors on a décidé de rentrer. Renchéri Sam.
-Quoi, vous l'avez laissé tout seul ! Non mais vous êtes dingue ! Grogna Erwan.
-Il faut aller le chercher.
-Moi je l'ai vu. Dis subitement Carolina, il allait en direction de la rivière.»
Carla qui avait été chercher de l'eau à cette dernière prit la tête du groupe, une fois arrivé ils virent quelques chose flotter à la surface de l'eau. Ils s'approchèrent et découvrirent avec horreur que c'était le corps de Greg. C'était une véritable boucherie l'eau était teintée en rouge sang, il avait des morsures multiples sur le corps et quelques chose était gravé sur son dos, en langue étrangère.
Tous sous le choc de cette macabre découverte, certains fondirent en larmes dont Carla. Ils ne pouvaient pas appeler la production, ni obtenir de l'aide c'était bien spécifié dans leur contrat.
Certains ayant repris leur esprit, ils décidèrent tout de même de lui offrir une sépulture décente
ils creusèrent donc un trou dans lequel ils glissèrent le corps, tandis que Carolina croyante fit une croix de fortune avec des bouts de bois.
«Attendez une seconde, il avait quelques chose de gravé sur le dos, quelqu'un se rappel ? Demanda Carolina.
-Je n'ai pas pu déchirer, ça devait être en espagnol je présume. Répondit Simon.
-Non. C'était du Quéchua, une langue parlé par les indiens d'Amérique du Sud. Le message disait Ecoute. Affirma Erwan.
-Mais écoute quoi bon sang et je croyais que cette région était inhabitée ! S'énerva Carla tout en tremblant."
« Sam: C'est censé être un jeu, personne ne devrait mourir. Ok c'est une aventure mais qu'est ce que la mort vient faire ici. Si j'étais resté avec lui peut être qu'il serait encore là ».
« Jazz : Qu'est ce qu'il c'est passé bon sang. J'ai besoin d'en savoir plus. Comment il a pu mourir ? Qui a gravé ce message sur sa peau ? On peut pas faire comme ci de rien n'était ».
- La Flamme et le Vent:
- La Flamme et le Vent
Chapitre 1 : Le Banni
Allongé sur le dos, le jeune garçon s'abandonnait à la contemplation du ciel nocturne, et comptait les étoiles. Si concentré qu'il fusse, il se vit rapidement contraint de trouver une nouvelle occupation, tant les astres étaient nombreux ce soir. Alors ses yeux vagabondèrent sur la voûte céleste... Son attention se retrouva immédiatement captée par le titanesque nuage qui venait de l'ouest, porté par une brise capricieuse. Curieusement, il rougeoyait par intermittence, comme l'aurait fait une braise mourante. L'instant suivant, l'enfant se mit à transpirer abondamment. L'étouffante chaleur qui régnait sur ces terres n'était pas en cause pour une fois... Une terreur soudaine lui nouait les entrailles, le pétrifiait sur place. Déchirant avec hargne l'énorme masse cotonneuse, le Dragon apparut dans le ciel. Plus grand qu'une montagne. De ses écailles incandescentes ruisselait de la lave en fusion, de sa gueule montaient d'épais volutes de fumée, plus noires que la nuit. Ses yeux, pleins de rage, étincelaient comme deux soleil en pleine nuit. Le pauvre garçon tenta bien se relever, mais ses membres refusaient de lui obéir. C'est ainsi que, dévoré par la peur, il vit le monstre fondre sur son village, dans un silence surnaturel.
Sa tête triangulaire, qui terminait un cou puissant, vomit une première gerbe de flamme. La hutte à droite de l'enfant prit feu aussitôt. En quelques secondes, la panique s'empara du hameau, tandis que les premiers hurlements se faisaient entendre. Les battements d'ailes du Dragon déclenchaient une véritable pluie du magma, dont les énormes gouttes rongeaient la pierre et la chair. La dévastation et la mort étaient précipitées sur cette parcelle d'humanité. Les hommes et les femmes couraient en tout sens, affolés. Certains en feu. Une épouvantable odeur de viande grillée et de cheveux brûlés emplissaient les narines du garçon, toujours cloué au sol. Des corps calcinés jonchaient les rues maintenant. Et chaque nouvel instant apportait son lot de cadavres... Ses poumons se remplissaient de fumée désormais... Ses larmes lui brûlaient les joues. Levant les bras, il s'aperçut qu'ils étaient en feu. Il ouvrit la bouche pour hurler, mais celle-ci se retrouva pleines de cendres chaudes. Alors que la souffrance atteignait son paroxysme, l'air autour du garçon commença à se brouiller. Les flammes qui léchaient son corps moururent d'elles même. Enfin, les cris et les sanglots s'éloignèrent, tandis que le vent formait un cocon protecteur autour de l'orphelin. Ne restait plus qu'un souffle ténu, et l'obscurité.
Skaldr s'éveilla en sursaut, ruisselant de sueur. Encore et toujours le même rêve... Assis contre la paroi rocheuse d'une crevasse, le jeune homme jeta un coup d'oeil au feu qui crépitait à quelques pas de là et esquissa une grimace. Au fond de lui, il savait bien que ce rêve n'avait rien d'anodin. Une prémonition ? Ou pire, un fragment de passé...? Le coeur de Skaldr se serra à cette pensée. Machinalement il passa une main sur son visage, suivant du bout des doigts le tracé de ses tatouages, seuls vestiges de son enfance oubliée. Presque inconsciemment il fit courir la partie charnue de son pouce sur la longue estafilade qui partait de son cou pour barrer sa poitrine. Son souvenir le plus vieux... Le guerrier errant ricana un court instant, troquant ses doutes et ses cauchemars contre un masque de fière assurance. Il se releva et tendit le bras pour se saisir de sa longue lame. Réajustant l'épaisse ceinture de cuir qu'il portait en travers du torse, il fixa sa claymore dessus, dans son dos et quitta la grotte. Derrière lui, le feu agonisait.
La cavité dans laquelle il avait passé la nuit était encastrée dans une petite colline rocailleuse, qui surplombait la sinistre Lande Calcinée. La terre était noire, recouverte de cendres froides. Seule végétation visible, quelques buissons rabougris et touffes d'herbe jaunie poussaient ici et là, survivant à peine dans ce paysage mort. Le soleil dardait ses rayons écarlates sur le monde, le plongeant dans une étouffante chaleur aride. Des crevasses zébraient le sol sec, des pic rocheux troublaient la monotonie de l'horizon. Prestement, Skaldr descendit de son perchoir pour rejoindre le lit d'une rivière, depuis longtemps asséchée, qui serpentait au travers de la plaine. Ses pas étaient assurés et légers, et en quelques secondes seulement il se retrouva en contrebas du promontoire, sans avoir délogé la moindre pierre. Cet endroit, aussi hostile fût-il, était son territoire. Un petit sourire aux lèvres, l'épéiste itinérant se mit en route vers le hameau d'Elmoth, qui se trouvait à encore deux jours de marche de là.
Hélas, le silence et la solitude faisaient de piètres compagnons de voyage, le laissant à la merci d'un ennui dévorant. Cela faisait trop longtemps que son épée n'avait pas servi, et son bras le démangeait terriblement. Où étaient passés les Furions et les Cendreux ? Mêmes les immondes Vers de Suie lui manquaient... Skaldr laissa échapper un long soupir. Ces dernières années, il avait dû combattre presque quotidiennement des créatures plus mortelles les unes que les autres, défendant au péril de sa vie les quelques humains qui vivaient dans ces terres oubliées. Mais désormais, cela faisait presque deux semaines que celles-ci se terraient... Il ne pouvait y avoir une seule raison à tel comportement : un danger bien plus grand arpentait la Lande. Avec un frisson, il tenta d'imaginer quelle pouvait bien être la tempête qui l'attendait après ce calme déroutant... Des torrents de flammes dansèrent devant ses prunelles, mais il les chassa d'un mouvement de tête. Ridicule. C'est alors que, surgi de son plus terrible cauchemar, un Dragon vint s'imprimer sur sa rétine... Brusquement agité de tremblements incontrôlables, le guerrier dut mettre un genou en terre. Skaldr, héros de la Lande Calcinée, était terrifié.
C'est avec un mélange de soulagement et de déception que Skaldr découvrit que tout allait bien dans le hameau d'Elmoth. Les habitations, disposées en cercle autour de l'unique puits du village, étaient intactes, et l'on voyait la vie humaine foisonner sur la place centrale. C'était jour de marché, et l'on en profitait pour vendre des morceaux de viande, maigrichons et fades, ainsi que des légumes amers et secs. Comme partout ailleurs depuis le Grand Brasier, on mangeait très mal dans la Lande... Mais au moins survivait-on. Un luxe.
Lorsque l'épéiste se présenta sur la place centrale, tous cessèrent leurs occupation pour le saluer, voire l'acclamer pour les plus fervents. Un léger sourire flottant sur ses lèvres, Skaldr effectua une pompeuse révérence, imitant les vaniteux bardes qu'il avait pu rencontrer dans sa vie. Rapidement, les adultes se remirent au travail, tandis que les enfants se massaient autour des jambes de leur héros, au point de l'entraver presque totalement.
- "Alors tu as tué encore tué des monstres depuis la dernière fois ? Un Furion peut-être ? Ou un Eviscerateur des plaines ?" Demanda un petit garçon, les yeux pétillants d'excitation.
-" Oh oui, raconte nous, raconte nous Skaldr !" S'écria vivement un deuxième.
-" Une histoire, une histoire, une histoire ! "
Bientôt, tous les marmots se mirent à scander en coeur leur courte litanie. Non sans un petit éclat de rire, le jeune homme consentit à leur demande. Il avait l'habitude de divertir ainsi les enfants des villages qu'il traversait, et ceux d'Elmoth ne l'avaient pas vu depuis plusieurs mois... Sans se soucier un seul instant d'être en plein milieu du chemin, Skaldr intima à son public de s'asseoir en cercle autour de lui. Le conteur occasionnel se racla la gorge et fit semblant de réfléchir à l'introduction de son récit. Soudain, il déclama, de son ton le plus épique :
- Avez-vous déjà vu une Chéliscerre ? Non, j'en doute fort... Et bien remerciez en les cieux, car il s'agit sans nul doute de la créature la plus terrifiante que je vis jamais. Hum, tout compte fait, peut-être ferais-je mieux de ne pas vous en parler. Je ne voudrais pas que vous fassiez des cauchemars ce soir...
Un concert de protestations s'éleva du groupe d'enfants, collectivement indignés. Certains se levèrent, les poings sur les hanches et les joues gonflés, faisant mine de menacer le jeune héros. Satisfait de son petit effet, Skaldr les laissa s'insurger quelques instant, avant de les calmer d'un ample geste de la main. Alors il reprit, d'une voix faussement grave :
- Plus haute que le plus haut des chevaux, et large comme quatre ! Huit pattes articulées et autant d'yeux, rouges comme des braises incandescentes. Des perles de malice et de haine, étincelant dans l'obscurité. Chacun de ses membres était terminé par de longues lames osseuses, suffisamment solides et pointues pour transpercer la pierre...! Sa petite tête était équipée d'énormes mandibules, assez grandes pour mâcher la tête d'un homme adulte. Une horreur de la nature. J'en ai rencontré une alors que je traversais le Désert Osseux, loin, loin à l'est d'ici. De la même couleur que le sable, elle s'était enterrée près des ruines d'un vieux bâtiment, attendant patiemment qu'une proie passe à sa portée... Ah ! Elle m'a pris pour une proie, moi ! C'était là sa première erreur... Projetant le sable à plus de dix pieds de haut, elle s'est extirpée de sa cachette à la vitesse de l'éclair, avant de se jeter sur moi, griffes en avant. D'un simple coup de patte, elle m'a entaillé la chair du ventre... Je saignais abondamment, mais j'étais heureux d'être en vie. A quelques pouces près, elle m'aurait tout bonnement éventré. Vif comme le vent, j'ai empoigné pour épée pour parer sa prochaine attaque, de justesse. C'est ainsi qu'a commencé notre ballet mortel. Nous étions tous deux des danseurs hors pair, mais si j'avais l'avantage de l'expérience, elle avait le dessus en terme de force et de taille. Plus d'une fois elle m'a projeté en arrière, avant d'essayer de m'embrocher. Mais à chaque fois je roulais sur le côté avant de me relever prestement, contre-attaquant aussitôt ! j'étais trop confiant, et je suis tombé dans son piège. Je courrais vers quand elle s'est soudainement redressé sur ses pattes, avant de cracher un épais filet de toile par l'abdomen. Entravé, englué même, je la voyais s'avancer vers moi. Je me souviens encore de la victoire qui luisait dans ses petits yeux. Elle savait qu'elle avait gagné. Je me croyais perdu quand soudain... "
Alors qu'il arrivait au point culminant de son récit, Skaldr vit approcher le chef du village, de sa démarche claudicante. Le vieil homme, enveloppé dans une ample cape aux couleurs du couchant, s'appuyait sur une canne noueuse pour marcher. Sa jambe gauche, brûlée, traînait derrière lui. L'oiseau flamboyant qui se tenait sur son épaule ne semblait pas le moins du monde dérangé par la dangereuse instabilité de son perchoir.
- Je viens de recevoir un Messager commença le patriarche, indiquant le volatile d'un mouvement de tête. Il nous faut parler, l'heure est grave.
La mine de Skaldr s'assombrit aussitôt. La tempête qu'il redoutait tant était-elle arrivée ?
A peine Skaldr avait-il suivi le vieillard à l'intérieur de sa modeste demeure, que ce dernier lacha sans ambages :
- Le village de Lodran a été détruit. Le seul survivant s'est traîné en agonisant jusqu'à Horoch, le hameau le plus proche... Il racontait des propos incohérents, à propos d'une créature maléfique, échappée des Enfers... Il refuse d'en dire plus. Skaldr, je ne sais pas ce qui s'est passé là-bas, mais le fait est que Lodran et toute sa population ont été anéanti en l'espace d'une nuit.
Interdit, le héros fixait son interlocuteur. La nouvelle était si brutale qu'il en perdit son masque d'assurance, laissant apparaître une face livide, habitée par la peur et d'innombrables doutes... En si peu de temps, tant de vies avaient été prises. Il aurait du être là pour les sauver... Pendant qu'ils mourraient, il se plaignait de l'ennui. La honte déferla sur Skaldr. Bien décidé à ne pas laisser ses démons le posséder, le guerrier hocha doucement la tête. L'instant suivit, son visage s'était refermé, et ses traits n'exprimaient plus que détermination et sérieux.
- Quand ? Finit-il par articuler.
Le chef d'Elmoth secoua la tête pour montrer qu'il n'en savait rien... Ses traits étaient plus tirés qu'à l'accoutumée. A l'évidence, il craignait pour la sécurité des siens.
- J'aimerais te demander de rester mais... Horoch, bien plus proche de Lodran, court sans doute un plus grand danger. Vas-y. Lança-t-il à contrecœur.
- Je suis déjà en route, acquiesça gravement le Héros de la Lande Calcinée.
Les enfants se montrèrent particulièrement déçus de son départ précipité.
- Tu dois déjà partir ? Tu as une princesse à sauver c'est ça ? S'écria une petite fille en reniflant bruyamment, ses petites épaules agitées par ses sanglots naissants.
Elle ne devait pas avoir plus de six ans, et semblait bien trop triste pour son âge. Sans crier gare, Skaldr la souleva de terre et déposa un baiser affectueux sur son front, ce qui ne manqua pas de la faire rougir jusqu'aux oreilles.
- Tu es ma seule princesse. Ne pleure pas, je reviendrais vite pour vous raconter la suite de mon histoire. Et je compte sur vous tous pour me préparer une super histoire, d'accord ?
En voyant son grand sourire, le héros vagabond sentit son coeur se gonfler de joie. Toutes ces personnes qui avaient confiance en lui... Il incarnait l'espoir, et ne pouvait les décevoir ! Il allait annihiler ce mal nouveau qui ravageait ces terres. Ou au moins mourrait-il en essayant...
La nuit était tombé, recouvrant le monde d'un épais voile noir, aussi sombre qu'impénétrable... La flamme qui couronnait sa torche luisait faiblement, vacillant dans le vent. Le ciel, chargé d'épais nuages noirs, gardait ses trésors dissimulés aux yeux de hommes, ne leur laissant que le feu pour seule lumière. Ce feu tant haï depuis le Grand Brasier qui avait alors englouti le monde, dévorant avec voracité la moindre parcelle d'espoir. Ce feu, si redouté depuis l'avènement de l'Igné. Le Dieu Brûlé. Ce feu, cet ennemi immortel... Le bruit caractéristique de sabots martelant la pierre le tira brutalement de ses pensées. L'instant suivant, le guerrier faisait face aux ténèbres, son espadon brandit devant lui. Un cheval, l'écume aux lèvres, surgit brusquement de la nuit avant de freiner des quatre fers en apercevant l'obstacle. Affolée et blessée, la pauvre bête se cabra, désarçonnant ainsi son cavalier, avant de tituber et de s'effondrer sur le côté. Jetant son arme à terre, Skaldr se précipita vers le petit corps qui était tombé du cheval. L'enfant, bien que dans un sale état, était toujours vivant. Sa poitrine se soulevait à intervalles irréguliers, et son sang suintait de la méchante blessure qu'il avait récolté dans le dos. Autour de la plaie, la peau était carbonisée et puait atrocement. Lorsqu'il sentit les mains de son héros, le garçon ouvrit les yeux. Il tenta bien de sourire, mais cracha du sang, un rictus de douleur déformant ses traits. Enfin, après ce qui lui sembla une éternité de souffrance, tant son visage était crispé, il parvint à articuler :
- Ar.. Arrivé... il est arr...ivé par... Sud... Attaque.. attaquer village... Je t'en... supp..supplie... sauve ma fa.. fami...
Incapable d'aller plus loin, il s'étrangla avant de recracher une nouvelle gerbe écarlate. Il mourait. Dans un dernier souffle, à peine audible, il réussit à murmurer :
- Prends... Che... val...
- Ton cheval est trop fatigué, j'irais bien plus vite en courant... Repose toi bien petit héros, tu peux être fier de toi. Le rassura Skaldr en parlant tout bas. Je vais sauver les tiens, et reviendrais te chercher. Ferme les yeux et dors, tu as besoin de force.
Un semblant de sourire anima le visage de l'enfant, qui cessa alors de lutter. D'un geste particulièrement doux et attentionné, l'épéiste ferma ses paupières du bout des doigts. Tout aussi délicatement, il souleva sa dépouille et la déposa contre le flanc de son destrier, qui lui aussi vivait ses derniers instants, comme en témoignait la balafre écarlate qui barrait son côté. La tempête était là. L'espace d'un instant, il voulut abandonner : c'était sans doute trop tard de toute façon. Alors les visages de tous les enfants de la Lande lui revinrent en mémoire... Il incarnait l'espoir.
Debout dans la nuit, Skaldr inspira profondément. L'air s'engouffra dans ses poumons, pour finalement envahir tout son être. Le vent souffla sur lui, s'enroulant autour de ses membres comme autant de serpents éthérés... Bientôt il se mit à recouvrir tout son corps, l'enveloppant dans un véritable cocon protecteur. Une troublante sensation d'invincibilité s'empara de l'esprit du jeune héros, balayant ses doutes et ses peurs. Alors, il s'abandonna tout entier à l’Étreinte de l'Air, et se mit à courir.
Le monde était flou autour de lui. Chevauchant le vent lui même, il était plus rapide que n'importe quel cheval ne le serait jamais. Malgré l'obscurité, sa monture savait où le mener, évitant sans le moindre mal chaque obstacle. Devant lui, la lueur mouvante d'un gigantesque incendie... Il y plongea. Elmoth... Le coeur de Skaldr fit un bond dans sa poitrine et il s'arrêta brutalement, expulsant tout l'Air de sa poitrine. Le souffle court, il tourna sur lui même pour évaluer l'étendue du carnage, le visage figé par l'horreur. C'était mille fois pire que ce qu'il craignait. Les flammes avaient envahi le village, changeant les habitations en gigantesques torches. Une fumée noirâtre, acre, emplissait l'air, tandis qu'un mince tapis de cendres chaudes recouvrait Elmoth tel un linceul... Des cadavres jonchaient le sol, ici et là. Disposés au hasard, ils évoquaient les jouets cassés de quelque géant dément. Certains étaient calcinées, d'autres à moitié découpés. L créature qui avait perpétré ce massacre n'avait d'autre but que le carnage pur et simple. Le coeur au bout des lèvres, Skaldr s'accroupit devant le corps mutilé d'une petite fille, qui dépassait des décombres d'une ferme effondrée. La gamine qu'il avait consolé un peu plus tôt... Il laissa échapper un hurlement silencieux en frappant la terre de ses poings, impuissant. Il resta prostré ainsi de longues secondes, harcelé par la culpabilité. Il avait échoué, une fois de plus.
Alors qu'il prononçait doucement quelques derniers mots pour les défunts d'Elmoth, un son atroce, parodie de voix humaine, vint souiller sa courte prière. Les borborygmes répugnants se muèrent peu à peu en paroles, qui résonnaient jusque sous le crâne de Skaldr.
"Banni... Pourquoi...? Banni... Banni... Je... J'ai... Banni... J'ai été... Oh Créateur... Pourquoi...? Banni... Tu m'as Banni..."
Un frisson parcourut l'échine du héros, incapable de se soustraire à cette litanie pathétique. On aurait dit qu'un tas d'immondice sanglotait... et approchait.
L'instant suivant, il voyait une silhouette massive se déplacer derrière la carcasse noircie d'une petite ferme. À pas lents, la créature, voûtée traînait son corps difforme jusqu'à la place centrale. Le son discordant de l'acier contre la pierre la suivait de près, accompagné de faibles gémissements féminins. Skaldr laissa échappa un hoquet de stupeur - et d'horreur - quand le brasier illumina entièrement la chose. Grotesque spectacle qu'offrait cette créature, que l'on aurait facilement cru issue de quelque esprit dément. Bien réelle, hélas, elle se tenait debout sur deux pattes équines, terminées de lourds sabots calcinés. Son buste épais, vaguement humain, supportait la tête d'un cheval de cauchemar, qui culminait à une quinzaine de pieds de haut. Des yeux d'homme, fous, roulaient dans des orbites trop grandes pour eux, tandis qu'une grosse langue boursouflée pendait de ses mâchoires. Comme si cela ne suffisait pas la chair blanchâtre de la créature était couverte de cloques sanguinolentes, de plaques carbonisées. A plusieurs endroits, la peau s'affaissait, dégoulinait, comme si elle avait fondu... Sa main gauche, atrophiée, était refermée sur les cheveux d'une pauvre femme, qui sanglotait doucement en se laissant traîner au sol. Lorsqu'il remarqua enfin le héros, le monstre étira ses lèvres de manière absurde, avant se laisser aller à un petit rire, aigu et discordant à en glacer les sangs. Lorsqu'il ouvrit la bouche, remuant sa langue répugnante, ce fut pour s'adresser aux cieux, les yeux révulsés :
- Oui, oui... Il me pardonnera... Oui... Si je tue... Héros de la pro... phécie... Créateur, je... t'en supplie... Le Pardon...
Lâchant la chevelure de sa dernière victime, le Banni bondit en avant, brandissant de son bras droit une gigantesque lame enflammée.
Skaldr inspira profondément, refusant de se laisser dominer par sa peur et sa colère. Ses deux poings étaient refermés sur la poignée de sa claymore, dont le tranchant argenté reflétait les lueurs dansantes du brasier. D'un geste mental, il balaya toutes émotions, affichant un masque glacial. Ainsi, il ne fit plus qu'un avec le Vent. D'un brusque écart sur la droite, il évita l'énorme tranchoir du démon, qui explosa en une gerbe de flammes rouges en heurtant le sol. Une simple impulsion du pied propulsa en le héros en avant, droit sur la jambe de son ennemi, qu'il taillada férocement. Si la blessure, profonde, crachait des flots noirâtres, la créature n'en avait cure. Prenant appui sur son épée, elle rua en hurlant. L'un de ses sabots percuta la poitrine de Skaldr - chassant tout l'air de ses poumons - et l'envoya s'écraser contre des décombres fumantes. Le craquement qu'il entendit dans son torse lui arracha une grimace, qu'il se hâta de faire disparaître. A peine se relevait-il, chancelant, que le Banni était déjà sur lui. Plongeant à terre, le pauvre humain sentit le métal incandescent passer juste au-dessus de son crâne. La chaleur était presque insoutenable... Il roula sur le coté, juste à temps pour voir un brasier surgir du sol, à l'endroit exact où il se trouvait auparavant. Si les flammes, avides, ne parvinrent pas à l'atteindre, le souffle le projeta vingt bons pieds plus loin. Ignorant la douleur qui irradiait son être, Skaldr se remit debout et rappela l'Air en lui. Il avait été négligent, et cela avait failli lui coûter la vie... C'était sa dernière erreur. Lorsque le Banni revint à la charge, le héros esquiva souplement et se fendit vers l'avant, plantant la pointe de son espadon dans un jarret blanchâtre. Lorsqu'il fit remonter la lame le long de sa jambe, l'abomination poussa un cri terrible et tomba sur ses genoux. Loin de se laisser abattre, l'horrible hybride hurla une prière impie, dédiée à son Créateur, avant d'agiter furieusement son tranchoir ardent. Dansant parmi les cendres, Skaldr évitait chaque coup, pourtant plus rapide et violent que le précédent. Lentement, il gagnait du terrain... Mais les esquives devenaient de plus en plus risquées. Par trois fois, le métal brûlant, avait caressé la chair humaine, y laissant de bien sombres coupures. Et cette chaleur... Skaldr sentait presque les cloques se former sur son visage, alors qu'il luttait contre cette fournaise vivante. Soudain, au coeur de cet ouragan, l'épéiste entrevit la faille.
D'un mouvement aussi rapide que précis, la claymore fusa vers la poitrine du Banni... Qui l'arrêta de son bras atrophié. Les yeux écarquillés, Skaldr vit la lame s'enfoncer dans la main malingre, pour s'immobiliser dans l'os. Un rire dément agitait la gorge de la créature... Tandis que sa poitrine se soulevait grotesquement, la peau de son bras se craquelait, se gonflait. Pulsait. Lorsqu'elle céda enfin, elle libéra un déluge de sang noir et de flammes. Le pauvre humain poussa à son tour un grand cri de douleur quand le feu, comme vivant, se propagea à une vitesse fulgurante le long de sa lame, pour venir dévorer son bras. D'un geste brusque, il dégagea son épée et se jeta dans la poussière et la cendre pour étouffer les flammes. Il était encore sur le dos quand il vit le tranchoir du démon fondre sur lui. Instinctivement, il plaça son espadon en travers de sa poitrine.
Le choc fut d'une violence inouïe, écrasant Skaldr contre terre. Le vent hurlait tout autour de lui. Dès que l'acier brûlant du Banni était entré en contact avec le sien, une violente bourrasque avait surgi de nulle-part, repoussant le démon. Un bruit immonde retentit tandis que le bras de ce dernier se disloquait sous la puissance ainsi libérée. Bouche bée, Skaldr perdit quelques instant à contempler son arme. Comment avait-il pu survivre à ça ? Était-ce vraiment lui qui avait fait... Ça ? Repoussant ces questions dans un recoin de son esprit, il se remit debout et repartit à l'assaut.
Le Banni leva son épée, dans une pitoyable tentative de parade. A nouveau le vent mugit lorsque son maître agita sa lame. Balayant la défense ennemie avec une facilité déconcertante, il fit sauter l'énorme hachoir, qui retomba une centaine de pieds plus loin. D'un second moulinet, aussi rapide que précis, il creusa une profonde plaie dans le ventre difforme, délivrant de furieux bouillons d'encre. Hurlant à la mort, le Banni s'effondra. Prostré, il se lamenta une dernière fois :
- Pardon... Pardonne moi... Créa... Teur... Je n'ai... été... qu'échec.
- Et pourtant tu auras réussir à détruire ce à quoi je dédiais ma vie, cracha Skaldr, les yeux brûlants de haine.
En silence, le Banni darda un étrange regard sur son bourreau, où dansaient tristesse et regrets, teintés d'une folie corruptrice. Mais rien en ce monde n'aurait pu adoucir le héros failli. Son masque vola en éclat. Libérant enfin toute la rage qu'il contenait, Skaldr s'abandonna à un cri terrible, aux frontières de l'humanité. Bondissant sur le meurtrier d'Elmoth, il fit décrire à son épée un cercle parfait au travers de son cou, et mit ainsi un terme à sa révoltante existence. Alors qu'il tournait sur lui même, une tempête éclata, soufflant les dernières flammes qui avaient survécu au combat.Tout devint noir... et froid.
Un très grand merci aux auteurs de ces oeuvres pour continuer à faire vivre le Jump du Forum
Re: Topic du M-I Jump
Bonjour tout le monde ! Voici le super nouveau Jump tout frais sorti du moule !
Je vous souhaite une excellente lecture à tous, et n'oubliez pas d'aller voter pour votre texte favori dans les Discussions du MI-Jump
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- Le règne, chapitre 1:
- Le règne, chapitre 1 :
Certains disaient qu’elle s’annonçait, d’autres qu’elle s’imposait tant leur comportement y incitait les éléments. Certains s’y préparaient et se targuaient de divers qualificatifs, tel leur favori : « survivaliste ». Mais, même parmi eux, peu respiraient encore. Beaucoup avaient bâti des théories sur la manière dont l’espère humaine viendrait à s’éteindre, quelques uns allant même jusqu’à y trouver une foi malsaine ; aucun n’avait anticipé qu’une fièvre fulgurante, un fléau venu de la Terre, pousserait à compter la population mondiale en milliers, et plus en milliards, purgeant ainsi l’écorce terrestre de ses innombrables, et gargantuesques, fourmilières.
Personne ne parvint à déterminer la cause de la fièvre, seulement que son taux de mortalité effleurait les mesures absolues. Sans doute certains auraient pu y trouver un remède, mais le rythme scientifique s’adaptait mal aux temps de crises. Peut-être qu’une semaine aurait suffi, pour ceux que d’aucuns qualifiaient de génies, pour trouver un remède, ou à défaut une méthode pour échapper à la purge. Mais la mort frappait dans l’heure.
Je ne saurais vous donner une date précise, le temps s’affirmant comme un concept étranger à cette ère, je sus seulement qu’aux aurores le monde vibrait, et qu’avant que le soleil eut atteint son zénith il se tut. La race qui pensait imprimer son existence dans l’éternité flirtait avec l’extinction. Infiniment plus d’hommes, femmes et enfants se décomposaient à même le sol, leurs corps profanés par les charognards, qu’ils n’en restaient à arpenter un monde en ruine, ou, peut-être, renaissant.
L’humanité détrônée, les animaux recouvrèrent leur souveraineté. Les villes furent réinvesties par la faune, et la flore ne tarda point avant de venir lézarder chaque parcelle de goudron ou béton, s’étendant jusqu’à ce que le monde gris des humains retrouvât ses teintes de pers. Puis, quand le glauque eut conquis les œuvres cyclopéennes d’un peuple mourant, son spectre se déclina jusqu’à ce que le monde se ponctuât de plus de couleurs qu’un œil animal pouvait en percevoir.
Bien que New York ne ressemblât guère plus qu’à une jungle, j’y restai jusqu’à ce jour, en compagnie de ma protégée, une fillette svelte à la chevelure d’or, rayonnante dans l’apocalypse. Certes, d’autres humains devaient partager la métropole avec nous, mais nous les évitions. Sans civilisation pour les canaliser, les sapiens se groupèrent en meutes. Par dépit ou par vice, les survivants devinrent des proies pour leurs pairs, comme une garantie de s’alimenter, ou au moins de récupérer quelques articles auxquels ils trouveraient un usage.
La nourriture resta abondante pendant un temps ; nous étions peu, et les réserves de la civilisation passée aurait pu nous alimenter jusqu’à trépas. Mais, quand mammifères et ovipares reprirent la ville, les denrées s’épuisèrent : les charognards débarrassèrent les rues de ses cadavres, les carnivores pillèrent les étals de viande, les autres se repurent de tout ce qui se trouvait à leur portée, même de ce que l’aluminium prétendait conserver. Au départ attirés par diverses effluves, les animaux investirent les métropoles pour ne jamais en repartir : ils s’y sédentarisèrent. Avant le fléau, nous parlions de quartiers, ou encore de blocs, ces organisations à la géométrie si lassante. La ville se divisait maintenant en tanières, se découpait de frontières olfactives sans cesse mues par les déjections des prédateurs.
À la suite de la purge de Gaïa, la plupart des bêtes domestiquées devinrent férales, recouvrant des instincts que tous imaginaient estompés par la domestication. Pire, les bêtes que l’homme n’avait su dompter s’imposèrent en monarques, attaquant les rares survivants assez sots pour s’exposer à leurs atouts létaux. Mêmes les grands herbivores, autrefois si paisibles, pouvaient se révéler dangereux si, par mégarde ou intention, quiconque pénétrait sur leur territoire.
Je quittai l’immeuble où ma protégée m’avait guidé, des mois auparavant, quand la fièvre se manifesta, pour partir une ultime fois à la recherche de nourriture. L’enfant m’avait fait comprendre que nous devions quitter la ville : les ressources commençaient à manquer, chacune de mes sorties se révélait moins fructueuse que la précédente. Nous ne connaissions pas notre destination, seulement qu’il nous faudrait longtemps marcher. Or, pour mener une telle entreprise à bien, il nous fallait plus de nourriture, juste assez pour que nos réserves nous permissent de trouver un nouveau havre où nous installer.
Bien que je me trouvasse encore dans l’immeuble, au rez-de-chaussée, je m’enfonçai dans une mousse qui, continuellement préservée d’une exposition directe aux lueurs des astres, m’humidifia les membres telle une éponge surchargée de liquide. J’avançai lentement jusqu’aux portes de l’immeuble et en poussait une lentement. Je passai ma tête entre les deux battants, juste assez pour pouvoir m’assurer que mon ultime sortie ne s’engageât pas par de violentes péripéties. Après mettre assuré qu’aucune engeance terrestre ne viendrait m’assaillir, j’orientai mes pupilles vers le ciel. Ne captant rien d’autre dans mon champ de vision que les monolithes conquis par la végétation, je sortis.
Pour la dernière fois, je longeai les murs en silence, rabattu sur moi-même, camouflant ma présence aussi bien à l’intention des bêtes que des éventuels survivants qui auraient pu échapper ma vigilance. L’herbe, si haute qu’elle m’effleurait les narines, m’offrait un couvert relatif à l’égard des prédateurs environnants. Je ne devais pas arguer de célérité, sinon les frémissements des brins alerteraient de ma présence ; mais, je ne devais pas totalement ignorer cette qualité, sinon les dernières provisions que j’avais repérées s’éclipseraient avant mon passage.
Je me dirigeai vers une supérette à trois blocs du camp que nous avions établi, ma protégée et moi, à l’étage du vestige d’un autre siècle. J’y avais repéré quelques bocaux scellés par force de vide lors de ma dernière sortie. Trop encombré pour pouvoir m’en emparer, j’avais imprimé leur emplacement dans ma mémoire, confiant de les y retrouver un autre jour si je ne tardais point. Le soleil, sur le déclin, m’annonçait que ce jour filait.
J’avançais à pas de loups, sans qu’aucun animal ne parvînt à détecter ma présence. Au bout de quelques centaines de mètres d’une progression furtive, j’arrivai à un croisement où une mare persistait depuis la dernière averse. Je m’immobilisai à l’orée de la végétation, et me ramassai sur moi-même afin de parfaire mon camouflage : j’avais déjà aperçu des animaux rallier la flaque pour s’y abreuver, lors de mes précédentes expéditions, et ne souhaitais prendre aucun risque.
Une bourrasque fouetta les hautes herbes, emportant les plus sèches dans son sillage tourbillonnant et rabattant les autres jusqu’à ce que mon camouflage manquât de faillir. Je me figeai et laissai le vent glisser le long de mes oreilles. Je retins ma respiration pendant quelques secondes : mon escapade pourrait connaître un fin bien abrupte si par mésaventure le vent portait mon odeur jusqu’aux naseaux d’un prédateur. J’attendis une minute entière, chaque muscle de mon corps en tension, prêt à me lancer dans une folle fuite en cas de danger.
Soudain, un grondement féroce résonna entre les vestiges monolithiques. La mâchoire serrée et les poumons brulants, je scellai mon souffle. Un nouveau grondement, d’une sonorité plus forte encore, se manifesta. À sa tonalité, je devinai la présence d’un ours, sans pour autant parvenir à en déterminer précisément la distance, la topographie locale agissant telle une caisse de résonance. Une volée d’oiseaux s’éleva vers l’horizon azuré en piaillant. Mes craintes se confirmèrent : l’ours s’approchait.
Un nouveau grondement s’éleva, suivi cette fois-ci d’un concert de hurlements et d’aboiements. Animé par la curiosité, et la volonté d’être fixé sur mon sort, je me redressai légèrement et scrutai l’horizon encombré à la recherche de la source de ces multiples plaintes. Enfin, mes pupilles ses figèrent sur l’ours, une centaine de mètres plus loin, en plein milieu du sentier que je devrais arpenter pour atteindre mon objectif, dressé sur ses pattes postérieures. Autour de lui, les herbes s’agitaient.
Tout à coup, un chien sauvage bondit à la gorge de l’ours en emportant des brins d’herbe dans son élan. D’un coup de patte d’une vivacité peu commune pour une bête de sa prestance, le titan lacéra l’abdomen de son assaillant. Le molosse laissa lui échapper un gémissement avant d’heurter le sol et de périr. Dans la seconde qui suivit ce trépas, une entière meute de limiers retournés à leurs instincts primaires attaqua le maître du territoire.
Certain que l’affrontement attirerait bientôt d’autres prédateurs, et que ceux engagés dans une valse mortelle m’ignoreraient, je saisis ma chance. Je me redressai d’un bond et me lançai dans une course sans haleine jusqu’à la supérette. Porté par l’adrénaline, j’arrivais au niveau de l’affrontement en à peine quelques secondes et, mes sens et facultés physiques exacerbés par la proximité du danger, redéfinis les bornes de ma célérité.
Bien que je me détournai de l’affrontement dont les échos devaient porter jusqu’à des territoires inexplorés, je pus clairement capter la fragrance métallique du sang qui se déversait à quelques pas de moi. Soudain, j’heurtai une masse molle et envoutée d’une déplaisante auréole carmin. Je ne titubai point, mais je perdis ma concentration. Je tournai la tête un instant pour découvrir le cadavre de l’un des chiens, l’abdomen lacéré, ses organes encore frémissant se déversant sur le sol, et une gueule inoubliable : des yeux révulsés, injectés de sang, et un rictus de folie animale. L’effroi me gagna et me coupa dans ma course ; si un souhait eut pu m’être accordé, j’aurais formulé celui de ne pas achever ma vie dans un état de comparable disgrâce.
Les grondements, grognements, aboiements et gémissements bourdonnèrent à mes oreilles. Je devais repartir, atteindre mon objectif et, ma protégée à l’esprit, je repris ma course. Alors que j’accélérais, je portai un instant mon regard vers l’affrontement, et j’en captai la globalité. Les canins bondissaient et menaçaient l’ours de leurs crocs, s’accrochaient à sa peau grasse et à ses poils épais. Puis ils essuyaient un balayement, un simple coup de griffes qui leur offrait un aperçu d’apesanteur.
D’innombrables gouttelettes de sang ruisselaient le long du pelage de la montagne, le modelant en touffes pourpres et effilées. Les molosses parvenaient à blesser leur adversaire, mais chaque contrattaque privait la meute de l’un de ses membres et, bientôt, s’ils n’abandonnaient pas leur assaut, le plantigrade la réduirait à une individualité. Le mâle alpha, bien plus imposant que ses sbires relégués au rang de betas, bondit vers le flanc du titan ; il ne l’atteignit jamais. Son corps se désolidarisa après que la patte de son adversaire lui heurtât le crâne.
Leur meneur occis, la formation des quelques rescapés de la meute se disloqua. Les chiens fuirent en direction des sentiers les plus étroits. L’ours poussa un hurlement d’un triomphalisme guttural. L’air sembla vibrer, le danger se rapprocher, mais je ne courrais aucun danger : plusieurs centaines de mètres me séparaient désormais de l’ours, et les relents des fluides corporels de ses victimes masquaient mon odeur.
J’arrivai au magasin à demi essoufflé, la langue en dehors tant l’haleine me manquait. Un instant, alors que je me tenais devant la façade éventrée de la supérette, j’espérai que les lieux ne se révélassent point ladres. Mes appréhensions furent balayées quand, à peine j’y pénétrais et me laissait baigner dans la douce obscurité y régnant, je remarquais, perdu sur une basse étagère poussiéreuse, un bocal au verre opaque surmonté d’une hanse. D’une bonne taille, il offrirait sans doute assez de denrées pour alimenter ma protégée pendant quelques jours.
L’esprit léger après le frisson du parcours, je m’avançai sans prendre garde en direction de l’objet de ma venue. Rendu maladroit par l’épuisement, je heurtai un comptoir et en fit tomber quelques ustensiles rouillés. L’un d’eux roula au sol sur quelques mètres, jusqu’à s’immobiliser sur des vieux journaux grossièrement disposés en travers de l’allée. Alerté par la survivance de telles reliques dans des conditions si peu clémentes, je chassai mon enthousiasme et retrouvai mon sérieux. Peut-être des survivants avaient-ils creusé une fausse sous ces papiers, dans l’espoir d’y piéger une bête attirée par la nourriture. Mais, je ne me risquai pas à confirmer ma théorie et me contentai de contourner l’obstacle.
Enfin, je me saisis du bocal et en considérai tant le poids que l’aspect. Sa vacuité s’avérait peu probable, et il me sembla que son contenu n’avait point été souillé par un descellement impromptu. Je ne sus combien de temps j’avais usé pour récupérer l’objet de mon expédition, sans doute n’avais quitté le repère que depuis une trentaine de minutes, mais je m’empressai de me remettre en route. Du moins, je m’y empressai jusqu’à ce que mon reflet me parvînt.
Je m’immobilisai, presque choqué par ce que captaient mes pupilles. Jusqu’alors absorbé par mon objectif, je n’avais pas remarqué le miroir appuyée contre un étal. Depuis la purge, la plupart des verres avaient terni, mais le teint de ce miroir, par un miracle inexplicable, avait échappé à la rigueur combinée du temps et des éléments.
Je m’approchai lentement du verre parfait, rendu muet par le reflet qu’il me renvoyait. Pour la première fois depuis des temps immémoriaux, je me voyais. Je laissais mes prunelles vagabonder sur le verre et, ainsi, vagabonder sur mon être. Je contemplai ma robe blanche, seul habit m’étant permis, et constatais que sa part d’immaculé avait régressé bien au delà de ce que je l’imaginais. Ma protégée avait entrepris d’apporter de la couleur à ma robe, sans doute dans l’espoir de la vivifier et de la rendre plus aisément camouflable, peut-être même pour pouvoir me reconnaître sans détour de réflexion. Le blanc se fendait de cercles, de lignes et de flèches, chacun de couleurs que je ne pouvais déterminer précisément, certaines semblables à du vert, d’autres à du bleu ou du rouge. Je ressemblais à un véritable massif floral. Certes, ces motifs se fondaient mieux dans le pers que la couleur laiteuse que j’arborais, mais j’échappais au paradigme de la furtivité.
Conscient de mon apparence pour la première fois depuis l’apparition de la fièvre, je quittai le magasin l’esprit chargé de nouvelles considérations, allant même jusqu’à questionner les fondements de mon existence qui, chaque jour, me paraissait s’empreindre de plus de singularité.
J’arrivai jusqu’au havre sans encombre, mais, en trouvant la porte de l’immeuble entrouverte, mon cœur se fendit. Je pénétrai dans le bâtiment en silence et déposait le bocal dans un angle, là où la mousse se faisait plus épaisse. La respiration lourde, je gravis les marches menant jusqu’à l’endroit que ma protégée avait élu comme domicile. Chaque pas se prouva être plus difficile, et chaque marche gravie alimenta mes appréhensions : des paroles indistinctes parvenaient jusqu’à mes oreilles, mais la voix n’appartenait pas à l’enfant.
Je me pressai en silence et arrivai jusqu’à l’étage d’où provenaient les sons. Je restai un instant à l’angle de la pièce, camouflé derrière une racine gargantuesque qui privait l’ouverture du quart de sa largeur. Je laissai dépasser ma tête et, d’une œillade, captai l’essentiel de la scène.
Ma protégée, acculée contre un mur à l’opposé de ma position, tenait en respect deux intrus en brandissant un couteau d’une main ferme. L’un d’eux, un homme aux tempes grisonnantes et aux cheveux gras, la menaçait réciproquement de la pointe de son coutelas, tandis que son complice, plus jeune, s’adressait à elle par des paroles sifflantes, appuyé sur une batte en acier dans l’espoir de l’intimider. Je ne sus déchiffrer les mots qu’il lui adressa, seulement que ma protégée exprimait son refus d’un mouvement de tête.
J’hésitais quant à l’action à entreprendre. Si j’attaquais les survivants, ils pourraient blesser la fillette, et cela je ne pouvais pas me le permettre. Je devais à ses parents de la garder en sécurité ; ils m’avaient recueilli dans ma jeunesse, et garantir la sécurité de leur enfant me paraissait une bien faible exigence en contrepartie. Cette enfant, ils l’adoraient ; cette enfant, je la protégerais.
Avant que je prisse ma décision quant à la méthode à employer pour l’assister, ma protégée remarqua ma présence et, d’un cri, m’invita à agir. Alors, j’agis. D’un bond, je quittai le couvert de l’ombre pour me ruer sur les assaillants en grognant. Mes cibles se retournèrent avec une synchronisation approximative. Sans réfléchir, le plus jeune s’arma de sa batte et vint à l’affrontement.
Je me ramassai sur moi-même et bondis sur l’inconscient. L’espace d’un instant, je captai mon reflet sur l’acier de sa batte ; je captai l’image de mes babines retroussées, de mes crocs découverts, de mes yeux d’ambre, et de mes oreilles en pointes rabattues vers l’arrière.
L’arme me manqua de peu, se contentant d’agiter mon épais pelage. En représailles, je le mordis au bras avec tant de force que l’os craqua. Le jeune hurla, et son compagnon vint à son secours. Il tenta de me fendre le crâne d’un coup de coutelas ; célère, j’esquivai et lui déchiquetai l’avant-bras. Enivré par le goût du sang, je lâchai prise et bondis à la gorge de l’aîné ; l’instant suivant, il trépassa dans un gargouillis sanglant.
Bien que l’envie me gagna, je ne me repus point de la chair de ma victime, et reportai mon attention vers le second assaillant. Frappé par l’effroi du spectacle sanglant dont elle affirmait malgré elle la qualité de protagoniste, ma proie, un bras inerte ballant contre son flanc, abandonna sa batte et s’arma d’une arme à feu. L’appréhension ne me gagna point : mon odorat trahit son subterfuge ; les barillets ne renfermaient aucun grain de poudre.
Je poussai un grognement sonore ; il recula. Je réitérai ; son dos heurta le mur. La certitude de son trépas le gagna. Des larmes roulèrent sur ses joues, et bientôt je les remplaçai par des flots de sang.
Animé par mes instincts, je lançai ma tête en arrière et poussai un long hurlement. Je maintins la position pendant un moment, jusqu’à ce que ma protégée posât ses mains de chaque côté de mon crâne et laissât glisser ses pouces le long de mes oreilles. Une sensation divine m’envahit, si exquise qu’elle chassa jusqu’au goût métallique qui envahissait ma gueule et que tant de mes pairs convoitaient.
La fillette essuya le sang qui mouchetait mon pelage. Puis, elle plongea son regard dans le mien et me murmura quelques mots. Mais, je ne te comprenais pas, ma protégée.
- La flamme et le vent : Chapitre 2:
- Chapitre 2 : Le Temple Noirci
Étendu sur le dos, Skaldr ouvrit les yeux, réveillé par de longs pleurs. Les sanglots, déchirants, étreignaient son âme encore endormie, et il sentit comme une vague de tristesse envahir son corps. Ignorant la souffrance physique qui lui vrillait le torse, il tourna la tête pour voir une jeune femme toute vêtue de noire, prostrée dans la cendre. La mémoire lui revint aussi brutalement que douloureusement. Elmoth… Le Banni, le carnage, le brasier. Encore à vif, la plaie qui barrait le cœur du guerrier errant se rouvrit soudainement. Les traits déformés par la honte et le chagrin, il laissa quelques larmes couler le long de ses joues, en silence. Une vie, voilà tout ce qu’il avait pu sauver. Lui, le « Héros de la Lande Calcinée » avait failli à sa tâche. La seule et unique… Les yeux rivés sur un ciel aussi morne que lourd, Skaldr réalisait toute la futilité de son œuvre. Il avait cru pouvoir les sauver tous, il avait cru être important. Tout ce qu’il avait fait c’était trouver un noble prétexte pour agiter son épée. Triste farce. Brisé, le jeune homme laissa la culpabilité le consumer pendant de longues minutes, jusqu’à ce qu’enfin la pauvre femme ne se tourne vers lui.
Son visage, plutôt quelconque avec son nez en trompette et ses grands yeux noirs, laissait transparaître un deuil tout récent. Ses cernes profonds et ses joues rouges exprimaient plus de chagrin que toutes les larmes du monde quand elle se pencha au-dessus de Skaldr. Ses longs cheveux de jais lui chatouillaient la gorge tandis ses mains palpaient doucement ses côtes. L’espace d’un court instant, une fraction de seconde, le regard de la veuve changea. Un éclair de haine, fugitif. Alors qu’il ouvrait la bouche, elle le prit de vitesse pour lâcher, atone :
- Tes blessures… Tu devrais avoir les os en miettes…
- Le vent me protège.
Doucement, Skaldr écarta son corps gracile et entreprit de se relever. Il esquissa une grimace alors qu’une lance de douleur lui transperçait la poitrine, s’appuyant sur son espadon pour ne pas s’effondrer dans la cendre. Il resta ainsi de longues secondes, incapable de se redresser. Il refusait de poser les yeux sur les cadavres calcinés de ceux qu’il avait juré de protéger, ni sur celui de leur bourreau. Les paupières closes, il revit les habitants d’Elmoth, du temps de leur vivant. Ils avaient réussi à survivre, ils avaient su triompher de ces contrées hostiles. Skaldr se revit raconter des histoires aux enfants, il s'imagina… Un discret reniflement le ramena à la réalité. Hagard, il se tourna vers la rescapée, qui semblait occupée à fixer le sol en tirant machinalement sur les replis de sa robe. Lorsqu’il voulut poser une main réconfortante sur son épaule, elle se dégagea vivement.
- Je… Désolé. Enfin… Merci… Balbutia-t-elle finalement, le regard fuyant. Mon nom est Sonara… Je vivais ici avec mon… Jusqu’à ce que…
Sa voix se brisa et elle s’effondra en avant, droit dans les bras du héros failli, qui tressaillit légèrement.
- Puisses-tu un jour me pardonner, Sonara. Je n’ai pas pu… J’ai échoué. Tu dois vouloir me tuer.
- Ce n’est pas ta faute… Commença-t-elle doucement, d’un ton moins compatissant qu’accusateur. Mais si tu me laisses seule je suis condamnée. Finis ce que tu as commencé…
Presque brutalement elle s’arracha à son étreinte et recula d’un pas. Ses yeux secs, terriblement tristes, passaient de son visage à son épée. Avec un pincement au cœur, Skaldr comprit qu’elle aurait préféré mourir.
Le vétéran de la Lande sentit l’odeur du charnier bien avant de le voir. Derrière la colline, se dressait le hameau d’Aldieb. Mais Skaldr savait déjà qu’il serait vide… La mine dévastée, il se tourna vers sa protégée, qui tentait vainement de combattre la puanteur en plaquant ses mains contre son nez. Lorsqu’elle l’interrogea du regard, le faux héros secoua doucement la tête.
- Morts…
- Comme les deux derniers villages depuis Elmoth…
- Ne t’en fais pas, nous trouverons bien un endroit. Répondit Skaldr, d’une voix qui se voulait rassurante. Il y a beaucoup de villages dans la lande…
- Oui, bien sûr. Ne perdons pas espoir… Souffla-t-elle en réponse, sur un ton qui démentait ses propres paroles.
Aldieb n’était plus que ruines et cendres. Des membres humains, à demi noircis, surgissaient des décombres tandis que des corps mutilés jonchaient les pavés. De massifs sillons avaient été creusés dans le sol, comme autant de cicatrices laissées par la lame gigantesque d’un être maudit. Skaldr dut faire un effort surhumain pour calmer son estomac, qui menaçait furieusement de rendre ce qu’il avait avalé un peu plus tôt. Plus difficile encore fut de lutter contre le désespoir. N’y avait-il donc plus le moindre humain vivant dans la région ? L’horreur de la scène lui rappelait cruellement son échec. La puanteur de la chair en décomposition gangrenait l’air lui-même. Certains cadavres, les moins brûlés, arboraient de larges traces de crocs. Les Furions étaient revenus, et s’en étaient donnés à cœur joie. Sur ses talons, Sonara traversa le village en fixant ses pieds, dans un silence des plus sinistres.
Un petit feu crépitait et dansait dans un foyer de fortune, projetant des ombres inquiétantes tout autour du camp. Assise dangereusement près de l’âtre, Sonara grignotaient des bandes de viande séchée, tirées du sac de son sauveur. De temps à autres, elle se penchait juste au-dessus des flammes, les fixant intensément, comme si elle s’apprêtait à y plonger. Alors elle se laissait retomber en arrière, pour sangloter doucement ainsi étendue. Incapable de la consoler, Skaldr se détourna pour faire face aux ténèbres nocturnes. Quel héros pitoyable il avait été. Comment un Dieu pouvait-il se montrer aussi cruel envers ses créations ? Mais était-il au moins responsable de ce carnage ? L’abominable créature disait avoir été bannie, avant dévoquer une prophétie… Pire que tout, elle en avait après lui, le pourchassait.
Du coin de l’œil, Skaldr vit que sa protégée s’était endormie, blottie contre le feu. Elle était la seule à avoir réchappé à ce carnage, la seule qu’il ait pu sauver. Un sourire triste se dessina sur les lèvres du jeune homme. Elle était l’espoir, l’espoir ridicule qu’il pouvait toujours être un héros.
Lorsque le soleil se leva, Sonara était déjà debout, contemplant l’astre avec mélancolie. Lorsqu’elle entendit les pas de son sauveur, elle se retourna pour darder sur lui ses yeux noirs, trop ternes.
- Inutile de se voiler la face plus longtemps… La lande est désormais dépeuplée. On ne trouvera pas de village.
Alors qu’elle parlait, son regard se perdit dans le vague et se voila légèrement. Hésitant, Skaldr finit par souffler :
- Il y a bien un endroit, mais tu risques de ne pas aimer…
- Ai-je le choix ? Si je veux vivre…
Sa voix était si monocorde.
- Le Temple Noirci de la forêt pétrifiée.
- Ainsi soit-il, soupira la jeune femme pour mettre fin à la conversation.
Skaldr et sa protégée achevaient tout juste de gravir le flanc rocailleux d'une colline quand ils virent, pour la première fois, les arbres millénaires de la Forêt Pétrifiée. Ces géants, jadis faits de bois, avaient su rester debout alors que le Grand Brasier déferlait sur le monde. Mais une fois que les flammes eurent cessé de faire rage, leur écorce était devenue pierre, et tout verdure avait disparu. Sans leurs feuilles, les cimes n'étaient plus qu'entrelacs lugubres de branches grises et crochues, tendues vers les cieux comme avec l'espoir de les déchirer. Nue et rocheuse, la forêt payait le prix de son arrogance passée... Et elle avait soif de vengeance. Un long frisson agita les épaules de Skaldr tandis qu'il réalisait qu'il faisait face à un gigantesque cimetière, où la vie elle-même était bannie. Et pourtant, se dégageaient encore de ces arbres une aura de majesté telle qu'elle suffirait à faire ployer le genou du plus imbu des princes. Comme frappé par cette puissance ancienne, le guerrier errant s'immobilisa quelques instants et baissa légèrement la tête, en marque de respect. Si Sonara était impressionnée, elle n'en montra rien, son visage demeurant aussi figé que la forêt morte.
Ils atteignirent l'orée en début de soirée, après plusieurs heures de marches sous un soleil de plomb. Le couchant flamboyant coiffait les arbres d'un halo incandescent aussi beau que menaçant. Skaldr s'apprêtait à s'engouffrer entre les troncs quand un petit cri de sa protégée l'en empêcha. Son bras était tendu vers un petit autel, constituée de pierres empilées les unes sur les autres pour former un foyer. Sur la dalle centrale était gravée le charbon solaire, symbole de la religion fondée autour de l'Igné... Rien de bien surprenant quand on savait qu'un de leur temple se trouvait au cœur de la forêt. Mais la simple vue de ce tas de cailloux fit bouillir le sang du guerrier, l'espace de quelques secondes. L'instant suivant, sa colère était refoulée. S'il y cédait, alors il tournerait le dos définitivement à ce qu'il avait toujours voulu protéger...
- Cet autel est la premier étape de notre pèlerinage vers le Temple Noirci. Ald... Mon mari comptait parmi leurs fidèles, et il prévoyait de faire ce voyage depuis des mois... Et maintenant c'est moi qui vais le faire pour lui. Je suppose que c'est ce qu'il aurait voulu... Termina la jeune femme dans un souffle presque inaudible.
- Comment peut-on adorer un tel démon... Marmonna le héros failli en guise de réponse, ce qui lui valut un regard peiné de la part de la jeune veuve.
Tout en se maudissant mentalement, Skaldr tenta de balbutier quelques pitoyables excuses, auxquelles Sonara coupa court d'un geste de la main.
- Il suffit de suivre les autels, chacun décrivant la direction à suivre pour trouver le prochain. Mais surtout il est primordial d'allumer une bougie à chaque fois, pour s'annoncer.
- Sinon ? Demanda alors l'épéiste errant, qui n'avait pas la moindre envie de se conformer à ce rituel religieux.
- Il n'en a jamais parlé.
D'un ample mouvement, Skaldr s'empara de sa lame, qu'il brandit devant lui, face aux bois obscurs. Comme surgi de l'acier froid, un vent violent siffla entre les troncs, avant de s'évanouir dans les ténèbres. Sa façon à lui de s'annoncer. A quelques pas de là, la rescapée d'Elmoth s'agenouillait dans la terre, sans se soucier un seul instant de ses beaux habits noirs, pour allumer l'un des cierges qui étaient posés dans le foyer de pierre. Délicatement, elle déposa un baiser sur la pierre froide, avant de murmurer une courte prière. Lorsqu'elle se releva, elle tenait entre ses mains une deuxième bougie, qu'elle présenta à son protecteur.
- Non. Je préfère encore découvrir quel sera mon châtiment, défia l'épéiste. Allons-y.
Brandissant une torche d'une main, son espadon de l'autre, Skaldr ouvrait la marche, prenant garde à ne pas dévier du chemin indiqué. Ce n'est qu'une fois qu'ils se furent profondément enfoncés entre les troncs que le héros déchu pu prendre la mesure de leur gigantisme. Trente hommes, les bras tendus, n'auraient pas suffi à en faire le tour. Quant à leur hauteur, elle était telle que les arbres semblaient ne pas avoir de fin... Comme écrasé par tant de démesure, l'épéiste rentra la tête dans ses épaules et se remit à scruter les alentours. Si jamais ils passaient à côté d'un autel sans l'apercevoir, s'en était fini d'eux. Avec un soulagement non dissimulé, il entendit Sonara l'appeler.
Contrairement à tout ce qu'il avait imaginé, la forêt était bien loin d'être silencieuse. Des créatures invisibles rampaient derrière les racines, faisant cliqueter leurs pinces et leurs membres articulés. De temps à autres, on pouvait entendre des sifflements inquiétants provenir des cimes, ou encore des griffes osseuses racler l'écorce pierreuse des arbres. Malgré tout, la jeune femme continuait à le suivre sans prêter attention au monde qu'elle traversait. Elle portait son deuil, voilà tout...
Sans un bruit, une silhouette blanchâtre surgit de l'ombre d'un géant de pierre, pour atterrir prestement devant le guerrier à l'épée. Obéissant à un réflexe surhumain, Skaldr se plaça en position de combat, menaçant le nouvel arrivant de sa longue lame. Très vite, il comprit lequel des deux était le prédateur. Dès qu'il avait posé ses yeux sur la bête, une peur abyssale s'était emparée de ses tripes pour y faire mille et un nœuds. Déglutissant bruyamment, le pauvre humain commença à décrire un cercle autour de l'agresseur, étrangement immobile. Haute de plus de trois mètres, la mante religieuse était couverte d'une solide carapace dont la texture et la couleur rappelait cruellement des ossements frais. Sa petite tête, dans laquelle était incrustée deux grosses perles noires, pivotaient rapidement alors qu'elle étudiait du regard ses deux proies. Vive comme l'éclair, elle fit s'entrechoquer ses lames chitineuses et s'enfuit en cliquetant dans la nuit. Les jambes tremblantes, Skaldr dut se faire violence pour reprendre le contrôle total de ses jambes, qui semblaient s'être enracinées dans la terre meuble. Pour la première fois de sa vie, il avait eu la sensation d'être une souris maigrichonne face à un chat déjà repu. Pour cet insecte cauchemardesque il n'était même pas une proie digne d'être chassée... D'un revers de la main, il essuya la sueur qui ruisselait sur son front et laissa échapper un long soupir.
- Ainsi voilà donc les redoutables habitants de la Forêt Pétrifiée... Bah. Pas de quoi avoir peur... Lança-t-il à la volée, comme pour se rassurer.
Mais le cœur n'y était pas. Sonara le dévisagea un court instant, les yeux vitreux, avant de se remettre en route, comme si rien ne s'était passé.
Lorsqu'ils arrivèrent au niveau du septième autel, Skaldr décréta qu'il était temps de faire une pause, ce à quoi sa protégée ne s'opposa pas. Après avoir pris la peine d'épousseter le sol, une bien curieuse manie pour une paysanne, elle s'assit sur ses jambes repliées et entreprit de se masser doucement les mollets.
- Tu es sûre qu'ils ne peuvent pas s'approcher ?
- Oui... Ces créatures de pierre ne peuvent pénétrer ces sanctuaires bénies... Souffla-t-elle, une fois qu'elle fut fini d'avaler les dernières rations de son sauveur.
- De pierre, tu dis ? Demanda Skaldr, dubitatif.
- Il n'y a rien de vraiment vivant dans ces bois, tout n'est que roche. Cet endroit a toujours été une énigme pour les hommes...
Une réponse qui n'avait rien de bien rassurant. Quoi de plus terrifiant que de se savoir entouré de titanesques insectes de pierre, aux motivations inconcevables pour l'esprit humain ? Du coin de l’œil, Skaldr observa la jeune femme, qui gardait les yeux baissés vers la bougie qu'elle venait tout juste d'allumer. Incapable de se retenir plus longtemps, le jeune homme posa la question qui lui brûlait les lèvres depuis qu'ils étaient entré sous le couvert des arbres :
- Sonara, que penses-tu de l'Igné ? Je veux dire...
- Tu me demandes si j'ai la foi ? Coupa-t-elle brusquement, d'un ton glacial.
Skaldr eut la sensation que l'on venait de lui jeter un sceau d'eau froide sur le visage, tant la réaction de sa protégée était brutale.
- Je ne voulais pas te blesser, pardonne moi, soupira-t-il, déçu. Oublie ma question. Allez, remettez nous en route, je ne suis pas vraiment à l'aise avec toutes ces bêtes qui rodent dans le coin...
L'aube commençait tout juste à poindre lorsque Skaldr et sa protégée débouchèrent dans la grande clairière qui abritait le sinistre Temple Noirci. Haut d'une bonne centaine de pieds, l'édifice était terriblement dérangeant, avec ses flèches tordues, ses arcades biscornues et ses ogives anormalement étroites. Les tours effilées qui flanquaient le bâtiment principal s'inclinaient dangereusement vers l'intérieur, comme si elles cherchaient à s'étreindre. Quelques colonnes, torsadées et difformes, soutenaient des toits d'ardoise tandis que d'autres crevaient le sol sans aucune raison apparente. Enfin, de monstrueuses gargouilles se massaient sur les lucarnes et les corniches, dardant sur les visiteur des regards mauvais. Quel sorte d'esprit malade avait pu concevoir un tel bâtiment ? De loin, il évoquait vaguement les côtes de la poitrine défoncée d'un géant putréfié. Sur la façade principale, carbonisée, resplendissait un vitrail à demi-fondu, sur lequel se reflétait les rayons grisâtre du levant. Comme si l'architecture maudite du temple ne suffisait pas à pétrifier d'angoisse tout visiteur, une suie luisante et dégoulinante maculait la pierre, déjà sombre. Poisseux, le liquide noir semblait engloutir la lumière du jour pour ne jamais la rendre... Skaldr regretta presque instantanément d'avoir eu cette idée démente. Alors qu'il envisageait de faire demi-tour, un grondement sourd retentit dans l'air. Rugissant et frappant le sol avec rage, une énorme bête s'extirpait du mur droit du temple.
Grisâtre et irrégulière, la peau de la créature semblait avoir été sculpté dans l'écorce rocheuse des arbres pétrifiés. Ses cris de colères faisaient vibrer l'air et la pierre tandis que ses griffes, recourbées comme des faucilles, labouraient la terre. De son dos saillaient plusieurs branches torturées, toutes terminées par une lanterne en ferraille. Lorsque, dans un ultime effort, la chose parvint enfin à se libérer de sa prison de briques, elle se dressa sur ses pattes arrière pour pousser un long hurlement en direction du ciel. Si la forme de son corps évoquait celle d'un chien ou d'un loup, sa gueule, remplie d'échardes en guise de crocs, devait bien en faire le tiers. Un gardien zélé, long de vingt pieds pour sept de haut. A peine était-il retombé qu'il ouvrait déjà ses puissantes mâchoires, pour vomir une fumée noire aussi épaisse qu'opaque. Le nuage se propagea à une vitesse fulgurante, emplissant la clairière toute entière en quelques secondes seulement. Il avait déjà dépassé les épaules du héros, et ne cessait de monter...
- Sonara, fuis ! Vociféra-t-il tout en se creusant les méninges à la recherche d'une solution pour la protéger.
- Ce n'est pas pour moi qu'il vient... Et tu le sais.
Une lueur désapprobatrice dansait dans son regard. L'instant suivant, son visage était englouti par une purée de pois d'un noir d'encre. Non sans avoir pris une dernière bouffée d'air frais, Skaldr plongea à son tour dans les ténèbres. Le Vent emplissait ses poumons. A tel point qu'il pouvait sans doute s'abstenir de respirer pendant plusieurs minutes. Du moins, il fallait l'espérer. D'un ample coup d'épée, le guerrier dissipa le brouillard noir... Pour voir que le chien de pierre bondissait vers lui. Une fraction de seconde plus tard, la fumée avait repris ses droits, privant le héros failli de ses yeux. Les griffes acérées de la créature passèrent outre la garde, mal assurée, de Skaldr, pour lui labourer le torse. Laissant échapper un grand cri de douleur, il se vit repousser sur plusieurs mètres, laissant dans son sillage une traînée sanguinolente aussitôt happée par les volutes sombres. Le Vent, protecteur, s'affairait déjà autour de ses plaies pour les refermer... D'un bond, l'épéiste se remit debout, et tenta de se préparer à la prochaine offensive du mieux qu'il pouvait. S'il dissipait la fumée avec ses pouvoirs au mauvais moment, la créature en profiterait pour se jeter sur lui. Soudain, il aperçut fugitivement cinq lueurs pâles, au travers du rideau obscur. Les lanternes ! Plongeant à terre, Skaldr sentit la patte rocheuse de la bête effleurer son crâne. Tout en effectuant une roulade, il frappa la fumée devant lui, là où il devinait être son adversaire. La lame cogna la pierre avec une telle violence que le choc se répercuta jusqu'à l'épaule de l'épéiste, qui faillit en lâcher son arme de douleur. Insensible, le chien de garde laissa retomber ses deux pattes avant sur sa proie, la plaquant contre le sol. Un craquement funeste retentit. Malgré la fumée, le pauvre humain put voir le museau pointu du monstre se rapprocher lentement de sa gorge... Mu par un drôle d'instinct, Skaldr fut le premier à ouvrir la bouche, poussant un hurlement d'une puissance phénoménale. Surpris, le chien de pierre fit un grand bond en arrière. La tempête qui s'était s'échappée des lèvres du guerrier avait dissipé toute la fumée, ne laissant en vie que quelques volutes éparses, lesquelles ne tardèrent pas à s'évanouir à leur tour. Les poumons vide de Vent, Skaldr se redressa, maculé de son propre sang. Resserrant sa prise sur son espadon, il cracha rouge sur la large lame.
- Plus qu'à trouver comment le blesser.
Face à lui, le gardien ouvrait la gueule en grand. De minces filets noirâtre commencèrent à s'en écouler...
-Pas encore non ! Comme si j'allais te laisser le temps de...
Ignorant son corps brisé qui lui hurlait de s'arrêter, il se mit à courir vers son adversaire. Cette fois-ci il ne pouvait compter que sur lui même et sa force brute. D'un saut prodigieux il se retrouva sur le crâne du canidé, qu'il cogna de toutes ses forces. Avec un glapissement de surprise, le monstre se vit contraint de refermer ses mâchoires et fit mine de basculer. Hélas, il parvint à ancrer ses serres dans la terre, résistant ainsi à l'appel pourtant impérieux de la gravité. Un grondement furieux s'échappa de sa gorge, annonciateur de l'explosion de violence à venir. Alors, il rua. Pendant d'interminables secondes, le chien de pierre s'agita dans tous les sens, se retourna, bondit contre les murs du temple, tout en poussant une véritable symphonie de pure colère. Les bras refermées autour d'une branche épaisse, Skaldr tenait bon, le visage déformé par un rictus de souffrance. Il sentait chacune de ces secousses vibrer jusqu'au plus profond de ses os... Mais il n'était pas le seul à en pâtir. Chaque fois que le monstre se jetait contre un mur ou un arbre, sa carapace gémissait et se craquelait. Skaldr serra les dents. S'il pouvait encore attendre un peu, l'ennemi serait suffisamment affaibli pour... Déséquilibré par une dernière ruade, plus violente que les autres, il se vit désarçonné et rencontra le sol avec plus de violence que jamais. A peine remis, une ombre massive le couvrit. Roulant vivement sur le côté, il évita une gueule remplie de poignards, avant de profiter de cette ouverture pour se redresser, difficilement. Pantelant, il n'en menait pas large. La moindre de ses respirations lui fichait des lances dans la poitrine. Hurlant et crachant, le chien de pierre se jeta sur sa proie. Le guerrier à l'espadon pivota souplement. Les crocs effleurèrent son torse. Terminant son mouvement, le héros déchu abattit son énorme lame droit sur l'épaule de la bête. La roche, déjà fissurée, vola littéralement en éclat. Avec un feulement discordant, le monstre gardien s'écroula sur le côté, exposant un large pan de chair incandescente... Avec un rire victorieux, Skaldr y plongea toute entière son épée, faisant taire à jamais le chien maudit.
La fatigue accumulée ces dernières heures le faucha soudainement. Vidé, le héros se laissa tomber sur les genoux. Les bras croisés sur la garde de son espadon, il respirait profondément. Bientôt, il sentit à nouveau la présence du Vent revenir en lui... Sa douce caresse ne tarda pas, accompagnée d'une délicieuse exaltation. Bientôt, les os brisés se ressouderaient et les plaies se refermeraient. Plus vivant que jamais, Skaldr se dirigea en chancelant vers les immenses battants noircis. En haut de la volée de marche, l'attendaient Sonara et une autre femme, vêtue d'une ample robe rouge. Ses cheveux blonds, si pâles qu'ils en paraissaient blancs, étaient maintenus par une magnifique couronne d'or, ouvragée pour évoquer une flamme ondulante. Alors qu'il gravissait les escaliers, le jeune homme fut frappé par la beauté pure de la prêtresse, qui le fixait intensément, les yeux mi-clos. Lorsqu'elle ouvrit la bouche, elle chanta plus qu'elle ne parla :
- Fils du Vent, Héraut du Changement. Il est celui qui soufflera la Flamme... Ou l'attisera. Je te souhaite la bienvenue en ces murs, Monte-Vent. Entre.
L'intérieur du temple était à l'image de sa façade. Le noir dominait cruellement la couleur, et la même suie répugnante suintait des murs de pierre. Le sol en revanche, composé de dalles blanches, étincelait de propreté. La pièce principale démesurément grande, avec son haut plafond soutenu par de fines colonnes vrillées, dégageait une aura d'opulence. En son centre, sur un large autel d'obsidienne était posée une énorme vasque, suffisamment grande pour accueillir plusieurs personnes allongées. Un brasier rugissait en son sein. Malgré la chaleur étouffante qui se dégageait des flammes, Skaldr sentit un long frisson descendre le long de son échine. Autour de lui, s'affairaient des femmes habillées en rouge, toutes étrangement belles. Certaines entretenaient le feu, tandis que d'autres briquaient le sol ou murmuraient des psaumes dans une langue étrange. La prêtresse couronnée ne s’arrêta qu'au pied de la vasque dorée. Se retournant vers Skaldr et sa protégée, elle entrouvrit les lèvres, laissant s'échapper la douce mélodie qui lui tenait lieu de voix :
- Vous serez en sécurité ici, Dame Sonara.
D'un geste sec, elle fit venir une de ses sœurs. Après quelques mots échangés, la jeune veuve s'en fut avec cette dernière, sans un regard pour son sauveur. Sans véritablement savoir pourquoi il était aussi touché par sa conduite, Skaldr se détourna, une expression peinée sur le visage. Il sursauta en sentant une main délicate effleurer sa joue. Tout près de lui, la grande prêtresse le dévorait de son regard d'or.
- Monte-Vent... Suis moi.
Une lueur espiègle animait ses prunelles, ce qui manqua de déstabiliser le héros déchu. Un petit sourire satisfait flottant sur ses lèvres exquises, la jeune femme fit mine de se retourner. Vif comme l'éclair, Skaldr tendit le bras pour refermer sa main sur un poignet si fin qu'il aurait pu le briser en serrant le poing. Sa voix était glaciale lorsqu'il parla :
- Pourquoi m'appelles-tu ainsi ?
- Ne sois pas impatient, l'Oracle répondra à toutes tes questions. Suis moi, répéta-t-elle, avec bien plus de fermeté.
C'était un ordre cette fois-ci, et à croire l'expression de la prêtresse, elle ne tolérerait aucune insubordination. Son sourire avait disparu, et désormais elle le fixait d'un air sévère, les lèvres pincées et les sourcils froncés. Conscient que jouer les rebelles ne le mèneraient nulle part, - il avait déjà failli mourir bêtement en refusant de suivre les règles du pèlerinage - Skaldr acquiesça docilement avant d’emboîter le pas à la jeune femme. Elle le mena derrière l'autel, où un petit escalier s'enfonçaient dans les entrailles du temple. Lorsqu'il se figura n'être qu'un agneau que l'on menait à l'abattoir, il émit un faible ricanement.
Ils débouchèrent dans une vaste salle carrée, éclairée par quatre braseros - un dans chaque coin. Skaldr laissa échapper un hoquet de stupeur et eut un mouvement de recul en voyant l'occupant des lieux. Assis en tailleur, l'être semblait être fait de lave en fusion, agglomérée autour d'un sommaire squelette d'obsidienne Lorsqu'il prit conscience de ses invités, l'Oracle tourna sa tête dépourvue de visage dans leur direction. Hormis les larges cornes noires qui saillaient de son crâne, la chose semblait tout à fait humanoïde. Avec une lenteur exagérée, l'Oracle fit signe au jeune homme d'approcher. Se penchant sur son oreille, la prêtresse lui susurra d'un ton moqueur :
- Tu n'as rien à craindre. Tu es un héros, non ?
D'une petite pression entre les omoplates, elle le poussa vers l'être incandescent avant de tourner les talons. L'esprit vaporeux, Skaldr s'avança finalement pour s'agenouiller devant l'Oracle, son espadon en travers des cuisses. La créature de magma eut un hochement de tête approbateur, avant d'écarter les bras, présentant ainsi ses paumes au plafond. Une douce chaleur parcourut le corps du guerrier errant, qui sentit presque aussitôt une vague de sérénité l'envahir. Lorsque enfin l'Incandescent consentit à parler, ce fut avec une voix bien trop grave pour appartenir à un humain. Un son d'un autre monde, qui résonnait autant dans la salle qu'elle vibrait à l'intérieur de la tête de Skaldr.Monte-Vent... Pose donc tes questions.Soudain, la douleur explosa. Hurlant à la mort, Skaldr plaqua ses mains sur ses tempes, dans une tentative futile de soulager ses maux. Une fournaise venait d'éclater dans son crâne, et il sentait des doigts crochus, plus durs que des pierres, lui en racler l'intérieur. La créature lui arrachait ses souvenirs et ses pensées pour s'en repaître... Skaldr crut mourir pour la millième fois quand le supplice s'arrêta enfin. Encore abruti par la souffrance, il ne réalisa pas tout de suite qu'il s'était écroulé sur le dos, le corps agité de spasmes violent. Insensible à ses convulsions frénétiques, l'Oracle commença :Cet être maudit qui a détruit ta vie, pas un seul instant ne t'a menti.
Banni par l'être qui lui avait donné la vie, dévoré par sa propre folie, ne cherchait que l'absolution...
Aveuglé par ses propres démons, il crut pouvoir obtenir le pardon,
Par le meurtre de l'élu qui menace son maître.
La prophétie des Monte-Vent, capables de plier l'air et les tempêtes à leur volonté :
"Fils du Vent, Héraut du changement.
Marqué par les Cieux et haï du Feu.
Il est celui qui soufflera la Flamme... ou l'attisera."
Pauvre humain, empêtré dans les fils du destin.
Puisse-t-il ne jamais désirer la liberté dont il est à jamais privé.
Étendu sur le sol, les bras en croix, Skaldr éclata de rire. C'est donc ça ses réponses ? Une prophétie fumeuse dont il serait le héros ? C'était risible... Il n'avait même pas réussi à sauver un petit hameau de la destruction. Mais après tout... N'était-ce pas la seconde chance dont il rêvait tant ? Pouvait-il être le héros qui libérerait le monde de l'emprise ardente de l'Igné ? L'espace d'une pensée, il s'abandonna à l'espoir et crut en lui. Une pensée bien courte... Des visions de cadavres déchiquetés et de ruines calcinées dansèrent à nouveau devant ses yeux et il s'affaissa.
- Non... Souffla-t-il.
Une petite brise accompagnait sa réponse. Glaciale, elle s'écrasa contre le tas de magma qui lui faisait face. Elle était si froide... En un instant l'être incandescent s'était changé en pierre. Aussitôt, des cris affolés commencèrent à s'élever un peu partout dans le Temple. Lorsque Skaldr remonta dans la salle principale, il constata que la vasque dorée était désormais vide. Une pénombre angoissante avait pris possession des lieux, laissant les sœurs dans un état de panique totale. Telle une furie, la prêtresse couronnée fondit sur lui en hurlant et crachant, ses petits poings serrés et ses traits délicats déformés par la peur et la rage.
- Qu'as tu fait ?! Oh créateur, qu'as-tu fait ?!
Interdit, le faux héros la dévisagea pendant de longues secondes avant de lui tourner le dos, insensible à tout ce qu'elle pouvait dire.
Skaldr venait tout juste de quitter le Temple Noirci quand il entendit une voix familière retentir derrière lui, parmi les lamentations et les imprécations des religieuses. Sonara courait dans sa direction, en relevant sa robe pour ne pas trébucher dessus.
- Ne me laisses pas ici, Skaldr ! Je t'en supplie, laisse moi venir... Tu dois me protéger... Sanglota-t-elle en s'effondrant sur lui. Je suis désolée, tellement désolée d'avoir été si odieuse, je...
- Tu n'as rien fait de mal, chuchota le jeune homme. Je jure que je te protégerais.
Un sourire chaleureux illuminait le visage du chevalier servant. Ces ridicules histoires de prophétie étaient déjà oubliées. Avec délicatesse il souleva la jeune femme de terre et laissa le Vent emplir son être tout entier. Alors il courut, loin du funeste monument. Et loin de son destin.
Dernière édition par Gear 2nd le Sam 30 Avr - 21:36, édité 4 fois
Re: Topic du M-I Jump
- Sous couverture:
- Sous couverture
Je m'appelle Susan Calvin. Ou comme mes amis aiment m'appeler : Le docteur Calvin. Un surnom en temps normal évocateur, sauf que je ne suis pas médecin. A l'opposé, mon travail consiste à façonner la vérité. A l'inventer, la modifier, en gérer les subtilités, les points de vue. Puis finalement la coucher sur une feuille de papier.
Je suis écrivain. De celles que l'on adule à la sortie d'un nouveau livre, de celles qui reçoivent des compliments saupoudrés de "Je n'ai encore jamais vu personne décrire les émotions comme vous !".
Je crois même avoir vu passer mon nom quelques mois auparavant dans les médias, associé au titre bizarroïde de "meilleure écrivain et psychologue de la condition humaine" ou quelque chose comme ça. Un joli titre, probablement soufflé par mon manager pour faire vendre un peu plus. Mais ce titre n'est pas mérité.
Non, pas encore.***
Relisant ces lignes, les dernières écrites par le Docteur Calvin dans son journal intime, Richard posa une énième fois sa question à voix haute :
- Toujours pas de nouvelles de Susan Calvin ?
- Richard, Tu me le demandes chaque jour. Tu ne penses pas que je serais heureuse de t’en donner pour enfin avoir la paix ?
- Si, surement mais...
- C'était rhétorique.
- Ah...
L'homme fronça les sourcils. Pas vraiment ravi de s'être fait parlé ainsi, le dénommé Richard quitta la pièce dans un soupir. Voilà déjà 1 mois que sa poule aux œufs d'or avait disparu de la circulation. Susan Calvin, l'écrivain préférée aussi bien de la ménagère moyenne que de l'avocat gripsou, était partie un jour en laissant pour seul mot à sa famille une note qui disait "Je reviens, ne vous en faites pas".
La police avait bien évidemment été mise sur le coup mais les recherches s'étaient révélées vaines, elle était introuvable. Après délibération, l'affaire n'avait pas été rendue publique pour ne pas affoler les - nombreux - fans de Susan Calvin.
Son manager était dans le désarroi le plus total, son public demandait sans cesse des nouvelles d'un nouveau livre, et le patron de Richard, son responsable éditorial, lui mettait sans arrêt la pression pour trouver quelque chose à balancer en pâture de la première page. Leur journal reposait en grande partie sur son partenariat d'exclusivité avec l'écrivain, et cette situation avait drastiquement fait baisser les ventes. Il avait fallu un bouc émissaire en l'absence de Calvin, et Richard en avait fait les frais.
Il admirait cette femme; son état d'esprit aussi bien que son travail. Au-delà de la crise qu'apportait cette disparition dans son travail, il s'inquiétait de plus en plus, comme tout le monde. L'esprit de cette femme n'était pour le moins pas banal, comme si il fonctionnait différemment. Elle était la meilleure pour comprendre la psyché, pour émuler les comportements humains dans ses romans. Richard tapa du pied comme un enfant boudeur. Mais où diable pouvait se trouver cette personne à l'heure actuelle ?***
« Tenez monsieur, voilà de quoi déjeuner. »
Le sans-abri à qui était destiné cette phrase leva ses yeux à demi clos vers l’homme en costume qui venait de faire tomber un billet dans son assiette. Ce dernier n’avait pas bougé, fixant intensivement le clochard.
- Merci, monsieur. Articula difficilement l’homme assis par terre, se penchant en avant.
Un sourire apparu sur les lèvres de l’étalon qui quitta aussitôt les lieux, se rendant probablement à son travail de démarcheur ou de spéculations boursières.
- Encore un qui a fait sa B.A pas vrai ? Cracha l’homme à voix basse.
- Tu l’as dit Lowne. A croire que rien ne fait mieux démarrer leur journée que d’aider quelqu’un et d’en être copieusement remercié. Lui répondit la femme avec qui Lowne partageait un drap.
- Haha, comme tu dis. Mais moi, ce qui ferait démarrer ma journée, ça serait de gagner aux courses aujourd’hui, grogna l’homme en se levant péniblement, enfilant ce qui avait pu un jour ressembler à des chaussures Weston. A tout à l’heure Jessica, ramasse-nous de quoi goûter leurs bagel au coin de la 43ème, ils ont l’air géniaux.
- Je ferais de mon mieux ! Lui répondit l’intéressée en souriant, les yeux marqués de cernes.
La dénommée Jessica n’en était pas au premier jour de son « isolation sociale » comme elle aimait à appeler sa situation. Depuis quelques temps déjà elle vivait au crochet de la générosité des passants et des bons conseils de Lowne, qui était sans-abri depuis bien plus longtemps qu’elle. Il connaissait tous les petits trucs. L’inclinaison de la tête à avoir pour ne paraître ni agressif, ni trop suppliant. Adopter un visage à moitié mort mais sans montrer de signes d’alcoolisme. Afin que les généreux donateurs ne se sentent pas refoulés à l’idée de donner de l’argent, pensant qu’il n’aurait pour autre but que d’apporter plus d’alcoolisme. Être à deux, pour montrer une entraide profonde entre deux personnes de la même situation. Lowne avait de la bouteille dans le milieu, si on peut dire.
Elle ne savait pas grand-chose sur lui. Et lui ne savait rien sur elle. Elle était venue le voir un jour en lui demandant si elle pouvait s’installer là, et il lui avait répondu : « Ma couverture est trop grande. Mon nom c’est Lowne. Enfin, c’était le prénom du héros préféré de mon fils, mais c’est cool quand même. » Elle lui avait aussi donné un nom de code, « Jessica », pour laisser planer le mystère entre eux deux. A sa réponse, elle avait compris de quoi il en retournait. Lowne était surement tombé dans cette situation à la mort de son fils. Une mort accidentelle car ses yeux ne brûlaient ni de rage, ni de culpabilité. Ils étaient éteints, un bon indicateur de l’amour qu’il avait pour lui, et de la douleur permanente qu’il ressentait en tentant de s’oublier et d’oublier le monde, ici. Sur le sol.
Pourtant malgré ce qui se cachait dans le regard de son compagnon, il tentait souvent de la faire rire, avec des blagues miteuses. Il se fichait de savoir qui elle était, pourquoi elle était là. Jessica avait estimé qu’il s’agissait là de sa gratitude envers elle, pour n’avoir rien demandé de son passé jusqu’à maintenant. La seule discussion qu’ils avaient un jour eu autour de ce sujet, c’est lorsqu’il lui avait confié sous l’effet de l’alcool que ses regrets lui avaient donné une impression bizarre. Celle d’avoir quelque chose de brisé en lui.
- Peu importe, nous avons tous quelque chose de brisé en nous. Lui avait alors répondu Jessica.
Avant qu’il ait eu le temps de répliquer, elle lui avait souri puis avait continué : « D’ailleurs, j’espère que le camion de la 36ème a des œufs à briser, je mangerais bien une homelette. »
Les yeux ronds, Lowne avait alors pouffé, avant de partir dans un grand éclat de rire. L’humour noir était leur seul passe-temps et réconfort.
Aucun des deux ne se satisfaisait de cette vie, évidemment. Mais Jessica était contente d’avoir pu apporter sa compagnie à Lowne, il était dans un bien meilleur état depuis sa venue. Il riait plus souvent, avait plus d’ambition quand à quoi manger, et parlait même rarement de se reprendre en main, et qu’il deviendrait président avant sa cinquantaine. Elle lisait dans ses yeux qu’il pensait moins souvent à son fils, et c’était mieux ainsi. Elle n’avait pas eu pour but de lui redonner l’espoir en venant vers lui, mais elle était heureuse d’y arriver tout de même. Après tout, elle n’était pas devenue clocharde par fatalité. Elle l’avait choisi.
Le lendemain, - après une double tournée de bagels au jambon suite à un tiercé chanceux – Jessica eu le premier cas concret sur lequel elle voulait travailler. Une femme les avait approché, son bébé dans les bras, et les avait regardé d’un air dégoûté. Son mari se trouvait à ses côtés. Elle semblait tiraillée entre l’envie de passer son chemin, et de leur crier dessus, sans raison apparente. Cette dernière envie sembla prendre le dessus.
- Vous n’avez pas honte de montrer ça à nos enfants et au reste des gens ? Deux pauvres gens qui s’emmitouflent dans une couverture à la vue de tous, vous croyez que c’est une bonne image à donner de notre ville ? Vous ne cherchez même pas un travail et vous contentez de vivre au crochet des honnêtes gens, qui eux suent tous les jours, et vous leur volez leur nourriture ! Je n’ai pas l’habitude d’être méchante par opportunisme, mais sachez que je trouve cela scandaleux !
Un air de résignation et de « mais qu’est-ce que je fais là » était apparu sur le visage de son mari.
Pour elle cependant, c’était un air à la fois de ravissement suite au courage dont elle avait fait preuve, et de satisfaction d’elle-même qui apparut. On y lisait qu’elle était sûre d’avoir vu juste, et d’avoir raison. Elle s’apprêtait à partir avant que Jessica ne prenne la parole, après avoir jeté un coup d’œil furtif à un Lowne déconfit.
- Merci de nous donner votre avis Madame, il compte beaucoup. Si vous souhaitez bien m’accorder un peu de votre temps et garder votre argent dans votre poche, je vais vous répondre. Tout d’abord, comment pouvez-vous vous permettre d’imaginer une situation dans laquelle vous n’avez visiblement jamais mis les pieds ? Vous vous complaisez à donner des leçons tout simplement parce que vous n’avez trouvé plus faible que vous nulle part ailleurs, n’est-ce pas ? Jessica continua de fixer la femme, qui perdait peu à peu son assurance, dans les yeux. Il est bien aimable à vous, continua-t-elle, de souhaiter nous donner conseil pour ne plus être le fardeau que nous semblons représenter pour vous. Mais avant de vouloir juger autrui, je vous conseille de dire à votre mari ce qu’il soupçonne déjà, à savoir qu’il n’est pas le père de cet enfant que vous tenez dans vos bras. Cette discussion pourra peut-être vous éviter de vous retrouver à notre place, vous ne croyez pas ?
Le visage de la jeune femme avait viré au blanchâtre. Elle n’avait probablement pas escompté ce déroulement de situation.
- Mais, comment osez-vous ? C’est faux chéri! Mon, mon, mari est un homme influent et vous… Balbutia-t-elle.
- Occupé oui, vu que vous le trompez. Influent… Je ne sais pas, comme vous nous l’avez si gratuitement fait remarquer, nous n’avons pas grand-chose à perdre. Donc nous menacer avec l’influence d’un homme que vous avez de surcroît trahie n’est pas une si bonne idée. J’en profite pour vous dire qu’il sait aussi qui est le père, un de ses amis apparemment, continua Jessica en fixant celui-ci dont le visage était décomposé mais résigné. Quel dommage que vous ayez cru impératif de vouloir nous donner une leçon avant de vous regarder dans le miroir et de supporter vos propres faiblesses. J’en profite pour terminer et dire que cette personne que vous avez regardé avec tant de mépris, mon ami Lowne, est quelqu’un de mille fois plus fiable, intéressant et digne de confiance que vous. Imaginant la prétendue honte que vous éprouvez suite à cela, je mais m’arrêter ici.
Lowne avait ouvert des yeux ronds.
La bouche formant un grand O, il se tapa sur le crâne pour s’assurer du caractère réel de la situation.
- Comment osez-vous ? Répéta la femme paniquée. Chéri je t’assure que…
- Tais-toi Isabelle, tous les trois savons que cette femme a dit la vérité. Ce que toi tu ne sais pas, par contre, c’est que la procédure de divorce est déjà engagée. Le bébé et la maison sont à moi. On se reverra pour signer les papiers.
Prenant le bébé dans ses bras, il tourna les talons en jetant un regard de gratitude énigmatique à la jeune femme, non sans avoir versé un copieux billet de cent dollars dans l’assiette sous les yeux encore plus ébahis de Lowne.
Jessica se sentait un peu honteuse d’avoir laissé libre cours à sa colère, mais pour la première fois de sa vie, elle ne le regretta pas. Elle adressa un sourire à la femme toujours figée avant de lui demander d’un ton qui n’attendait pas de réponse :
- On vous fait une place ?***
- Tu m’as é-pa-té ! S’écria Lowne, debout et les yeux grands ouverts. Comment t’as fait ça ? T’es une voyante c’est ça ? C’est trop incroyable ça !
- Je n’aurais pas dû aller aussi loin, c’était presque de la persécution à ce niveau-là et…
- Arrête de dire n’importe quoi ! Tu l’as remise à sa place cette fille ! Ce n’est pas donné à tout le monde, et d’ailleurs, merci…
Il s’empourpra avant de continuer :
- Merci de m’avoir défendu. Ça m’a fait du bien, après ce qu’elle avait dit.
- Pas de quoi partenaire, c’est normal, répondit Jessica en esquissant un sourire.
Voyant le regard toujours insistant de Lowne, elle continua en soupirant :
- Je suis une personne qui comprend plutôt bien… Les gens. Mes parents appelaient ça le mentalisme, une faculté qui permet de lire dans les pensées, plus ou moins, de savoir des choses.
- Jessica, c’est… Wouaw. Mais alors c’est… Attends... Tu sais pour mon fils ? Demanda-t-il avec une pointe d’angoisse dans la voix.
- Oui Lowne, j’ai deviné. Excuse-moi, j’aurais dû t’en parler plus tôt.
- Non. Ne t’inquiète pas, je comprends. Mais tu m’épates vraiment Jessica !
- Pour t’avouer la vérité, je ne m’appelle pas non plus Jessica. Mon nom est …
- Suzan Calvin ? Madame Calvin ? C’est vous ? S’écria Richard qui passait non loin de là.
Les deux personnes se dévisagèrent pendant plusieurs secondes. Chacune d'entre elle servit à Suzan pour décrypter son interlocuteur et lui servir le mensonge qu'il serait le plus à même de croire. Après quelques secondes supplémentaires cependant, elle y renonça. La raison ? Elle avait lu dans ses yeux que le plaisir de la savoir vivante et en bonne santé prédominait sur tout le reste. Son travail, ses articles, sa carrière...
- Bonjour Richard. Répondit l'écrivain, avec un sourire chaleureux. Je ne m'attendais pas à vous voir dans cette ville. J'avais pris soin de mettre de la distance pourtant.
- Je... J'allais rendre visite à ma sœur en fait, qui habite dans cette ville. Jamais je n'aurais cru, je pensais... Pourquoi êtes-vous là, par terre ? Vous... ? Vous allez bien ?
Ce dernier avait l'air le plus béat qu'il ai été donné de contempler à Suzan. Même le regard de Lowne quelques minutes auparavant n'était pas aussi profond. Elle sentait sa détresse, son ineffabilité à s'expliquer la situation, telle qu'il n'arrivait pas à articuler une phrase cohérente. Pour la première fois, elle était celle qui se sentait dévisagée. Elle se sentait profondément analysée par une personne qui aurait dû être simplement étonnée de la trouver ici. Qui l'aurait forcé à la première vue à rentrer chez elle pour le besoin des lecteurs. Suzan était perdue dans ses pensées.
- Hey beau gosse, vous auriez quelque chose à nous donner ? Bah ouais, vous vous êtes arrêté pour nous secourir non ? Merci mon grand monsieur, vous êtes si aimable.
- Euh oui, bien sûr monsieur, répondit Richard pris au dépourvu par un Lowne manifestement à l'aise, en recadrant ses yeux vers lui.
- Merci beauc... Un bifton de 100 ????
Il y avait maintenant 3 personnes qui se dévisageaient avec la plus grande incrédulité du monde. Enfin, Lowne dévisageait le billet dont la somme dépassait ce qu'il récupérait en général sur un mois entier. Le docteur Calvin fut la première à reprendre ses esprits et à briser cette situation grotesque.
- Bon. Cette situation étant un peu gênante, je vais vous dire la vérité Mr Richard. Je travaille sur un nouveau projet de roman, différent. Je comptais revenir, soyez en sûr. Seulement, j'ai besoin que vous me laissiez un peu plus de temps avant d'avertir les médias de ma situation, je vous prie.
- Un, un nouveau roman ? Répéta bêtement Richard sans avoir fini de balbutier. Ici ?
- C'est exact. Je cherche à mieux comprendre les gens.
- Mais vous êtes Suzan Calvin, la meilleure écrivain et également la meilleure pour la cohérence de vos descriptions pour la condition humaine, tout le monde le sait ! Je ne comprends pas.
- C'est ce que l'on m'a toujours dit, oui. Ce sont tout d'abord mes parents qui m'ont élevé avec la pensée que j'étais extraordinaire. Que je réussissais tout ce que je voulais. Je pouvais manipuler les gens aussi, et ils ne m'en empêchaient même pas. Ils trouvaient que c'était un don du ciel. J'ai beaucoup lu dans cette période, pour me documenter, mais également pour vérifier ce qu'ils me disaient. Effectivement, je n'ai jamais lu de description des sentiments meilleure que celles que j'était capable de m'en faire. C'est pour ça que je suis devenue écrivain, pour montrer aux gens ce que je pensais, je voulais leur donner quelque chose que, je pensais, ils n'avaient jamais pu lire auparavant. Mais en me levant un matin, j'ai compris à quelle point j'étais arrogante. Je n'avais jamais essayer d'aller au-delà de ce que je savais faire.
J'ai passé ma vie cloîtrée dans le luxe et dans les livres, à apprendre les gens et la vie. Mais la vie, je ne la connais vraiment que depuis que je suis ici, par terre avec mon ami Lowne, à demander aux gens leur générosité. Cette générosité que tous m'ont toujours montré depuis ma naissance, celle qui disparaît en enfilant de vieux vêtements et en s'asseyant par terre dans une rue. J'ai observé les gens, le dégoût, le sens du devoir, la honte, la colère, le mépris. Aucune autre posture ne permet mieux d'étudier la perception et les émotions des gens. Des vraies personnes. Voilà ce que j'ai choisi de raconter dans mon prochain livre.
Le pauvre Richard était une nouvelle fois de plus bouche bée. Quelle déclaration incroyable, il ne l'avait jamais soupçonné et voyait tout à présent aussi clairement que de l'eau de roche. La femme qu'il aimait et qu'il trouvait déjà parfaite lui apparut à cet instant comme un véritable ange. Comme la seule femme qu'il aimerai jamais. La seule qui méritait tout le bonheur du monde. Mais ce ne furent pas les paroles qui sortirent de sa bouche.
- Eh ben Jess. Un petit bout de femme comme toi, je n'aurais jamais jamais pensé ça. Toujours est-il qu'avec un bifton pareil, on va se faire un festin ce soir !
- Tu n'as vraiment rien d'autre à me demander Lowne ? Je suis sincèrement désolé de ne t'avoir jamais révélé la vérité, je...
- T'inquiète je te dis, pas de ça avec moi ! Par contre ouais, j'ai bien une idée. Si jamais pas hasard tu veux faire un super personnage super cool dans ton livre là, qu'il s'appellerait Lowne, bah je dirais d'accord !
- C'était déjà prévu, souria la susnommée Jess.
- Je vous admire sincèrement, madame. Reprit Richard. Je comprends tout à fait, et je ferais un point d'honneur à ne rien révéler à personne. Je vous souhaite bon courage. Je vous remercie d'avoir partagé tout cela avec moi. Il tourna les talons et commença à s'éloigner.
- Richard, attendez ! Ce dernier se retourna, étonné. C'est moi qui dois vous remercier, pour votre gentillesse et votre altruisme. J'accepterais avec plaisir ce restaurant que vous n'avez pas osé me proposer lorsque je reviendrais. Et autre chose pour votre éditeur. Le moment venu, vous pourrez lui donner le nom du livre.
"Il s'appellera Sous couverture."
Re: Topic du M-I Jump
Bonjour tout le monde ! Voici le Jump numéro 10 en chair et en texte !
Je vous souhaite une excellente lecture à tous, et n'oubliez pas d'aller voter pour votre texte favori dans les Discussions du MI-Jump
Merci beaucoup aux auteurs
Je vous souhaite une excellente lecture à tous, et n'oubliez pas d'aller voter pour votre texte favori dans les Discussions du MI-Jump
- Chroniques des temps passés:
- Chroniques des temps passés
Chaque vie connaît deux actes inéluctables : la naissance et la mort. Ces événements, espacés d'une durée plus ou moins longue suivant les différents êtres, sont certainement les faits les plus immuables de toute la création. A cette règle naturelle il n'existe, à ma connaissance, qu'une seule exception : ma personne. Depuis des millénaires que j'erre sur la terre, que j'explore les continents, contemple l'apparition des pays et prenne part à la chute de leurs empires, durant toutes ces années je n'ai jamais entendu le sinistre glas tinter.
Le temps s'est figé lors de ma trentième année et depuis ce jour mon corps n'a plus vieilli. Je ne sais ce que je suis ; mon apparence est pourtant semblable à celle des autres hommes, pourtant une unique différence m'isole du reste de l'humanité : mon immortalité. Temps, maladie, blessure fatale, aucun des maux qui touchent les autres corps ne m'affectent.
Ainsi il me faut écrire mon histoire... mes histoires. Toutes mes vies, toutes ces parcelles de ma très longue existence qui s'effacent peu à peu de ma mémoire : Je me souviens avoir admiré les jardins suspendus de Babylone sans me rappeler où les retrouver ; je me souviens avoir contemplé la pyramide de Khéops se construire sans me rappeler si mes mains avaient pris part à l'ouvrage ; je me souviens avoir vu Carthage en proie aux flammes sans me rappeler si je pleurais ma cité ou si j'honorais sa chute. Et ce visage qui harcèle mon esprit en permanence, un visage dont j'échoue toujours à me remémorer le nom...
Avec le temps ma mémoire se voile peu à peu d'un rideau de fumée ; il me faut graver mes vies pour qu'elles ne disparaissent pas. J'écris à présent les chroniques des temps passés.L'immortel Fantassin
Deux ombres dansaient au milieu des nuages, étranges prophètes de la guerre. Les corbeaux s'affrontaient, s'élevaient puis fondaient l'un sur l'autre, arrachant au passage des plumes noires qui virevoltaient jusqu'au sol. J'observais, du haut de la colline où je me tenais, ces sombres fragments d'existences tomber lentement dans une mer déchaînée.
Ces flots furieux terrifiaient les hommes autour de moi, bientôt nous plongerons au cœur même de cet océan sauvage et pour la plupart nous y noierons. Je ne ressentais pas la peur, la mort ne m'effrayait plus depuis longtemps déjà, mais un agréable sentiment naissait en moi : l'excitation. Si la vie m'était à jamais donnée ce n'était pas le cas des autres âmes qui s'envolaient au bout d'une poignée d'années, et savoir qu'une armée d'hommes allait s'éteindre faisait éclore en moi une délicate ivresse. Ainsi nous dévalâmes la colline au son des clairons et nous jetâmes à l'eau ; les premières ligne de notre bataillon s'écrasèrent contre les récifs ennemis tandis que des espadons s'évertuaient à les achever. Nous dûmes escalader les corps de nos compagnons, tombés quelques instants plutôt et qui n'avaient parfois pas encore succombés, afin de passer la muraille de boucliers qui nous faisait face et d'ouvrir un chemin pour les lignes arrières. C'est sur ce champ de bataille que ma légende débuta.
A cette époque je parcourrais les territoires d'Asie, découvrant des pays et des cultures qui m'étaient jusqu'alors inconnus ; c'est donc dans un climat de guerres incessantes que j'atteignis la Chine. Elle n'était pas encore unifiée, et les différents Etats s'affrontaient perpétuellement pour étendre leurs provinces et leur influence. J'avais déjà combattu de nombreuses fois et tuer ne m'effrayait pas, cela au contraire m’enivrait. Ainsi, c'est tout naturellement que je m'engageai dans une armée de civils afin de mener bataille. Pour quel trône me suis-je battu, je l'ai oublié, mais je me souviens des visages horrifiés qui m'observaient me relever inlassablement, même après avoir eu la tête arrachée ou le torse percé de dizaines de trous ; délicieuse sensation que de les voir lâcher leurs armes, fuir et se faire lâchement exécuter par derrière.
Bientôt le nom du fantassin immortel résonna sur tous les lieux des combats, comme pour toutes légendes celle-ci connut quelques déformations qui me donnèrent parfois des apparences monstrueuses ou titanesques ainsi qu'une force surhumaine, mais tout cela me plaisait. J'aimais aller sur le champ de bataille et découvrir le désespoir de mes ennemis lorsque mon identité était révélée. Je changeais plusieurs fois d'Etat, parfois au cours même d'une guerre je décidai brusquement de retourner mes armes contre ceux qui auraient dû être mes alliés. En cette période, seul tuer m'intéressait et peu m'importait le sang que je faisais couler. Étonnantes sont les identités que j'endossais au cours de mes vies, je fus tantôt un simple meurtrier avide du crime, tantôt un prêtre ou un homme répandant le bien autour de lui. Néanmoins, la Chine ne connut de moi que mes insatiables envies sanguinaires.
Entré dans l'océan de soldats il ne fallut pas longtemps avant que ma lame ne s'enfonce dans la chair d'un homme ; cet homme à qui je venais pourtant d'ôter la vie, je ne sus jamais son nom, je ne vis pas même son visage. Terrible machine qu'est la guerre, où les êtres sont broyés dans le bruit assourdissant de la mort ambiante. Cette machine, elle ne s'arrête pas tant qu'il reste quelque chose à écraser, elle ne s'arrête pas avant que tout ne soit trépas. Malheureusement pour elle, je me relevais toujours.
J'aimais tuer, mais j'aimais tout autant ressentir la douleur froide que procure le tranchant d'une lame glacée, c'était cette morsure, parfois intenable, qui me faisait parcourir les champs de bataille. C'était cette morsure, souvent intenable, qui me faisait me sentir vivant.
Je pénétrais peu à peu les lignes ennemies et affrontais les innombrables vagues à l'écume rougissante qui s'écrasaient contre moi. Je fus terrassé de nombreuses fois, mais je me relevais toujours - est-ce encore bien utile de le préciser. Mon immortalité et mes trahisons répétées me firent être activement recherché dans de nombreux Etats, c'est pourquoi au cours des trois cents années où je vécus en Chine, durant presque toute la période des Royaumes combattants, je ne pus vivre sans l'épée. Les rares temps pendant lesquels je m'éloignais des combats et du sang, ces derniers venaient directement à moi, certains appelleraient ceci une destinée.
Je m'enfonçais toujours plus profondément dans les abysses sanglants jusqu'à atteindre le cœur des forces ennemies, le reste de mon armée se faisait massacrer loin dans mon dos, mais je m'en moquais. Non, plutôt cela m'amusait, les simples hommes ne devraient pas prendre la guerre comme une farce ou une épreuve dont on peut espérer réchapper indemne. Mon corps était parcouru par une multitude de lames, si bien que chaque mouvement provoquait en moi une exquise douleur, mes yeux étaient brûlés par le sang qui coulait depuis mon front et pénétrait mes orbites, mais je continuais à avancer, fauchant au passage les âmes qui se trouvaient à ma portée sans vérifier si j'atteignais véritablement mes cibles. Mon regard était figé sur cet homme qui paraissait immense sur son cheval massif et noir... le général ennemi.
Il dirigeait l'ensemble des soldats, il était comme Poséidon contrôlant les flots, durant un court instant une admiration étrange naquit en moi, ce pouvoir, celui de décider de la vie ou de la mort de tant d'hommes, me semblait plus grand encore que ma pauvre immortalité, il avait la vie de milliers d'êtres entre ses mains, il pouvait disposer d'eux à son bon vouloir, en comparaison mes misérables moqueries, faussement supérieures, sur la condition des simples hommes me semblaient pathétiques... Un surprenant frisson sillonna mon corps et me fit me ressaisir, après tout aussi, grand était son pouvoir il restait un mortel, je n'avais qu'à le tuer pour influer sur toute la bataille. Je me sentis à cette minute capable de renverser le monde entier. Je continuais d'avancer, me rapprochant toujours plus de cet homme qui était devenu proie, et je n'étais désormais plus qu'à quelques mètres de l'imposant équidé lorsque son cavalier me remarqua. Il ne fallut qu'un instant avant que sa puissante lance ne traverse mon torse en déchirant ma chair, faisant couler abondamment mon sang sur la terre déjà souillée. J'attrapai le manche de l'arme avant qu'il n'ait eu le temps de la retirer de mon corps et, profitant de sa position délicate, me jetai sur lui. Si j'ai oublié de nombreux faits au cours de cette bataille, je pense me souvenir encore longtemps de l'expression du général, ce mélange d’étonnement et de peur qui se grava sur son visage avant que je ne l’arrache de son tronc d'un coup d'épée.
Après la mort de leur commandant, les troupes ennemies se firent rapidement écraser par mon armée, mais tout cela ne m'intéressait plus. Je passai le reste de cette guerre assis sur le corps inerte de mon adversaire vaincu, observant sa tête que je tenais entre mes mains, mémorisant à jamais cet air effrayé par la mort proche. Sans doute le jalousais-je, j'avais triomphé mais, moi qui devais être le supérieur, me trouvais bien impuissant face au reste de l'humanité, voué à vivre éternellement. Alors que je lâchai finalement le crâne du défunt et me relevai, las, je remarquai à quelques pas de moi l'un des corbeaux aperçus avant que je ne plonge dans la mer d'hommes, le sombre goéland avait le bec plongé dans les entrailles de son adversaire, terrassé.
Je quittai la Chine lorsque la période des Royaumes combattants prit fin, même si les guerres n'allaient pas disparaître cela signifiait le début d'une nouvelle ère, et il me restait tant de lieux à découvrir, tant d'histoires à vivre dans l'éternité de mon existence. Ces guerres furent une partie plaisante de mes passés.
- Chapitre 3 : Le Jardin de Vie:
- Chapitre 3 : Le Jardin de Vie
Les cimes torturées n’étaient plus qu’une tâche floue dans le dos de Skaldr. Le souffle court, il ralentit le pas, calmant le Vent violent qui les avait transportés jusque-là. Avec moins de délicatesse qu’il ne l’aurait voulu, il déposa Sonara à terre avant de s’écrouler. Écrasé par la fatigue, il se traîna jusqu’à l’ombre d’un rocher rougeâtre en suffoquant à moitié. L’air était plus aride que jamais, et chaque inspiration lui donnait l’expression de se remplir les poumons de poussière. Sa conscience vacilla lorsqu’il vit le visage de sa protégée passer dans son champ de vision, un léger voile d’inquiétude habillant son regard. La gorge sèche, Skaldr ouvrit la bouche pour demander de l’eau avant de la refermer quelques secondes plus tard, avec un râle de douleur. Les gourdes étaient vides. Les yeux clos, le chevalier servant fit appel à ses dernières forces pour se remettre debout et enfin jeter un œil aux alentours. Avec un peu de chance il verrait les traces d’une source…
La Chevauchée du Vent les avait menés jusqu’au coeur de basses montagnes, aux sommets déchiquetées et aux versants escarpés. L’ocre et le rouge dominait ce paysage aride, où même la plus robuste des plantes ne pouvait survivre. Sur sa droite, il vit un petit serpent disparaître dans une saillie rocheuse, ce qui fit naître en lui une petite pointe d’espoir. Si le petit animal parvenait à survivre, c’est qu’il y avait de l’eau dans le coin. Mais encore fallait-il pouvoir y accéder… S’il s’agissait d’une rivière souterraine enfouie des centaines de pieds plus bas, ils étaient perdus. Chassant ces funestes pensées, Skaldr se força à sourire.
- Il y a de l’eau pas trop loin, j’en suis convaincu. Marchons encore un peu, nous la trouverons.
- Tu suggères de se déplacer au hasard, jusqu’à tomber dessus...?
Le guerrier errant se laissa aller à un rire de gorge, se gaussant de sa propre stupidité. Décidément il n’était pas en état de réfléchir correctement… Jamais il n’avait utilisé ses pouvoirs aussi longtemps, et maintenant il en payait le prix. Pendant combien d’heures, de jours peut-être, avait-il couru ? Comme si la fatigue et le soleil ne suffisaient pas, les blessures de Skaldr n’avait pas pu se soigner pendant la Chevauchée, et il souffrait le martyr. Désignant une corniche à quelques centaines de pieds de là, Skaldr lança finalement :
- On va déjà monter jusque-là pour avoir une vue d’ensemble.
Sonara acquiesça en silence et se mit en marche, soutenant de son mieux le héros titubant. Le soleil cognait sur les montagnes avec une agressivité sans borne, transformant les lieux en une véritable fournaise. Cette douleur… Bizarrement, le monde entier tournait autour du jeune homme. Le ciel se rapprochait dangereusement, tandis que les sommets semblaient danser la farandole tout autour de lui. Trop faible pour continuer, Skaldr s’effondra bien avant la fin de l’ascension. Lorsque sa tête heurta le sol, soulevant un petit nuage de poussière, il avait déjà sombré dans l’inconscience.
La première chose qu’il ressentit en revenant à lui fut une délicieuse sensation de fraîcheur. Allongé à plat ventre sur un sol de pierre froid, une douce pénombre l’enlaçait. Lorsqu’il roula sur lui-même pour se mettre sur le dos, Skaldr laissa échapper un petit cri de douleur. Sa peau le brûlait, comme si elle avait été frottée vigoureusement avec des pierres chaudes et rugueuses. Ou comme s’il avait été traîné par terre.
- Ah, Sonara…
Avec un soupir de soulagement, il s’assit pour regarder autour de lui. Il avait été amené dans une petite grotte étroite, au plafond bas. A quelques pieds de là se trouvait la sortie, qui donnait sur le même paysage rougeâtre. Plein jour. Combien d’heures avaient pu s’écouler… ? Il était encore en train de s’interroger quand une silhouette familière fit son apparition dans l’entrée de la caverne. Elle s’avança vers son protecteur d’une démarche triomphante et lui tendit une gourde humide et bien lourde. Alors qu’il se jetait dessus, elle ne put résister à l’envie de lui lancer une pique :
- Héhé, qui aurait cru que ce serait à moi de te protéger ?
Un sourire amusé flottait sur ses lèvres.
- Merci, Sonara. Tu n’imagines pas à quel point je suis heureux de t’avoir à mes côtés.
- J’imagine bien oui…
La lueur espiègle qui dansait - vacillait- dans son regard s’éteignit quand elle s’accroupit devant son héros. Sa mine habituelle, triste et grave, avait repris ses droits.
- Tu peux marcher ?
- Oui. Grâce au Vent, à l’eau et au repos. J’ai dormi combien de temps ?
- Plusieurs heures... Dès que tu es tombé je suis mis à la recherche d’un endroit à l’abri du soleil, expliqua la jeune femme. Par bonheur, j’ai trouvé cette petite caverne à quelque pas seulement, j’ai réussi à t’y traîner. Quand j’ai vu que tu ne te réveillais toujours pas, j’ai décidé d’explorer un peu les environs, à la recherche d’eau. Je suis tombé sur les ruines d’un village, bâti autour d’un puits. J’ai même trouvé quelques vivres ! On dirait bien que la Chance veille sur nous.
- La chance veille sur nous… répéta Skaldr, impressionné par le courage de la jeune veuve. Tu es bien plus forte que je ne l’aurais cru.
A ces mots, la jeune femme se détourna vivement, dissimulant ses traits dans l'ombre. Une petite larme de chagrin brilla malgré l'obscurité, tandis qu’un silence lourd s’était abattu dans la grotte. Après d’interminables secondes, elle lâcha enfin, d’un ton soudainement las :
- Tout cela m’a épuisé…
- Dors. Je veille sur toi… Souffla le héros en se relevant.
Le village avait été attaqué récemment. Cette fois, le feu était innocent, et la plupart des bâtiments étaient encore debout. Seulement, les façades arboraient de grandes estafilades, sans nul doute tracées par des griffes… ou des lames. Des lances brisées hérissaient le sol et les murs, tandis que les boucliers et glaives des défendeurs gisaient ici et là, abandonnés. Gorgé de sang, le sol tirait vers l’écarlate en plusieurs endroits, criant témoignage du massacre qui avait été perpétré ici. En revanche les corps brillaient par leur absence, ce qui ne manqua de faire frissonner légèrement Skaldr. Avaient-ils été emmenés… ou entièrement dévorés ? Il était bien incapable de dire laquelle des deux possibilités était la plus terrifiante. Le guerrier errant venait tout juste de remplir ses gourdes au puits que la réponse fondit sur lui depuis les cieux.
D’un mouvement vif, il évita les serres qui visaient son crâne, dégainant dans le même temps. Son agresseur, après quelques battements d’ailes, alla se poser sur le toit à demi-effondré d’une cabane non loin. Tenant autant de l’oiseau que de la femme, la créature était d’une laideur repoussante. Sa peau grisâtre était tendue sur des os anguleux, sa maigreur maladive laissant transparaître un squelette difforme. Ses bras et jambes, beaucoup trop longs pour être humains, se terminaient par des pattes griffues. De son dos, piqué de plumes sombres, saillaient de gigantesques ailes brunes mouchetées de noir. Quant à son visage, il inspirait autant la pitié que la terreur… Un nez assez crochu pour imiter un bec surmontait une bouche dépourvue de lèvres, ouverte sur des rangées de crocs irréguliers. Ses yeux noirs, petit et vicieux, étincelaient de haine ; un fin duvet blanc couvrait son crâne dépourvu d’oreilles. Lorsque la bête hurla, son cri évoquait autant l’agonie que la rage. Pire que tout, Skaldr réalisa qu’un tel son aurait tout à fait pu s’échapper d’une gorge humaine. L’ignorant superbement, la créature ailée fondit droit sur Sonara, tendant vers elle des ongles plus tranchants que des poignards. Elle était encore à mi-chemin quand un espadon vint à sa rencontre, tailladant sans mal la chair et les os. Lorsque la harpie toucha le sol, dans un dernier râle de souffrance, ce fut en deux temps.
- Skaldr, attention ! Au-dessus !
Le héros leva aussitôt les yeux et se pétrifia d’horreur. Des dizaines de créatures ailées survolaient le village… Parfaitement coordonnées, elles lâchèrent toutes en même temps les lourdes pierres qu’elle transportaient. Une petite impulsion du pied propulsa le guerrier droit sur son amie, qu’il percuta violemment, la projetant à terre. De son corps, il forma un pavois de chair et de muscles, une bien faible protection face aux rocs qui pleuvaient… Mais alors que les premiers s’apprêtaient à le percuter, une bourrasque naquit. Tel un serpent invisible, le Vent s’enroula autour des deux humains, sifflant et hurlant. Les projectiles qui tentèrent tout de même de traverser la barrière éthérée se virent happés par la tempête miniature, laquelle s'amplifiait à chaque pierre dévorée. Quand enfin elle décida de les recracher, ce fut avec une puissance redoutable. Et une précision mortelle. Tout aussi brusquement qu’il était apparu, le Vent s’évanouit, laissant tous ses droits au silence. Un calme morbide accompagna la chute des hommes-oiseaux, qui s’écrasaient ici et là en répugnantes gerbes écarlates et beaux nuages de plumes. Le tout n’avait duré que quelques secondes…
Les yeux écarquillés, Sonara fixait son sauveur avec un mélange de peur et de surprise. Tout aussi étonné, Skaldr se releva en pantelant.
- Que… Comment as-tu fait ça ? Balbutia la jeune femme, à demi sonnée.
- Aucune idée, j’ai simplement… voulu nous protéger. Non, j’ai plutôt espéré.
- L’espoir, hum… Murmura Sonara d’un air absent.
- Hein ?
- Rien, rien…
L’espoir ? Non c’était différent. Mentalement il avait donné des ordres au Vent, qui les avait exécutés à lettre. Du regard, le jeune homme embrassa la scène. Un carnage… Les créatures avaient été tuées sur le coup, le crâne broyé ou la poitrine défoncée. Par le passé il avait appris à chevaucher le Vent, à donner naissance à des bourrasques. Mais ce qu’il venait de faire… Il réalisa alors qu’il avait le souffle court et que ses pouvoirs avaient désertés ses poumons. Devant lui, Sonara époussetait méticuleusement ses beaux habits, pestant contre la poussière. Sa robe était de trop bonne facture pour venir d’un village perdu de la Lande… Skaldr ressentit l’envie de l’interroger sur son passé, envie qu’il réprima aussitôt. La plaie était encore à vif, inutile d’y plonger un second couteau.
- On ne sait même pas où l’on va, soupira la jeune veuve.
Skaldr ne répondit pas, les yeux fixés sur l'horizon. Postés au sommet d’une montagne, ils jouissaient d’une vue d’ensemble sur la région. Les pics rocheux s’étendaient à perte de vue… La seule chose qui rompait la monotonie du paysage, était le mont décapité, qui, malgré son absence de chef, surplombait tout le reste. Son ombre, gigantesque, engloutissait le monde alors que le soleil se couchait enfin. Cela faisait plusieurs jours qu’ils avaient quitté le village dévasté, et depuis ils n’avaient pas rencontré le moindre être vivant.
- Continuons vers le Nord, Sonara. Je sais que nous trouverons ce que nous cherchons ! Lança le héros d’une voix qui se voulait rassurante.
- Pourquoi cette direction ? Et que cherchons nous ?
- Parce que le Nord m’appelle… Souffla Skaldr, ignorant délibérément la seconde question, à laquelle il était bien incapable de répondre.
Contrairement à ce à quoi il s’attendait, la jeune veuve acquiesça en silence, visiblement convaincue. Quelle femme étrange…
Ce n’est que le surlendemain qu’il rencontrèrent à nouveau les hommes-oiseaux. Ils progressaient le long d’une gorge étroite, à l’abri des rayons agressifs du soleil, quand ils tombèrent dans une embuscade, en milieu de journée. Un concert de hurlements accueillit les deux humains, encerclés de toutes parts. Une horde de créatures les épiaient depuis le sommet des falaises d’ocres, tandis qu’un groupe plus réduit arrivait dans leur dos. Un nouveau cri, impérieux cette fois, retentit. Alors, les lances fusèrent vers le sol.
- Cours ! Hurla Skaldr en fonçant droit devant lui, l’espadon au poing.
Une première harpie atterrit devant lui, avec la ferme intention de leur barrer le passage. Elle brandissait un épieu sommaire entre ses serres griffues. D’une fente rapide, le guerrier en écarta la hampe, avant de plonger son épée dans la poitrine de la créature, juste entre ses seins desséchés. Dans son dos, Sonara poussa un cri. Le sang de Skaldr ne fit qu’un tour. Son pied gauche pivota dans la poussière, l’aidant à faire demi-tour tout en libérant son arme du cadavre difforme. Sa protégée était aux prises avec deux créatures, qui s’étaient emparés de ses bras, et commençaient à s’envoler… D’un bond prodigieux, Skaldr se porta à la hauteur d’un premier ravisseur qu’il trancha en deux, de haut en bas. Le sang qui en jaillit l’aveugla, et il s’écroula à terre, roulant dans la poussière. Lorsqu’il se releva, l’autre homme-oiseau avait continué à porter la jeune femme, qui se débattait désormais à plus de trente pieds du sol. Comme mu par un instinct, ou poussé par une voix intérieure, le guerrier s’empara d’une lance ennemie, et la projeta de toutes ses forces. Le Vent accompagna le projectile qui fit littéralement éclater le crâne de sa cible. Avec un hurlement de terreur, Sonara chuta… pour atterrir délicatement sur un coussin invisible. Ne lui laissant pas le temps de parler, Skaldr lui attrapa la main et la força à courir, toujours le long de la gorge. Les pierres et les javelots fusaient sur eux, mais les créatures semblaient incapables d’anticiper leur trajectoire, et tous leurs projectiles heurtaient la terre dans le dos des deux fuyards.
Ils étaient proches de la sortie quand un groupe de cinq harpies se détacha de la horde pour les encercler. Leurs visages, horriblement humains, étaient déformés par la haine. Les cris qui s’échappaient de leurs bouches dépourvues leurs lèvres vrillaient les tympans des deux compagnons. Leur peur était palpable. Enfin, après d’interminables secondes, elles plongèrent de concert vers leurs proies.
- A terre, Sonara ! Vociféra le héros en raffermissant sa prise sur son arme.
La semelle de Skaldr crissa contre les cailloux et la poussière lorsqu’il pivota sur lui-même, la pointe de son épée traçant un cercle parfait. Une lame d’air suivit le mouvement. L’acier et le Vent mordirent la chair, déchirèrent les os et découpèrent les plumes. Les parois rocheuses devinrent plus écarlates encore. Le souffle court, le héros déchu contemplait son œuvre macabre. C’est alors que l’une des harpies, dans un dernier élan de vie, poignarda Sonara de la pointe de son épieu. La jeune femme laissa échapper un hoquet de surprise en sentant le métal s’enfoncer dans son épaule. Elle essaya de se relever, mais ses yeux se voilèrent.
- Non… Non… Tu ne peux pas me laisser ! Balbutia Skaldr, en se jetant aux côtés de la pauvre veuve, qu’il avait échoué à protéger. Non ce n’est pas fini, je te sauverai !
D’un geste sec, il arracha le fer de lance et prit Sonara dans ses bras. Son espadon était rengainé, dans son dos. Alors il s’enfuit, les monstrueux hommes-oiseaux sur les talons. Skaldr s’engouffra dans la première grotte qu’il rencontra, y déposant sa protégée au sol, sans ménagement. Il devait faire vite. Avec un couteau, il découpa une bande de tissu dans la robe noire de son amie, et banda rapidement sa plaie, qui laissait échapper beaucoup trop de sang. Elle poussa un gémissement de douleur lorsqu’il lia ses poignets avec une corde, marquant sa peau délicate. Il la prit sur son dos, par-dessus le fourreau de son épée, passant ses bras fins autour de son cou. Alors, il utilisa ce qui lui restait de corde pour les attacher solidement l’un à l’autre, au niveau de la taille. Elle risquait de l’étrangler si elle glissait vers l’arrière, mais cela ne saurait gêner un Monte-Vent. Au moins, ses bras étaient libres maintenant. Lorsqu’il sortit de la caverne, il vit qu’un trio de créatures l’attendait de pied ferme, chacune brandissant un long pieu dans sa direction. Lorsque la première attaqua, il plongea sous le manche de son arme et passa dans son dos. Il n’avait pas de temps à perdre en combats inutiles, il devait fuir pour sauver Sonara !
- Mais où… Pensa-t-il à voix haute.
Comme tirée de l’inconscience par la voix de son protecteur, la jeune femme releva la tête en laissant échapper un râle de douleur. Malgré ses poignets entravés, elle s’agrippa de son mieux à la ceinture de cuir qui barrait le torse de Skaldr.
- La plus haute montagne… C’est un cratère… Sauve nous…
La fin de sa phrase mourut alors qu’elle perdait à nouveau connaissance. Les sourcils froncés, le guerrier leva les yeux vers l’imposante silhouette qui le surplombait. En quoi cela les sauveraient-ils ? Si le sommet du mont était réellement une cuvette, alors ce serait plutôt un piège… Mais la veuve semblait en savoir beaucoup sur ce monde. D’un geste mental, Skaldr balaya tous ses doutes et prit la direction du géant décapité.
Une nuée de créatures ailées hurlaient et crachaient, enragées par l’impuissance. Leurs proies, deux pauvres humains, étaient protégés un cocon de Vent repoussant sans mal lances et pierres. Les hommes-oiseaux eux-mêmes étaient incapables de s’approcher de la tempête miniature qui gravissait à toute vitesse le plus haut mont de la région. Les dents serrées par l’effort, Skaldr avançait par bonds, se raccrochant du bout des doigts aux corniches et saillies qui constellaient la paroi. Vacillant entre la conscience et le néant, Sonara se retenait de son mieux à son héros. Bientôt les roches qui composaient le versant escarpé devinrent glissantes, tachées du sang du héros qui les escaladait. Ses mains étaient couvertes d’éraflures et de coupures, le prix à payer de sa précipitation. Mais avait-il le choix ?
L’ascension dura de longues heures. Le crépuscule teintait le monde d’orange quand Skaldr, éreinté, atteint enfin le sommet. Ce qu’il vit alors lui coupa le souffle. Du vert… Tant de verdure. Comme l’avait annoncé Sonara, il y avait bien un cratère, et ce dernier était rempli par une forêt luxuriante, resplendissante d’émeraude. Au cœur de la cuvette, étincelait un lac d’un bleu magnifique. Bouche bée, le jeune homme s’abandonna à la contemplation de ce lieu hors du temps, oubliant jusqu’à l’existences des harpies qui continuaient de rugir dans son dos. C'était comme si cette jungle avait été épargnée par les flammes qui avaient jadis englouti le monde... Hypnotisé par tant de beauté, Skaldr s’engagea sur la pente pour s’enfoncer sous le couvert des arbres.
Tout était si vivant. Depuis le plus petit brin d’herbe, si vert et gorgé d’eau, jusqu’aux colosses d’écorce et de sève, dont les ramures ployaient sous le poids de milliers de feuilles et de fruits. Des insectes inconnus de Skaldr pullulaient dans les sous-bois, grimpant le long des troncs, disparaissant entre les racines… Alors qu’il avançait dans ce paradis, le jeune homme fit la rencontre d’animaux étranges, vestiges de l’Ancien Monde. Des bêtes mythiques, que l’on évoquait comme autant de légendes aujourd’hui disparues. Les cerfs avec leurs bois majestueux, bramaient sur son passage avant de disparaître en cavalant. Des sangliers, ces espèces de porcs velus armés de crocs tranchants, grognaient à son égard, sans cesser de retourner la terre à la recherche de quelques trésors de nourriture. Mais rien sur cette terre ne pouvait égaler la grâce mortelle des loups argentés... Nés pour la chasse et destinés à se couler dans les ombres ; des rois de fourrure et de crocs. Libres comme l’air, vivant au gré de leurs besoins... Le guerrier errant se surprit à les envier.
Le soleil était couché quand Skaldr arriva sur les berges du lac, Sonara reposant au creux de ses bras. Mais la lune avait pris sa place, baignant la forêt dans une pâle lueur d’argent. Avec stupeur, il découvrit qu’une grande maison y avait été bâti, sous le couvert de quelques gigantesques saules. Alors qu’il se demandait qui pouvait bien vivre dans un endroit pareil, son œil fut attiré par une série de pierres sculptées, qui sortaient du sol, non loin de la demeure. Lorsqu’il s’en approcha, il remarqua que les stèles étaient toutes gravées de caractères inconnus. Un cimetière… Avec prudence, il ouvrit la porte d’entrée et commença son exploration, tout en continuant à porter sa protégée. Dans une des chambres il trouva le cadavre d’un vieil homme, encore assez frais, dernier habitant de la bâtisse. Un sourire attentionné flottant sur ses lèvres, Skaldr déposa sa compagne dans le plus beau lit qu’il trouva, puis retourna dans la chambre du vieillard. Avec délicatesse il souleva son corps fragile, et l’emmena jusqu’au champ de tombes, armé d'une pelle.
Un paradis. Il n’y avait pas d’autre mot pour désigner cet endroit… On était bien loin de l’Enfer qu’avait créé l’Igné lorsqu’il avait déchaîné ses flammes voraces sur le monde. Le cœur léger, Skaldr était assis contre un arbre, contemplant la nature qui s’éveillait avec les premiers rayons de l’aube. Des oiseaux commencèrent à chanter dans le lointain, tandis que quelques mammifères timides quittèrent leurs tanières souterraines. A quelques pieds de la demeure, avait été planté un potager et un peu plus loin il avait trouvé un petit champ ainsi qu’un verger. Tout était si parfait… Ses pensées vagabondèrent un court instant avant de se fixer sur cette femme qu’il désirait protéger plus que tout au monde. Si au début elle n’était pour lui qu’un symbole d’espoir, Skaldr réalisait qu’elle était devenue bien plus que ça. Avec un soupir, il ferma les yeux et se laissa aller à des rêves impossibles.
Sonara revint à elle en début d’après-midi. Lorsqu’elle aperçut son protecteur, assis contre le mur de sa chambre, elle esquissa un faible sourire.
- Tu m’as encore sauvé…
- Ne l’avais pas juré ? Rétorqua le héros, le visage radieux. Repose-toi, ta blessure n’est pas encore complètement guérie. Je m’occuperais de la nourriture. La pêche est miraculeuse, et il y a des fruits et des légumes à foison dans le coin.
- Alors tu l’as fait, tu nous as mené jusqu’au Jardin de Vie… Souffla la jeune femme avant de se rendormir.
Le Jardin de Vie ? Skaldr se jura de l’interroger dès qu’elle sera assez en forme. Elle en savait beaucoup trop pour une « native » de la Lande Calcinée… Son estomac gargouilla, le ramenant à la réalité. Le guerrier quitta le manoir, armé d’un arc et d’un carquois. Il n’avait pas l’habitude de manier une telle arme, mais le Vent saurait guider ses flèches.
Alors qu’un petit sanglier passait en trombe devant lui, Skaldr réalisa à quel point il avait faim de viande fraîche. L’espace d’un court instant il se figura un bon morceau de porc à la broche, tournant au-dessus d’un feu. Il en eut aussitôt l’eau à la bouche. Avec un sourire carnassier, il s’élança à la suite de sa proie.
Skaldr s’accroupit pour s’emparer d’un gros fruit rouge, qui poussait le long d’une petite tige verte. Tout ici poussait sans que le moindre entretien ne soit nécessaire, comme si le sol lui-même était animée d’une volonté qui lui était propre ; une volonté bienfaitrice. Distraitement, il porta le fruit à sa bouche et croqua dedans, savourant la chair écarlate. Lorsque le jus, sucré, coula le long de son menton, il esquissa un petit sourire. Il avait encore tant à goûter ! Ce jardin regorgeait de merveilles naturelles. Il sursauta soudainement, arraché à sa rêverie par une voix féminine.
- Je me doutais bien que tu te réservais la meilleure partie.
Encore ce ton à demi espiègle, quoique bien plus faible qu’à l’accoutumée. Sa voix tremblait légèrement, et Sonara dut rapidement s’asseoir, non sans avoir vérifié que la terre n’était pas trop humide. Inquiet, Skaldr examina son visage, encore pâle..
- Comment te sens-tu ?
- Presque bien, répondit la jeune femme d’un ton faussement enjoué.
- Tant mieux.
Un silence pesant s’installa entre les deux vagabonds. Les yeux dans le vague, Sonara fixait le calme étang. Mais il fallait être aveugle pour ne pas avoir qu’elle ressassait le passé… Une larme roula sur sa joue. Skaldr avança sa main doucement, mais elle l’écarta en secouant la tête, avant de balbutier quelques excuses. Réalisant qu’il ne trouverait jamais le moment idéal, le héros failli souffla la question qui le torturait tant :
- Sonara… Qui es-tu ?
Pas de réponse. La veuve, la tête baissée, semblait désormais intensément concentrée sur ses pieds nus et sur les brins d’herbe qui lui chatouillaient les orteils.
- Tu ne viens pas d’Elmoth… Je ne t’y avais jamais vu par le passé. Et tu connaissais l’existence de… cet endroit. Ce Jardin de Vie. Dis-moi la vérité je t’en prie, acheva Skaldr d’un ton presque suppliant.
Une éternité sembla se passer jusqu’à ce que la jeune femme desserre enfin les lèvres.
- C’est vrai, je n’y suis pas né. Ald… Aldrich et moi venions d’une terre, loin à l’est, par-delà les monts desséchés et l’immense désert osseux. Très loin, au cœur des plaines de feu, se dresse Erythian, Capitale du Savoir, et plus grande ville du monde connu. C’est dans les livres de sa Grande Bibliothèque que j’ai une première fois exploré le monde. Mais… Nous avons été forcés à l’exil. A cause de simples croyances… Nous vénérions l'Igné. Les hommes, bouffis de haine, n’ont pas oublié le désastre engendré par le Brasier. Il leur est tellement plus simple d’oublier que celui qui détruisit le monde, est aujourd’hui celui qui s’efforce de le sauver. Aveugles...
La jeune femme marqua une pause, enroulant autour de ses doigts quelques brins d’herbe. Sa voix tremblait légèrement lorsqu’elle reprit :
- Chassés de notre foyer, nous avons parcouru le monde, le vrai cette fois, à la recherche d’une terre promise. Nous avions décidé de cacher notre foi, mais il nous fallait partir loin. Bien souvent, hélas, les hommes nous repoussèrent par crainte des étrangers. Ou alors était-ce du mépris ? Une chose était certaine : le Créateur nous avait abandonné. Enfin, après des mois d’errance, nous arrivâmes dans un havre de paix nommé Elmoth. Et la suite…
Troublé, Skaldr mit de longues secondes à sortir de sa torpeur. Jamais il n’avait imaginé qu’elle ait pu souffrir autant par le passé… Sa vie avait été une première fois détruite par les hommes. Avant d’être à nouveau anéantie, cette fois-ci par son propre Dieu.
- Je suis désolé que tu aies dû vivre ça, Sonara, souffla le héros failli.
Ainsi elle vénérait donc bien le monstre qui avait tenté de tous les noyer dans les flammes.
- Il n’y a qu’un seul responsable, et je ne puis me résoudre à le haïr, soupira-t-elle en retour, avant de se murer dans un silence inviolable.
Cette fois, elle ne résista pas quand son protecteur la prit dans ses bras, berçant doucement ses sanglots silencieux.
Bientôt, Sonara fut remise de sa blessure. Ils auraient pu reprendre la route mais… pour aller où ? La vie était si paisible dans ce Jardin de Vie. Ils ne manquaient de rien. Les jours se changèrent en semaines, puis en mois. Avec le temps, la jeune femme sembla reprendre goût à la vie. Ses sourires, jadis aussi rares que froids, devenaient plus sincères que jamais. Moqueuse, elle se disputait souvent avec son protecteur, qui la couvait de ses yeux brûlants. Il l'aimait. Son cœur saignait à chaque fois qu’elle le repoussait gentiment, mais jamais il ne perdait espoir. Avec le temps peut-être… Peut-être un jour partagera-t-elle les mêmes sentiments que lui.
Parfaitement immobile, Skaldr attendait dans un fourré. Sa proie, un jeune chevreuil, passa tranquillement à quelques pas de lui, inconscient du danger qui le guettait. L’instant suivant, le chasseur quittait sa cachette d’un bond, propulsant un court épieu dans la direction du pauvre animal. Le javelot fusa dans l’air avant de se ficher dans la gorge du cervidé, qui s’effondra sur le côté, raide mort. Sans difficulté aucune, le jeune homme hissa la bête sur ses épaules et reprit la direction du Manoir, comme il se plaisait à l’appeler.
Il fut accueilli par un silence de mort. Sonara aurait dû être dehors, à s’occuper de son jardin de fleurs… Elle aurait dû l’entendre rentrer, et aurait dû lui répondre. Un frisson agita les épaules du chasseur tandis que la peur lui sautait à la gorge. Sans ménagement, il jeta la carcasse au sol et se rua vers la porte d’entrée, légèrement entrebâillée. Machinalement, il s’empara de son espadon, suspendu dans l’entrée de la demeure. Le sang lui battait aux tempes alors qu’il ouvrait frénétiquement chaque battant, pour découvrir des pièces vides… Jusqu’à ce qu’il pénètre dans la chambre de la jeune femme. Il refusa de croire ses yeux.
Un cri mourut dans la gorge du héros alors qu’il se laissait tomber à genoux. Sonara était étendue sur son lit, désormais écarlate. Sa poitrine menue était agitée de soubresauts, sa gorge se secouait violemment. Ses doigts, si délicats, étaient crispés autour du manche de la longue dague fichée entre ses seins. Autour d’elle étaient agenouillées cinq silhouettes, toutes vêtues de noires, leurs visages dissimulés par d’inquiétants masques de fer. L’un d’eux se leva, toisant Skaldr de toute sa hauteur. Sa voix, semblable au crissement de l’acier contre la pierre, emplit l’espace et gela le sang de Skaldr.
- Un sacrifice nécessaire.
Dans un sursaut de vie, Sonara parvint à tourner la tête vers son protecteur, qui avait échoué une fois de plus. Un sourire radieux illuminait son visage, pourtant crispé par la souffrance l’instant d’avant. Avec un hurlement d’agonie, Skaldr se releva et plongea son épée dans le corps d’un des meurtrier de sa bien-aimée, qui se dissipa aussitôt en volutes sombres. Avec un nouveau cri, tenant plus du monstre que de l’homme, il se jeta sur une seconde cible, la dispersant dans un nuage de fumée elle aussi. Les trois dernières silhouettes ricanèrent un court instant avant de lancer à l’unisson :
- Pour la Flamme.
Alors ils s’évanouirent, laissant ainsi le héros seul avec son échec.
Merci beaucoup aux auteurs
Re: Topic du M-I Jump
Pour relancer un petit peu ce topic, je viens de mettre à jour mon application du MI Jump que je m'étais fait personnellement pour pouvoir lire ce dernier dans le train ou autre.
Ainsi je propose, pour ceux d'entre vous qui pourraient avoir été gênés par la longueur des textes ou la connexion internet, de télécharger cet APK (certifié sans virus bien sur) à installer sur votre appareil Android pour avoir tous les MI Jump parus jusqu'à maintenant dans un bon confort de lecture (je trouve, en format paysage).
Voici le lien de l'APK en question : http://webarranco.fr/img/media/MIJump.apk
(le mettre dans un dossier de votre téléphone, puis ouvrir le fichier dans votre téléphone. Vous pouvez également le télécharger directement depuis votre appareil.)
PS : Si certains auteurs souhaitent se manifester pour retirer cet APK et supprimer le lien (je ne vois pas trop pourquoi mais bon) ils peuvent me contacter.
En espérant que ça pourra vous accompagner pendant de longs voyages où vous avez une pressante envie de lecture
Ainsi je propose, pour ceux d'entre vous qui pourraient avoir été gênés par la longueur des textes ou la connexion internet, de télécharger cet APK (certifié sans virus bien sur) à installer sur votre appareil Android pour avoir tous les MI Jump parus jusqu'à maintenant dans un bon confort de lecture (je trouve, en format paysage).
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